Islene avait très tôt compris que la réponse se trouvait parfois (souvent) en arrière, sous la forme de détails qui avaient alors semblé insignifiants et qui, à la lumière des évènements survenus ensuite, prenaient une tout autre dimension. Elle en avait fait son fonds de commerce, guidée par le nez de sa mère et son goût pour un certain style de vie (soit l’argent). Ces spectres du passé l’avaient accompagnée dès les premières manifestations de ses dons de voyance (parfois littéralement lorsqu’elle entrait en contact avec l’un des fantômes du manoir Castaigne, avides de se faire entendre à travers son contact ou simplement désireux de provoquer son dégoût). "You’re looking at the future, but the answers you are looking for may be found in what’s done and passed by" était l’une de ces phrases récurrentes, de vraies marques de fabrique, qu’Islene prononçait de sa voix radio en face de sorcier.e.s plus ou moins excité.e.s, terrorisé.e.s, ou (plus rarement) blasé.e.s par le concept de son émission.

À force de regarder dans le passé des autres, Islene en oubliait parfois d’appliquer ses propres conseils. Elle tirait les dés tous les matins et tous les soirs, une habitude prise à la HEADS qui était devenue, à force, un rituel qui prenait parfois la forme d’un réflexe destiné à entraîner son œil et son poignet plutôt que de véritables lectures. Il était plus facile de fouiller dans les couches subconscientes d’autrui que de se faire face dans le miroir, particulièrement lorsque ce dernier vous renvoyait le reflet de votre défunte mère.

Les dés, un matin, avaient attiré son regard pour la sortir, un bref instant, de sa routine quotidienne – une coupe, un œil de chat, une couronne (Hastur, toujours Hastur), un rideau d’épées. Une cacophonie assourdissante à ses yeux de divinatrice, dont elle s’empara, le cœur battant, pour les jeter de nouveau sur sa coiffeuse – un bateau pris dans la tempête, un cœur ensanglanté, un œil de chat, l’abysse. Islene eut un reniflement dédaigneux et étouffa les voix dissonantes des symboles en refermant la main sur ces dés au parler explosif, détournant les yeux des traîtres qui lui collaient, dès le matin, une migraine infernale. "I can’t believe you’re doing this to me", maugréa-t-elle en fermant la boîte en velours sur les symboles mutiques dans un clac moins satisfaisant qu’elle l’avait espéré. "Behave."

Behave. Le regard d’Islene remonta jusqu’à la devanture du bar, l’œil jaune du chat noir qui s’y trouvait brillant d’une lueur joueuse, désagréable, trop familière. For us. Don’t let me hear about some dreadful deeds. Le regard d’Antoine, lui, avait été lourd de sens sur le léger silence qu’il lui avait imposé – le regard de quelqu’un qui ne reviendrait plus avant longtemps et imprimait sur sa rétine ces derniers instants. I will. I won’t. Islene rajusta le col de son épais manteau et elle pénétra à l’intérieur du Black Cat, suivie par la pupille du chat dont la queue balançait comme un métronome sur son enseigne.

Il lui avait fallu plusieurs jours à voir ces yeux, au réveil, au coucher, parfois même s’introduisant dans les prédictions du Sweet Diviner en un invité indésirable. Islene savait avoir bien des qualités, mais elle savait tout autant que son entêtement pouvait se révéler maladif, les prémices d’un aveuglement dont seuls les dés étaient capables de l’en sortir. Peut-être était-ce d’une façon de lui dire d’aller prendre un verre, aussi léger en alcool soit-il, pour se détendre suite au départ pour le moins hâtif d’Antoine – l’impression qu’il avait fui la poursuivait en un bourdonnement sourd, ajoutant une couche aux bruits de la salle qu’elle traversa d’un pas assuré, manquant de fendre un couple quittant les lieux, et au titillement étrange qui lui grattait l’estomac à l’idée (l’obligation) de le croiser de nouveau.

Ses pupilles alertes repérèrent sans mal une place au bar, au milieu du comptoir, à quelques sièges de là où elle s’était trouvée lors de sa dernière visite. Affectant de ne pas voir la silhouette officiant de l’autre côté du comptoir dans un coin de son champ de vision, Islene se débarrassa de son manteau, dévoilant une combinaison sombre d’un noir velouté, pour mieux reporter son regard glacial sur le menu amené magiquement à elle. Il n’y avait rien de particulier, ici – il s’agissait d’un bar plutôt chic comme on pouvait en trouver sur Diagon Alley, baignant dans des lumières tamisées et une musique jazzy, au choix de boissons rendu inventif par les dernières lois en date. Rien de spécial, si ce n’était le lien (si on pouvait appeler ça un lien, un fil si fin qu’elle aurait pu le briser en tout instant) qui l’unissait au sorcier sur lequel ses yeux se rivèrent, tandis qu’elle couchait la carte sur le comptoir en bois vernis, le bruit des pas de Gabe s’approchant se détachant sur l’instant nettement du bruit de fond du Black Cat.

La lueur brillant dans ses yeux n’était pas sans rappeler celle du chat de l’entrée – mutine, pétillante, au-dessus d’un sourire ourlé appuyant la ressemblance féline. "Are you still serving drinks?" Islene relâcha le menu qui disparut dans un plop typique de ces sortilèges, son regard rivé sur le barman qui, plus elle le regardait, plus prenait la forme de cet œil rond et jaune, un écho du message dérangeant de ses dés. "One Sidebroom please", ajouta-t-elle une fois qu’elle eut la confirmation que, si elle arrivait bien tard, il était encore l’heure, le tout sans se défaire de l’onde noire qui se dérobait à son regard, comme refusant de lui livrer ses secrets et la raison de sa présence insistante.

tw:sexisme, mention de sexe, langage cru

”So what are we doing tonight?” Le regard de Gaon se lève de son shaker, pour se tourner vers Jae-sung qui vient de faire son apparition derrière le comptoir, faisant léviter un plateau de verres vides tenant parfaitement en équilibre avant de le poser devant eux pour, d’un sortilège, les laver un à un et les faire se ranger docilement à leur emplacement. ”We?”, interroge le sorcier en levant un sourcil, déjà revenu à son ouvrage. ”Yeah, didn’t you talk about that party at that guy’s with the big ass mansion? – Oh, right, Ian. Yeah.” Il marmonne presque dans sa barbe en secouant le shaker, relevant dans un même temps les yeux vers la salle qui commence doucement à se vider depuis une heure ; les soirées d’Ian ne sont pas les plus excitantes de celles où il a pu mettre les pieds, mais ce con a l’avantage d’avoir des amis au moins aussi blindés que lui (des clients potentiels qui n’ont bien que leur portefeuille pour pouvoir tirer leur coup), et des amies aux moeurs bien plus légères que les siennes (qui, elles, n’ont pas besoin d’un portefeuille fourni pour attirer l’attention de Gaon). ”I forgot about that one. I told Lea I’d come to her best friend’s… whatever celebration. – Wait, you’re still dating Lea? Why? – Why not? She’s got the tightest ass of the whole UK. – Isn’t she the one whose best friend you’re banging too?” Cette fois, le regard de Gabe se lève dans celui de son cousin, alors qu’un sourire ourle le coin de ses lèvres – est-ce qu’il y a vraiment quoi que ce soit à ajouter? ”Man you like drama”, soupire Jae-sung dans un semblant de rire en rangeant sa baguette dans son étui. ”No, I like having two good fucks in a row in one night, the rest is none of my fucking problem”, finit par répondre Gaon dans un sourire plus large encore ; il se détourne de son cousin pour verser le cocktail dans deux longues flûtes, puis saisit sa baguette pour les porter sur l’un, puis l’autre des verres, une lueur dorée y apparaissant alors pour y danser sous le faible sortilège cosmétique qu’il distille dans la boisson. ”And two Golden Snitches for the lovely couple.” Et le manager du Black Cat n’attend pas plus pour jeter un coup d'œil à la montre sertie de discrets diamants à son poignet. ”Alright, last round, when these two are done let’s close”, adresse-t-il à Jae-sung qui, après un hochement de tête, disparaît pour répandre le mot auprès des quelques membres du personnel restant encore à cette heure tardive.

La soirée de Gaon est déjà toute écrite – d’ici une demi-heure, grand maximum, il s’éclipsera pour laisser ses cousins fermer les cuisines une fois que lui aura fermé la salle ; il se rendra auprès de Lea, une minette sans trop d’importance qu’il voit de temps à autre quand l’envie lui en dit, mais qui s’évertue à le voir comme le perfect boyfriend (il ne va pas la contredire) ; il boira un verre, peut-être deux, puis disparaîtra avec elle dans une chambre, un bureau, les toilettes, ce qu’ils ont à leur disposition ; il prétextera une urgence familiale pour pouvoir s’éclipser juste après, se fera probablement rattraper une fois dehors par la meilleure amie (Betty? Beth?) ; il se rendra chez Ian, où il retrouvera peut-être Jae-sung, donc, (et peut-être Min-ji et Man-soo) ; il boira sûrement, encore, en discutant avec quelques amis de Ian, leur glissera discrètement sa carte de visite ; il croisera peut-être une silhouette intéressant, peut-être pas ; il rentrera peut-être avec une silhouette intéressante, peut-être pas. Des soirées comme il y en a beaucoup, légères, où Gaon y trouve sensiblement son compte.

La soirée de Gaon est toute écrite ; et il ne suffit que d’un regard, deux pupilles glaciales d’un bleu perçant, pour la réécrire complètement. Il lui faut une seconde, ou deux peut-être pour que le prénom lui revienne – Islene. Le reste peine à vraiment et parfaitement revenir à la surface, des souvenirs brefs enterrés par des Léa, des Betty, d’autres nuits, d’autres conversations, d’autres parfums, d’autres silhouettes, d’autres regards. Il s’en rappelle néanmoins – une nuit, puis une fin de journée au Black Cat, une porte qu’il a ouverte, et la façon dont Islene s’en est détournée, et n’est jamais revenue la saisir. Cela fait quelques mois déjà, que la sorcière était dans les affaires classées, pour ne pas dire enterrées ; et si elle ne se trouvait pas à cet instant précis, probablement Gaon aurait déjà complètement oublié ce non-évènement – si ce n’est son égo qui, légèrement froissé alors, s’en serait peut-être rappelé.

Gaon décide de faire prendre un nouveau tournant à sa soirée, en s’approchant de la sorcière, manquant presque de se frotter les mains de satisfaction – non pas du fait de revoir une amante d’un soir, simplement de voir qui que ce soit ramper jusqu’à sa porte après l’avoir envoyé chier. Et c’est avec une pointe de victoire dans la voix qu’il l’accueille d’un : ”Well, what do we have here? – ”Are you still serving drinks?” Les deux mains du sorcier se posent sur le comptoir, alors légèrement appuyé dessus, autant pour s’installer confortablement que pour savourer avec un peu de hauteur cet instant. ”You’re in luck, we were just about to call for last round”, répond-il dans un sourire presque carnassier en quittant le regard de Islene pour plutôt brièvement détailler ses traits, avec une certaine insistance, comme il pourrait encadrer son visage entre ses doigts pour lui arracher une explication à sa présence soudaine et inattendue ce soir. ”One Sidebroom please. –  Sure thing.” Son sourire n’a toujours pas disparu, mais son regard est revenu dans le sien, lorsqu’il porte sa main à sa ceinture pour sortir sa baguette de son étui, et faire s'aligner devant lui trois bouteilles et un shaker propre. Il est forcé de baisser les yeux un instant sur son ouvrage, sans s’éloigner néanmoins, déterminé à préparer ce cocktail face à elle – elle n’est pas venue ce soir au Black Cat, après l’avoir probablement esquivé volontairement pendant des mois si ce n’est pour le voir lui.

Car il y a un détail que Gaon n’a pas manqué de relever : Islene est seule ce soir. ”So a Sidebroom, hm? What happened to the Golden Galleon?” Un autre détail dont Gaon se rappelle ; il se souvient s’être fait la réflexion que le cocktail entre ses doigts avaient la même couleur que ses cheveux, le soir où ils se sont rencontrés ; il se souvient également avoir été amusé de la retrouver avec le même cocktail devant elle, lorsqu’elle est venue accompagnée d’une amie dans son établissement. ”Did it lost its way at the same time you lost yours?” Sa voix est composée et presque pétillante à la fois, autant que peuvent l’être son sourire et son regard qu’il relève sur Islene après avoir ouvert le shaker pour le verser dans un verre en coupe. ”Or did it just change its mind too?”, conclut-il en poussant de deux doigts le verre face à Islene, la tête légèrement penchée sur le côté, ses yeux sondant les siens à la recherche d’une réponse qu’il meurt d’envie d’entendre de sa bouche.

Le regard de Gabe était acéré au-dessus de son sourire, comme autant de petites griffes écorchant les traits d’Islene -- il se souvenait visiblement d’elle, sûrement désormais autant, si ce n’était plus, pour son refus de la fois précédente que pour leur toute première rencontre. In luck. Comment expliquer à un barman qui ne possédait pas l’œil que le hasard était réduit à une succession d’événements intrinsèquement liés, bêtement invisibles pour le commun des mortels ? Islene n’était pas certaine que Gabe puisse seulement suivre ce genre de conversation (comme tous les autres, il n’était pas un cas isolé) ; aussi se contenta-t-elle de lui rendre son regard, ses deux pupilles noires accrochant les siennes sans la moindre gêne. Sa présence n’était, pour le coup, ni le fruit du hasard ni la conséquence de sa propre volonté – le fil rouge qui l’avait attirée jusqu’au Black Cat se trouvait simplement être sur le chemin de quelques verres et du sourire à l’éclat sombre de Gabe. ”So a Sidebroom, hm? What happened to the Golden Galleon? Did it lost its way at the same time you lost yours?”

Islene détailla les longs cils de Gabe tranchant avec la ligne coupante de sa mâchoire – certainement trop beau pour son bien, sans aucun doute. ”Or did it just change its mind too?” Le verre fut poussé en direction d’Islene, et cette dernière glissa le bout de ses doigts sur le pied du cocktail.

Gabe manquait cruellement de finesse et d’élégance, c’était un fait ; il se pensait visiblement plus smooth qu’il ne l’était réellement, une grande partie de son tour de charme reposant sur l’apanage de son uniforme de barman (la chemise serrée, l’épingle de manager sur son torse, son habileté à secouer des shakers sous les lumières flatteuses du bar). Islene pouvait nettement voir le dessous de ses petits tours de sorcier désormais. Ç’en était presque charmant – le constat était irritant, grattant l’intérieur de sa poitrine en une sensation frôlant le désagréable. Elle comprenait sans peine comment on pouvait se laisser entraîner par ce sourire à cent gallions aux intentions transparentes et cette certitude de maîtriser le jeu de séduction le plus affûté du Royaume-Uni. Il suffisait de se sentir un peu seule, d’avoir un goût pour de la qualité moyenne, mais assez clinquante pour le faire oublier quelques instants, et d’apprécier le mordant qu’Islene pouvait sentir à travers sa peau par le biais de ce simple échange piquant. Pas exactement rancunier, mais assez joueur pour lui rappeler leur dernière entrevue et souligner qu’elle avait fini par revenir. "I simply needed a drink", fit-elle pour toute justification, refermant les doigts sur son verre, son regard fiché dans le sien ; un verre accompagnée de la réponse à ce mystère balbutiant qu’elle comptait obtenir en une seule visite. Qu’importe si elle repartait avec seulement quelques bribes de vérité – ses dés l’avaient enjointe à aller voir, non pas à creuser le sol du Black Cat à la recherche d’un trésor. Sa curiosité n’avait été que légèrement piquée – et attendre quelque chose d’autre de Gabe que quelques cocktails et un sourire charmeur aurait été profondément naïf, si ce n’était bêtement stupide. "Do you keep tabs on everyone or is it just your most loyal customers?" Islene prit délicatement le zeste d’orange entre ses doigts avant de porter le verre à ses lèvres, son regard accrochant ce soir celui de Gabe sans faux détours – elle était seule (officiellement, bien que temporairement, seule suite au départ d’Antoine), hors du regard de Patricia qui la connaissait bien trop à son goût (mais heureusement pas assez), sentant fondre le poids des Castaigne sur ses épaules à la morsure acide de la boisson sur ses papilles.

tw:lowkey sexisme

Il y a autre détail que Gabe n’a pas complètement oublié, et qui lui a fait remonter quelques souvenirs aussitôt : le regard clair et presque acéré de la sorcière, deux poignards qui parlent bien plus que ses paroles par trop polies et mesurées, en dépit de la froideur qui se glisse à chaque phrase dans sa voix. Et c’est ce même regard perçant qu’il lui rend, face au sien, amusé et satisfait de la situation, un contraste qui ajoute à son contentement sur l’instant. ”I simply needed a drink.” Il serait presque déçu par cette réponse trop simple, pour ne pas dire dénuée d’intérêt, si les deux orbes bleues plantées dans les siennes n’exprimaient pas une vérité que même un esprit simple comme celui de Man-soo serait capable de décrypter (quoi que). Il serait presque déçu, oui, si l’incroyable culot de la sorcière, que de lui mettre un plan, puis de réapparaître quelques mois plus tard comme si de rien n’était en prétextant n’être là que par hasard ne témoignait pas de ce même mordant qu’il lui a trouvé la première fois qu’ils se sont rencontrés, qu’il détaille goulument également dans son regard – un mordant qu’il pourrait même qualifier d’insolence, soit rien qui ne saurait déplaire à Gaon.

Une expiration amusée, presque un rire discret et bref, lui échappe alors qu’il ne se laisse pas démonter par cet innocent renvoi ; car Gabe connaît parfaitement les femmes comme elle. Des Islene, il en a vu à la pelle défiler derrière son comptoir, ou à ses côtés dans des soirées plus intimes, persuadées de valoir bien mieux que lui, incapables d’assumer ne serait-ce qu’un peu la tristesse de leur vie vide, tout en étant prêtes à ramper à ses pieds pour grappiller une miette de son attention, avoir l’impression d’être vivantes à nouveau auprès d’un homme plus jeune et plus libre qu’elles. Des clichés auxquels Gabe ouvre sans hésitation sa porte – mais jamais sans jouer un peu, il faut bien qu’il y trouve son compte.

”Do you keep tabs on everyone or is it just your most loyal customers?” Le regard du sorcier tombe sur le geste, puis sur la bouche d’Islene, lorsqu’elle y porte son verre pour en prendre une première gorgée. She’s a bitch but she’s hot. Avec un temps de retard, ses yeux remontent dans les siens ; il y reste encore quelques secondes, sans perdre pour autant son sourire, qui ne le quitte jamais vraiment quand il est de ce côté-ci du comptoir face à une cliente. ”Oh no, don’t be mistaken. I only keep tabs on my not so loyal customers”, glisse-t-il d’un ton qui ne se veut absolument pas innocent, au contraire lourd de sens – d’un double-sens même, qu’il laisse Islene choisir elle-même. Il n’a aucunement l'intention de laisser filer tout de suite la satisfaction qu’il peut tirer de cette situation – quitte à tirer un peu trop sur la corde, et la voir tourner les talons face à son insolence. De fait, lui, n’a toujours pas tourné les talons, ce qui en dit plus long encore que sur le regard qu’il pose sur elle. ”And on yours, I’ll probably write “not that good of a liar”.” Il l’ajoute sur le même ton amusé, presque arrogant ; peu lui importe la vraie raison qui a poussé Islene à franchir la porte du Black Cat – une dispute avec son mari, un problème au boulot, la femme de ménage qui n’a pas bien repassé ses draps de soie, ou peu importe ce qui peut irriter une white woman de bonne famille dans sa trentaine. Il sait juste qu’elle n’est certainement pas là pour boire un grotesque jus de citron sucré sans alcool. C’est pourquoi il pose cette fois ses deux avant-bras sur le comptoir pour se retrouver un peu mieux à son niveau, et reprend presque aussitôt : ”No wait, I forgot, lemon juice is definitely what people order when they need a drink.” Sa voix est tout juste plus basse, alors qu’il penche la tête sur le côté, comme s’il ne souhaitait pas que les quelques derniers clients dans l’établissement, qui se fait de plus en plus vide, surprennent cette conversation pourtant banale d’apparence. ”Or maybe you were wondering if last time’s offer was still on the table?” Real drinks are being served after opening hours. Évidemment, Gabe ne précise pas si c’est le cas ou non – tout dépendra d’Islene, si elle a décidé d’être aussi stuck-up que la dernière fois qu’il l’a vu, si elle est assez intéressante au-delà de cette satisfaction éphémère pour lui faire changer ses plans de la soirée.

Islene ne prit pas ombrage du regard de Gabe glissant sur sa bouche – prévisible, facile à anticiper, autant de comportements logiques lorsque l’on connaissait un minimum ce genre de sorciers. L’offre de sa dernière visite semblait avoir perduré, et avec elle le charme que pouvait exercer son physique sur l’esprit malléable de Gabe. Idiot. ”Oh no, don’t be mistaken. I only keep tabs on my not so loyal customers.” Islene sonda ses deux pupilles rivées dans les siennes, le sourire de Gabe détenteur de la réponse à cette phrase énigmatique ; ce n’était pas tant une insulte qu’un simple fait, car Islene n’avait jamais mis les pieds dans son boui-boui qu’une seule et unique fois avec Patricia. ”And on yours, I’ll probably write “not that good of a liar”.” Bien sûr. Islene fit tourner légèrement la peau de l’orange torsadée sur le bord de son verre, considérant Gabe sans ciller : mentir faisait partie de ses affiliations quotidiennes, autant que dire la vérité dans le cadre professionnel. Elle ne mentait jamais réellement, quand elle décidait de révéler seulement quelques secrets effleurés à travers son don ; elle piochait simplement ce qui valait la peine d’être dit à son interlocuteur, de la même façon qu’elle avait choisi de révéler à Gabe une partie seulement de la véritable raison de sa venue du jour.

Elle avait instinctivement eu besoin d’un verre – pour pouvoir faire passer la pilule du départ (temporaire) d’Antoine et voir ce que les dés lui avaient indiqué le matin même. Come, humour me – son silence et son regard rivé dans celui de Gabe étaient significatifs, attendant que ce dernier finisse de déballer le discours qu’il semblait avoir préparé dans un coin de son esprit agile. ”No wait, I forgot, lemon juice is definitely what people order when they need a drink.” Ah, les voilà qui se rapprochaient du coup final : Gabe inclina légèrement la tête sur le côté, et Islene, elle, resta parfaitement droite, sa jambe croisée balançant légèrement sous le comptoir.

Son expérience de prédatrice lui avait inculqué une grande patience – il était toujours jouissif de refermer ses crocs sur la gorge de sa victime lorsque cette dernière pensait lui avoir administré le coup fatal de paroles que Lean avait anticipées depuis déjà de longues secondes. "Is it not?", alla-t-elle jusqu’à souffler sur le même volume que la voix de Gabe, tout juste en-dessous du ton des conversations du bar. Feed to eat – le sourire de Gabe était gorgé de sa victoire et elle avait hâte de le lui arracher comme un vieux sparadrap. ”Or maybe you were wondering if last time’s offer was still on the table?” Bingo – même si Islene, à l’attention que lui accordait Gabe et au regard qu’il avait porté sur sa bouche un peu plus tôt, savait pertinemment que ladite offre était encore d’actualité. You’re so easy to catch, considéra-t-elle avec un placebo d’affection en coulant d’une pupille à l’autre de Gabe, un fin sourire étirant ses propres lèvres de quelques millimètres tout juste, une ombre en réaction au comportement si prévisible, et si évident du barman. "This is not exactly how I would have put it." Son sourire s’atténua, son regard coulant de nouveau jusqu’à son verre, les arômes des agrumes lui parvenant avec d’autant plus de vigueur tandis qu’elle y faisait tourner le zeste. "Let’s say I came back to have a look at something." Son regard remonta jusqu’au visage de Gabe, lui offrant une autre part de cette vérité qu’elle ne pouvait entièrement lui révéler. Whether it is you or something else.

Islene cilla et inclina légèrement la tête sans relâcher le sorcier du regard, modulant l’intensité de ses yeux clairs en arquant subtilement ses sourcils savamment dessinés. "Are you still crossed about last time?" Sa voix était tombée plus bas encore, sans perdre de son onctuosité (au contraire) – stupid little boy, s’ils avaient été seuls et si elle n’avait pas risqué de rompre le charme, elle aurait glissé sa main sur son avant-bras découvert et à portée de caresse. "What if I said I was interested in some of your real drinks?" Elle passa d’un œil à l’autre avec une lenteur calculée. "Your lack of subtlety sure is charming."

tw:mention d’alcool

A l’agréable surprise de Gaon, plutôt que de se montrer offusquée par ses provocations légères (rien de bien méchant, en comparaison avec ce que son entourage connaît de lui, ou avec ce qu’il aurait pu lui envoyer dans les dents s’il était réellement offensé par la réapparition soudaine de la sorcière derrière son comptoir), Islene lui offre l’ombre d’un sourire, un rictus discret, mais qu’il n’a que peu pu observer sur ses lèvres (si ce n’est pas du tout) depuis le début de cette conversation – et ne parlons même pas de la précédente. Un détail qui en dit long sur ce qui peut se cacher derrière cette couche de glace, et apparence de fille à maman qui aime enfreindre les règles de temps en temps. ”This is not exactly how I would have put it.” Et alors que le sourire d’Islene se fait plus ténu, celui de Gabe s’agrandit, dévoilant deux rangées de dents blanches qui sembleraient prêtes à se refermer sur la première proie venue. ”I’m all ears”, s’amuse-t-il en haussant les sourcils, sans chercher à agrandir l’espace entre eux en se reculant, au contraire, pivotant légèrement la tête sur le côté comme pour mieux entendre pour quelle (fausse) raison exactement la sorcière s’est rendue ce soir au Black Cat. ”Let’s say I came back to have a look at something”, lui révèle enfin Islene sur un ton énigmatique, tout en relevant ses yeux clairs dans les siens, comme si elle cherchait à appuyer ce qu’elle est venue voir ce soir ; c’est du moins ainsi que l’esprit amusé par cette joute légère et ce jeu de sous-entendus de Gabe décide de le comprendre. Qu’est-ce qu’elle pourrait bien être venue voir d’autre que lui ? A moins qu’elle ne soit une policière sous couverture (hypothèse éliminée, Gabe sait renifler les forces de l’ordre à des kilomètres depuis l’enfance), il n’y a pas une infinité de réponses à cette question. Et il n’est pas utile de préciser qu’il apprécie la réponse qui se dessine sous ses yeux, dont les pupilles n’ont pas lâché le regard perçant d’Islene, alors qu’il a un reniflement amusé à cette explication qui n’en est pas vraiment une.

A cette courte distance, il relève sans mal le changement subtile dans son expression, tandis qu’elle lui demande sur une tonalité plus basse encore : ”Are you still crossed about last time?” L’un comme l’autre savent pertinemment, à ce stade, que c’est loin d’être le cas, en témoigne le fait que Gabe se tient toujours accoudé face à elle, légèrement penché vers elle ; ils le savent, et le fait qu’elle pose tout de même la question, en joue habilement, lui fait marquer un bon point, qui manquerait même presque de lui faire remporter la partie. ”I might just be”, répond-il sur la même fréquence le sorcier en haussant une épaule, sur un ton qui se voudrait presque innocent – toute innocence en réalité mise de côté par le sourire carnassier et satisfait ourlant ses lèvres. Y a-t-il plus satisfaisant que de se faire désirer encore un peu par quelqu’un qui a décidé de mettre sa fierté de côté en poussant ainsi sa porte ? Do you still think you better than me? ”What if I said I was interested in some of your real drinks?” Smart girl – évidemment qu’il s’agit de la réponse qu’il attendait, et il ne se prive pas de le souligner d’un discret hochement de tête presque arrogant.

Il y a quelque chose d’amusant et d’habile, dans la façon dont Islene navigue cette conversation, et le moins que l’on puisse dire est qu’il risque de passer une soirée bien plus intéressante à ses côtés qu’en compagnie de cette petite idiote de Lea. ”Your lack of subtlety sure is charming.” Oh dollface likes to play – c’est certainement cette remarque-ci, dite d’une voix tout juste mielleuse sans l’être totalement, qui achève de seal the deal. Gabe penche légèrement sa tête sur le côté en détaillant les traits d’Islene, marquant un bref silence, quelques secondes à peine, avant de se pencher de quelques centimètres supplémentaires tout en remontant son regard dans le sien. ”Enjoy your lemon juice, Islene.” Il le chuchote presque, d’un ton résigné, comme s’il s’agissait de la conclusion définitive de cette conversation, jouant avec cette tension douce s’étant installée entre eux au fil de cette dernière minute ; ce n’est pas parce qu’il a décidé de céder à sa requête silencieuse qu’il n’a pas le droit de jouer encore un peu. Il laisse planer de nouveau une seconde de silence, prenant le temps de savourer son propre bluff, avant de finir par se redresser légèrement, pour mieux remonter ses manches au-dessus de ses coudes en un geste naturel, et de lui adresser : ”You can take a good look while I close the bar, since it’s what you came in for.” N’a-t-elle pas dit elle-même trouver son manque de subtilité charmant ? Le regard et le sourire qu’il lui adresse sont plus que significatifs, et c’est sur cette dernière phrase que Gabe se détourne, laissant Islene seule au bar avec son jus de citron et la vue prenante sur son dos qu’il lui offre en s’éloignant.

Il ne reste plus que quelques clients, à peine, qui ne tardent pas à finir leurs verres et régler leurs additions, Gaon les remerciant chaleureusement, avant de remercier également son propre staff (y compris son cousin, à qui il donne l’adresse de Ian en lui expliquant avec un coup de menton en direction de la blonde assise au bar qu’il aura peut-être un peu de retard, et surtout, de déguerpir illico de leurs pattes), non sans jeter de réguliers coups d’oeil à Islene pour continuer à nourrir cette agréable tension – et également s’assurer non seulement que le message est bien passé, mais aussi qu’elle n’a pas changé d’avis.

Le bruit de ses pas sur le carrelage résonnent dans le Black Cat désormais parfaitement vide et silencieux, alors qu’il se détourne de la porte principale après l’avoir fermé à double tour sur une Min-ji furieuse – allez savoir pourquoi, ça n’intéresse pas vraiment Gaon, qui déjà se dirige vers la silhouette toujours assise sur l’une des chaises hautes du bar, dont il contourne le comptoir pour lui faire face à nouveau. ”Welcome to the Black Cat after opening hours.” Il porte sa main à sa cravate tout en le lui disant, en desserrant tranquillement le noeud avant de faire glisser le tissu hors du col de sa chemise, dont il défait un bouton pour libérer tout juste son cou – autant pour le plaisir de faire ces gestes suggestifs face à Islene, que pour signifier que son service est enfin terminé, et qu’ils ne sont plus que tous les deux. ”So, I heard you needed a drink. Why are we drinking tonight? Something to celebrate?”, demande-t-il en sortant sur le comptoir une bouteille de Gigglewater, ”Something to forget?” Il sort cette fois une bouteille de Kingsfield's firewhisky. ”Something you want to remember, maybe? Or maybe something else? Go ahead, I’m sure I’ll have whatever you’re looking for.”

tw: lowkey misogyne et fétichisme exotique

”Enjoy your lemon juice, Islene.” Les yeux brillants de malice de Gabe étaient rivés dans les siens, aussi noirs et luisants que la surface de ses dés du jour, deux crocs cherchant à se planter dans sa nuque dans un jeu d’intimidation qu’elle n’était pas venue pour jouer. Allait-il réellement la planter au comptoir ? Islene le considéra tandis qu’il se redressait, curieuse de connaître la suite de ce qui semblait être un monologue savamment répété (peut-être dans son propre miroir, quelques heures après sa dernière visite, au cas où Islene reviendrait un jour). Il se souvenait même de son prénom et n’hésitait pas à en faire l’étalage – il portait, dans sa bouche, des consonnances légèrement moqueuses, effleurant le mépris, qui étaient néanmoins autrement plus agréables, car profondément différentes, de celles dans la bouche de Cressilda, de ses propres frères et de sa sœur, d’Antoine quelques jours plus tôt.

Gabe se redressa sans la relâcher des yeux, fier comme un paon de ce retour à l’expéditeur. ”You can take a good look while I close the bar, since it’s what you came in for.” Ha – Islene ne put réprimer une ombre de sourire face à ce revers éhonté, puéril et assumé que lui renvoyait le barman, redressant légèrement le menton pour le considérer dans toute sa jouissance, ses manches relevées comme pour mieux embrasser cette dernière. He’s an idiot but he’s hot. Une évidence qu’elle aurait été en mal de nier suite à son seul et dernier écart en sa compagnie – même si leur brève aventure n’avait pas tant à voir avec son physique qu’avec le mariage d’Islene.

Sa jambe se balançait toujours avec lenteur et elle sirota son verre sans se presser, son regard alternant entre ce qui se passait derrière le comptoir (Gabe parlant à l’un des employés, un cocktail qui avait failli se renverser sous ses yeux, l’addition payée par une cliente au manteau de fourrure absolument horrible, le sourire éclatant de Gabe, ses coups d’œil peu discrets, ceux tout aussi évidents de l’employé à qui il avait parlé, un peu plus tôt (il avait donc parlé d’elle)) et profond désintérêt, le goût du Sidebroom paraissant de plus en plus fade au fil des gorgées devant la promesse d’un véritable verre – et de tenir entre ses doigts un pan de cette vérité soufflée par les dés.

La porte du bar-restaurant fut finalement close ; Islene jeta un regard derrière elle, croisa le regard furibond d’une sorcière, aussi aiguisé que deux couteaux de cuisine, s’en détourna sans en faire grand cas tandis que Gabe revenait sur ses pas. ”Welcome to the Black Cat after opening hours”, annonça-t-il en reprenant place derrière le comptoir, son sourire différent désormais qu’ils se trouvaient au calme, les bruits de fond du bar tus en cette heure avancée de la soirée. "I don’t see much difference", répondit Islene après un bref regard aux tables vides derrière elle, les client.es autant de fantômes qu’elle avait oublié.es aussitôt vu.es – son attention revint à la cravate de Gabe, à ses gestes, au bouton s’ouvrant sur sa peau dorée. ”So, I heard you needed a drink." Fin observateur, comme toujours – il y avait néanmoins quelque chose de plaisant, plus posé, dans la façon qu’il avait de s’adresser à elle. Les dés cherchaient peut-être à lui accorder un instant de répit, une coupure de quelques heures pour oublier la déconfiture des jours (mois) précédents, loin de son monde et de ses obligations de matriarche. This doesn’t make the man less of an asshole, however. "Why are we drinking tonight? Something to celebrate? Something to forget? Something you want to remember, maybe? Or maybe something else?" Le regard d’Islene coula sur les bouteilles tandis qu’elles apparaissaient en évidence sur le comptoir, se gorgeant de la vue de ces étiquettes qu’elle n’avait pas revues depuis longtemps. "Go ahead, I’m sure I’ll have whatever you’re looking for.” Il y eut un bref silence, puis Islene repoussa son verre où se trouvait encore un fond de Sidebroom, avant de poser l’index sur le bouchon du Firewhisky. "I’ll go for the something else", fit-elle en revenant dans son regard, reprenant son doigt pour mieux le glisser sur l’étiquette fraîche de la Gigglewater en une arabesque abrupte, épousant du regard son geste une brève seconde, la marque des yeux de Gabe encore imprimée sur sa rétine. Definitely something else. "Anything you want to drink for tonight?" Son regard remonta jusqu’au sien pour s’y accrocher de nouveau, entretenant la tension créée par ce verre qui n’avait rien d’innocent, son ongle grattant légèrement le papier humide de la bouteille en affrontant sans la craindre l’onyx de ses yeux ou ce que les dés lui réservaient.

tw:consommation d’alcool, lowkey sexisme

Avec une certaine attention pourtant distraite par la situation, Gaon suit le geste lent, à l’air calculé d’Islene, lorsqu’elle porte son doigt jusque sur le bouchon de la bouteille de Firewhisky. Oh, something to forget? – il n’y aurait rien de moins surprenant. Y a-t-il meilleure raison que de vouloir oublier son quotidien pour une femme mariée de venir chercher un peu de réconfort auprès d’un jeune homme séduisant ne demandant au final pas bien plus que de passer un bon moment ? Il ne doute d’ailleurs pas un instant que c’est ce qui l’a poussée à finir dans ces bras, ce soir où ils se sont rencontrés, et ce qui a guidé ses pas ce soir jusqu’au Black Cat. ”I’ll go for the something else”, réplique pourtant la sorcière en remontant son regard dans le sien, et Gabe pousse une brève expiration amusée. Est-ce que cela ne revient pas au même, quand il a une petite idée du something else qu’elle pourrait avoir derrière la tête ? Le même something else qu’elle pourrait chercher pour oublier, ou pour célébrer – sa réponse n’importe que peu, au final, mais le manager du Black Cat n’est pas sans savourer la tension qui s’installe et s’affirme au fil de leur échange empli de double-sens et de non-dits à la fois. Et il n’est pas impossible qu’Islene la savoure autant que lui, alors que son doigt quitte la bouteille de Firewhisky pour plutôt venir caresser cette de Gigglewater, brouillant un peu plus les pistes sur ses intentions réelles, un geste ne faisant que redoubler l’attention de Gabe pour sa compagnie du soir – ou peut-être même sa curiosité.

”Anything you want to drink for tonight?” Un sourire étire le coin de sa bouche face à ce renvoi somme toute logique, les deux pupilles bleues d’Islene alors rivées dans les siennes avec une assurance sensible. C’est cette assurance, la même avec laquelle elle s’est assise avec culot derrière son bar pour commander naturellement un verre, la même avec laquelle elle a décidé transgresser la loi (triste réalité, l’alcool est toujours prohibé) seule avec un inconnu (ou presque) dans un établissement fermé à double tours, la même assurance avec laquelle elle entretient ce petit jeu qui est le leur ce soir, qui fait changer à Gabe les plans de sa soirée. Cette même assurance qu’il recherche chez les femmes plus âgées, à l’opposé de la naïveté qu’il recherche chez les femmes plus jeunes. Islene n’en a peut-être pas conscience, mais elle coche nombre de cases de la checklist de Gaon. ”I’m not sure yet”, finit-il par répondre après l’avoir considéré un instant, son regard se faisant légèrement brillant en sondant le sien, avant de refermer avec une certaine lenteur maîtrisée ses mains sur les goulots des deux bouteilles, et de les replacer sous le bar. A la place, il sort une bouteille de gin qu’il pose à son tour sur le comptoir, sort sa baguette pour attirer à lui de quoi préparer un cocktail différent de ce qu’il avait initialement en tête – something else. ”But I know I’ll find out sooner or later.” Pourquoi révéler immédiatement ses cartes, quand Islene garde précieusement les siennes – et quand elles sont, en réalité, si évidentes ?

Au gin est ajouté un brin de jus de citron, de ginger beer, puis de cidre, le tout versé dans un shaker, que Gabe ne secoue pas cette fois ; il se contente de mélanger les ingrédients avec une longue cuillère en un mouvement circulaire et expert (à défaut de s’être réellement intéressé à la cuisine, il y trouve bien plus son compte dans la mixologie pendant ses heures officielles de travail – et officieuses, quand l’occasion s’y prête, comme ce soir). Deux verres highball sont sortis sur le comptoir, dans lesquels il verse le cocktail, rapidement garni de quelques glaçons et d’une fine tranche de pomme. ”From my experience, an Orchard Collins is always a good start for something else.” Plutôt que de tendre son cocktail à Islene, il s’empare des deux verres avec un sourire, pour mieux contourner le bar de sa démarche tranquille et assurée, progressant jusqu’au niveau de la sorcière avant de prendre place sur le tabouret à côté du sien ; ce n’est qu’alors qu’il lui tend le verre, non sans un sourire lorsqu’elle s’en empare sous ses yeux se permettant de détailler un peu mieux ses traits maintenant qu’il se trouve à cette distance plus réduite, en profitant également pour prendre une première gorgée et constater qu’il a réussi à merveille la mixture. ”And this something else tastes way better than what you’ve ever had.” Il parle, évidemment, du cocktail. Évidemment. En témoigne la seconde gorgée qu’il prend pour appuyer son propos, sa gorge chauffant agréablement au passage de l’alcool, soufflant une vague de détente dans son organisme ayant sensiblement attendu ce moment. Avec un air presque malicieux, il relève le menton en s’accoudant sur le comptoir, penchant la tête sur le côté pour considérer la sorcière. ”You know, you don’t look like the type to go on bar-hopping nights in Knockturn Alley – and trust me, I know the type firsthand.” A cause de son travail, mais également sa tendance à écumer les bars et boîtes du quartier londonien – he is the type. ”And yet, this is the third time I meet you in this setting. Are you simply hiding your game, or am I the lucky exception?”