Tu as toujours eu du mal à dormir. Tes parents t'ont très tôt biberonnée aux potions de sommeil, jusqu'à ce que tu leur échappes à Hogwarts. Là, tu passais des heures dans la salle commune des Ravenclaw jusqu'aux aurores ou l'épuisement, au choix, plusieurs fois par semaine. Plus tard, quand il devint évident que tu ne pouvais pas continuer comme ça, tu te fis prescrire un régiment de potions pour ton insomnie chronique, qui t'as poursuivi toute ta (courte) vie. Tu aimais bien dormir, pourtant. C'était les seuls moments où tu pouvais me toucher.

Maintenant, ce qui était difficile est devenu impossible. Tu ne peux plus dormir. Artie et toi avez découvert que tu n'avais plus besoin de respirer. Ou de manger. Ou de boire. Tu es véritablement morte. Et pourtant tu es là.

Tu aimerais penser que vous avez accompli ensemble la précieuse et impossible résurrection que cherchait à peaufiner votre Citadelle pendant des siècles; mais quelque chose te murmure que ce n'est pas le cas. Ce n'est pas une vraie résurrection. Tu vas devoir y retourner. Et cette pensée te terrifie.

En attendant, les jours passent et tu regardes, tous les soirs, Artie essayer de rester réveillée dans le lit en face de toi (distance règlementaire de sécurité: 60 centimètres entre vous deux) (distance qui se réduit tous les soirs) et finir par s'endormir après plusieurs heures, épuisée. Tu as essayé de la convaincre d'abandonner, mais elle a toujours été têtue.

Elle a besoin de repos, et de calme - deux choses que son (votre?) colocataire d'infortune n'est pas disposé à fournir ce soir. Artie dort profondément, mais tu jettes des coups d'oeil fréquents à la porte de la chambre, à chaque fois qu'un cri/grognement/bruit de lutte plus fort que les autres se fait entendre. "Buck" (puisque c'est son nom) (ce n'est vraiment pas un beau nom) a une invitée, une collègue, ce soir et malgré le fait qu'il ait répété une dizaine de fois qu'ils travaillaient demain (quelque chose d'important?), ils n'ont de cesse de boire et de jouer.

N'y tenant plus, tu finis par ouvrir la porte pour leur dire de se taire; et par un enchaîné d'évènements que tu ne comprends pas vraiment, tu te retrouves assise recroquevillée sur le fauteuil défoncé et collant du salon, à jouer au Uno avec "Buck" et "Mite" (?) (toi qui pensais que les gens de la Citadelle avaient tendance à donner des noms douteux à leurs rejetons...).

Sur les coups de quatre heures du matin, Buck grogne quelque chose, se lève et va se coucher et "Mite" a l'air fin prête à se laisser tomber sur le canapé dormir quelques heures. Toi, tu ne bouges pas du fauteuil en la regardant, en finissant de ranger les cartes (tu as gagné cinq parties sur six) (tu ne leur as pas dit que tu comptais les cartes pour savoir ce qu'ils allaient tirer) (Buck a perdu treize Gallions, six Mornilles et vingt Noises; Mite t'a promis une montre).

Il serait infiniment facile de te lever sans un mot et de la laisser à la détresse plutôt évidente qui émane d'elle, d'oublier cette soirée absurde et de lui dire qu'elle n'a pas à s'inquiéter pour la montre. Mais avec l'air de quelqu'un qui va s'écrouler dans les cinq secondes qui suivent, la sorcière te la met dans les mains en grommelant quelque chose sans que tu aies le temps de protester, avant de se laisser tomber sur le canapé.

Tu pourrais en rester là. Retourner dans la chambre, t'allonger auprès d'Artie (distance règlementaire de sécurité: 59 centimètres) et la regarder dormir en pensant à moi; mais il y a quelque chose à propos de cette montre, sur le cadran duquel tu passes ton pouce froid à plusieurs reprises pour mieux en éprouver la texture. Tu restes immobile un long moment sur le fauteuil, à regarder Mite qui a les yeux fermés, avant de te lever silencieusement et de t'approcher d'elle.

Sans cruauté ni douceur, tu enfonces ton index dans son épaule jusqu'à ce qu'elle rouvre ses yeux bordés de cernes (et de make-up de la veille). Tu lui montres la montre. "Did this belong to your grandmother?" Depuis ton retour, ta vie te semble si lointaine et confuse. Tu te souviens des soixante-huit esprits qui te hantaient lors de tes derniers mois d'existence; et l'un.e des dernier.ères plus particulièrement, parce qu'elle avait une tendance certaine à commenter le moindre de tes faits et gestes avec un venin sans pareil.

Tu retires son doigt de son épaule, où il était resté enfoncé, et ta main osseuse disparaît dans la manche de ton gros pull. Ta question semble interpeller la sorcière et, décidant que tu n'es pas bien brave, tu recules de quelques pas en jetant un regard inquiet en direction de la porte de la chambre d'Artie. Ton autre main se resserre autour de la montre; ta bouche forme les mots avant que t'aies le temps de l'en empêcher: "Is your maiden name Lynch? I knew her. Ava, I mean." Tu as peut-être perdu ton don avec la mort; mais les habitudes, elles, ont la vie dure, et on n'a jamais connu plus nosy qu'un.e outre-tymbiste en peine.

smoke signals

appart de buck, diagon alley - janvier 2008

tw : drunk!mite, langage cru, yaddi yadda

Mite ne sait pas franchement quelle heure il est quand elle se laisse enfin tomber dans le canapé défoncé (mais pas autant qu’elle, lol!!!!) de Buck, où sa couverture l’attend déjà. Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’elle vient crash dans son appartement de Diagon Alley — parfois pour picoler, parfois pour jouer aux cartes, parfois pour chialer, souvent un peu les trois à la fois, quand le regard lourd de jugement de Lulu devient insupportable. Ici la gamine de Buck est de bien meilleure composition que ce qu’il lui avait vendu ; sa copine est un peu cheloue, certes, mais tout le monde a des cycles de sommeil un peu déglinguos, ici. Mite ne juge pas trop, et de toute manière, quand elle finit par s’écraser tête la première dans son oreiller tâché, elle est généralement déjà trop loin pour même risquer de s’en soucier.

C’est le cas ce soir-là, quand après une bonne trentaine de parties de Uno (elle a arrêté de compter après la troisième), Mite vient choir contre le cuir un peu trop tiède. Elle fixe un instant le plafond, qui tangue de manière désagréable ; se retourne sur le ventre dans un grognement, serrant l’oreiller dans ses bras comme si elle voulait lui faire la peau. Il y a un regard posé sur elle et elle le sait, mais elle décide de ne pas en tenir compte, et préfère se concentrer sur le canapé sous son front qu’elle trouve subitement rafraîchissant. Mite ferme les yeux : avec un peu d’auto-conviction, elle est à peu près certaine de réussir à confisquer quelques heures de sommeil, et ainsi d’arriver pimpante au mariage Burke-Rowle. Ah, et au travail. Elle avait presque oublié.

Mite contient un nouveau grognement, parce qu’elle n’arrive pas à se défaire de la sensation pesante de deux iris d’acier rivés sur son dos, en partie dévoilé par son débardeur de déménageur. Elle a presque l’impression que ceux-ci pourraient la transpercer, s’ils insistaient encore un peu ; alors elle se saisit sans se relever d’un autre coussin, le plaque sur sa tête dans une torsion de bras, pour se dérober aux yeux d’une gamine qui, décidément, serait à deux doigts de lui foutre les jetons. (Elle est évidemment une trop bonne invitée pour glisser à Buck le fond de sa pensée : que la petite blonde, aussi cute soit-elle, débloquait fort).

Bref. Mite est à deux doigts de ronfler. Elle a besoin de sommeil parce que le stress lui colle des boutons partout. Ou alors c’est Lulu. Elle se sent déjà un peu partir, et pourrait presque soupirer d’aise.

Et un doigt s’enfonce dans son épaule.

“What the fuck!!!!”, Mite glapit, peu soucieuse du sommeil des autres quand la gamine à la gueule d’ange a visiblement décidé de l’achever là, dans le canap collant de Buchanan, alors même que l’alcool engourdit tous ses membres et rend franchement pathétique le réflexe électrique qui quitte ses doigts en guise d’auto-défense. (C’est toujours les marmots avec une gueule d’ange, elle n’a donc rien appris des films d’horreurs moldus qu’elle regarde avec Billy, quand elle n’a pas le courage de se traîner jusqu’ici ?!). Bref. Priam cille à peine, et Mite ne peut que se retrouver confrontée à ses pupilles rendues globuleuses par ses lunettes aux gros verres. (A nouveau, elle ne se permettrait pas….) Le coussin sur sa tête a volé dans l’agitation, et ses cheveux forment une masse informe et broussailleuse où un écosystème entier est sans doute en train de se développer. "Did this belong to your grandmother? - What the fuck…..", grogne encore Mite, se retournant à nouveau sur le dos avec tout aussi peu de délicatesse, pour s’éloigner de la montre que la gamine lui colle trop près des yeux, et qui la fait loucher à son tour.

“Yeah, but I told you, it’s fine, she hated it anyway….” Mite devrait peut-être se sentir un peu coupable, de brader avec autant de facilité les affaires de sa grand-mère décédée ; mais elle a promis, et puis si elle se met à s’en vouloir pour ce genre de petits trucs insignifiants…. Elle ne va pas faire long feu, puis va falloir qu’elle arrête de traîner chez le prêteur à gages en bas de chez elle… (Ce qui serait dommage, parce que vous avez vu ses yeux ?! Et ses mains ?! Et son haleine qui pue l’alcool à des heures improbables ?! Bref…). Amity soupire, reprend le coussin malmené pour venir à nouveau le serrer dans ses bras croisés. Elle fixe le plafond. Elle est incapable d’avoir une conversation, et surtout une conversation à propos de sa famille ayant passé à l’arme à gauche, et surtout à cette heure : qu’est-ce que fout Buck, ce n’est pas à lui de s’occuper des gamines ?! Elle a la bouche pâteuse et fait un peu tourner sa mâchoire dans le vide.

La gamine ne la lâche pas pour autant, mais elle a reculé. C’est déjà ça : ça veut probablement dire qu’elle ne va pas la tuer dans l’instant. Ça arrange Mite, parce que les miettes de son ego aiment à penser qu’elle se défendrait un peu, si quelqu’un tentait de la raccourcir ; pour la dignité, au moins. Pour l'épitaphe. (Elle pense que Xander lui en laisserait une.)

"Is your maiden name Lynch? I knew her. Ava, I mean. - What?!" Mite grogne, fronce des sourcils, y porte une main pas franchement propre, même si elle ne se souvient plus pourquoi. Elle ne comprend rien à ce que la gamine lui raconte, n’a aucune idée de comment elle sait tout ça, ne sait plus si c’est Priam ou le whisky qui lui fait aussi mal au crâne. Son index et son pouce pressent ses sinus ; elle ne sait pas plus pourquoi elle y réfléchit vraiment, ou pourquoi elle prend la peine de répondre à des questions bien trop envahissantes. Il est quatre heures du matin, Mite est dans le mal, Mite ne voit plus assez de monde : bref, elle répond. “Nah, it’s Schumacher, but Ava was a Lynch, she just married my asshole grandfather, who was… (Geste indistinct de la main, comme pour étayer une démonstration implacable.) A Schumacher, you got it.” Mite soupire, mais presque de contentement cette fois : elle a l’impression d’avoir distrait la gamine, super. Elle ferait une formidable mère, incontestablement, dommage que-- “Wait a minute. What d’you mean, you knew her? She died bloody ages ago, mate.” Mite devrait sans doute paniquer en constatant qu’elle ne connaît plus la date exacte du décès de sa grand-mère, mais son cerveau reste figé sur l’impossibilité que Priam ait jamais connu Ava : celle-ci a passé ses dernières années à l’Ordre, principalement en Irlande, ça ne tient absolument pas.

“There’s thousands of Lynch people in bloody Ireland kid, you’re probably mixing shit up or whatever--” Ce qui n’explique pas comment Priam a su pour le nom de sa grand-mère. Et son prénom. Et pleins d’autres trucs auxquels Mite n’arrive pas à penser, ou ne veut pas penser-- Elle referme les yeux, dans une performance de sommeil bien trop surjouée ; et franchement, Priam gagnerait à en faire de même, les jeunes ne dorment plus assez de nos jours et ça explique bien des choses si vous voulez son avis-- (Personne ne veut son avis.)

De là où tu venais, les outre-tymbistes n'avaient jamais eu pour vocation d'aider les revenant.es: vous n'étiez que des outils pour des desseins bien plus ambitieux et importants, créé.es pour accomplir ce que la magie n'aurait pas pu faire autrement.
Mais il avait été difficile pour toi de grandir et d'évoluer avec les soixante-huit esprits qui s'étaient agglutinés à toi avec les années, en ignorant leurs multiples demandes et besoins. C'était toujours avec une certaine honte que tu t'exécutais pour eux, mais aussi avec un grand soulagement que tu accueillais leurs remerciements et leurs encouragements. Après tout, peu de gens - pas même tes parents, aussi fiers de toi qu'ils aient pu être - t'avait déjà montré un modicum d'attention ou de reconnaissance, et les mendiants ne peuvent pas faire la fine bouche.
Tu avais toujours été du genre tristement dévouée, ce qui arrangeait mes affaires mais t'amenait toujours à des situations ridicules comme celle-ci.

Qu'est-ce que cette policière fasciste, malpropre, alcoolique et clairement mal reposée va bien pouvoir t'apporter? Tu n'es plus outre-tymbiste, Priam, et il n'y a rien que personne ne puisse y faire.
L'un de tes autres gros défauts était ton entêtement.

"What?! - Lynch. Is is your last name," que tu énonces laconiquement, vaguement agacée d'avoir à te répéter mais plus intéressée par la réponse que par l'impression suspecte qe tu étais en train de perdre ton temps. “Nah, it’s Schumacher,” tu te dégonfles un peu, déçue, sourcils froncés au-dessus de tes yeux clairs qui virent de nouveau sur la montre que tu caresses toujours du pouce, “but Ava was a Lynch, she just married my asshole grandfather, who was… - A Schumacher. - A Schumacher, you got it.” Tu as toujours été bonne élève. Qu'on ne dise pas que tu comprennes les règles basiques de la généalogie typique, quand bien même elle t'était parfaitement alien.

Tu regardes la montre précisément, passant sans te lasser ton pouce pâle sur le cadran, l'approchant de tes yeux pour mieux détailler le trait fin indiquant chaque seconde. L'aiguille tressaute frénétiquement dans sa cage, mais tu as l'impression qu'elle n'est pas en rythmne. Tu fronces délicatement les sourcils en la voyant répéter le même trajet plusieurs fois. "Okay," que tu accordes à Mite qui a l'air à deux doigts de se rendormir. Tu ne la remercies pas et amorces un mouvement vers la porte d'Artie pour aller te coucher - ou plutôt, t'allonger dans une parodie de sommeil - le temps d'une nuit.

“Wait a minute. What d’you mean, you knew her? She died bloody ages ago, mate.” Tes yeux brillent d'une lueur offensée en l'entend t'appeler mate, et tu fusilles son front du regard. "I'm not your mate. - There’s thousands of Lynch people in bloody Ireland kid, you’re probably mixing shit up or whatever-- - I'm not mixing sh- things up." Tes joues se colorent d'un rose embarrassé et énervé à la possibilité que tu puisses confondre ou te tromper sur quelque chose que tu connais si intimement - en temps normal, tu deviendrais pivoine, mais n'oublions pas que tu es morte.

Tu es morte, Priam, qu'est-ce que tu peux bien en avoir à faire de régler les problèmes des vivant.es?

"I knew Ava. Not for a long time. She only died last year. A couple of months before..." Me. Tu pince des lèvres, adresse un dernier regard noir au front de Mite, avant de retourner ton attention rigide aux parcours neurotiques de l'aiguille de la montre sous son cadran. "She didn't like you very much. Her favourite was Rian." Tu fermes un oeil pour mieux regarder la montre et ajoute quelque chose qu'Ava disait tout le temps: "everyone's favourite was Rian."

Tu restes un instant immobile, la montre montée juste sous ton nez, tes yeux cernés si près du cadran que tes paupières tressaillent à chaque saut de l'aiguille, avant de reporter ton regard sur Mite qui a au moins la décence d'arrêter de faire semblant de dormir.

Soudainement, tu tombes assise en tailleur à même le sol et attrape l'une des cartes de Uno qui reste sur la table basse, ainsi qu'un stylo. Tu lances les deux sur les genoux de Mite et tu remets la montre sous tes yeux, relevant tes lunettes inutiles pour mieux regarder la progression de l'aiguille. "She's sending you a message through the watch." Tu n'ajoutes pas: knowing her, it won't be nice, parce que tu devines que Mite le sait déjà. Tout message des mort.es est bon à prendre après tout "Have you never noticed?" Impossible pour toi de complètement effacer la suffisance condescendante de ta voix; c'est une seconde nature, pour toi. "The hand only goes up to the twenty-sixth second before it jumps back." Tu réponds à son regard vide par un soupir. "There are twenty-six letters in the alphabet," dis-tu lentement, comme si tu t'adressais à une enfant. "Are you ready to note down what I read out for you?" If you know how to spell. Impossible pour toi de cacher l'excitation latente dans ta voix; ça fait bien longtemps que tu n'as pas eu tant envie de résoudre un petit mystère.