tw: chasse à l'homme (mention), blessures (mention)

Narcisse n’a jamais eu aussi mauvaise mine. Il observe son reflet dans l’eau douce du courant en s’apitoyant - dans un silence ponctué de soupirs lasses (very dramatic here) - sur les rides qu’il voit poindre près de ses yeux, sur les cicatrices qu’il voit apparaître sous sa vieille laine, et puis sur cette vieille laine, tout simplement, qui donne à sa silhouette des allures paysannes qu’il a fuies toute sa vie. Glenn se redresse en observant derrière lui, puis tout autour, pour s’assurer qu’il est bien seul ; qu’il n’y a personne dans les parages pour le voir dans cet état - soit sans un zest de métamorphomagie pour sublimer son apparence ébréchée. Lorsque c’est fait, il relève ses manches, plonge un torchon usé dans l’eau et se nettoie les avant-bras à l’aide d’un savon subtilisé à Faye - elle ne lui en voudra pas, il a le sourire trop charmeur et trop complice pour que la combattante lui serve ses habituelles plâtrées d’injures (le corps trop droit et volontairement trop distant aussi pour lui signifier poliment que non, ça n’est pas une invitation, Faye).

Il frotte la crasse et, même quand elle est partie, il continue de frotter, comme s’il ne s’agissait plus de récurer la terre, la sueur et le sang, mais également l’angoisse des battues et la crainte d’y rester. Ça ne fait que deux ans qu’il est là - si le calendrier qu’ils sont quelques uns à essayer de tenir n’est pas trop erroné - et c’est déjà deux ans de trop. Certes, Glenn a surmonté le désespoir du début, quand Maureen et lui sont arrivés sur ces terres désolées pour vivre leurs premières chasses à l’homme ; quand la terreur était pour lui si intense qu’il en restait paralysé de jour, au cœur des affrontements, comme de nuit, sur son lit de camp désastreusement inconfortable. Oui, son épouse a été la pierre angulaire de cette résilience, sans compter ces quelques autres figures qui se sont jointes au tableau pour adoucir un peu la morbidité de son quotidien. Et, en effet, l’ancien politicien a fini par s’acclimater.

Mais pas à tout.

C’est idiot, évidemment, de regretter ses costards (moldus) taillés sur mesure et ses oxfords entretenues et lustrées par les mains délicates d’Harrisfawl & Sons (chausseurs de père en fils depuis 1476 s’il-vous-plaît, sur Diagon Alley merci). C’est idiot mais c’était ses armes. Le brillant de ses lames que formaient ses mots. Sans sa panoplie, sans son confort quotidien et de toute évidence onéreux, Glenn se sent nu, désagréablement vulnérable. S’il n’en montre jamais rien - pas même à Maureen, devant qui il essaie d’être le flegmatique, et peut-être arrogant, compagnon de vie qu’elle a eu le malheur d’épouser, si l’on en croit ses cousins -, s’il s’efforce de paraître confiant, imperméable aux mauvaises nouvelles, et conciliateur devant les têtes les plus dures, reste qu’il ne se sent jamais complet. Encore moins en sécurité. En plus de partager les préoccupations centrales des prisonniers (boire, manger, dormir, échapper aux attaques, guérir) il est toujours à s’inquiéter de son apparence, de savoir si ce trou dans sa chaussure se remarquera plus que ceux des autres, si cette déchirure dans sa laine au niveau du col décrédibilise ses pep talks, si les saletés entassées sous ses ongles écœurent Maureen quand il lui caresse le visage ; ces saletés dont il n’arrive pas à se débarrasser…

… même s’il frotte, frotte, et frotte encore.

Revenu sur la berge de la petite rivière constituée de cailloux et de quelques herbes folles, Glenn s’est assis en continuant de tordre le tissu entre ses doigts pour nettoyer ses ongles. Il est si concentré sur sa tâche - et le vent siffle si fort sur la surface de l’eau - qu’il n’entend pas le pas lourd et téméraire s’approchant par derrière. "Watcha doin'? Takin' a piss? Countin' rocks?*" Glenn a un sursaut. Le coup d’œil qu’il jette par dessus son épaule est mécanique : car il a très bien reconnu la voix de Sweeney - cette même voix qui le faisait déjà sursauter quand il était enfant et que l’adolescent plein de vie et de force qu’était le bougre venait égayer la caravane de son père et lui. "Can't you knock on the door you old bastard? Some people here like their privacy…!*" Le sourire est un peu crispé malgré le timbre amusé (et dénué du moindre accent). Glenn prend les quelques secondes que met le colosse à le rejoindre pour rappeler sa métamorphomagie qui vient effacer chacun des ravages faits par le bagne. "They won' answer ye." La toux qui accompagne l’éternel humour de Sweeney fait froncer les sourcils du cadet. Son état de santé l’inquiète depuis quelques temps - honnêtement, son état de santé l’a toujours laissé relativement dubitatif, mais Glenn comptait alors sur le reste des Travellers pour être aux petits soins avec the ol’ béar. "What a wise man you are… you know what else would be wise? drink that syrup Maureen made for you." Puisqu’il n’y a maintenant plus qu’elle et lui pour être cette famille large et étendue que sont entre eux les Travellers. Puisqu’il n’y a maintenant plus qu’elle et lui (enfin surtout elle) pour être aux petits soins avec the ol' béar - Glenn se contente de l’asticoter avec espièglerie comme il l’a toujours fait, c’est sa manière à lui d’en prendre soin.

"Make sum room for the ol' guy will ye?" Glenn obtempère tout en roulant soigneusement le torchon mouillé dans ses mains. "Merlin, Sweety, no wonder we're out of supplies, you put it all in there!", râle-t-il pour la forme, en désignant du regard la panse épaisse et ferme de l’aîné qui prend en effet une bonne partie de la place qu’il occupait jusqu’alors. Il lui faut un moment pour que ses fesses à lui retrouvent une position partiellement confortable sur les cailloux. "I'm serious you know, you have to treat that cough, I will certainly not spoon-feed you when you're pinned to your bunk..." Une pause. Le soudain réconfort d'être accompagné par Sweeny lui détend les épaules. Il émet un sourire en coin. "Where were you anyway? Chatting with your rocks again?"

*= en shelta dans le texte