| | | memory loss Oh, cruel world Will you knock me down Until I'm begging on my knees?
La douleur de l’éveil était si forte. Corps endolori, tête meurtrie, respiration erratique, elle avait la sensation d’être entrée dans le corps d’une autre. Esprit embrumé, Ginny n’avait d’autre choix que de s’accrocher à ses mouvements désarticulés pour reprendre le contrôle. Contrôle bien singulier, au point qu’elle était tombée du lit, hébétée, perturbée, cette sensation qu’il manque des données : son enveloppe a changé, mais son âme s’est arrêtée. Pause, tout en suspens, pour comprendre, genoux à terre, cerveau en l’air, les pupilles qui s’agitaient pour trouver ancrage dans quoique ce soit de tangible : mais rien ne ressemblait à ce qu’elle connaissait. Pas sa chambre, pas le terrier, pas de dortoir et aucunes odeurs familières. Le sol est glacé pourtant la fenêtre était fermée. Coincée entre quatre murs aseptisés, elle n’avait aucun souvenir du passé, trop loin, si loin, tout était caché.
And oh, beautiful world Will you push me Until I'm soaring with the stars? Until I'm flying with the birds?
C’était étrange, de les voir s’agiter, de savoir parfaitement qui ils étaient, de les regarder sans ciller, de voir que tout avait changé, sans réussir à saisir les souvenirs qui avaient fait d’elle ce qu’elle était. Sentir qu’on avait vieilli, sans savoir ce qui s’était produit. Voir les rides, les sourires timides, sans les reconnaître, voir des visages qui ressemblaient au passé, mais ponctué de nuances vieilles de treize ans de plus. Langue disparue, elle ne répondait presqu’avec des mouvements de tête. La dernière chose parfaitement claire ? La bataille du ministère. Un évanouissement et un réveil qui n’avait pas de sens. Projetée dans un futur dont elle n’avait pas connaissance, sa propre carcasse loin de la puberté, et presque, un vœu de silence. Parce qu’elle n’était pas certaine d’être vraiment là, vraiment vivante. Peut-être avait-elle rejoint le ciel, coincée dans une boucle infinie, qui la condamne à voir ceux qu’elle aime sous une forme plus vieille. Les questions s’enchainaient, les onomatopées ne suffisaient pas aux autres, mais sa gorge était si douloureuse, parce que chaque mot qui s’échappait tirait un regard désemparé à quiconque se tenait face à elle. Elle ne se souvenait de rien, rien de ce qu’ils proposaient et Gin ne supportait plus de leur briser le cœur, sans les reconnaître désormais. Ils avaient perdu quelqu’un, eux aussi. Pas qu’elle d’ailleurs.
Let me know if I have what it takes Push me to the point my heart breaks and aches Remind me what I'm doing this for Let me go on and fight for more and more
F r e d. Quand elle demanda à le voir, tout se figea, personne n’osait le dire. Parce que dans ses oublis, la guerre n’avait pas choisi la fin, mais s’était entretenu, avait grandi, pour dévorer les êtres, même ceux qui semblaient infinis. Il s’était évanoui à jamais, mais chacun se souviendrait de lui. Les larmes s’échappaient, et Ginny le pleurait alors une seconde fois, en silence. Elle n’hurlait pas la douleur, parce que c’était la perte d’une enfant, de celle qui ne savait pas vraiment. La nausée qui grimpait contre son œsophage, d’imaginer alors ce qu’elle devrait subir, entendre encore. Une peine étrange pour celle qu’elle avait été, de revivre tout cela une seconde fois. Elle ressentait qu’on ne lui disait pas tout, de peur qu’elle s’effondre alors pour de bon. Gin tentait de rester solide sur ses appuis, de digérer les données, d’accepter les disparus, de pardonner son esprit d’avoir tant oublier. Vorace de retrouver une santé pour se battre et venger ceux partis pour toujours, mais constamment rattrapée par ses pensées, la petite voix qui lui demandait ce que l’autre elle aurait fait. Dualité exacerbée, balance mal équilibré, Ginny avait la sensation d’être désaccordée. De ne plus sonner vraie. À force de chercher ce qu’une autre qu’elle a effacé aurait décidé, elle tenta alors de dessiner ce qu’elle voudrait.
And when I drift away When I lose my way My body starts to decay My body starts to decay
Elle vogue, sans but, regard vide, elle ne cherche pas vraiment à glaner les souvenirs : eux, savent ce qu’elle a perdu, elle non. Elle tente de supporter la mort tout autour d’elle, deuil des proches d’une disparition lente, celle de sa mémoire qu’elle ne s’imagine pas retrouver de suite. Ils semblent surpris, à chacune de ses actions : est-elle une autre personne ? qu’était-elle, avant ? La peau se mue, pour se transformer en une autre, qui n’a probablement pas autant souffert. Parfois, elle entend sa mère dire que c’est mieux, finalement. Gin aimerait bien acquiescer, mais elle ne sait pas si c’est vrai. Alors, elle découvre en recouvrant la santé, réparation fortuite qui ne tient pas vraiment la route. Parce qu’elle n’a pas eu le temps d’apprivoiser ce corps cabossé, et qu’elle n’aime pas vraiment ces vêtements-là. Elle voudrait presque tout changer, parce qu’elle a l’impression qu’on la rappelle toujours à une autre qu’elle ne connait pas. Sous la douche, ses ongles rencontrent l’épiderme, pour chasser sans succès cette enveloppe qui ne lui appartient pas, déguisement insupportable. On la confond avec une disparue, une fugitive d’âme qui a préféré se faire la malle plutôt que d’affronter ce qui reste. Pas elle, plus elle, elle navigue hors de ce qu’on attend d’elle sans murmure, cloîtrée dans un presque silence réparateur, pour savoir si elle était de ceux qui peuvent se reconstruire, ou qui se noie.
And I put cigarettes in the ash tray Everything will be okay When I stand in agony absently And my thoughts turn bitter and angry Send the cavalry to my balcony And free me from my insanity
D’un jour à l’autre, elle nourrit l’espoir qu’on arrête de la raccorder à l’ancienne elle, et qu’on accepte enfin qu’elle devienne une nouvelle option, une femme à part entière. Adieu à elle, merci, pardon. Désormais, elle tient les reines, se heurtant à chaque instant à ses absences de connaissances. Ces personnes qui disent la connaître, celles qui se serrent contre elle alors qu’ils viennent de se rencontrer, ceux qu’elle avait pour habitude d’aimer, qu’elle s’était mise à haïr sans saisir pourquoi, et celles qu’elle dénigrait, devenue alors des variables indispensables. Sens perdu, plus d’instincts, elle repoussait ceux dont elle ne se souvenait pas. Jalousant l’innocence de certains, maudissant ce que d’autres étaient devenus, elle avait la perception d’un monde teinté de noir quand elle l’avait laissé solaire. Rouge sang à la place des tournesols, les couleurs s’étant inversé, le monde s’est-il tant bouleversé ? Toutes les questions sans réponse, Gin ne trouve pas d’oreilles pour les accueillir sans être de trop perturbé. Les œillades désespérées l’ont vaccinés, elle sait désormais vers qui ne pas se tourner. Lentement, la liste a été élaguée, ne laissant presque aucun nom à qui se confier. Tous si bienveillants, tous si désemparés, certains jalousent même la disparition de ses souvenirs. Alors, à l’intérieur, bien caché, la rage s’étouffe d’entendre tout ça. Parce qu’elle ne sait jamais à quoi s’attendre, maintenant. Tout devient mauvaise surprise, tout se transforme en cauchemar quand elle tente une approche. Animal blessé, elle est meurtrie de savoir disparu la renarde dont on lui a tant parlé. Combien elle aimerait se réfugier en forêt pour ne plus voir leurs visages attristés. Auprès de certains, elle tente de cueillir l’espoir pour ne pas sombrer, reconstruire ce qui s’est évaporé, autrement.
And even though I hurt and I hurt I will always be a dreamer at heart And even though we've drifted apart I'm still a dreamer A dreamer with a heavy heart |
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