C’était toujours pas redevenu le grand amour entre Aberforth et toi. Pas que ça l'avait véritablement été un jour, le bougre étant aussi romantique qu’un sanglier blessé. Mais il fut un temps, où votre relation avait suivi son cours de façon plus apaisée. Quoiqu’il en soit, Aberforth commençait à t’adresser à nouveau la parole, ce qui était plutôt une bonne chose, quand on se remémorait que tu ne lui avais pas donné le moindre signe de vie pendant plus d’une décennie.

Cela faisait quelques semaines à peine que tu avais quitté la fameuse prison de haute sécurité de la résistance -à laquelle les phénix conféraient un nom bien plus vendeur- et voilà que tu tournais déjà en rond dans ton coin. La moyenne d’âge était si basse, que a valait même pas le coup de se chercher des partenaires pour jouer au bridge ou à la belotte. Quant aux visages qui t’étaient familiers, aucun d’eux ne t’était sympathique pour autant, et vice versa. Tu avais beau être une antiquité grincheuse, tu n’avais pas pour autant perdu la tête. Tu entendais bien les chuchotements dédaigneux qui t’accompagnaient un peu partout où tu te rendais. Et faut dire aussi que t’avais pas œuvré pour te faire des amis durant tes années de service à Poudlard. Tu supposes que c’est le revers de la médaille, et tu hausses les épaules d’un air indifférent. Tu ne regrettes pas la moindre punition infligée sur ces petites crapules qui te menaient la vie dure et enfreignaient le règlement sans vergogne.

Oui, bien sûr que tu t’étais déjà autoproclamé concierge du Théâtre afin de remettre un peu d’ordre dans les rangs, mais tu devais bien avouer que le métier avait perdu de sa saveur, maintenant que t’étais censé être du côté des gentils. C’est que tu commençais presque à t’ennuyer. Et ça, Aberforth l’avait vraisemblablement bien compris. Il avait fini par traîner sa carcasse jusqu’au paradis des cracmols pour te proposer un rencard. Du moins, c’est d’abord comme ça que t’avais compris la chose, avant de te rendre compte qu’il t’avait complètement berné. Le portoloin qu’il avait organisé pour toi, ne t’avait pas du tout envoyé jusqu’à la planque de Dumbledore, mais bien dans un endroit des plus cauchemardesques. Le capharnaüm qui y régnait te fit immédiatement froncer les sourcils. Sans parler du bruit et des cris qui résonnaient déjà dans le hall d’entrée, alors que tu venais tout juste d’arriver. Avant de se dématérialiser, le portoloin recracha un bout de parchemin, sur lequel tu reconnus immédiatement l’écriture d’Abe. “Demande à voir Esteban. Il t’apprendra à te rendre utile.” Quel culot ! C’était Dumbledore tout craché ça ! Comme si tu n’avais servi à rien jusqu’à présent… Enfin bon, maintenant que tu étais là, et que tu étais dans l’incapacité de t’extirper toi-même de ce pétrin, tu traînas tes guibolles à travers la drôle de planque. C’était pas l’animation qui manquait ici, ça c'est sûr. Et pourtant, dès lors que les premiers regards se posèrent sur toi, un lourd silence s’imposa brusquement. Tu te retins de justesse de cracher par terre en guise de provocation. Manquerait plus qu’on te force à faire le ménage de cet endroit après ça. “Je cherche Sebastian, il paraît qu’il a quelque chose à me montrer. C’est Dumbledore qui m’envoie. Le plus acariâtre des deux frangins.” Esteban, Sebastian, ouais il se pourrait bien que t’ait inversé quelques lettres dans la précipitation. Mais si tous ces petits sorciers étaient aussi malins qu’ils le prétendaient, alors ils comprendraient ce que tu voulais.

Depuis qu’il avait déménagé à la madriguerilla (oui, Esteban insistait pour la version longue du nom de la planque. D’après lui, ça faisait plus chic, et aussi, "Hé, rien ne presse, on est en sécurité ici, alors on prend le temps de tout prononcer en entier : ma-dri-gueeee-rill-a!!") (il était trop âgé pour qu’on le bully, quel pouvoir!), Esteban était parvenu à rester busy la plupart du temps. C’est qu’on n’aimait pas trop quand Esteban était oisif, parce que ça signifiait qu’il allait faire chier la première pauvre âme qui osait croiser sa route.
Mais au lieu de ça, il s’affairait à droite, à gauche. On ne questionnait même plus son utilité, bien qu’il ne soit pas magique.
A l’instant, il aidait une sorcière à retrouver sa baguette qui était tombée dans une cuve d’essence, pétrole, you know, bad stuff for magic wand i guess. C’est qu’il se sentait responsable, puisque c’est lui, en premier lieu, qui avait organisé cette mission de nettoyer l’une des salles des machines de la plateforme sur laquelle ils avaient élu domicile. Il avait été garagiste pendant trois semaines après tout, et pêcheur (chalutier, but still a boat), pendant trois jours et demi; une curriculum suffisant apparemment pour plonger les mains dans le cambouis jusqu’aux coudes.

"Je cherche Sebastian, il paraît qu’il a quelque chose à me montrer. C’est Dumbledore qui m’envoie. Le plus acariâtre des deux frangins." Esteban lève le nez de sa tâche (et de ses taches, see what i did there), décollant difficilement les genoux de la mouise dans laquelle il batifole. Le bleu de travail nonchalamment noué autour de sa taille n’est plus vraiment très bleu. Il s’essuie les mains à un chiffon enfoncé dans sa poche arrière.
"Sebastian?? eeeh, c’est qu—" Esteban s’interrompt, réalisant qu’il y avait donc quelqu’un dans cette planque qu’il ne connaissait pas! Pas de ça chez lui! Il avait aidé à nommer cette planque (bien que tout le monde charcute le nom pour quelque chose de plus court (et de mieux) (mais les goûts et les couleurs ça ne se discute pas) (enfin vous ne voulez pas qu’Esteban en discute avec vous).
Benito passe donc consciencieusement en revue tous les occupants de la planque (ce qui lui prend un temps monstre, se manifestant par une bruyante manière de réfléchir, à grands renforts de "hmmm", de "est-ce que c’est—" interrompus et de "ah mais si!", sans jamais parvenir à associer un visage à ce nom.
C’est qu’il n’assumerait jamais (en tant que leader de cette planque) (i said it), de ne pas lui fournir de réponse utile et constructive. "Est-ce que c’est le mec qui s’occupe des rations? Ou le vampire qui est en charge du potager? Nan parce que je lui ai déjà dit que euh, c’est sympa hein, d’avoir un jardin, mais sur une plateforme pétrolière, j’sais pas, j’aurais peur que ça, euh, que ça soit contaminé? Même si bon, la dernière fois, les carottes étaient un peu genre, genre empreintes de la brise marine et c’était vraiment pas mal!!"

Il secoue une main dans le vide, entre leurs deux visages, comme on chasserait une mouche, ou un changement de sujet beaucoup trop flagrant et inopiné. "Mais j’divague!! Eeeh, je sais pas, désolé mec; tu aurais peut-être dû demander à, euh, Dum-beltore? J’ai prononcé correctement? de te dire où le trouver ou euh à quoi il ressemble? C’est que c’est une vraie fourmilière ici, c’est un peu the place to be en ce moment, hé!" Il secoue son chiffon dans tous les sens, fouettant l’air pour embrasser d’un vaste mouvement du bras les alentours de la planque. "Mais hé, j’suis pas trop occupé, la sorcière accroupie avec les mains dans le cambouis laisse échapper un soupir consterné, j’peux te filer un coup de main pour trouver ce mystérieux Stefano, euh Sebastian!"