C’était le silence le plus total qui sévissait entre Angelina et les habitants du manoir depuis qu’elle était revenue du cimetière. Elle se terrait dans un mutisme incompréhensible et se contentait de communiquer via des regards qui en disaient longs. Angelina n’était pas d’humeur et elle le faisait bien savoir. Elle n’avait même pas décroché un seul mot à Mafalda et Gabrielle, se contentant de répondre à leurs interrogations silencieuses par de longs regards appuyés qui les intimaient à ne pas venir la brusquer. Elle ne voulait parler à personne et les seules personnes qui pouvaient potentiellement lui tirer les vers du nez n’étaient pas à ses côtés. George et elle passaient leur temps à s’éviter, Lee n’était pas rentré au manoir depuis déjà quelques semaines et Fred… Puis Alicia…  Devenue taciturne à souhait, il était loin l’époque où les sourires étaient brodés sur ses lippes expressives. Et sa rencontre fortuite avec Alicia n’aidait en rien à améliorer l’obscurité qui sévissait sur son myocarde trahi.  Leur conversation avait été emplie de rancœur des deux côtés et forcée de constater, leur amitié semblait bien appartenir au passé. Il s’en était passé des choses depuis le changement de camp de l’ancienne lionne qui semblait avoir décidément perdue de sa grandeur. Celle devenue blonde paraissait bien trop différente de celle dont se souvenait Angelina pour espérer voir son ressentiment diminuer face à ça. Il lui suffisait simplement de se rappeler du jour à la poursuiveuse avait observé sa meilleure amie se faire blesser par un mangemort pour le constater. Alicia Spinnet n’était plus Alicia Spinnet. Et les années ne pouvaient changer ça. Celle dévouée et loyale à ses amis avait disparu dans cette guerre qui leur avait déjà bien trop coûté. Ainsi, le ressentiment ne pourrait jamais s’en aller. Angelina en était persuadée.

Un soupir traversa les lèvres de la résistante alors que plongée dans son livre sur la magie sans baguette, elle tentait de faire abstraction des allers et venus dans la cuisine du manoir. Mais, elle ne pouvait décidément pas s’empêcher de lancer des regards noirs à qui compte prenait le risque de venir lui adresser la parole. Merlin, ce n’était pas compliqué à comprendre ? Angelina voulait qu’on lui foute la paix, pas qu’on vienne lui casser les pieds. Sans à quoi elle avait peur de perdre son sang-froid. Elle qui pensait qu’un bon livre viendrait dissuader quiconque… La main plongea dans la bonbonnière où Molly Weasley avait rangé les biscuits à la cannelle dans lequel elle croqua, les doigts tournant distraitement cette page qu’elle ne cessait de relire. Elle semblait concentrée mais en réalité, la vérité était tout autre. L’esprit ne cessait de vagabonder pour venir se concentrer sur les évènements passés. Le livre n’était qu’un prétexte pour qu’on la laisse tranquille.

Et finalement, les habitants du manoir délaissèrent la cuisine et elle se retrouva seule. Comme elle l’avait souhaité. Mais, là, sans l’agitation habituelle de l’Ordre, il lui sembla quelques instants que ce qu’elle voulait à l’instant t était en paradoxe total avec ce qu’elle souhaitait quelques jours auparavant. Seule face à son propre mutisme, face à ses propres pensées, elle dut faire face à ce qu’elle tentait de dissimuler sous ses longs regards ennuyés. Une triste colère qui lui donnait envie étrangement de hurler de toute son âme. Une triste colère qu’elle remuait silencieusement au fond d’elle, le dos droit, les yeux imperturbables et le visage fermé de toute émotion.

Elle était seule. Comme elle l’avait souhaité et finalement, elle ne le voulait pas. Elle ne le voulait plus.

Faisant taire cette fierté qui l’étouffait, Angelina referma d’un coup sec le livre qu’elle lisait et se releva avec fracas. Seulement, quand elle se retourna pour quitter la cuisine à son tour et rejoindre la chambre qu’elle partageait avec Mafalda et Gabrielle, elle ne s’attendait pas à voir quelqu’un se tenir derrière elle. « Bloody hell ! » S’écria-t-elle, à la fois effrayée à la fois agréablement étonnée alors qu’elle détaillait du regard le visage de celui qui se tenait en face d’elle.

Lee.

Il était de retour. Enfin.

La bouche s’étira en une discrète arabesque alors qu’inconsciemment, Angelina plaça sa main sur son cœur paniqué par la légère frayeur que son meilleur ami venait de lui offrir. « Putain, tu m’as fait peur idiot. » Oui, il était un putain d’idiot à lui faire peur comme ça. Mais, il était son idiot à elle, son meilleur ami. Et Merlin ce qu’il lui avait manqué.

Lee aime bien le manoir, il y a toujours de la bonne nourriture et il y fait bon vivre mais il s'y sent... comment l'expliquer? À l'étroit. À Sweet River, il partage sa toute petite chambre avec quatre autre loups bourrés d'hormones; et à Londres, il vit dans l'équivalent immobilier d'une armoire. Mais c'est à St James qu'il se sent le plus mal. C'est peut-être parce qu'il y a le cercle sept qui y habite aussi. Parce qu'il a l'impression d'être observé, jugé, jaugé à tout instant. Des dizaines d'yeux sur lui, des dizaines de questions, de requêtes: hey, Lee, t'aurais pas le temps pour me filer un bouquin, hey Lee, ça fait longtemps qu'on t'a pas vu, hey, Lee-- Parfois, il lui faut quelques jours pour rassembler la force qu'il lui faut pour y aller. Accrocher un sourire sur ses lèvres, mettre quelques barres de céréales super sucrées dans son sac en plus des livres qu'on lui demande sans arrêt, essayer de trouver un petit quelque chose pour chacun... c'est toute une aventure.

Cette fois-là, il y va sans réfléchir. Il a reçu une lettre un peu ennuyée de Mafie, lui demandant à la fois de revenir — en filigrane, Lee a pu lire qu'il lui manquait, ce qui la fait sourire — mais aussi d'aller voir Angelina. En temps normal, à quiconque, Lee dirait qu'Angelina n'a pas besoin d'aide, et encore moins de lui. Mais le ton alarmiste de Mafie ne l'a pas incité à réfléchir: au contraire, il a transplané trois fois pour brouiller ses traces, et a atterri sur le perron du manoir sous le regard surpris de Sofia. “ Lee? ” Elle semble surprise: il la prévient, généralement, quand il vient. “ Où est Angelina? ” Sa supérieure, aussi surprise qu'elle puisse être, a un éclair de reconnaissance et de compréhension qui lui traverse le regard. Elle hoche la tête, faisant un mouvement de la main en direction de la porte d'entrée. “ Dans la cuisine. ” Elle lui adresse un sourire presque compatissant et Lee peut déjà imaginer les prochains mots qui vont traverser la barrière de ses lèvres: “ She's in a mood. ”

Lee s'en fiche. Le caractère tempétueux d'Angelina et le sien, qui est devenu plus modéré en grandissant, sont toujours bien allés ensemble. En chemin, Lee rencontre quelques gens; il discute rapidement, met un terme à la plupart des discussions, adresse un hochement de tête à Mafie en lui promettant de la retrouver plus tard. Il prend rapidement le chemin de la cuisine, et voit sa meilleure amie assise à un comptoir, en train de lire un livre. Lee se donne quelques instants pour la regarder. Il la connait par coeur. Il y a presque quinze ans (déjà!), il pensait qu'il était amoureux d'elle. Passionnément amoureux d'elle, et juste d'elle, et que plus jamais il ne se pâmerait pour quiconque... même après qu'elle l'ait rejeté, il pensait vraiment qu'ils allaient finir ensemble. Même après toutes ces années, Lee sait que c'est la vérité. Ils vont finir ensemble. En tant qu'amis. Il ne peut pas imaginer sa vie sans elle. Ils ont tout traversé, la guerre et les trahisons et la colère et le deuil et le chagrin et la colère. Ensemble, ils sont capables de tout.

« Bloody hell ! » Lee sursauta en même temps qu'elle: perdu dans ses pensées, il s'était mis à l'observer, immobile et silencieux, et, les yeux dans le vide, ne l'avait même pas vue se lever et se retourner. Il se met à sourire malgré lui, bougeant un peu pour se détendre les épaules et les jambes. “ Hey. — Putain, tu m’as fait peur idiot. » Le sourire se transforme en moue alors qu'il s'approche. “ Pardon. ” Il s'approche un peu plus et ouvre les bras, ne lui laissant pas le choix en la prenant aussitôt dans une étreinte digne d'un ours. Les câlins de Lee sont toujours intenses et forts, il n'hésite pas à serrer les gens contre sa poitrine comme si il pouvait les envelopper pour toujours et les protéger du monde. Des fois, il aimerait pouvoir le faire pour de vrai. Il ferme les yeux un bref instant et inspire profondément, son nez dans les cheveux d'Angelina, inspirant son odeur qu'il connait si bien et qui lui fait du baume au coeur. C'est l'odeur de sa meilleure amie. De la maison.

Quand il se détache, il a de nouveau un sourire sur les lèvres, satisfait et un peu plus détendu qu'il ne l'était avant en allant la chercher. Il prend son visage entre ses mains pendant un bref instant pour la regarder, avant de tendre son index pour l'appuyer entre ses sourcils, là où ceux-ci ont l'air d'avoir été froncés pendant les heures précédentes. “ J'n'aime pas ça, ” indique-t-il en faisant la moue un peu plus avant de se détacher. “ Qu'est-ce qu'il s'est passé? Mafalda m'a demandé de venir en urgence parce que tu étais... ” Il arque les sourcils. “ Pas bien. ”