Après la nuit cosy auprès de Lou il y a deux jours, te voilà réquisitionné par ton père pour des ouvrages un peu moins ésotériques que ceux que tu avais pu faire fleurir auprès de ton ami (!!!!!). Il est l'heure d'aller faire la sieste pour certains, le repas ayant été consommé il y a peu. Une conserve que tu aurais largement préféré remplacer par quelques carottes ou une salade fraîche, mais le novembre et sa fraîcheur ne pouvait décemment pas répondre à tes petits caprices. Tu avais beau avoir le goût des choses et surtout de l'importance d'avoir alors que d'autres n'avaient rien, tu ne pouvais pas te soustraire à certaines envies qui étaient tout à fait humaines et donc, légitimes.

Tu n'as d'ailleurs pas eu la foi de dissimuler à nouveau ta bosse-hématome au milieu de ton front, préférant alors vivre de honte et d'eau fraîche pour les deux jours qui te restaient à traîner ici, à Sweet River. Information qui de toute façon était parvenue à la ferme avant que tu n'y mettes les pieds, comme si les rumeurs filaient plus vite que le vent. Le même qui soulève ta chevelure que tu n'as pas accrochée, une écharpe autour du cou, et des mains qui se triturent sur le chemin qui te mènent à l'endroit où Dani voulait te voir. Il y avait bien certaines choses que tu pouvais deviner, mais le contrôle surprise te pendait clairement au nez, et tu n'étais pas forcément des plus prêts. Tu ne l'étais jamais vraiment, lorsque tu croisais le regard de ton père. Parce qu'il a tant de bouteille que tu ne sais pas si tu pourrais un jour arriver à ce niveau, et que d'une manière plus générale, il n'a pas cet esprit vagabondant jusqu'aux étoiles, et qui, on ne le redira pas deux fois, fait partie de toi.  

Les petits sourires sur certains visages, tu les aperçois et tu leur rends, sachant très bien ce qu'ils pouvaient penser en voyant ta trogne : Chiron a été tapé par Delhi, pauvre Chiron. La Tour, c'est plus ce que c'était.
La Tour, c'était plus ce que c'était depuis que tu y avais élu domicile, et depuis que tu y avais retrouvé un amour fantôme, perdu, retrouvé par la force des choses : Vanessa. Il avait fallu d'une maladresse et d'un petit-déjeuner un brin catastrophique pour raviver ce que tu avais fait en sorte d'éteindre, en t'occupant de tous ces autres qui te demandaient comme bonne oreille. Mais depuis que vous aviez parlé, même à vous en ridiculiser, tu ne pouvais pas nier que cette émotion était bel et bien présente, voire ressuscitée.

Tu te trimbales une gourde d'eau, après l'avoir récupérée sur le chemin qui te mène à votre petit coin à vous. Ca sent le fauve, pour ne pas dire le loup, alors que tu as seulement les sens d'un hypersensible né-moldu. Tu n'imagines jamais vraiment ce que ça pourrait donner de vivre ici. Tu te fais même la réflexion que tu aurais apprécié pouvoir dessiner Dani lorsqu'il est transformé, mais le pourrais-tu ? Il faudrait que tu récupères un Kodak la prochaine fois que tu vaques en ville, pour le peu que tu vaques chez les moldus, sachant qu'en plus tu es sans le sou. Est-ce qu'il te sauterait dessus, avec un flash en pleine trogne ? Sans doute.
Alors sans doute continuerais-tu d'imaginer, tu es tout aussi bon à ça, il faut dire.

Lorsque finalement tu l'aperçois, tu t'attends à tout et à rien à la fois, mais la première chose que tu fais, et ce n'est que coutume, c'est d'aller l'enlacer dans une étreinte appuyée, bien qu'elle ne traîne pas tant. "Non, j'ai pas mal" le devances-tu, avant qu'il ne te fasse une quelconque remarque sur l'étendue des dégâts sur ton front, ou même de ton cœur globalement émietté par la honte que cela pouvait te procurer. Suivi des priorités, toujours, et qui font écho aux SMS que tu lui envoies tous les jours, lorsque tu n'es pas là : "Come stai papà ?"

"Stanco, à sa réponse, ta prise sur son bras se raffermit un peu, comme pour lui montrer que tu entends, que tu comprends, que tu es là. La nouvelle lune."

Si sur le papier et les livres cela semblait être un mauvais moment à passer, la vérité du terrain est beaucoup plus douloureuse encore : s'ils sont à leur phase la plus humaine qui soit, c'est aussi le moment où leurs vulnérabilités sont les plus exposées. Tous les regards vitreux que tu as pu croiser aujourd'hui sont ceux de loups qui se traînent et errent comme s'il leur manquait quelque chose. Un fragment de l'argent du satellite qui fait leur force à son apogée, à moins que ce soit encore plus profond encore. L'idée de ne jamais pouvoir vraiment effleurer ce ressenti-là de ton propre chef est, quelque part, assez frustrant. Parce que tu sais que tu ne pourrais jamais vraiment te mettre à la place de ton père, alors que tu ne t'es jamais vraiment posé cette question pour d'autres. D'autres que tu parviens tout de même à aider, un peu, parfois plus qu'un peu, selon.

Quoiqu'il en soit, si tu as bien senti une chose, c'est que Dani est en phase avec cette part de lui qui est née dans les entrailles de l'Enfer : Gracefield.
Peu ont réussi à sortir des mots à ce sujet, mais sortir des pleurs, des cris, des dessins griffonnés nerveusement était déjà beaucoup, pour qui était pareil survivant.

Dans ton esprit qui dérive doucement, de manière on ne peut plus naturelle, la chaleur des mains de ton père sur tes épaules, dont le poids est toujours certain - il a plus de force que tu n'en auras jamais, même à sa phase la plus "humaine" - te ramène sur la Terre ferme. C'est aussi ce pouvoir-là qu'il possède, mais également celui qu'il tente vainement de t'inculquer depuis toutes ces années. Pouvoir t'ancrer dans la matière grâce à ce travail de l'esprit. Travail que tu as vraisemblablement un peu laissé de côté, dans ton chagrin.

Et ça, ton père et professeur le sait - le sent - très bien.

"Tu vas bien." tes yeux sourient déjà, lorsque tes lèvres s'étirent. Lorsque tu souris, on voit à quel point tu es grignoté par la fatigue. Après quelques jours de repos à la Tour, ça devrait bien aller. Parce qu'il fallait gérer l'insécurité des déplacements, ce qui n'était pas donné à tout le monde, toi le premier. Ce sourire, il te le rend ; mais tu sens qu'il y a quelque chose de carnassier là-dedans : de fait, le piège se resserre. Il te relâche et tu as le réflexe de vouloir prendre une gorgée d'eau. Heureusement que tu ne l'as pas fait d'ailleurs, puisque tu aurais eu du mal à l'avaler. "Tu te doutes de pourquoi je veux te voir."

Troisième œil bien ouvert, bien sûr. Canal très bien câblé non pas sur Dani mais sur Déni FM. Après le réconfort l'effort, comme on dit. Il mettait un point d'honneur à ce que tu ne sois pas désarmé psychiquement, ce qui semblait être le cas lorsque la fatigue pointait le bout de son nez, ou même la peine - mais qui le serait pas ? Ton profil on ne peut plus singulier faisait justement toute la difficulté : c'était le lâcher prise qui faisait ta force, et ces dernières années, c'était ce contrôle que tu te devais d'opérer un maximum. Si la Legilimancie était plus facile pour toi, ce n'était pas le cas de l'Occlumancie, qui s'avérait être un vrai capharnaüm.

Chose que Dani souhaitait bien évidemment travailler. Ce serait sans doute qu'une question de temps avant qu'il ne te demande de l'accompagner lors de ses interrogatoires.

En avais-tu seulement l'étoffe ?

Pour ça, il fallait a minima avoir l'air inquiétant, ou dissuasif. Tu rayonnais l'inverse.

Alors tu ravales un peu ta salive, ne tentant même pas de construire ces barrières mentales que Dani se ferait une joie de mettre à terre comme un château de cartes. "Je pensais pas que ça allait être aujourd'hui" avoues-tu, l'air plus naïf que jamais, à t'imaginer qu'il reporterait ce... contrôle surprise, que tu n'imaginais pas non plus être reporté suite à l'expression de ton inconfort.

Autant dire qu'il y avait plus de soucis à se faire que prévu.

Tu te fais violence et ferme les yeux pour pouvoir te recentrer, après avoir inspiré profondément. T'imaginer des racines dans les jambes courant jusqu'aux entrailles de la Terre, dans un premier temps. Tout allait se passer entre tes tempes pour le reste. Mais déjà, tu peinais à franchir la première étape. Tu vas pour t'assoir peu après, déposant ta gourde un peu à l'aveugle. Mais c'était déjà trop tard : tu sens une présence désagréable s'instiller, et tu mets toutes tes forces (vaines)(et désordonnées) pour pouvoir la faire disparaître, ou au moins la faire sortir.

Empêche-moi d'entrer.

Mais tu n'y arrives pas.

En réalité, il faut moins de deux minutes pour que tes défenses soient brisées. Ce qui était mieux que la première fois, mais pas mieux que celle qui avait été la dernière, avant que Dani ne disparaisse. Les lacunes étaient bien présentes et il faudrait redoubler d'efforts pour parvenir à les combler : tu avais été prit de court, littéralement, si bien qu'en t'asseyant lourdement, tu as l'impression que tout tourne dans le sens inverse autour de toi. Perdonami, papà as-tu envie de lui dire, mais la pensée, puissante, accompagnée de ta mine déconfite, se suffisent à elles-mêmes.