C’était pas son domaine. Elle était dans un endroit qu’elle ne connaissait que de nom et elle n’aimait pas beaucoup cela. Mais parfois, il fallait aussi faire des concessions, il fallait accepter de sortir de ses sentiers battus. Heisenberg, son refuge, était un peu trop vide pour elle mais elle avait fini par s’y habituer. Aujourd’hui, c’était son nouveau chez elle, où elle pouvait être qui elle voulait. Sur ses épaules, elle resserrait légèrement son châle. Le froid se faisait déjà bien ressentir, il ne fallait pas trop qu’elle traîne dehors si elle ne voulait pas tomber malade. La porte ouverte, elle entrait sans trop faire attention. Elle savait où aller, s’étant renseignée avant. C’était un peu naturel de naviguer par ici finalement, même si elle ne connaissait pas vraiment. Sans mal, elle pouvait reconnaître l’odeur de divers ingrédients nécessaires aux potions. Elle aimait ça, elle ne posait pourtant pas de questions sur ce qu’ils font réellement ici. C’était un peu une de ses règles. On fait, on ne demande pas et ça lui va très bien en réalité. A la description qu’on lui avait faite, elle trouvait rapidement celui qu’elle venait voir, sa liste d’ingrédients entre les mains. « Salut. On m’a dit que c’était à toi que je devais demander pour refaire un peu mon stock. » Son stock, celui d’Heisenberg, c’était du pareil au même pour la jeune femme. Elle tentait un vague sourire, histoire de montrer qu'elle n'était pas là pour foutre le bordel ou chercher des ennuis. Elle, tout ce qu’elle voulait, c’était qu’on la dépanne un peu, c’était toujours mieux si elle voulait continuer à bosser. « Si je dérange, je peux repasser à un autre moment… » Si on pouvait l’aider dès maintenant, ça serait tout aussi bien en réalité. Elle n’était pas venue pour rien, elle avait bien une idée derrière la tête Jill, c’était trop souvent le cas en réalité. Ca faisait maintenant plusieurs mois qu’elle était présente sur le territoire et pourtant, elle n’avait toujours pas eu de signe de sa soeur, à croire que celle-ci n’était même plus là. Mais Jill continuait d’y croire et elle comptait bien sur ce petit moment dans une autre planque pour essayer de poser quelques questions. « Alors… c’est possible ou pas ? » La fille un peu trop insistante, un peu trop impatiente surtout. Les ingrédients, c’était un peu juste un prétexte finalement.

Les choses ont changé à Albert Docks depuis l’explosion des laboratoires, lors du shutdown du réseau de communication. Le feu a fait d’importants ravages et à détruit une bonne partie des bureaux. À un point tel que la magie n’a pas pu tout réparer. Heureusement, la réserve d’ingrédients a pu être sauvée et il n’y a pas eu trop de pertes. Ce type d’incident n’est pas rare. Ça fait partie du quotidien et il n’y a rien de surprenant. Il y a une explosion toutes les semaines dans le hangar, mais pas de cette ampleur. En plus de détruire un étage complet, elle a fait sauter les différentes protections anti-moldus, d’invisibilité et d’intraçabilité qui protègent le grand entrepôt. Si bien que pendant un laps de temps interminable, les laboratoires ont été à découvert à la vue de tous. Un groupe de jeunes scouts s’est même attroupé devant le bâtiment et a commencé à lancer des rumeurs. Des curieux se sont aventurés tout près. Certains sont même entrés à l’intérieur et ont pu voir les installations hétéroclites. Pour réguler la situation, ça a demandé beaucoup de logistique et de méticulosité. Jarod n’a pas pu participer, mais il sait que ça n’a pas été évident de retracer tous les moldus. Il a cru que les hauts placés de l’Ordre demanderaient à ce que les laboratoires soient déplacés ne sachant pas si des sorciers ou le gouvernement ont eu vent d’un bâtiment qui est apparu d’un seul coup en plein milieu d’un quai, mais pour le moment, les scientifiques n’ont reçu aucune directive.

En l’absence d’Eimear O’Malley et dans l’impossibilité de la rejoindre, c’est Jarod qui a pris les commandes de l’urgence. Il ne sait pas comment il en est arrivé là, il n’a jamais été un grand leader, laissant ce rôle à sa sœur, et préférant faire ce qu’on lui dicte, mais il semble que les gens présents ce jour-là se sont tournés vers lui. Sans doute parce qu’il a déjà fait des missions et est allé sur le terrain ou peut-être qu’il a été le premier à réagir et le mouvement s’est fait de lui-même. Quoi qu’il en soit, le Nielsen a pris en charge la catastrophe qui s’est somme toute bien terminée. Il a d’ailleurs reçu des bons mots de la part d’Eimear. La référente a d’ailleurs commencé à s’intéresser de plus en plus à lui.

Quoi qu’il en soit, les choses ont repris leur cour normale. Les scientifiques sont un peu plus nerveux, peu habitués à autant d’action et être dérangés dans leurs recherches, mais chacun retrouve ses repères. L’étage a été restauré et les occupants en ont même profité pour remettre un peu d’ordre et d’organiser l’espace autrement de façon à être plus ergonomique et convivial. Jarod a retrouvé son bureau et s’est remis au travail. Il a vite guérit de ses blessures mineures. Il est concentré sur un parchemin lorsqu’un jeune fille l’apostrophe. Il se retourne vers elle et la détaille de la tête aux pieds. Il a légèrement froncé les sourcils. Fier d’être devenu une référence au sein des labos, un peu agacé de toujours se coltiner les apprenties. Il est loin d’être le plus doué pourtant, c’est toujours à lui qu’on les envoie. "Tu ne me déranges pas. Tu viens de quelle planque?" Encore une fois, il ne s’inquiète pas de la nouvelle venue. Si elle est là, c’est qu’elle connait la façon d’entrer dans les docks. Malgré l’incident, la procédure n’a pas changé et il ne doute pas qu’elle fait partie du phénix.

On lui avait dit comment entrer dans les docks, elle avait fait un peu comme chez elle, sans se soucier une seconde que ça puisse être un problème. On évitait de révéler ce genre de petit secret à n’importe qui, on ne savait jamais vraiment à qui on pouvait faire confiance. Elle dira pas qu’elle est comme un poisson dans l’eau, ça serait totalement faux, pourtant, elle ne se sent pas tant dépaysée que ça. Elle se doute qu’un peu toutes les planques se ressemblent, elle en a visité suffisamment pour savoir qu’elles avaient toutes un même point commun, elles abritaient des gens qui n’avaient pas le choix de se cacher pour survivre. Ou vivre, tout simplement. Elle avait observé, regardé un peu partout ce qu’elle pouvait trouver ici, jusqu’à finalement tomber sur celui qu’elle devait voir. Elle avait besoin de ces ingrédients si elle voulait continuer de travailler alors fallait bien qu’elle sorte de son trou et qu’elle accepte de demander un peu d’aide. Elle connaissait maintenant les rouages de sa propre planque, quant aux autres, ne sachant pas trop, elle voit sur le moment. En tout cas, la première question qui vient, c’était pas celle à laquelle elle s’attendait. Enfin, chacun fait comme il veut. « Heisenberg. » Elle répond sans hésitation. Après tout, ce ne sont que des noms et s’il est ici, lui, c’est bien qu’il fait partie de l’Ordre, une allégeance dont il pourrait douter pour elle. « C’est sympa ici. Enfin pas mieux que chez moi m’enfin, ça fait l’affaire quoi. » Elle laisse ça tomber après une énième observation de sa part sur les lieux. Elle sait pas trop quoi dire, ou quoi faire là. Elle a l’impression d’être la souris qui est entrée sur le territoire du chat. La sensation n’est pas des plus agréables, elle aimerait juste ses ingrédients pour repartir. Pourtant, au fond d’elle, il y a toujours ce pincement qui se fait sentir. Le pincement de la mission qu’elle s’est donnée : retrouver sa sœur. « Vous êtes beaucoup dans cette planque ? » La question qui tombe, l’air de rien pour n’importe qui ne la connaissant pas. Mais ce n'est pas une question désintéressée, elle cherche des réponses à toutes les questions qu’elle se pose et bien qu’elle sache que le silence fait partie des règles d’or, ça ne lui coûte rien d’espérer qu’une info soit lâchée de temps en temps, juste du temps.

Parfois, Jarod se demande comment il en est arrivé à être la personne ressource des docks. Pourquoi est-ce qu’on lui envoie les nouveaux et les visiteurs, alors qu’il n’est pas le plus sociable ou avenant. Il n’est pas non plus le plus expérimenté. Il suppose qu’il est un peu de tout. Ni trop dans sa bulle, ni trop rustre, ni trop fermé. Assez gentil, assez organisé, assez doué. Il connait aussi bien la planque pour y passer la majorité de sa vie depuis qu’il a rejoint la résistance. Il ne déteste pas ça et ressent toujours de la fierté lorsqu’on lui demande conseil. Il est fier d’être plus qu’un simple chercheur, d’être lambda. Il est heureux qu’on reconnaisse, lui et ses travaux. Il aime avoir plus de responsabilités et avoir la confiance de sa supérieure. Il ne crache en rien sur la position pour laquelle il a travaillé fort, il se demande juste le pourquoi du comment. Parce que c’est immanquable, c’est toujours lui qui se coltine les nouveaux arrivants.

Il hoche la tête lorsque la nouvelle venue lui mentionne venir de Heisenberg, avec un peu trop de précipitation. Comme si elle avait appris le nom de la planque par cœur et qu’elle attendait juste de le dire à voix haute pour ne plus risquer de l’oublier. Ce n’est qu’une pensée qui traverse furtivement l’esprit du chercheur. Elle disparait aussi vite qu’elle est apparue. Au final, ça ne l’inquiète pas, même que ça le soulage presque. Si elle habite là, c’est que normalement, elle s’y connait en potions. Ce n’est pas une touriste qui cherche à se trouver un nouveau passe-temps parce qu’elle s’emmerde. Il n’est pas trop d’humeur bavarde, si bien qu’il ne poursuit pas et retourne à son parchemin, non sans regarder la brune du coin de l’œil se doutant qu’elle n’est pas là juste pour faire la belle et que si elle a demandé à le voir, c’est pour une raison précise. Elle fait plutôt un commentaire sur les lieux et il arque un sourcil. Elle cherche sans doute à meubler le silence jusqu’à en arriver à sa demande. Même s’il préférerait qu’elle aille droit au but. " C’est différent. " Les deux planques ont des buts similaires, mais à différents degrés. À Heisenberg, ce sont les potions de bases, de tous les jours. Celles qui se sont à la chaine et qui ne demandent que des ingrédients simples. La facilité de la plupart des potions ne nécessite pas d’installations complexes. Ce qui est le contraire des docks avec leurs équipements à la fine pointe de la technologie sorcière afin d’expérimenter, de chercher et de fabriquer. Les ambiances sont aussi différentes. Pour y avoir mis les pieds à quelques reprises, il trouve la planque de l’ancienne station de métro très décontractée et chaleureuse. Tandis que dans l’entrepôt, c’est plus sérieux et silencieux. Les deux planques sont essentielles et utiles à l’Ordre. Mais, ce n’est pas vraiment une compétition de quelle est le meilleur refuge. Il hausse les épaules en la fixant. Il attend qu’elle en vienne au but. "Alors? Autre chose?" Sa question est sèche, mais il commence à être impatient. Il est en plein milieu d’un calcul et il aimerait bien y retourner rapidement. Elle ouvre la bouche pour une nouvelle question et ses s’ouvrent de surprise avant que son front se plisse d’agacement. "J’en sais rien. On ne tient pas un registre. Ça va et ça vient. " Il se frotte le menton, parce qu’elle vient de lui en poser une bonne. Ça l’énerve d’être dérangé pour ça, mais ça le rend aussi curieux. Il compte rapidement dans sa tête. "Une quinzaine? Peut-être plus? Moins? C’est dur à dire. Pourquoi tu veux savoir ça?" Il ne s’attendait vraiment pas à ça. Il y a des scientifiques, il a des résidents temporaires, d’autres permanents. Il y en a de passage. "Tu cherches quelqu’un?"

Elle est pensive, elle reste pourtant concentrée parce qu’elle sait ne pas avoir le droit à l’erreur. On lui a bien fait comprendre qu’à l’Ordre du Phénix, fallait toujours faire attention à ce qu’on dit. Ni trop, ni pas assez. Mais elle, elle avait trop de choses à demander, trop de choses à perdre alors fallait qu’elle fasse attention. Elle avait déjà un bon motif concernant sa présence, c’était important. Et visiblement, son interlocuteur avait bien appris les mêmes choses qu’elle. Les réponses étaient courtes, concises et claires. Bien qu’il lui ait dit ne pas déranger, elle pouvait avoir des doutes. Autre chose ? Oui y’en avait un bon nombre de choses qu’elle voulait demander mais elle gardait son calme et essayait de réfléchir intelligemment. Alors elle demande, combien ils sont ici, combien y’a de membres qui sont dans cette planque. Avec la quinzaine qu’il lui annonce plus ou moins, elle grimace Jillian. Ca sera finalement plus compliqué qu’elle ne l’aurait imaginé de ne rien dévoiler et de continuer les recherches par elle-même. Alors, elle a la pensée que peut-être, les choses seraient plus simples si elle abandonnait tout simplement. Que tout roulerait mieux si elle laissait les choses se faire et peut-être qu’un jour, le hasard la conduirait à rencontrer sa soeur, peut-être même dans la rue, simplement. C’était beau de rêver, elle en lâchait un rire. Rire qui se transformait en soupir. Visiblement, elle n'était pas aussi discrète qu’elle l’aurait imaginé. Elle ne demandait pas l’autorisation pour se laisser tomber sur la chaise la plus proche qu’elle trouvait et pour plonger son visage dans ses mains sans demander son reste. l’américaine restait quelques instants comme ça avant de relever le regard sur l’homme qu’elle était venue voir. « C’est si évident que ça ? » Bien sûr que ça l’était, pourquoi il aurait demandé si ça n’était pas le cas. « T’as déjà eu l’impression d’être si proche de quelque chose qu’il n devient inatteignable ? C’est un peu ce que je ressens. » A peine les mots avaient franchi ses lèvres qu’elle regrettait déjà. Elle parlait trop, s’épenchait alors qu’elle n’était pas venue pour ça et que dans ce monde, chacun avait ses propres problèmes à gérer. Elle n’aurait peut-être pas dû venir en fin de compte, pas sous un faux prétexte. « Oublies va, ce sont mes emmerdes. » Elle tentait un sourire qui sonnait plus que faux mais c’était bien tout ce dont elle était capable en cet instant. « J’ai par contre vraiment besoin de quelques ingrédients, si t’as ça en stock pour moi. » Elle lui donnait finalement la liste qu’elle avait griffonné à la va vite au dos d’une vieille liste de courses, qu’il voit qu’elle n’était pas venue que pour poser des questions et se plaindre.