tw: dissociation légère, grossesse, drogue (overdose), mentions explicites

L'index trace et construit ses formes dans la poussière de bois qui repose là, l'esprit divaguant jusqu'aux planches contre lesquelles a dansé l'ombre de la Bête. Si elle ne semble pas apparaître aussi distinctement sur la surface contre laquelle tu t'exerces par automatisme, à lui redonner vie, elle semble toujours l'être fortement en toi, comme un écho vibrant qui ne s'en va pas. Il faut alors qu'une écharde ou deux se plantent dans les petits nerfs sensibles au bout de ton doigt, voire à vouloir se cacher sous ton ongle dans une déconvenue déjà un peu plus manifeste, pour que tu redescendes là, dans cette fameuse grange que tu prends pour nid pendant la journée. Parce que même la lumière derrière des nuages épais te fait plisser les yeux, et parce que tu n'es jamais mieux qu'ici lorsque personne ne quémande ton aide. C'est devenu un endroit dans lequel tu traînes et où on sait te chercher, lorsqu'on s'inquiète de ne pas t'avoir vu depuis huit heures.

Tu t'affaires donc à retirer ces petits visiteurs impromptus de ton épiderme, louchant dessus comme s'il s'agissait d'un ouvrage d'orfèvrerie. Tu n'y arrives pas forcément du premier coup, tes ongles n'étant définitivement plus assez longs qu'auparavant. Auparavant : comprendre il y a au moins vingt ans. Même dans la rue, à faire la manche, tu avais plus belle manucure que celle-là.
Peut-être parce qu'à l'époque encore, certaines personnes voulaient encore de toi, autrement que ça, à savoir pour faire des travaux d'agriculture auxquels tu n'as jamais été sensibilisée autrefois.

La voix de Conan - qui est pourtant loin - te fait sortir de ton état quasi-dissociatif, et celle de Sinead finit pour de bon à te tirer de cette léthargie. Tu te lèves presque d'un bond, du moins aussi dynamiquement que tu puisses te le permettre en ce moment, et tu galopes comme un farfadet un peu boiteux jusqu'à la porte que tu ouvres déjà par avance, te cachant dans son ombre. Grinçante, franchement lourde - mais plus pour toi, tu te la prends tout de même dans le bout du pied. Fronce les sourcils, puis entend que ça toque sur les planches. C'est votre façon à toi et à Conan de communiquer, ces toc toc sont plus légers ce pendant, puisque tu réponds en toquant directement - la porte est déjà entrouverte, ta réponse est déjà là, en soi. Il s'en va assez rapidement, et c'est l'alchimiste qui entre - tu repousses la porte pour la fermer, sans avoir vraiment jeté un coup d'œil à autre chose qu'à la chevelure de feu de la Bullstrong.

"Ca va Sinead ?" que tu inities aussitôt, d'une voix abîmée par le tabac et douce à la fois, pivote un peu et te glace sur place. Pourquoi son ventre est-il si enflé ? Il ne semble plus vraiment sentir que quelque chose existe autour de vous à ce moment-là, et il te faut bien de longues secondes avant que ton regard ne remonte au visage de Sid. "Ca fait pas mal ?" à croire que tu ne comprends pas, ou plutôt que tu ne souhaites pas comprendre. Ton rapport à la maternité est particulier. Sans doute ne l'as-tu jamais vraiment compris. Porter la vie doit forcément faire mal. Ca n'a de toute façon rien de naturel pour toi, quant bien même tu as toujours pensé que tu pourrais en avoir dans tes bras, de ces petits poupons maigrichons.
Sans doute parce qu'il y a longtemps, lorsque tu dormais dans ce squat de Liverpool, tu as vu cette femme devenir inerte, le ventre gonflé et le garrot de fortune encore serré à son bras, les yeux retournés. Peut-être te rappelles-tu ce qu'elle a ressenti en partant, et peut-être n'est-elle jamais vraiment partie : tu la sens encore, à tel point qu'il te semble connaître cette douleur, que tu vois, que tu pressens chez celle qui pourtant, est là pour t'en soulager.
"Je suis désolée pour toi" susurres-tu comme si tu le disais à toi-même. Tu parais touchée, troublée. Alors tu fais quelques pas de côtés, va chercher quelque chose pour t'assoir, le cœur soudainement lourd d'un je-ne-sais-quoi. Cela fait longtemps que vous ne vous êtes pas vues, mais Sinead connaît les lieux, et saura où prendre place à son tour.

En revanche, ce n'est pas dit qu'elle te connaisse aussi bien qu'elle le croie. Mais c'est là une malédiction dont toutes les personnes qui te côtoient aujourd'hui souffrent plus ou moins.

Sinead aime ses pères et le Tempest, vraiment. Et si elle n'osait pas trop s'éloigner du Navire depuis le retour de son pop's, elle aurait préféré qu'il n'y ait pas un putain de confinement. Parce qu'il y a une limite à ne pas dépasser quand on est enceinte jusqu'au cou, et sans doute qu'elle l'avait atteinte et même dépassée ces derniers jours. Ce n'est sans doute pas lié à l'entourage mais plutôt à tout ce qu'on lui interdit de faire. Déjà qu'elle ne pouvait plus boire, mais voilà maintenant qu'il ne fallait pas s'approcher des aliments crus et autres joyeusetés du genre. Et forcément de quoi a-t-elle envie depuis que Gabriel lui a dit ça ? De trucs crus. Foutu cerveau. Esprit de contradiction de merde.

Heureusement que cet enfermement ne dura en définitive que deux semaines  sinon Sinead n'sait pas ce qu'elle aurait fait mais rien de bon n'en serait sorti.  Même le fait d'être dans son élément et de voir le bateau naviguer de nouveau (putain ça lui avait manqué) n'aurait pas suffi à la calmer. Ses pères doivent être bien contents aussi de pouvoir enfin respirer sans son humeur de cochon. Et donc quand on lui laisse l'opportunité de quitter le pont, l'alchimiste n'se fait pas prier. Faut qu'elle aille voir Irene de toutes façons, c'est urgent et puis un peu d'exercice lui fera pas de mal. Elle peut encore transplaner - mais plus pour longtemps - alors pas une seconde à perdre.

c'est avec une lenteur insupportable qu'elle finit par arriver au lieu voulu, salue Conan (elle n'a jamais été aussi heureuse de voir du monde, même les vieilles louves de mer ont besoin de compagnie il semblerait) et quand il lui dit qu'elle peut entrer, Sin obtempère. Salutations échangées, une main posée sur son ventre, les yeux clairs qui observent sa patiente à défaut d'un meilleur mot et la langue qui se coince dans sa gorge à la question posée. Ses sourcils se froncent et sinead suit le regard d'Irene  — euh... c'est la manière dont la question est posée, le regard intense envoyé. Sinead n'sait pas sur quel pied danser. — Ca dépend des fois. est tout ce qu'elle trouve à dire. Et quand Irene lui apporte des excuses, y'a quelque chose qui se brise dans l'air. C'est bruyant et brutal.

Est-ce qu'elle doit la rassurer ? changer de sujet ? Partir ? Non. Sinead n'a pas envie de retourner sur le Tempest et puis elle est venue pour une raison, c'est important. A la place, elle va s'asseoir sur une chaise qui ne lui paraît pas trop basse. — T'en fais pas hein, c'est pas une mauvaise chose. Ugh, peut mieux faire. — J'suis désolée de pas avoir pu venir plus tôt par contre. (smooth Sin) Comment ça va toi ? A comprendre : est-ce que tu tiens le coup avec ce que je t'ai donné ? Elle s'attend à la réponse, faut dire qu'avec le peu de temps qu'elles ont eu, il était d'abord question de limiter la douleur. Le confinement est mal tombé - pas qu'un truc comme ça puisse bien tomber.

Maintenant, elles vont pouvoir commencer les choses sérieuses.

Ca dépend des fois. Ca ne t'étonne pas. Tu compatis, un peu trop sans doute, à une souffrance qui n'est ni la tienne, ni particulièrement évidente. Les gens ont l'habitude de sourire en voyant un ventre enflé comme celui-là, et posent des questions bien trop souvent ridicules. S'excuser parce que son prochain porte la vie, ce n'est pas tout à fait coutumier. Cela fait de toute façon trop longtemps que tu n'as pas aperçu ce genre de choses, les seules naissances programmées que tu pouvais encore observer étant celles qui reposaient dans des œufs d'oiseaux dans les hauteurs de la grange. Là, juste au dessus de vos têtes, il y avait aussi des choses qui se tramaient, mais eux, tu ne les plaignais pas. Sans doute parce qu'ils naissaient avec des ailes et qu'une telle bénédiction ne devrait pas être pleurée.

Alors qu'elle essaie de te rassurer un peu sur sa propre situation (les mondes s'inversent) tu sens tes jambes t'élancer. Une vague de chaleur désagréable, piquante et qui te donne envie de gratter survient. D'abord, que des sourcils qui se froncent, "J'suis désolée de pas avoir pu venir plus tôt par contre." puis un visage qui se froisse encore un peu plus à chaque seconde. "Comment ça va toi ? - Ca va..." et tu te laisses choir lourdement sur une caisse en bois que tu as approchée un peu plus tôt, l'air un peu hagarde. Enfin, après quelques maigres secondes où semblent passer l'inévitable, tu relèves le nez dans sa direction, reprend. "T'en fait pas, tu pouvais pas venir de toute façon" tout le monde qui était enfermé, et puis les communications bloquées... tu n'as même pas pu lui dire que tu avais dû prendre plus que la dose recommandée. Tu te demandes même si ce n'est pas à cause de ça que tu as eu la tête qui tourne, l'autre fois. En tout cas, ça ne pouvait pas être dû au soleil...

T'es plutôt nature, comme qui dirait, tu t'imposes pas nécessairement des courbettes et d'autres joyeusetés qui doivent beaucoup plaire à la Bullstrong (non). Alors tu lui laisses le choix de s'assoir près de toi ou pas, même si, pour voir un peu l'état de tes guiboles, il faudrait bien qu'elle soit pas loin. "J'ai pris la moitié... (d'un coup) l'autre jour" tu te sens pas très fière, mais si elle voulait avoir une visibilité sur ta situation, c'était mieux d'avoir la version sous-titrée. Tu aurais juré entendre la Bête t'applaudir ce jour-là. "De ce que tu m'as donné" tu ravales un peu ta salive, le regard bas. Personne ne croirait que tu faisais maintenant partie des prédateurs. "J'ai pas... j'avais trop mal, je savais pas... je savais pas quoi faire" et tu avais beau avoir réussi à supporter beaucoup de douleurs dans ta vie, celle-là avait été ravivée par le manque de soins et l'intensité assez inédite de ta crise. Ca ne t'était pas arrivé depuis ton retour des Battues, à vrai dire. Mais comme on t'avait déjà dit, il faudrait que ça se stabilise. Comme ta soif, comme tes cauchemars, comme... comme trop de choses aujourd'hui.

"C'est grave ?" que tu lui demandes, allant chercher son approbation, ou plutôt son jugement dans une œillade un peu intimidée. Pas tant tes jambes sur le long terme, ça, tu sauras vraiment jamais le dire. Tu préfères penser que tu l'as juste mérité. "Des fois, j'ai l'impression que ça remonte jusque dans mon ventre. Et là derrière..." les reins, Irene. Les reins. Tu as posé le dos de ta main dessus, comme pour te rappeler que tu en avais bien. "J'aurais pas dû." soupires-tu.