tw/cw: deuil, mort, funérailles

Les derniers mois ont été atroces.

Nadia a prié sans relâche, terrifiée par le chemin sur laquelle sa famille s'est retrouvé depuis les derniers événements. D'abord, il y a eu Flora et Hestia. Puis Aslan. Et le décès de Flora, qui a engendré des funérailles aussi larmoyantes qu'inattendues. Nadia n'a jamais su pourquoi, mais Flora a simplement arrêté d'exister un jour. Il n'a suffit que d'une fois, à rester au lit - et elle n'en est plus jamais ressortie. Elle est partie aussi rapidement qu'un souffle, sous leurs yeux impuissants: et ça a été un nouveau coup de marteau dans le cercueil qui semble condamner les Al-Massri.
Quand le temps du Mois Saint est arrivé, Nadia a naïvement pensé que les choses iraient mieux, que le mois de la charité leur accorderait miséricorde et protection, un second souffle: mais les choses n'ont fait qu'empirer. Ça a été au tour de Zarafa de tomber - victime d'un vampire rogue qui l'a entraîné dans sa chute. Le pauvre Nahel est rentré un soir au manoir, ensanglanté et désorienté. Baba l'a fait entrer et ils l'ont caché, ont tenté d'apaiser sa peine: ils se sont relayés pour veiller sur lui, l'ont nourri de leur propre sang. Et elle a pleuré, Nadia - les rivières salées sur ses pommettes n'ont fait qu'irriter sa peau, souligner son regard déjà épuisé par les épreuves, les pertes et l'anxiété. Mais elle n'a pas perdu espoir. Elle a prié, elle s'est accrochée. Because that's what we do. We never lose track of who we are.

Ensemble, la famille a dû trouver une solution. Que faire de Nahel? Comment protéger leur petit Zarafa? C'est avec Siham que le plan a été mené - et les fausses funérailles n'ont fait qu'ajouter à l'atmosphère déjà sombre régnant dans le manoir. Nahel n'est plus là - sa chambre est vide, froide. Et il n'y a plus personne pour sauter d'un balcon à l'autre comme il le faisait, à causer des arrêts cardiaques aux adultes. Juste du silence. Le froid de l'absence.
Les derniers mois n'ont fait que repousser un peu plus la date du mariage, si bien que Leïla n'en est devenue que plus insupportable encore. Nadia sait que l'angoisse et le stress rongent umma - qu'elle aussi est en deuil et tente de remettre la famille sur pied. Elle a toujours porté les poids les plus importants avec une facilité déconcertante - mais avec ça viennent les contraintes.
Dans une vaine tentative de se changer les idées, Nadia s'en est allée errer sur Diagon Alley, comme elle le faisait avant avec Floria. Le lèche-vitrine était une de leurs occupations préférées, quand elles ne se réfugiaient pas dans l'enceinte protectrice de la serre des Al-Massri. Il ne reste aujourd'hui plus que des souvenirs amers et la sensation d'avoir un trou béant dans le coeur qui ne fait que s'élargir et s'enfoncer un peu plus jusqu'aux tréfonds de ses entrailles. I miss them all so bad. Elle a envie de pleurer, tout le temps. C'est un sentiment constant, qui n'a pas l'air de vouloir s'en aller.

C'est à l'intérieur du Madame Malkin's que Nadia se réfugie - s'occuper les mains et l'esprit, essayer peut-être de combler le trou par quelque chose de matériel bien qu'elle sache parfaitement que ça sera inutile. Pourtant, elle essaye. Tout est mieux plutôt que de fondre en larmes au milieu d'une rue bondée. L'oeil vert est immédiatement attiré par les robes et capes sorcières colorées. La nouvelle collection est là, à l'entrée du magasin, et Nadia se saisit délicatement d'une robe sorcière pêche suffisamment modeste pour correspondre à ses goûts. Cependant, son attention est également concentrée sur une robe émeraude, un peu différente de ce qu'elle porte d'habitude.
"‌‌Ce vert ira parfaitement avec vos yeux.‌‌" fait soudainement une voix qui s'approche, un peu sur sa droite. Sans lever la tête de la robe, Nadia a un petit rire gêné. Assumant que l'homme travaille dans la boutique, la jeune sorcière fait plus ou moins confiance à son avis, il a l'air de maîtriser le sujet. "Haha, vous trouvez? Merci." Elle jette un coup d'oeil en biais au sorcier et continuer de triturer, un peu nerveusement, la robe sous ses doigts. Le tissu est agréable et léger : exactement ce à quoi on s'attend en achetant ici. "J'hésitais avec la robe pêche .. ma mère me dit tout le temps que c'est "ma couleur"." qu'elle ajoute, ressentant soudainement le besoin d'expliquer à un parfait inconnu la raison de ses déboires intérieurs, allez savoir pourquoi.

La voix lui semble étrangement familière, cependant. Et elle ne sait pas exactement pourquoi. "Vous .." Elle tourne la tête pour étudier les traits de l'homme avec un peu plus d'attention et, lorsque le visage lui apparaît plus clairement, Nadia perd son sourire et son assurance. Elle se sent geler sous l'acier qui lui fait face, acier pourtant amical et chaleureux. ".. travaillez ici?" Son père. Pas baba, l'autre.
Celui qui a laissé maman. Celui qui les a abandonnés. Celui qu'elle a observé de loin, avec un noeud dans l'estomac, à se demander si elle aurait le courage de faire le premier pas un jour. Celui qui n'a jamais cherché à les retrouver. Il est là. Juste à côté d'elle. Tout sourire. Est-ce qu'il est heureux, lui? Est-ce qu'il repense à eux, des fois? Ou est-ce qu'il est soulagé de n'avoir plus rien à faire avec eux? Les doigts de Nadia se resserrent un peu autour du tissu alors qu'elle tente de garder une contenance, un sourire un peu tremblant et le regard soudainement moins assuré.

Est-ce qu'il a la moindre idée de ce qu'il vient de causer, en lui adressant la parole?
Sait-il seulement qui elle est?

Plus les secondes passent, plus Nadia se liquéfie sur place. De toutes les possibilités avec lesquelles elle aurait pu avoir l'occasion d'adresser la parole à son géniteur, il avait fallu que ça tombe sur cet endroit? Il y a quelque chose qui s'anime au fond d'elle, à entendre Axel mentionner umma sans avoir la moindre idée qu'il s'agit de son ex compagne. Elle a envie de lui hurler à la figure qu'il n'est qu'un lâche, un père minable, mais rien ne vient - elle reste comme figée sur place, le tissu délicat sous les doigts. How can I escape this situation now? Elle panique. Ce ne sont décidément pas les retrouvailles qu'elle imaginait après toutes ces années, et pas celles qu'elle espérait non plus. C'est trop injuste. Il a tout gâché, encore une fois. Et, encore une fois, elle se retrouve à le lui reprocher. À croire qu'Axel n'est bon qu'à ça.
Il sourit. Il sourit. Il n'a donc aucune idée de ce qui est en train de se passer, actuellement. Encore et toujours, il peut se permettre d'être détaché, de vivre tranquillement sans se soucier de rien tandis que le reste de sa famille se retrouve dans une impasse par sa faute. Akhy told me he'd bring nothing but trouble if we ever met again. I should've listened. "Non, je ne suis qu’un simple client.‌‌‌‌" Et il sourit, encore. Et elle sourit, toujours. Malgré la nausée qui monte avec l'angoisse, et la panique qui lui retourne l'estomac. Elle sourit, comme on le lui a appris. Sauver les apparences, et garder contenance, aussi misérable soit-elle. "Vous avez pourtant l'air de naviguer dans la boutique comme s'il s'agissait de chez vous." Il y a un petit rire ajouté à la réponse, un rire qui lui donne envie de s'arracher les cordes vocales tant il sonne faux et creux. Il ne mérite pas son sourire.

"Axel Deschamps, enchanté.‌‌" Le voilà qui se présente, qui prononce ce nom qu'elle a longtemps entendu umma maudire. Ce nom qui leur a gâché la vie. Ce nom, qui a tant fait pleurer sa mère. Ce nom qu'elles auraient pu porter, s'il avait pris des meilleures décisions, s'il n'avait pas été un fuyard. S'il avait été réellement capable de les aimer et de les protéger, comme il l'avait promis. La cadette Al-Massri ne peut décidément pas lui pardonne. Et pourtant, il y a cette petite gamine au fond d'elle qui espère qu'il la reconnaisse, malgré la probabilité très basse qu'il en soit capable: après tout, elle n'était qu'un bébé lorsqu'il les a laissés. Il n'y a pas un son qui sort de sa bouche: Nadia est incapable de parler. "‌‌‌‌Mais j’ai l’impression que vous le saviez déjà.‌‌‌‌" How cruel. Peut-être qu'au final il sait très bien qui elle est, et qu'il prend plaisir à la torturer ainsi en public. Qui sait. Il faut bien être un homme mauvais pour laisser sa famille derrière, n'est-ce pas? "‌‌Vous venez souvent ici?‌‌‌‌‌ - Oui, avec ma mère." La réponse fuse, sans même qu'elle ne puisse la retenir. Nadia a le même sang-chaud que Leïla, et que toutes les femmes de la famille. L'impulsivité qu'on leur a toujours appris à tenter de brider, pour se comportement convenablement en société. Mais aujourd'hui, Nadia n'est pas une sorcière des hautes-sphères sorcières.

Aujourd'hui, elle est une petite fille.
Une petite fille, qui a réprimé des années de colère.

Il y a un sourire un peu tremblant qui fend ses lèvres. Elle baisse le regard vers la robe entre ses doigts, qu'elle n'a pas lâchée, et remarque que ses doigts l'agrippent un peu trop fort. "J'avais, en effet, déjà connaissance de votre identité." Pause. Elle lisse le tissu pour reposer le vêtement, afin de ne pas le maltraiter plus qu'elle a déjà pu le faire. Ce n'est, après tout, pas après lui qu'elle en a - mais l'homme qui n'a aucune idée de qui elle est (ou qui fait semblant parce qu'il a, peut-être, envie de continuer à la faire souffrir comme sa mère a souffert de son choix pendant des années). "Votre famille est très réputée." Si le ton est poli, il y a une pointe de reproche dans la voix. Suffisamment masqué pour que ça passe inaperçu - ou peut-être pas. "Nous nous sommes déjà rencontrés par le passé." Silence. Let that sink in. Nadia relève la tête pour croiser le regard de son père- non, son baba, c'est Lotfi-, de son géniteur. Axel n'a jamais été là à aucune des étapes de sa vie, il ne mérite pas d'être qualifié de père. Ils n'ont en commun que leur sang, rien de plus, rien de moins. Alors pourquoi il y a cette pointe d'espoir dans son ton, lorsqu'elle lui pose la question? "Vous ne savez vraiment pas qui je suis?" Nadia prend finalement le taureau par les cornes, comme elle l'a toujours fait. Toujours là pour mettre les mains dans le cambouis.

Est-ce qu'elle a vraiment envie qu'il sache qui elle est, ou est-ce qu'elle préfèrerait qu'il soit incapable de mettre un nom sur son visage?
(Ça serait ainsi bien plus facile pour faire le deuil d'une relation père-fille qui n'a jamais existée).

La situation est surréaliste. Les secondes passent, et Nadia déplore de plus en plus d'avoir passer l'entrée de la boutique: son cerveau carbure à deux-cent à l'heure pour essayer de se dépêtrer de cette conversation qui fait remonter des années d'amertume et de reproches. Des émotions négatives avec lesquelles elle pensait enfin avoir fait la paix: mais revoir le visage de son géniteur a réduit en miette le travail qui a été fait avec les années. "‌‌Je vois. Elle doit avoir de très bons goûts.‌‌" Elle a envie de lui arracher son sourire, lui qui ose faire allusion à sa mère. Nadia s'en veut automatiquement d'avoir des pensées aussi agressives et mauvais (am I a terrible person? I shouldn't have  such thoughts about my own father ). Nadia prend sur elle. "Elle est très douée en ce qui concerne les couleurs, oui." Un sourire aussi faux que sa bonne humeur constante: et l'oeil vert qui se fait perçant. "Elle cerne très bien les personnes, aussi." Il en comprendra ce qu'il voudra. La colère et la douleur ne font que la rendre plus mauvais encore (et elle est terrifiée, c'est la première fois depuis longtemps qu'elle se sent comme ça: Nadia a à la fois envie de pleurer et de ravager le magasin)(mais elle ne peut pas, elle se doit d'être une bonne fille, une bonne future mariée, une sang-pure respectable: elle ne peut pas se permettre de faire une scène).

Alors même qu'elle ouvre la bouche pour lui dire qu'ils se connaissent, la cadette Al-Massri regrette d'avoir ouvert la bouche. I should've kept quiet, what did I expect from this conversation? He left us once, he'd do it again. I just know it. Il est gêné, et elle est enragée. Elle est d'autant plus enragée lorsqu'elle observe ses traits et se rend compte qu'ils ont bien plus en commun qu'elle ne le voudrait (I hate that we look so alike, I know akhi would hate it too). "Ah oui ? Eh bien je dois avouer que votre visage m’est familier, mais je n’arrive pas à remettre le contexte de notre rencontre. Il est rare que j’oublie un visage… Je m’en excuse.‌‌‌‌" Les mots sont si sincères qu'ils lui donnent la nausée. Au fond d'elle, elle s'est que c'est parce qu'elle aurait aimé entendre ces mots dans un autre contexte, des années plus tôt. It's too late to fix a relationship that never was. Nadia s'en rend compte aujourd'hui plus que jamais. Ce ne sont que des foutaises: et quand bien même elle tente de trouver la force d'accorder le pardon, le processus est plus compliqué que ce qu'elle a pensé pendant les premières années de sa vie. La rancune et les reproches sont bien plus tenaces qu'il n'y paraît.

La cadette Al-Massri pense voir une ouverture dans le silence, une occasion de filer à l'anglais et de faire comme si cette rencontre n'avait jamais eu lieu, et peut-être pleurer de tout son saoul dans la serre familiale pour passer ses nerfs. Mais son géniteur insiste (quelle ironie - il continue de la tourmenter sans même le savoir). "‌‌‌‌Pouvez-vous m’en dire plus sur notre rencontre ?‌‌‌‌‌‌‌‌‌ " Nadia se fige. What is there to say anyway? Elle se fend en un très maigre sourire, aussi existant que sa volonté de continuer cette conversation. "C'est surtout ma mère qui s'en souvient. Vous voyez .. j'étais très jeune." Elle ne sait même pas pourquoi elle essaye. Qu'espère-t-elle? Qu'il comprenne qui il a en face de lui, mais après? Comment umma régira-t-elle si elle apprend que sa fille est allée renouer avec l'homme qui les a abandonnés un quart de siècle plus tôt?
Les mots sortent pourtant seuls de ses lèvres qui, bien malgré elle, se mettent à trembler (ces traîtresses). "Mais je pense que ça n'a pas dû tant vous marquer que ça. C'était il y a plus de vingt ans après tout. C'est moi qui ai été stupide de penser que vous vous en rappelleriez, je suis désolée de vous avoir fait perdre votre temps avec ça." Les traits qui se fendent en une pauvre mine qui tente de traduire un brin d'excuse (pourquoi est-ce à elle de faire cette expression, alors qu'il devrait se mettre à ses pieds pour la supplie de lui pardonner?). Les bras sont croisés dans son dos pour masquer les poings fermés, serrés si forts que les phalanges blanchissent. "Sur ce, je vous souhaite une bonne journée monsieur Deschamps." La tête s'incline brièvement et les yeux humides sont détournés pour fixer la sortie vers laquelle elle se dirige, s'élance presque à la façon dont une âme damnée s'élancerait vers son salut.

Quelle erreur.