Islene avait l’impression de sortir pour la première fois après cent ans d’un long sommeil : les lumières, les rires et la musique jazzy du Black Cat semblaient appartenir à un autre monde aux coutumes étranges, loin de celles gravées dans son système. Elle ne connaissait ce sentiment que trop bien : il survenait à chaque fois qu’elle quittait Castaigne Manor, une occurrence désormais lointaine qui avait été espacée par sa vie avec Antoine. Plus elle restait au manoir, plus elle se sentait en décalage avec la vie fourmillante autour d’elle ; quelques heures autour d’un thé avec Cressilda, qui toujours tentait de la retenir encore un peu, la plongeaient dans une transe légère – quelques semaines d’un été mouvementé, elles, lui faisaient redécouvrir un environnement autrefois connu avec un regard extérieur qui la déroutait plus que de raison. Ce monde n’avait jamais été réellement le sien ; son monde à elle se trouvait, comme tous les Castaigne maudits par la marque jaune, entre les quatre murs décrépis de Castaigne Manor.

"So, what are you having?" Islene fut brusquement tirée de son absence par la voix de Patricia, qui, à en juger son soudain engouement, n’avait rien manqué de son long silence contemplatif. Patricia était, techniquement, une simple connaissance du travail : elles se connaissaient néanmoins depuis assez longtemps pour que la sorcière, de quelques années son aînée, ait le pouvoir de lui faire prendre un verre quand Islene pouvait sentir la main d’Hastur sur son épaule, l’enjoignant à retourner au manoir au plus vite (car Isla sans elle était une cause perdue et aurait sûrement cassé trois tasses en son absence, en autres désastres que seule sa présence pouvait prévenir). "You have been staring at the menu for so long I thought you were having another vision in between pumpkin juice and Gillywater." Une expiration dénuée d’amusement fila d’entre les lèvres d’Islene, qui reposa la carte désormais tristement nue sans ses alcools fétiches. "I’ll have whatever you’re having", fit-elle en regrettant, cette fois, une cigarette tandis qu’elle retirait son manteau pour le laisser sur le dos de son tabouret, qui lui semblait lui aussi sorti tout droit d’une autre dimension. "Boring. Two Golden Galleons. Virgin, I guess." Islene revint s’accouder au bar tandis que Patricia passait commande auprès de la serveuse avec un entrain démesuré ; son regard coula naturellement sur les bouteilles alignées derrière le bar, l’alcool désormais remplacé par des boissons colorées, avant que son regard ne tombe sur deux yeux brillants, à l’autre bout du comptoir, rivés sur elle.

Islene cilla devant cette apparition semblant sortir tout droit d’un songe – un songe brumeux et sirupeux, avalé comme le reste de ses rêves par le cauchemar qui s’était abattu sur elle durant l’été. Elle ne retenait, d’ordinaire, que vaguement les visages de peu d’importance ; le sien, quand bien même elle l’avait oublié, effacé par les mois et l’assurance de ne plus le revoir, s’était rappelé à sa mémoire en un battement de cils. Quoi de plus normal, quand il s’agissait du premier homme avec qui elle avait trompé Antoine. Shit. "What’s happening?" Islene détourna vivement la tête, haussa les sourcils en un masque couvrant la nervosité qui venait de lui secouer le cœur. L’avait-elle vu, elle aussi ? Patricia, ignorant tout de son trouble, reprit devant ce nouveau silence : " What’s happening in your life these days? How’s the husband? I don’t know, entertain me, entertain yourself! You’re not the type to go down at the first blow, I know you." Islene serra le poing sur le comptoir, passant son pouce à l’intérieur de son alliance – préserver les apparences était essentiel au cœur de la tempête (et sa mère n’aurait pas voulu la voir quitter le bijou, quand bien même il ne lui avait jamais entièrement plu, à l’image d’Antoine). "Talking about Antoine nor my life isn’t remotely a source of entertainment, you should know this by now." Faire comme si les deux yeux brillants n’existaient pas en dehors de son regard – les apparences, encore et toujours. "Please, I adore him. With all my heart." L’ironie dégoulinant de Patricia tira un sourire sans joie à Islene, obnubilée par la présence à quelques mètres. Elle espérait que Gabe n’ait pas la bonne idée de venir l’aborder sous le nez de la productrice, particulièrement lorsqu’elles discutaient d’Antoine et que son amant (par Merlin) d’un soir évoquait une période révolue, un rappel douloureux que quelques mois plus tôt encore, sa mère était encore en vie.

tw:crude language

Si on lui avait dit qu’il travaillerait avec un tel naturel dans la restauration, un milieu on ne peut plus éloigné de son héritage et de son véritable ”corps de métier”, Gaon aurait ri au nez de quiconque osant soumettre une idée aussi absurde – et pourtant. Après près de dix ans à fouler le sol du Black Cat, à le voir évoluer, le façonner à son image et en tenir fermement les rênes, le restaurant est devenu une deuxième demeure dans laquelle il déambule comme un prince, tantôt entre les tables pour s’exposer à la clientèle, tantôt derrière le bar, tantôt en cuisine pour s’assurer que tout se déroule bien, souvent à l’arrière, dans la backroom ou dans la petite cour où se déroulent d’autres activités. Et si ses cousins roulent des yeux en disant qu’il ne fait que semblant de travailler depuis qu’il a été nommé manager du lieu, c’est qu’ils ne comprennent pas que ce qu’il fait est incroyablement important – et qu’il n’a pas que ça à foutre de leur expliquer.

”Apologies everyone, we are full tonight! If you don’t have a reservation, you can book a table for another day at the reception. And if you’re just here for a drink, I promise we’re doing our very best to free some spots, it’ll just be another twenty minutes, more or less!” Après un large sourire pour la queue de sorciers et sorcières commençant à se former à l’extérieur, Gabe incline légèrement la tête et se détourne pour retourner à l’intérieur, un air satisfait sur le visage que de voir des foules s'agglutiner devant leur établissement. Bien vite, il sent la présence de Jae-sung se glisser à ses côtés et accompagner ses pas jusqu’au bar vers lequel il se dirige en remontant ses manches. ”You really have to stop sending people home or have them wait this long, we do have free sits at the bar.” Le sourire du manager se fait plus large alors qu’il pousse un rire franc et abat sa main sur la nuque de son cousin. ”It’s good for business, cousin. People would suck your tiny dick just to get in. You know what? Why don’t you scout for the prettiest thing outside, and let them in in ten minutes? They’d happily jump on your lap to thank you.” Il le relâche après un haussement de sourcils parfaitement sérieux, non sans le repousser sans réelle force, avant de passer derrière le bar, ses deux mains posées à plat pour inspecter rapidement la salle.

Et un instant, il croit faire erreur, lorsque ses yeux tombent sur un profil à moitié caché par une chevelure blonde à l’autre bout du comptoir ; il ne peut s’empêcher de détailler les quelques traits visibles, juste pour s’assurer si son esprit lui joue des tours ou non. Jusqu’à ce que le visage se tourne brièvement vers lui, et qu’un sourire étire ses lèvres en réalisant que ce n’est en effet pas la première fois qu’il l’aperçoit. Un visage qu’il avait oublié, et qu’il aurait assurément définitivement oublié s’il ne le contemplait pas de nouveau en cet instant, le regard clair de la sorcière faisant ressurgir partiellement quelques souvenirs d’une nuit en partie effacée par la consommation excessive de drogue et d’alcool ; le principal lui est resté néanmoins, et une expiration amusée lui échappe lorsqu’il voit le regard d’Islene se détourner promptement.

Non, pas de doute, il s’agit bien d’elle, et Gabe se redresse, une lueur malicieuse au fond de ses pupilles sombres, qu’il tourne vers sa sœur qui vient de prendre la commande des deux sorcières. ”Gahee, what are they having. – Two Golden Galleons. Why? – I’ll take care of it, you go serve the other customers.” Comme toujours, sa cadette ne pose pas la moindre question, et ne prend pas la peine d’ajouter quoi que ce soit avant de se détourner, et Gaon attire déjà les ingrédients à lui de quelques coups de baguettes, le cocktail se préparant sous ses yeux attentionnés. Une fois les deux verres remplis de la mixture dorée, il murmure la formule permettant de simuler l’alcool (soit chauffer agréablement la bouche et la gorge sans provoquer les effets prohibés par le gouvernement – quelle idée à la con), et c’est paré de son plus grand sourire qu’il s’approche, derrière le comptoir, des deux clients. ”Two Golden Galleons, was it?”, demande-t-il sans attendre de réponse en déposant les deux verres à cocktails face à elles, son regard accrochant de nouveau celui d’Islene, avant de tomber sur la bague à son doigt lorsqu’elle enroule sa main sur le verre. Il fronce légèrement les sourcils en penchant la tête sur le côté alors que ses yeux reviennent à elle. ”Your face seems familiar.” Et alors que ses pupilles effleurent les siennes, il les tourne d’un coup vers l’autre sorcière, s’adressant plutôt à elle après avoir laissé planer le doute une seconde : ”I’ve seen you here before, haven’t I? − You have indeed, I come here from time to time. − That’s what I thought!” Il déroule son petit numéro de manager attentif à la perfection (un coup de bluff en réalité, bien évidemment), passant naturellement une main dans ses cheveux en restant dans le regard de la cliente dont il ne se rappelle absolument pas. ”Well, ladies, if you need anything else”, débute Gabe en revenant cette fois à Islene dans un sourire, "please ask me directly. I want to make sure our most loyal customers are properly served. – Why, thank you.” Et pour ne pas pousser son le bouchon trop loin, il incline la tête poliment avant de retourner à l’autre bout du comptoir, non sans un regard pour la sorcière dont la présence imprévue et surprenante ce soir a définitivement piqué son attention.

Islene avait finalement poussé un soupir bref en se redressant sur son tabouret, les mains croisées sur le comptoir. "I’m still staying at the Manor. Antoine is fine, I visit him every two days or so." Les mensonges habituels, brodée d’une part de vérité qui ne faisait que le rendre plus réaliste – se plonger dans une conversation mondaine au sujet de son parfait mariage était également un moyen de tenir l’imprévu du soir au large. I’m in charge of a restaurant in Central London. Fine dining and drinks, if you ever need either. Islene regrettait désormais de moitié de ne pas lui avoir demandé le nom du restaurant en question sur le coup – la conversation avait dévié sur les subtilités de la différence entre propriétaire et manager lorsqu’elle lui avait adressé un sceptique "in charge?", dont elle n’aurait jamais cru être le témoin direct suite à un malheureux (?) accident du destin (rien n’était jamais un hasard, sauf ce qui avait été déterminé en tant que tel). Que lui voulait le sort, en lui envoyant l’unique trophée de son palmarès d’infidèle ? Lui rappeler son erreur ? Un signe qu’elle devrait de nouveau s’intéresser à Antoine ? Ou qu’elle devrait, au contraire, porter son regard sur…

Un sourire radieux l’accueillit lorsqu’elle releva le regard sur Gabe, tandis que le fil de leur conversation s’interrompait abruptement. ”Two Golden Galleons, was it?” Les doigts de Lean se crispèrent sur le pied de son verre, l’alliance en or crissant contre ce dernier en un son discordant – son culot avait été la première chose qu’elle avait remarquée, et celle qui l’avait séduite en partie (il y avait eu le physique, sa voix grave, son standing, ses traits d’esprit et la promesse d’une histoire sans lendemain, autant d’arguments solides qui l’avaient convaincue de franchir la fine limite hors de son parfait mariage). ”Your face seems familiar.” Islene retint un reniflement dédaigneux tandis que le regard de Gabe coulait sur Patricia pour un numéro risible : ”I’ve seen you here before, haven’t I?" Lean profita de ce spectacle affligeant pour prendre une première gorgée de son verre – ce n’était pas qu’elle était particulièrement inquiète, au contraire ; il était rassurant de constater qu’il était du genre à se contenter de tester les limites, potentiellement sans oser les franchir sous le nez de ses deux fidèles clientes. "You have indeed, I come here from time to time." "That’s what I thought!” Please – Islene reposa son verre et reporta son attention sur la salle derrière elles, feignant d’ignorer que le numéro qui se jouait devant elle lui était entièrement destiné, son oreille attentive aux inflexions mielleuses de la surprise du soir. ”Well, ladies, if you need anything else”, le faisceau noir du regard du manager la cueillit lorsqu’elle revint à lui, "please ask me directly. I want to make sure our most loyal customers are properly served." "Why, thank you.” Islene regretta d’autant plus d’être privée de cigarette lorsque leurs regards se croisèrent de nouveau, le sien l’accompagnant sur un mètre à peine, avant de revenir à Patricia avec une expiration brève. "I bet he believes he’s a smooth one." "Most definitely. We can’t be too mad however, he’s still a fine piece of a Half-Blood", répondit Patricia en adressant un regard significatif au dos de Gabe. Face au fait qu’elle avait, ainsi, inspecté ce morceau de choix de près, Islene avala une seconde gorgée de son cocktail virgin, contrastant durement avec la saveur du scotch de la chambre de Cressilda (visiblement un cadeau des Castaigne d’Amérique auquel elle n’avait eu que rarement droit de toucher jusqu’alors). "Speaking of fine piece, how’s Thain?"

La conversation reprit sur le rire de Patricia face à l’air horrifié d’Islene ; cette dernière passa ses frustrations sur le détail des manquements de ses adelphes, autant de critiques ayant pris en ampleur depuis la mort de leur mère. Islene garda son attention rivée sur sa compagne du soir, et l’effet placebo des cocktails détendit légèrement ses traits froncés sous l’épuisement émotionnel de ces derniers mois (de ces dernières années) – Hastur pourrait bien attendre encore une heure ou deux, et Isla était un cas perdu, de toute façon. Portée par une légère ivresse parfaitement fictive, Islene revint au fond de son verre lorsque Patricia s’excusa pour aller aux toilettes ; le silence retomba sur le cliquetis des verres et la musique d’ambiance, et Lean releva les yeux vers la silhouette à de l’autre côté du bar. Fine piece, sans doute.

Elle glissa le bout de son index sur le bord de son verre alors que le manager vint s’affairer à portée de voix (par un malheureux hasard, sans aucun doute, comme le suggérait sa brusque réapparition désormais qu’elle était seule). "Nice little show." Ses yeux accrochèrent ceux du sorcier, brillants comme deux perles noires, et Islene reprit sans se départir de son regard planté dans le sien, après un bref silence gracieusement accordé, qu’il puisse pleinement prendre conscience du fait qu’elle s’adressait bel et bien à lui, par dessus le comptoir : "Are you always that subtle?"

tw:homophobic slur

”I bet he believes he’s a smooth one” entend Gaon dans son dos, et ses lèvres se fendent d’un large sourire d’où sort une expiration amusée, sans prendre la peine de se retourner vers les deux sorcières pour faire savoir qu’il entend parfaitement leurs conversations de l’autre côté du comptoir, grâce aux sortilèges tamisant le brouhaha de la salle. Ce n’est pas le genre de propos que tenait Islene, lorsqu’ils se sont rencontrés au détour de quelques regards, sourires, d’un verre et d’une conversation, puis connus un peu plus amplement derrière la porte bien verrouillée d’une chambre d’hôtel ; mais cela, bien évidemment, Gaon le garde pour lui. Il n’a aucun intérêt à aller plus loin que son petit numéro, en tant que manager des lieux, déjà, puis en tant qu’habitué des aventures éphémères avec des sorcières portant la bague au doigt. Il y a une certaine satisfaction, à être leur petit secret, à voir cette lueur de panique (ou d’intérêt, en fonction) briller au fond de leurs pupilles, bien plus qu’à étaler publiquement leurs ébats.

Il reste un temps encore derrière le comptoir, à servir quelques clients, et surtout à ne pouvoir s’empêcher d’écouter par moment la conversation entre les deux sorcières, qui devient très vite ennuyante et sans intérêt – des histoires de frères et soeurs, puis de travail, rien qui maintient réellement l’attention de Gabe, qui finit par se laisser happer par d’autres voix et d’autres conversations, son regard ne manquant néanmoins pas de revenir de temps à autres à Islene.

Ce n’est pas la première fois qu’il contemple cette situation, l’avantage de tenir un bar à cocktail et restaurant prisé en plein Knockturn Alley, probablement ; des minettes rougissant à sa vue (ou le confrontant directement pour savoir pourquoi il ne les a pas rappelées), des tapettes fuyant son regard de peur qu’il les expose (comme s’il était assez con pour se mettre dans la merde également), des Islene prétendant comme lui ne pas le reconnaître. Et c’est toujours plus fort que lui ; Gabe ne peut s’empêcher de graviter autour d’eux, de leur faire revivre par sa simple présence leur(s) nuit(s) ensemble, de se nourrir de leur nervosité ou de leurs regards.

Et c’est pourquoi il prend un malin plaisir à se rapprocher (par hasard, évidemment) d’Islene lorsque son amie disparaît, attrapant une bouteille d’hydromel (sans alcool, toujours) sur l’une des étagères sous le comptoir. ”Nice little show.” Là aussi, il ne prétend pas, et ne cherche pas à cacher le sourire satisfait qui étire ses lèvres. ”Are you always that subtle?” Un sourcil se hausse, alors qu’il lève les yeux vers la sorcière, s’interrompant un instant avant de reprendre son geste, versant l’hydromel dans son shaker naturellement. ”Depends on the day, the weather, my mood also”, répond-il avec un certain amusement, avant de donner un coup de baguette sur le shaker pour le laisser se secouer seul, profitant d’avoir désormais les mains libres pour s’appuyer sur le comptoir en marbre, face à Islene qu’il détaille un instant, ses yeux tombant brièvement sur la bague à son doigt, intacte, un simple détail révélant beaucoup. ”I suppose I’m in a good mood tonight”, ajoute Gabe en étirant un peu plus son sourire, ne remontant son regard dans le sien qu’après l’avoir laissé avec une certaine insistance sur sa main. ”It’s not every night we’ve got such pleasant customers.” Et c’est sur cela qu’il se redresse pour ordonner au shaker d’un nouveau coup de baguette de remplir le verre d’Islene, s’apprêtant à enchaîner avant d’être interrompu par la voix de Jae-sung à quelques mètres d’eux : ”Hyung! Are you fucking serious, my cocktail!” Le regard que tourne Gaon vers lui perd toute sa douceur, bien moins mielleux et bien plus sombre. ”Hey! Can’t you see I’m busy? It’s my cocktail now, get off my face and go make one yourself, fuck.” Qu’est-ce qu’il faut faire ici, pour être tranquille cinq minutes et pouvoir flirter en paix sans être interrompu ?

Il ne faut qu’une fraction de seconde, pour que ses traits reprennent leurs couleurs et leurs inflexions doucereuses, effaçant l’interruption de son cousin en ouvrant la main vers le cocktail avec un sourire pour Islene. ”It’s on the house, from the fine piece of a Half-Blood”, glisse-t-il avec un éclat satisfait au fond de son regard noir en repoussant de ses deux doigts le verre en direction de la sorcière, ne lui laissant pas vraiment le choix d’accepter ou de refuser, avant de passer une main dans ses cheveux gominés pour les aérer légèrement. ”So, what is bringing you to the Black Cat? I remember you mentioning you’re not exactly the type to bar-hopping.”

tw: consommation d'alcool

”Depends on the day, the weather, my mood also.” Et il se croyait malin, avec ça. Islene laissa le haut de son verre pour mieux enrouler ses doigts autour du pied de ce dernier, une expression peu impressionnée face au coup de baguette sur le shaker, peut-être la seule chose justement dosée chez Gabe. Gabe – même son nom semblait avoir été modelé avec une assurance dégoulinante qu’elle retrouva sans mal lorsqu’il vint s’appuyer sur le comptoir en face d’elle. Son regard tomba (encore) sur la bague à son annulaire et Islene retint un virulent roulement d’yeux face à ce coup d’œil malvenu. Fine, we get it: you’re into married people. ”I suppose I’m in a good mood tonight.” Il relâcha enfin sa bague du regard – il semblait avoir incorporé que oui, elle était toujours mariée, et que non, la taille de son diamant n’avait pas réduit, depuis la dernière fois. ”It’s not every night we’ve got such pleasant customers.” Islene s’écarta de quelques centimètres lorsqu’il envoya le shaker au-dessus de son verre (il lui était déjà arrivé de manquer de se prendre une bouteille ensorcelée, un soir au bar), retrouvant le regard de Gabe et son insupportable sourire qui l’avait harponnée, quelques mois plus tôt – elle avait alors couché avec lui en toute conscience, rassurée, au contraire, qu’il soit un sorcier volage, sûrement foncièrement imbuvable, qui lui aurait porté sur les nerfs à la longue. La garantie que ni lui, ni elle ne voulait donner suite à cet écart . ”That’s what I would say to my customers every night too,” susurra-t-elle avant que son attention ne soit détournée par la voix à côté d’eux, lui donnant la main par défaut pour ce tour.

Islene se tut pour mieux profiter de l’altercation de Gabe avec ce qui devait, logiquement, être son employé – le ton et le sourire mielleux avaient disparu au profit d’une voix sèche et de traits durs, un éclat de violence offert aux yeux attentifs de la sorcière qui savait encore reconnaître l’un de ses semblables. De là à dire qu’ils avaient autre chose en commun, néanmoins… Il lui revint avec un nouveau sourire, comme s’il ne venait pas d’insulter (il n’y avait pas besoin de parler la langue pour comprendre ses inflexions froides) l’employé qui marmonnait désormais dans son coin : ”It’s on the house, from the fine piece of a Half-Blood.” Bien sûr, ses oreilles avaient traîné du côté de leur conversation – un manque de professionnalisme criant qui tira une expiration brève, oscillant entre mépris et moquerie, à Islene. ”I hope you’re aware this was her opinion, not mine,” préféra-t-elle préciser en repoussant son verre actuel pour prendre l’offrande de Gabe, insistant de son regard dans le sien, se gardant bien d’un merci qui n’avait pas exactement sa place dans ce bras de fer silencieux. Quitte à devoir souffrir ce bout de conversation qu’elle avait initiée, autant profiter de la générosité factice du sorcier. ”So, what is bringing you to the Black Cat? I remember you mentioning you’re not exactly the type to bar-hopping.”

S’il ne semblait pas avoir l’intention de se vanter publiquement de leur (très brève et insignifiante) histoire, il avait l’air déterminé à lui faire la conversation à grands renforts de fun facts qu’elle lui avait livrés (elle ne se rappelait, elle, pas lui avoir confié ce détail si évident qu’il en était stupide) – il ne restait que quelques minutes tout au plus jusqu’à ce que Patricia revienne, un fait qui la poussa à ne pas couper court à cette question banale à en mourir. ”This is just a quick drink – or two – nothing special really.” Islene se garda de préciser qu’elle n’était pas non plus le genre à se trouver un inconnu pour la nuit, désireuse de remettre les pendules à l’heure, et préféra plutôt porter son verre à ses lèvres, l’hydromel trop sucré abrutissant ses papilles dès la première gorgée (une sensation qu’elle détestait, mais qui en l’état actuel des choses, l’aidait à assourdir cette réalité trop crue pour elle). ”You have an awful lot of memory.” Which you use for very useless things too. Son regard avait retrouvé le sien, le compliment tourné en un semblant de moquerie par sa voix basse – elle ne pouvait s’empêcher de sortir (comme toujours) légèrement les griffes, agacée par son indécrottable sourire qu’elle aurait voulu arracher de ses propres mains.

tw:mention de drogue et de sexe

”This is just a quick drink – or two – nothing special really.” Sure, like last time, se retient de commenter Gabe, l’expiration amusée qui file d’entre ses lèvres étirées ne trompant néanmoins pas – il se tient derrière ce bar depuis suffisamment longtemps (et en a fréquenté suffisamment lui-même, d’ailleurs) pour savoir que c’est ainsi que débute toute soirée, par un verre ou deux, avant d’enchaîner sur le troisième et de se laisser porter, que l’on soit du genre à sortir régulièrement ou non. Mais, encore une fois, il se garde bien de toute remarque à ce propos, curieux de voir si Islene se contentera en effet d’un verre ou deux, ou si, comme la dernière fois qu’ils se sont croisés, elle se laissera tenter par le troisième qu’il lui offrira peut-être (si l’occasion se présente, et s’il s’ennuie assez ce moment-là pour être d’humeur joueuse). Toujours est-il qu’elle semble au moins accepter celui-ci, et Gabe la regarde prendre une première gorgée en s’appuyant de nouveau sur le comptoir, bien décidé à rester quelques instants supplémentaires, sûrement jusqu’à ce que l’autre sorcière revienne, histoire de passer le temps et de rendre sa soirée ennuyeuse un peu plus intéressante.

Il est loin d’être stupide, et est surtout suffisamment rôdé à l’exercice pour comprendre que sa présence n’est pas des plus plaisantes pour Islene, pour ne pas dire qu’elle est tombée sur lui comme une mauvaise surprise, et qu’elle ne se plaindrait probablement pas s’il allait enquiquiner un.e autre client.e qu’elle. Gaon ne s’attend à rien, encore moins à obtenir quoi que ce soit d’elle ce soir (encore moins alors qu’elle est accompagnée) ; mais il est sur son territoire, pour ne pas dire dans son semblant de royaume, et il se distrait comme il l’entend – et le moins que l’on puisse dire est que le regard désabusé que lui offre la sorcière est franchement distrayant. ”You have an awful lot of memory”, commente Islene, et une nouvelle expiration échappe à Gabe, plissant légèrement ses yeux noirs alors qu’il hoche la tête. ”I get that a lot.” Non, pas spécialement, même si sa mémoire est tout à fait correcte (bien que parfois entamée par les vapeurs qu’il inhale à longueur de journées et de soirées), mais il ne rechigne jamais face à un compliment, même s’il lui semble qu’il n’en s’agissait pas exactement d’un dans la bouche moqueuse de la sorcière. ”I’m sure you do too”, ajoute-t-il dans un sourire en coin, sur un ton équivoque, même si le sous-entendu est on ne peut plus clair. Il ne se rappelle peut-être pas de tous les détails, mais maintenant qu’il a son visage sous les yeux, Gabe peut revoir quelques bribes – ses formes sous ses mains, son corps vibrant contre le sien, ses gémissements à son oreille, ses pupilles luisantes de plaisir, autant d’images qui, il en a l’assurance (pour ne pas dire la prétention), doivent défiler de la même façon dans l’esprit d’Islene en ce moment même.

Son regard se tourne brièvement en direction des toilettes, s’attendant à voir à tout moment l’autre sorcière en sortir et venir interrompre cette brève conversation ; alors il profite qu’elle soit encore hors de vue pour revenir à l’objet de son attention. ”And I remember one thing, you didn’t look as bored last time we had drink as you are tonight when talking with your friend.” Gabe se tient à la frontière de l’impolitesse en parfaite conscience – peu importe, il s’amuse, et il s’en remettra certainement si Islene s’en offusque. Et il faut bien reconnaître que son amie a l’air d’être un insupportable moulin à paroles aspirant l’air autour d’elle. ”If she’s not enough of a distraction, just know the real drinks are being served after opening hours.” Quand les portes du Black Cat sont verrouillées et qu’il ne reste plus aucun client, si ce n’est celleux que Gabe sélectionne lui-même, une invitation ouverte qu’il lui offre dans un nouveau sourire, qui n’attend ni de réponse, ni à être nécessairement saisie : Islene en fera bien ce qu’elle souhaite.

tw: consommation d'alcool

Gabe ressemblait à un chatouillis constant, increvable, d’autant plus urticant après avoir été gratté pour s’en débarrasser. Insupportable. La patience n’avait jamais été la qualité première d’Islene ; elle était d’autant plus réduite à néant devant un spécimen comme le barman, qu’elle se fustigeait d’avoir pu trouver séduisant quelques mois plus tôt. Quelle idiote. ”I get that a lot.” Mais encore ? ”I’m sure you do too.” Les ongles d’Islene se crispèrent sur le pied de son verre, hérissée par les deux fossettes que le sourire du Gabe creusaient dans ses joues. Les souvenirs de cet autre temps était encore vifs, presque aigu – si elle avait lancé une accroche la première, cela ne signifiait pas pour autant qu’elle souhaitait être rappelée à cette soirée douloureuse, où elle avait pansé ses plaies avec ce parfait inconnu, aussi peu dérouté par l’alliance à son doigt ou par ses piques venimeuses qu’il semblait l’être ce soir. Islene n’était pas sûre de savoir s’il s’agissait là d’une forme de résilience ou d’une bêtise prononcée ; il avait soudain l’air moins attrayant, dans sa tenue de simple manager, qu’il avait pu l’être quelque mois plus tôt dans un costume de qualité.

Islene détourna le regard lorsque celui de Gabe coula jusqu’à la porte des toilettes, l’expression de son désintérêt naissant envers lui. Lui parler avait été une regrettable erreur – le chatouillis à l’intérieur de son crâne menaçait de s’étendre dans l’aura bouffie d’orgueil du sorcier (un orgueil qu’elle avait confondu alors avec du charme, à n’en pas douter), et ce fut avec réticence que son regard clair revint se ficher dans les pupilles pétillantes du manager. ”And I remember one thing, you didn’t look as bored last time we had drink as you are tonight when talking with your friend.” Oh please. Islene eut un reniflement oscillant entre moquerie et mépris devant ce sous-entendu explicite. Croyait-il qu’elle allait glousser de contentement devant cette remarque stupide ? Elle était la seconde et première fille d’une fratrie de cinq : de quoi forger une répartie vive et piquante, parfois cruelle, souvent injuste, et ce en dépit de la nuit sans accroc qu’elle avait pu passer en sa compagnie. "We all have our ups and downs, I was apparently in better shape to pretend last time." Elle sonda une pupille, puis l’autre ; bien sûr, l’insupportable lueur-chatouillis ne s’était pas éteinte, flambant au contraire sous ces mots échangés à demi-voix, sous le couvert de la musique d’ambiance et des cliquetis de la vaisselle côté salle. ”If she’s not enough of a distraction, just know the real drinks are being served after opening hours.”

Les lèvres d’Islene s’ourlèrent d’une ombre de sourire, sans se cacher de la nature forcée de ce dernier : thank you, but no thank you. "I’ll think about it", fit-elle avant de noyer cet agacement familier d’une nouvelle gorgée de son verre. L’un comme l’autre saurait pertinemment qu’elle ne mettrait pas les pieds au Black Cat une fois la devanture abaissée, ou qu’elle ne remettrait, de fait, pas les pieds tout court dans le fief de cette histoire d’un soir qu’elle ne voulait pas voir se réitérer. "How could you get one of these without me?" Islene tourna les yeux vers une Patricia à l’air faussement contrariée, pour mieux repousser le verre sur le comptoir, un geste pour le moins symbolique après la brève conversation qu’elle avait pu tenir avec l’autre imbécile. "It’s not that good anyway," commença-t-elle avant de se redresser, fronçant légèrement les sourcils devant sa partenaire. "It’s been ages since we last went to The Hopper, isn’t it?" "Because you didn’t show up for months, may I remind you." Islene leva gentiment les yeux au ciel, son enthousiasme mystérieusement ravivé, avant de glisser au sol pour récupérer ses affaires. Patricia la stoppa d’une main, une fois qu’elle eut passé son manteau. "This one’s on me." Le regard de Lean coula brièvement de l’autre côté du comptoir, tandis que Patricia réglait la note à la caisse – elle détourna les yeux après s’être assurée qu’on avait remarqué son brusque départ, définitif, et offrit un sourire à Patricia sur le chemin de la sortie, ravie d’échapper à ce mauvais souvenir tout droit sorti du passé.