Va prendre l’air, je serais encore là à ton retour. C’étaient les derniers mots qu’Unathi avait prononcé avant qu’il ne franchisse la porte, après un baiser porté à sa bien-aimée. Il n’était pas vraiment serein de la laisser seule – depuis quasiment quatre ans, il ne quittait quasiment pas son chevet. Mais une de ses amies venait lui tenir compagnie pour la journée. Elle avait prétexté une journée entre filles, trouvant des excuses pour forcer Wilfred à s’occuper de lui-même et prendre l’air.

Sa sœur était revenue sur le sol sud-africain au début du mois, s’installant à Cape Town avec sa fille, Olympe. Elle faisait partie des rares personnes avec qui ils avaient gardé contact dans leurs familles respectives. Et même si elle avait protesté au début, elle avait tout de même respecté le choix de Wilfred à se tenir éloigné de leurs parents.

Wilfred avait toujours fait l’effort d’être présent dans la vie de sa nièce. Il n’était bien évidemment pas là à chaque événement, mais il avait toujours pris soin d’envoyer des lettres et des cadeaux aux événements importants – choisissant toujours des choses qui pouvaient plaire à sa nièce et que sa sœur lui conseillait de prendre. Il était heureux de les savoir plus proches, malgré les conditions peu avenantes. Entre Unathi et sa maladie, le divorce de sa sœur et la dépression d’Olympe, il y avait bien peu de choses de se réjouir.

Elle lui avait parlé des quelques soucis de sa fille, sans rentrer réellement dans les détails. Juste un mal-être de l’adolescente qui s’était étendu au point ou rester en Angleterre n’était plus possible. Elle rejoindrait l’Andriama Institute à la rentrée. Somme toute, une école d’une bonne qualité – après tout, Wilfred s’en était plutôt bien sorti dans la vie. Mais il se doutait que tous ses changements devaient quelque peu peser sur la conscience de sa nièce.

Il lui avait proposé de se promener un peu dans Cape Town. C’était une ville très agréable, l’enclave sorcière était de toute beauté, très colorée. Et Wilfred, même s’il n’y vivait plus depuis des années, connaissait encore l’endroit comme sa poche. Ils pouvaient aller, là où elle le désirait.

Il faisait assez frais, pour un mois d’août. Rien de surprenant en plein hiver en ville côtière, il avait été contraint de sortir une petite veste légère, mais pour Olympe les températures seraient sûrement agréables en comparaison de la météo britannique - lui était quelque peu frileux. Les mains dans les poches, il observait les passants et badauds. La vie citadine ne lui manquait pas, mais l’ambiance qu’il pouvait y avoir dans cette ville avait toujours ce petit quelque chose de spécial qui lui allait droit au cœur. Il se revoyait dans ses rues, marchant avec Unathi lorsqu’ils étaient plus jeunes, insouciants.

Il s’était perdu dans ses pensées, revenant à la réalité à la vision d’une petite tête blonde qu’il aurait reconnu entre toutes, malgré les années passées. Il avait levé le bras, essayant d’attirer son attention avant de se rapprocher d’elle. « Olympe ! Ça fait plaisir de te voir. » Il avait tendu ses bras pour venir la serrer dans une accolade. « Comment vas-tu ? L’Afrique du Sud te plaît ? » Un sourire avait étiré ses lèvres l’observant avec un peu d’attention. Qu’est-ce qu’elle avait grandit bon sang ! Il ne l’avait pas vu depuis au moins trois ou quatre ans et la voilà qui devenait déjà une jeune femme.

« On a un peu de chance aujourd’hui, même s’il fait frais, le soleil est au rendez-vous ! » Il frotte ses mains l’une contre l’autre. Si un coin de sa tête restait fixé sur le devenir de Unathi, il se forçait à revêtir une façade joyeuse, un sourire aux lèvres, pour ne pas inquiéter plus qu’il ne le fallait sa filleule.

S’il ne connaissait pas par cœur sa nièce, il savait au moins reconnaître quand le moral n’était pas au plus haut. Il avait connu une jeune fille pleine d’énergie, pleine de bonne humeur. C’était une pâle copie qu’il avait là, face à une jeune femme qui semblait si perdue qu’il en avait le cœur qui se serrait. Elle semblait simplement éteinte, une lueur absente dans son regard. Et il se savait impuissant face à cela : il n’avait aucune formule magique pour régler tous ses problèmes – Merlin sait qu’il l’aurait déjà utilisé ; il pouvait simplement tenter d’apporter un peu de couleurs dans sa journée.

Il refusait de se laisser surprendre par la jeune femme, elle n’avait pas besoin de sa pitié ni de sa tristesse. Ni besoin de se changer les idées, pour être honnête. Il lui faudrait du temps pour se faire à l’idée qu’une partie de sa vie avait été battis sur un triste mensonge, dont personne ne pouvait être blâmé.

Wilfred n’avait pas été aussi atteint par la nouvelle de leur sang que sa sœur et sa famille. Après tout, il ne vivait pas sur le sol britannique et n’y avait jamais apporté une grande importance. Tout au plus, cela avait été un poids : le poids de devoir le transmettre à une génération suivante. Un poids qui leur avait été retiré voilà des années : Unathi et lui ne pouvaient avoir d’enfant.

Il ne pouvait imaginer ce que cela provoquait chez une enfant de 16 ans, sur qui tout cela avait été envoyé en pleine face. Pas surprenant qu’ils aient décidé de l’envoyer loin de tout.

Il avait doucement souri à l’évocation de la maison : il se souvenait l’avoir visité avant leur arrivée : histoire de vérifier que tout était conforme et en parfait état pour les recevoir. La maison était bien plus grande que la sienne – trop grande, avait-il pensé, pour deux personnes. Mais il était vrai qu’elle avait un certain charme. Il était impatient de voir ce qu’elles en feraient au cours des mois à venir.

La crème solaire était un indispensable dont même Wilfred ne pouvait parfois se passer. Sa peau s’était habituée après toutes ses années, mais il se doutait que la consommation de la petite tête blonde allait exploser le plafond.« Je vois ça ! Tu as raison, les températures sont peut-être basses, mais le soleil est assassin par ici. » Un sourire s’était étiré sur ses lèvres.

« Tu as vu maman ? »


« On s’est très rapidement croisé. » Ils n’avaient pas vraiment eu le temps de se poser entre frères et sœurs. Pas même le temps de boire un café. « On espérait faire un repas dans les semaines à venir. » Ils avaient juste à se décider sur la date et le lieu – Difficile de bouger sur de longues distances avec les problèmes médicaux de sa femme, mais ils trouveraient bien un arrangement. Et puis, ils auraient probablement besoin de discuter un peu plus en profondeur – un divorce ne devait pas être nécessairement la chose la plus simple à gérer, entre les émotions et le bien-être de sa fille.

Il claqua ses mains l’une dans l’autre. « Tu veux commencer quelque part en particulier ? » Un air amusé « Parce que sinon, il y a une super petit café pas très loin d’ici, leurs pâtisseries sont à tomber par terre. On peut s’y installer le temps de commencer la journée tranquillement, si ça te dit ?  » C’était à quelques centaines de mètres de là, et ils avaient une formidable réputation. Ils pouvaient se poser un instant, prendre des forces avant leur début de journée, discuter un petit peu et se remettre en route dans les rues de Cape Town après. Ils avaient, après tout, toute la journée devant eux pour se prélasser devant la beauté de la ville à moitié sorcière.