Je pousse un soupir de soulagement en voyant la station-service se profiler à l'horizon, rassuré à l'idée de savoir que la carte de la région "empruntée" à la Fawkes avait bien raison. En temps normal, je me sentirai un peu plus coupable d'avoir fait beaucoup "d'emprunts" avant notre départ, mais ce ne sont pas des temps normaux.
J'étais à la Fawkes pour visiter Mendo quand le message nous est parvenu que les planques étaient tenues de fermer leurs portes, suite à l'effondrement du réseau téléphonique, et je n'avais pas été en mesure de retourner à Sweet River. À ma grande surprise, je m'étais habituée à Gabriel et Winston, malgré le caractère exubérant de ce dernier et sa récente transformation, et bien qu'on me l'ait offert, j'avais renoncé à revenir vivre à la Fawkes. Trop de monde, trop de magies différentes, de gens qui vont et qui viennent... Même la présence de Mendo, et la gentillesse de Johannes n'ont pas réussi à rendre cet endroit supportable pour moi.

Si bien qu'après six jours de confinement, j'avais fini par faire une crise. On m'avait ramassé à la petite cuillère et j'avais été le premier surpris de trouver Mendo à mon chevet à l'infirmerie, avec Cam non loin. Malgré nos nombreuses interactions, nous nous connaissions mal: la plupart de nos discussions étaient silencieuses, se réduisant généralement à un échange de briquet et des caresses à temps différé sur le dos de Mendo. Malgré ça, je l'aimais bien.
J'avais été le premier surpris qu'on se mette à parler de ce confinement, et je lui avais dit que j'en avais marre et que j'avais envie de partir. Quand, après un long silence, Cam m'avait répondu qu'elle aussi, j'avais tout de suite su qu'on allait enfin trouver un autre terrain d'entente que mon cher Fléreur.

"We can buy snacks here," je dis à mi-voix à Cam alors qu'on s'approche du Shell, plongeant la main dans ma poche pour en ressortir un autre "emprunt" récent. J'en sors quelques billets froissés et un assortiment de pièces de toutes les couleurs. Je tends la main vers elle, mais pas trop. Cam a l'air d'avoir la peau douce (ce qui est acceptable) mais j'ai aussi remarqué qu'elle tressaillait à chaque fois que je faisais un mouvement dans sa direction. "I think you'll be better than me with muggle money. How about you get us some stuff while I look for a ride for us?" D'un oeil expert (ou plutôt, tentant de l'être) je darde le parking où attendent quelques voitures moldues à la recherche d'une cible. L'idée était de se faire prendre en stop pour rejoindre la ville la plus proche et prendre le train et aller... quelque part.
Le retour à Londres était impossible. Mais j'avais un ami habitant Cardiff - une connaissance de Hogwarts - qui accepterait peut-être de nous loger pendant quelques temps et ensuite...
Je ne pensais pas à l'ensuite. Je voulais simplement mettre le plus de kilomètres entre moi et l'ambiance étouffante de la Fawkes.

"Mendo doesn't want snacks," je dis à haute-voix et je sens mon Fléreur s'agiter dans mon sac à dos, jusqu'à en sortir sa tête flêtrie par l'ouverture d'un air prodigieusement agacé. "LYING!" Il supporte de mieux en mieux ma présence et mon odeur et pendant un instant, c'est tout comme avant. Je souris malgré moi avant de reposer mon regard sur Cam. "Snacks for Mendo too, then." Je fronce les sourcils en posant ma main libre sur ma baguette à ma ceinture. "Would you prefer I come with you inside?" je lui demande en serrant les dents, déjà agacé par le grésillement de appareils électriques et le reste.

Sometimes the only way to find yourself is to get lost. Jax lui a dit ça un soir alors qu’ils campaient après une attaque des zombies-truc-feri et Cam utilise cette phrase pour se persuader qu’elle n’est pas en train de faire une grosse erreur. Jax pourtant serait le premier déçu en apprenant qu’elle a quitté la sécurité de la Fawkes pour s’enfuir avec un jeune homme et son fléreur en plein confinement. Cam n’ose même pas imaginer la réaction de Mcgonagall ou Runcorn… Mais c’était plus possible. Depuis que le lieu avait fermé ses portes et interdit toute sortie, Cam n’arrivait plus à respirer ; elle passait son temps à se gratter les bras et à vouloir par moment s’arracher les cordes vocales tant ses raclements s’étaient aggravés et sa gorge lui donnait l’impression de se refermer à intervalle régulier. Elle était pas loin de faire une attaque de panique et sans la présence de Mendo, cela aurait été inévitable. Puis, Caliban avait craqué et elle était pas loin de lui quand il s’était réveillé et il lui avait proposé de partir et elle a dit oui parce qu’il semblait comprendre sa claustrophobie et ressentir quelque chose de similaire. Cam en avait un peu marre d’être traitée comme une gamine alors qu’elle était majeure et avait donc décidé de le suivre dans sa fugue. Pour se libérer un peu, et se détruire aussi, pour le protéger parce qu’elle ne l’imaginait pas seul sur les routes et pour rester proche de Mendo.

Un mélange bien incompréhensible de raisons qui expliquent pourquoi Cam observe cette station-service en soufflant sur ses mains rafraîchies par le temps automnale, la tête dissimulée sous la capuche de son énorme sweat, un sac à dos avec quelques bricoles essentielles accroché à son épaule droite. Accompagnée d’un chat qui parle - certes un seul mot - et de Caliban. Le plan est simple : prendre de quoi manger, trouver une voiture et filer au loin sans jamais se retourner.

Dès qu’elle a mis un pied en dehors de la Fawkes, Cam a su qu’elle faisait une énorme connerie. Quitter un lieu où elle était en sécurité et des gens qui tentaient de l’aider, laisser derrière elle l’opportunité d’apprendre à se transformer ou à se saisir de sa magie, il fallait être idiote pour croire que c’était la solution. Mais depuis qu’elle a mis un pied en dehors de la Fawkes, Cam respire et sa voix ne s'enraye pas (bien que Caliban et elle n’échangent pas des milliers de mots) et même si c’est que pour quelques heures ou quelques jours, c’est toujours ça de pris.

t’façons, il est trop tard pour faire demi-tour et Cal lui tend de l’argent en lui proposant d’acheter à manger. "I think you'll be better than me with muggle money. How about you get us some stuff while I look for a ride for us?" Il a raison, elle a plus souvent utilisé de l’argent moldu que sorcier. “Sure, what do you want?” demande-t-elle en attrapant les billets et les ajoutant à son maigre butin d’avant la Fawkes. “Mendo doesn’t want snacks.” Dit-il avant d’être presque interrompu par le fléreur. Cam pouffe malgré elle. La relation entre Mendo et Caliban semble s’être améliorée ces derniers temps. “Would you prefer I come with you inside?” Alors que Cam s’apprêtait à partir, la question de son camarade de fugue l’interpelle. Elle sent la tension dans sa voix et dans ses muscles, se souvient de certaines de ses réactions par le passé. Ils ne parlent peut-être pas beaucoup quand ils se croisent mais Cam l’observe, beaucoup (Elle l’a même dessiné de mémoire il y a quelques soirs.), assez pour supposer qu’il ne serait pas à l’aise à l’intérieur de la station-service. Il y a pas l’air d’avoir grand monde et même si ça lui fout un peu les jetons, Cam peut se débrouiller. “Nah, if we split for a bit we’ll be faster. We can’t stay here for too long or someone will find us.” Intérieurement, Cam espère qu’on les cherche, que leur absence a été remarquée, qu’on s’inquiète pour eux - ce serait bien la première fois. “We’ll meet here in fifteen ‘kay?” Cam tapote la tête du fléreur pour se donner du courage avant de tourner les talons et s’engouffrer dans la boutique aux néons agressifs.

La mission est un succès et se déroule sans encombre, en moins de quinze minutes Cam les attend avec des canettes et des paquets de trucs à grignoter. Chips, sandwich, quelques fruits (on sait jamais). Cam attend contre un poteau, les bras croisés, un de ses pieds qui bat un rythme incessant sur le bitume. Elle attend et elle respire et elle regarde le ciel et tente de pas penser au passé, à d’autres fois où elle attendait et d’autre fois où elle était seule, et d’autres fois où … Elle utilise le conseil de Mcgonagall, fixe son attention sur une tache d’essence sur le sol qui reflète le ciel, sur le grésillement des néons, sur l’odeur du gaz qui s’évapore en chatouillant les narines, et enfin sur la capuche contre son visage qui est lourd et chaud contre ses oreilles. Cam recommence ensuite. Quand elle le voit revenir. “So, did you find our ride?” Cam ne sait pas trop si elle a envie de monter dans la voiture d’un.e inconnu.e. Mais elle le suivra où il voudra aller, ne voudrait pas qu’il la laisse en arrière et qu’elle se retrouve toute seule à nouveau.

“Nah, if we split for a bit we’ll be faster. We can’t stay here for too long or someone will find us.” Je pousse un soupir de soulagement impossible à retenir en hochant la tête d'un air sérieux - en écho, ma nuque se détend ainsi que quelques muscles de mon dos. Je n'aime pas les magasins, et encore moins quand ils sont moldus... leurs lumières trop brillantes me font mal aux yeux, sans compter leurs radios et leurs télés et leurs pubs. Je ne comprends pas l'obsession de certains sorciers avec tout ça. “We’ll meet here in fifteen ‘kay? - Okay. Can you get me Twizzlers if they have some?" je bredouille, retenant ma respiration quand elle s'approche de moi pour caresser rapidement Mendo avant de filer. Elle sent bon.

Alors que Cam va chercher de précieuses ressources à l'intérieur, je fais le tour de la station service à la recherche de quelqu'un que l'on pourrait soudoyer pour qu'il nous prenne en stop. C'est tellement une mauvaise idée... mais il faut qu'on bouge avant qu'on vienne nous chercher. Personne ne s'intéresse à moi, je doute qu'il y ait une horde sur nos pas. Avec un peu de chance, suite à la disparition du réseau téléphonique, même Elena n'a pas été prévenue. Je pense pas qu'elle serait contente de ce que je suis en train de faire.

Je m'allume une cigarette pour ne pas avoir l'air trop creepy en gardant un oeil sur les voitures. L'odeur de l'essence est un peu overwhelming, et je me force à respirer par la bouche. Il y a une famille qui a l'air en route pour des vacances, un couple qui s'engueule en regardant une carte, et un mec pressé dans son truck qui fume une cigarette en regardant le ciel. "This is a terrible idea," je marmonne sous ma respiration, et j'ignore la réponse, positive ou négative, de Mendo dans mon dos. Quand le mec qui a l'air pressé jette sa cigarette et s'éloigne de sa voiture pour aller pisser dans la forêt longeant la station-service, je lui emboîte le pas en durcissant mon coeur.

Quand je reviens vers le petit magasin, j'ai les jambes flageolantes, le coeur qui bat fort dans ma poitrine, et la tête qui tourne. “So, did you find our ride? - Yes, let's go." Je regarde autour de nous nerveusement et lui fait signe. Je tends la main pour attraper son coude puis la laisse retomber en faisant un signe de tête rapide en direction du truck. "I, uh, knocked out a muggle and took his keys," je marmonne en esquivant son regard, me mettant à marcher en direction de la voiture d'un pas rapide. "He'll be fine, it's just - we need to get out of here before..." Je déglutis et produit les clefs de ma poche, que je tends à Cam quand on arrive au niveau de la porte côté conducteur.

On se regarde pendant un instant. Elle a des beaux yeux mais j'ai l'impression qu'ils vont m'avaler tout entier, alors je regarde son cou. Elle doit vraiment avoir la peau douce. Elle sent bon, mais elle sent aussi l'angoisse. Je peux voir son pouls battre sous sa peau au niveau de sa carotide. "You... do know how to drive, right, Cam?"