Rien ne dépassait la douleur liée à la solitude. Rien ne pouvait être pire que de voir son père s’éloigner sous vos cris. N’être plus qu’une ombre, totalement détachée du corps. L’explosion aurait dû la tuer. La trahison aurait dû l’achever. Elle ne le sentait pas de toute façon ce grand type qui pétait plus haut que son cul. Comment Fenrir avait-il pu se faire duper ? Comment avait-il pu mettre les siens en danger ? Les pensées se bousculaient dans la minuscule caboche de la louve en miettes ; elle qui n’avait pas l’habitude de réfléchir, avait certainement choisi le pire moment pour le faire. Son entourage n’était plus qu’un gigantesque brasier ardent. Elle devait s’extirper de là mais elle n’avait pas la force de se mettre sur ses gambettes pour prendre la poudre d’escampette. Alors la sorcière tenta de se concentrer (là encore ce n’était pas dans sa nature), faire travailler ses méninges pour transplaner au plus vite, hors de ce chaos. L’instinct de survie la fit atterrir en pleine forêt, volontairement près d’un cours d’eau pour calmer sa soif et ses brûlures. Hoshi plongea sa main droite dans l’eau fraîche et finit par tomber dans les pommes.

Elle ne savait pas exactement combien de fois elle s’était évanouie : un coup la peur, un coup la douleur, un coup la solitude. Il y avait alors plusieurs jours que la gamine gisait sur le sol de cette immense massif forestier. Elle n’ouvrait pas les yeux. Elle ne voulait pas voir ce qui se trouvait autour d’elle. Elle ne voulait pas non plus constater que son avant-bras gauche avait été arraché pendant l’explosion. Tantôt elle pensait à Fenrir, tantôt elle pensait à Satan : avait-il survécu ? Puis Vasco. Vasco qu’elle appelait de ses lèvres gercées et ouvertes. Elle n’attendait qu’une seule chose : qu’il vienne la trouver mais il y avait peu d’espoir.
La coréenne s’était toujours imaginée crever d’une overdose ou d’un panneau de son s’écroulant sur sa face en plein concert. Elle voulait une mort rock n roll, spectaculaire, devant des milliers de personnes ou au moins des dizaines vu sa quotte de popularité. Tout mais pas s’éteindre seule. Gy lui avait déjà fait comprendre que sa dévotion envers l’alpha allait la perdre. Mais comment aurait-elle pu faire autrement ? Il était son père, et chaque pensée allait éternellement dans le sens du vieux Greyback.

Fish l’avait bien compris : Fen n’apportait avec lui que la mort et la destruction ; et maintenant c’était son tour.
Elle avait froid, elle avait faim, son corps brisé ne trouvait la force que de trembler sous l’humidité de son tapis de mousse. Son liner rose continuait de couler le long de ses joues et parfois la louve grognait quand il s’incrustait dans son œil. Ça piquait et ressentir cette douleur légère la rassurait et lui faisait oublier les vers qui commençaient à pulluler dans sa plaie.

Le cri de désespoir qu’elle entendit soudain de Gy la sortit de sa tranquillité mortuaire. Des jours qu’elle se laissait guider par les sons de la forêt et voilà maintenant qu’elle perdait la tête. Mais l’odeur ne trompait pas. La clope froide et la sueur parvinrent à ses narines qui ne reniflaient que la charogne depuis son transplanage. Miss chiwa aurait eu envie de se lever et de courir vers l’halfer mais elle ne pouvait pas bouger un centimètre de peau sans avoir envie de couiner de douleur.
La jeune fille hurla sa peine quand Vasco la souleva pour la serrer contre lui. Elle enfonça sa tête contre son survêtement et le tâcha d’un mélange de fond de teint, de morve et de sang. Ses pleurs s’enfouissaient dans le nylon. Elle ne réalisait pas encore qu’il était là, qu’il l’avait entendue et qu’il l’avait trouvée. Elle aussi elle crut qu’elle était morte. Mais c’était une dure à cuire.

Pour la première fois depuis son échouement, la coréenne ouvrit les yeux. Ses mirettes la brûlaient et elle se concentra sur la terre sombre qui lui faisait moins mal aux yeux. Elle ne se rendait même plus compte qu’elle pleurait. Ses joues étaient anesthésiées à cause du froid. gelée. répéta la gamine qui, volontairement ne regardait pas ses bras. sors moi de là. qu’il l’emmène. Partout sauf au camp. Elle n’était pas prête à réaffronter tout ça. Elle voulait seulement rester avec Gy et qu’ils se sauvent de ce merdier.

Quand la louve ouvrit les yeux, elle espérait ne plus se souvenir de tout ce qui s’était passé. Elle aurait voulu ne plus ressentir la douleur d’avoir été mutilée et abandonnée de la sorte pour une cause qui n’avait été la sienne que parce que Fenrir en avait décidé ainsi. Elle revit l’explosion, les appels à son père vains et enfin la solitude qu’elle avait ressenti instantanément. Elle savait bien que, ce qui était le plus douloureux, dans l’immédiat était la partie de son bras qui avait sauté en même temps que la bâtisse. Mais le mal qui lui durerait était bien différent et bien plus profond que ça. Il avait un nom et même un visage. Heureusement pour Hoshi, son exutoire aussi. Elle tenta une unique fois de se redresser sur ses coudes, et quand elle constata qu’elle n’avait plus qu’un moignon à un côté, elle laissa tomber et s’assit en tailleur dans le lit, refusant catégoriquement de jeter un coup d’œil à son bras meurtri. Son attention se porta sur l’homme qui était allongé au bout du pieu, comme un chien qui guette un malade. Elle sourit, faiblement. Elle n’avait pas la force, ni même la volonté de trouver ça romantique ou mignon. Sa douceur et sa niaiserie semblaient l’avoir quittée, et elle priait pour qu’elles ne tardent pas trop à revenir.

Le silence qui régnait dans la pièce fut lourd de sens. Les yeux de la coréenne se baladèrent un moment dans la chambre. Elle constata des posters douteux, une décoration plus que vieillotte et une odeur plus que louche. Hoshi n’avait pas d’hésitation sur l’endroit où elle se trouvait. Tout ce décor n’était pas si différent de la caravane de Gy, mis à part le fait que cette chambre-ci était bien plus propre et ne sentait pas la weed séchée. La louve tapota doucement la tête de Vasco qui s’était assoupi à ses pieds. Une fois qu’il eut ouvert, lui aussi, ses mirettes, Hoshi essaya de redevenir le moulin à paroles qu’elle avait l’habitude d’être, pour se retrouver elle-même et redécouvrir un semblant de normalité. Merci. commença-t-elle par lui lancer. C’est pas beau à voir n’est-ce pas ? elle brisa aussitôt le tabou en exposant sa blessure et finalement sauta du lit pour se balader dans la pièce. Au loin, elle entendit les poules et ce simple bruit la fit sourire brièvement. Alors nous y voilà. C’est comme ça que je vais rencontrer mes futurs beaux-parents ? tenta-t-elle de plaisanter avant de laisser planer un nouveau silence brisé par les sanglots qu’elle ne pouvait plus retenir.

Hoshi vint trouver refuge auprès de Vasco qui était visiblement encore en train d’émerger et laissa ses larmes inonder son sweatshirt fatigué du voyage. Je suis finie. elle n’avait pas ressenti une telle humiliation depuis qu’elle s’était faite sortir de la célébrité un grand coup de pompe dans le cul. J’ai besoin d’une douche. finit-elle par conclure, incohérente, déboussolée, désorientée.