Après la pluie, vient le beau temps. Après la brume, vient le soleil.

C'est ce genre de phrase bateau qu'on entend depuis qu'on est enfant. Paroles toutes faites, dont les mots finissent par perdre tout sens à force d'être martelés. Ta mère te répétait sans cesse ce genre de mensonges, quand tu étais triste ou seule. "Après la nuit, vient le jour ma luciole". Aujourd'hui alors que la luciole ressemble davantage à un papillon aux ailes brisées, tu ne crois plus en les paroles de ta mère. Après la pluie, vient l'orage. Qui déchire le ciel de ses éclairs agressifs, qui cache la lumière derrière d'étouffants nuages. Depuis que vous êtes revenus à Dagobah, tu as le sentiment d'errer dans la nuit. Hantée par les fantômes qui profitent de la pénombre pour te tourmenter. Les flashs de ce que tu as vu là-bas ne cessent de revenir, encore et encore. Les prisonniers, amaigris et effrayés. Les sortilèges qui se croisent et explosent. Les cris, la peur. La mort.

Tu ne cesses de te refaire le film de ce qui s'est passé. De ce qui aurait pu être évité. De ce que tu aurais pu éviter. Autant de questions qui te taraudent. Si bien que depuis, tu n'as de cesse de t'entraîner, sans relâche. Pour qu'il n'y ait plus de failles. Pour ne pas échouer. Tous les matins, c'est la même rengaine : Tu te lèves aux aurores puis tu vas courir autour du campement. Pour te ressourcer dans l'effort et pour que ton corps ne te fasse pas défaut. Ensuite, tu t'exerces. Ces sessions d'entrainement te rappellent ton apprentissage. Ces heures passées à pratiquer la magie, la filature, l'attaque ou la défense avec ton mentor. À l'époque, tu voulais devenir auror, pour faire le bien à l'image des super-héroïnes qui te faisaient rêver. C'était un autre temps, où brillait encore le soleil.

Outre tes entraînements quotidiens, tu essayes aussi d'aider tes camarades à se perfectionner. Transmettre ton savoir, pour leur propre sécurité et pour ta propre rédemption. Quitte à avoir trahi, autant que les compétences acquises servent à quelque chose ! Ce matin, tu as donc prévu une session d'entraînement pour Kad. Le jeune homme a beaucoup progressé, et vos heures passées à vous exercer ont portées leurs fruits. Cependant, tu avais eu envie de renforcer son entraînement : Pour lui changer les idées, pour aller vers le mieux. Puis, il y a aussi ce sentiment qui s'attache à toi comme la chaîne qui alourdi la cheville du prisonnier. Cette culpabilité qui te ronge à chaque heure qu'offre une journée. Celle qui émane de ce à quoi tu as participé, de ce que tu aurais pu devenir. Tu compenses, pour sûr. Voulant faire le bien de manière exacerbée pour contrebalancer tes regrets. Mais qu'importe, cela ne regarde que toi.

Tu as préparé une session pour Kad. Aujourd'hui, tu as envie de perfectionner sa vitesse. Le nerf de la guerre. Il s'en sort bien, mais comme tout à chacun, il peut progresser. Quand il arrive, l'accueille d'un sourire chaleureux. Puis, dans une langue des signes que tu espères compréhensible, tu le salue.

« Salut Kad, bien dormi ? » La question est banale, et somme toute stupide, tu as l'impression que le sommeil a quitté le camp depuis Gracefield. Comment dormir avec les fantômes qui hantent vos rêves ? Tu aurais préféré ce bon vieux Peeves. Lui au moins avait de l'humour. Tu changes donc de sujet, un peu trop précipitamment. « Aujourd'hui, on va travailler la vitesse. C'est un exercice que mon mentor m'avait fait pratiqué à l'époque. » Quand, rêveuse et idéaliste tu avais cru pouvoir sauver le monde. Alors que tu as participé à sa chute. « C'était il y a très longtemps. Bien avant ... tout ça. » Et pendant, d'Auror, tu es devenue Handler. Par facilité. Quel gâchis. Cela te hantera toujours.

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Kad n'est pas un soldat. Il n'en a ni l'étoffe, ni l'entraînement, ni les valeurs. Il n'a jamais cherché à l'être du reste, bien plus à l'aise derrière des tables emplies de livres et de cartes et de parchemins. Ou d'objets en tout genre. Outre le fait qu'il n'a jamais été le plus doué dans les sorts offensifs, il a eu beaucoup de difficultés plus jeune à renforcer d'autres atouts pour palier à sa surdité lors des duels et n'a jamais été assez porté sur l'action pour s'y intéresser.

Jusqu'à la disparition de sa famille et Tony, jusqu'à ce qu'ils forment les Avengers parce qu'ils ne pouvaient compter que sur eux. Et d'autant plus maintenant que Gracefield a eu lieu. Kad s'est senti complètement inutile durant cette mission, pas assez préparé, incapable presque de bouger - il se laissait guider à droite et à gauche par les autres en autopilote, comme si son cerveau n'arrivait plus à envoyer de simples ordres au reste de son corps.

C'est pour cette raison qu'il accepte toutes les séances d'entraînement que peut bien lui proposer Norah. S'il y a une personne sur laquelle se reposer pour ce genre d'exercices c'est elle. Et Tony aussi. Le fait est que Kad n'a pas trop envie d'être seul ces temps-ci, seul avec lui-même et ses pensées. Seul avec ses doutes. Ils doivent préparer la prochaine action - quelle qu'elle soit - et cela ne peut plus se restreindre simplement à des formules alchimiques ou des runes.

Quand il arrive devant elle, Kad lui sourit légèrement en évitant de répondre directement à sa question, car non il n'a pas bien dormi. Son esprit fuse dans tous les sens chaque fois que son corps s'affaisse sur le lit même alors que quelques minutes plus tôt il se sentait exténué. Foutu cerveau. "On fait aller. Et toi ? Qu'est-ce que tu nous as prévu de beau pour aujourd'hui" Norah lui parle de vitesse et Kad acquiesce de la tête. Ce n'est pas comme s'il allait refuser de toutes façons. Toutefois, quelque chose retient son attention, une pause dans ses gestes et un brouillard dans son regard ; c'est plus fort que lui quand il demande timidement, ses mains formant la phrase presque timidement. Pas complètement une question, plutôt une invitation. "Tu m'as jamais parlé de ton mentor." On n'a jamais parlé d'avant. Sans se faire pressant, il lui laisse la possibilité de s'exprimer si elle le souhaite, ou bien de commencer l'entraînement. Ils pourront discuter plus tard.

Ce n'est pourtant jamais bon de remettre les choses à plus tard quand on ne sait pas s'il y en aura un.

Les yeux de Kad sont si intenses que tu as l'impression qu'ils pourraient te transpercer, lire dans tes pensées les plus intimes. Comme si ses prunelles compensaient le sens qu'il n'avait pas et avaient le pouvoir de regarder au-delà de ce que tous pouvaient voir. C'est ce que tu aimais chez Kad. Plus discret que ses camarades avengers, il n'est vraiment pas à sous-estimer. Sa bienveillance, son empathie et sa clairvoyance en faisant une personne précieuse au sein du groupe. Et tu étais fière de le compter parmi ceux que tu considérais comme ta famille. Un groupe disparate et hétéroclite. Vous êtes rarement d'accord, vous vous engueulez souvent, mais vous pouvez toujours compter les uns sur les autres. Et ça, c'est bien plus précieux que les gallions. Dans cette drôle de famille, tu as pris le rôle de maman sans vraiment le vouloir. En arrivant au sein des avengers, tu ne te sentais pas légitime vis à vis de ton passé. Et malgré tout, ces jeunes hommes et ces jeunes femmes se sont mis à compter sur toi. Et c'est le plus beau cadeau qu'ils aient pu te faire bien qu'il soit parfois lourd à porter. Avoir autant de personnes qui te font confiance, se reposent sur toi est autant gratifiant qu'effrayant. Tu te refuses à leur faire du tort, et tu n'hésites pas à tout donner pour eux, à te mettre de côté pour eux.

Kad est laconique et ne s'épand pas, et tu ne cherches pas à creuser. Tu ne veux pas le brusquer, s'il désire te parler il le fera. S'il ne souhaite pas, qu'il ne le fasse pas, tu le respectes. Tout comme lui respectera si tu ne t'ouvres pas à lui. Sa question te surprend, tu ne pensais pas que ça l'intéresserait. Si tu partages volontiers ton expérience via tes entraînements, il est rare que tu parles de la période où tu étais auror. Parce qu'aujourd'hui ça n'a plus le même sens, et surtout car c'est là que tout a commencé. Tu esquisses un sourire. À cette époque, tu étais une jeune femme idéaliste, tu voulais devenir la superhéroïne des histoires que tu lisais. Cette sorcière intrépide dont la baguette défendait la veuve et l'orphelin. Jamais tu n'aurais pu imaginer qu'en voulant sauver le monde, tu soutiendrais les villains. On ne lit pas ça dans les bandes dessinées animées qui ont bercées ton enfance.

« J'étais jeune à l'époque, et idéaliste. En empruntant cette voie j'imaginais sauver le monde des méchants comme les héroïnes des livres que je lisais. » Toujours ce besoin de se justifier tant tu n'assumes pas ce qui est arrivé. Tant tu te détestes pour ce que tu as fait. « J'étais impatiente aussi, et en commençant ma formation j'ai eu l'occasion d'avoir d'exellents enseignants, Johannes par exemple. Mais aussi Damon Mandrake. Il était un auror respecté et exigeant, le genre qui fait peur au premier abord. » C'était un homme grand, aux yeux perçants et au visage émacié. Un vétéran marqué par son passé qui ne laisse rien passer. Pour lui, l'erreur n'était pas acceptable, car en tant qu'auror une faute et c'est la mort assurée, ou l'échec de la mission, ce qui peut être pire encore. « Il m'a rapidement fait comprendre que ce t-n'était pas une voie facile et qu'il allait falloir m'endurcir. Ses exercices étaient durs, et avec le recul, je pense qu'il avait tellement souffert des choses horribles auquel il a été confronté qu'il voulait casser l'enthousiasme des nouvelles recrues. Ce n'était pas forcément la bonne méthode, mais c'est ainsi que j'ai été formée. Il était du genre à me faire recommencer un exercice autant de fois que nécessaire, quitte à y passer la nuit ... ce qui est déjà arrivé ! Il ne dévoilait que peu ses sentiments, si bien que j'avais toujours l'impression de ne pas être à la hauteur ! Pour autant, quand je suis devenue auror c'est bel et bien de la fierté que j'ai lu dans son regard. » Fierté rapidement envolée, quand quelques années plus tard il t'avait proposé de quitter ce ministère gangrené par les proches du lord et que tu avais décidé d'y rester devenant ainsi handler. « Je n'ai plus eu de nouvelles depuis son départ du ministère, je pense à vrai dire que nos chemins étaient trop éloignés à ce moment, il aurait préféré que j'agisse autrement. » Si seulement. « Il est mort aujourd'hui, tué par des handlers il y a plusieurs années ... »

Légère pause, puis tu secoues la tête comme pour remettre de l'ordre dans tes idées, cette culpabilité, tu la mérites ma fille. « Malgré ses qualités, il ne voyait que la force et je ne veux pas être comme lui. Je lui dois beaucoup, mais je ne veux pas reproduire ce qui aurait pu me briser, et si je peux être pour toi une sorte de mentor, ça ne doit pas être dans la souffrance. » Un léger sourire éclaire ton visage. Kad a beaucoup de qualités que Damon aurait été incapable de voir. « Tu n'es pas le plus rapide, ni le plus à l'aise en combat, mais surtout ne doute jamais de toi ni de la place que tu occupes parmi nous. Tu es quelqu'un de formidable, tout autant qu'un autre. Je sais qu'il y a des années, à ma place tu aurais fait le bon choix, et ça veut dire beaucoup Kad, ne l'oublie jamais. »

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Spoiler:

Norah lui raconte son histoire et Kad sent qu'il doit y prêter attention, c'est une partie d'elle que l'ancienne auror accepte de lui transmettre. Un bout de son passé. Ils ne passent pas beaucoup de temps ensemble d'habitude. Il y a beaucoup de monde chez les Avengers et beaucoup de choses à faire, on ne prend pas toujours le temps de se poser et Kad est plus souvent perdu dans ses livres que dans les histoires des autres. Pas qu'il s'en fiche, loin de là, mais il était mû par ce désir (ce besoin même) de retrouver sa famille et ça prennait parfois le pas sur les vivants, ceux qui étaient à ses côtés.

C'est comme si toute sa vie n'avait été qu'une grande quête. D'abord personnelle et intime puis familiale. Mais maintenant, il a le temps et l'énergie et l'attention qui peuvent se diriger plus entièrement vers les autres.

Norah lui raconte son histoire et des pièces du puzzle s'emboitent les unes aux autres. Le passé nous permet toujours de comprendre les gens après tout, comme l'Histoire nous permet de comprendre un pays et à plus grande échelle, notre monde. — Merci de me confier tout ça. Et pour ce que ça vaut, je suis content que tu ne sois pas comme lui, j'aurais pas tenu une journée avec un tel entraînement. Tu m'impressionnes ! Elle le complimente. Kad ne sait pas s'il aurait fait des choix différents à sa place parce qu'il n'aurait déjà pas pu se retrouver à sa place. Mais il comprend ce que Norah cherche à dire et ses traits s'assombrissent quand il voit toute la culpabilité qui déborde de ses propos. Tu sais, j'ai jamais vraiment eu l'impression que j'avais un choix à faire. J'ai toujours dû me battre et me défendre. Peut-être qu'à cause de ... ça, c'est devenu plus facile de faire le bon choix comme tu dis, parce que c'était vivre libre ou mourir. Kad ne se confie que rarement sur ces sujets qui le mettent mal à l'aise. Il n'est pas du genre à se confier tout court, mais son amie lui a accordé un peu de confiance et il veut lui rendre la pareille. Il passe une main contre sa nuque, se frotte doucement l'arrière du crâne avant de reprendre avec lenteur. Je trouve que c'est courageux de se retrouver dans ta situation et de reconnaître que tu as fait des erreurs et de vouloir changer les choses. Tout le monde n'y arrive pas.

Sinon, il n'y aurait pas la guerre. Il n'y aurait pas les fugitifs. Le monde n'est bien sûr pas aussi simple que blanc et noir, un manichéisme derrière lequel on se réfugie parce qu'on préfère se dire qu'on est dans le bon plutôt que reconnaître qu'on a eu tort. Rien que pour cela, Norah est plus forte et courageuse et digne qu'elle semble le penser.

Il lui sourit ensuite. Il ne sait pas ce qu'elle a dû faire, ce qu'elle a dû voir. N'a pas très envie de connaître les détails, Kad sait de toutes façons que cela ne changerait pas le regard qu'il porte sur elle. Parce que Norah se bat avec eux aujourd'hui et qu'elle fait partie des Avengers. Si tu deviens ma mentore, je serais le plus chanceux des padawan,  conclut-il. Avec une petite référence à une série de films que sa mère adore.

Elle lui manque parfois.
Mais elle est plus en sécurité là où elle, de cela Kad est certain.