Moon, Moon, Moon, Moon.

Comme une litanie gravée dans son esprit, Andrés répétait son nom, reconstituait son visage dans sa tête pour tenir. Partir s'exiler en France avait été une épreuve bien plus difficile qu'il ne l'aurait imaginé. Il a honte de penser ainsi, parce qu'après tout, il était bien au chaud, en sécurité dans sa paillotte où ce qui pouvait lui arriver de pire était d'ingérer du lait de coco avarié. Mais il était seul, déjà, seul avec ses doutes et l'incertitude que ses amis étaient bien vivants ou non. Ça le rongeait, il n'a pas supporté.

Alors il est rentré en Angleterre avec un objectif en tête : retrouver Nacho et Moon, où qu'ils soient, quoi qu'ils fassent, et s'assurer qu'ils aillent bien.

Jusqu'à présent, son retour en Angleterre s'est déroulé sans encombre. Il dirait même qu'il joue d'une chance remarquable, surtout lorsqu'on compare à tout ce qu'il a pu endurer ces précédentes années. Faut croire qu'au bout d'un moment, la chance a fini par tourner, du moins il l'espère.

Ça fait quelques jours qu'il s'est installé à la Tour. Il est pas encore tout à fait à son aise - faut dire qu'en dehors de Nacho, il connaît personne. Et puis c'est pas trop son élément, la résistance, l'inconfort d'une planque. Malgré tout l'ambiance y est bonne, et puis il a son bro, et il se sent dix fois plus léger depuis qu'il l'a retrouvé.

Mais y a toujours une part de lui qui manque, un morceau d'âme qu'il a laissé derrière lui à Gracefield. Moon. Il a finit par avoir l'info qu'elle passait souvent du temps dans une autre planque, vers Liverpool. Il ne s'est pas passé un jour sans qu'il ne demande à y aller, mais on a d'autres priorités, mon garçon. Aujourd'hui, on ne lui sert plus tout ce qu'il veut sur un plateau, alors il a pris son mal en patience, jusqu'à ce qu'Alexis finisse par lui octroyer une visite, un samedi soir. Elle savait ce qui s'était passé à Gracefield, elle comprenait qu'il lui fallait absolument la retrouver. Pour la revoir, enfin, mais surtout lui dire qu'il était toujours vivant. Après tout ce temps.

Le portoloin partait à 18h30, et il faisait déjà nuit quand Andrés a mis les pieds sur les docks. Alexis lui a dit quoi chercher pour trouver la planque, mais c'est pas évident. Il fait froid, sa veste est largement insuffisante pour le protéger de l'automne qui s'avance et de la brise marine. Et il fait sombre, si bien qu'il peine à se repérer dans cette ville qu'il connaît à peine pour y être passé en tournée une ou deux fois. A la lumière grésillante d'un lampadaire, il parvient enfin à apercevoir ce qu'il pense être un élément indiquant qu'il est au bon endroit.

“ 13 ¾ Albert Docks, murmure-t-il sans grande conviction. ”

Aussitôt, un immense hangar apparaît sous ses yeux ébahis. Il ne pensait pas voir un truc pareil dans sa vie, et pourtant Merlin sait qu'il en a vu, des choses. Mais la guerre, et sa nouvelle implication avec la Résistance, sont la promesse de nombreuses découvertes.

Le pas hésitant, il se dirige vers la porte du hangar. Alexis lui a confié le mot de passe du jour, alors il tente un “ Grindylow ” discret. Après un court silence, il entend le bruit d'un grand loquet se déverrouiller et la porte du hangar s'ouvre sur un espace immense, bien plus grand que tout ce qu'Andrés pouvait imaginer. Il reste ébahi pendant quelques minutes avant d'entrer dans la planque, pressé par la personne à l'accueil. “ You're Iglesias, right? Cookie told me you were coming. ” Andrés met un moment pour se rappeler de son nom de code au sein de l'Ordre et de celui d'Alexis. “ Yes, that's it... I'm here to see... ” Andrés réalise qu'il sait même pas le nom de code de Moon alors il dit rien et regarde autour de lui d'un air désemparé.

Et puis il la voit. Elle est toujours aussi belle, mais elle a tellement changé. Enfin, évidemment elle était encore plus aux antipodes de la Moon qu'il connaissait quand ils étaient à Gracefield mais là, c'est tellement étrange de la voir avec des vêtements lambda dans la vie "normale". En la voyant au loin, un sourire vient naturellement se nicher sur ses lèvres et il sent son cœur exploser de joie parce qu'elle est bien là, bien vivante, sous ses yeux. Et qu'il ne pensait pas qu'un jour il pourrait la serrer à nouveau dans ses bras, ni lui reparler. Mais ce jour est finalement arrivé et c'est aujourd'hui, maintenant, l'heure des retrouvailles. “ ... her, finit-il en pointant dans la direction de l'ancienne chanteuse. ” Le sorcier acquiesce et l'incite à entrer d'un geste de la main, avant de refermer la porte du hangar derrière lui.

Plus Andrés avance, plus il sent son cœur battre la chamade et lui remonter dans la gorge, sous la force des émotions. Il ne sait pas quoi lui dire, ni par où commencer. Il ne sait pas comment elle va réagir. Il sait juste qu'il a envie d'être là, avec elle, et de tirer un trait sur tout ce qu'ils ont pu endurer ces derniers mois.

Plus que quelques pas, et elle regarde toujours pas dans sa direction, et Andrés a l'impression qu'il tomberait presque dans les pommes à force d'attendre. Et puis ça y est, il se plante à côté d'elle et il sait pas trop quoi dire alors il tente : “ I guess dramatically finding one another after fearing the other's dead is kind of our thing... ” Il lui sourit, mais il sent déjà sa gorge se nouer et les larmes monter parce qu'elle est là, elle est bien là et ils sont tous les deux vivants, ils s'en sont sortis, et plus rien n'a d'importance en cet instant. “ I hope you didn't think you could get rid of me like this. ”

tw: ptsd, traumas à foison, lowkey dépression, mort
Moon s'ennuie. On pourrait croire qu'enfin avoir du repos serait une bénédiction pour elle. Et non. Elle n'a jamais été le genre à se tourner les pouces et à attendre dans le vide. Moon a besoin d'être en action 24/7. C'est pour ça qu'elle a choisi une carrière dans la musique. Être sur scène, en tournée, passer son temps à créer des chansons, faire des interviews, être invitée à tous les événements. Toute sa vie, Moon n'a jamais pu se reposer. Elle ne sait pas ce que c'est. Il faut croire qu'elle n'a pas de bouton off. Puis il y a eu Gracefield. Là encore, impossible de se reposer. La vigilance a fait parti de son quotidien. La fibre créative l'a quitté petit à petit, mois après mois.

Comment fait-on pour s'en sortir après des années de traumatismes ?
Moon n'a jamais osé poser la question à personne. On ne s'est d'ailleurs pas soucié d'elle après la libération des Battues. Elle a erré d'endroit en endroit, sans jamais être recherchée par quiconque (en dehors du Gouvernement duh). A croire que l'Ordre s'est contenté de les sortir de là, sans avoir aucun plan ensuite. Moon se rappelle de son passage auprès d'eux, avant Gracefield. C'est un peu la faute à l'Ordre -d'ailleurs, si elle s'y est retrouvée. Incapables de protéger leur planque. L'heure n'est plus aux reproches de toute façon. Moon a retrouvé Raf, son phare dans la nuit. C'est tout ce qui compte. Elle évite les anciens de Gracefield pour le moment. A dire vrai, elle évite tout le monde. Sur l'île, Moon a imaginé mille fois sa vie si jamais elle sortait de cet enfer. Retrouver sa carrière. Chanter. Récupérer sa garde-robe. Retrouver sa famille aussi. Epouser Raf. Pour le moment, tout est au point mort.
L'Ordre ne lui a pas encore demandé de faire grand chose. On a accepté qu'elle intègre l'organisation et soit même Cercle 3. Une grande promotion selon les dires de Faye. En attendant, Moon n'est pas encore allée en mission. Elle arrive à peine à faire des sorts de base avec sa baguette. Et les traumatismes de ces dernières années l'empêchent de faire quoi que ce soit. Elle serait incapable de se défendre face à un ennemi. Alors elle broie du noir et attend que les journées passent. Elle dort aussi, quand elle y arrive. Les cauchemars sont récurrents.

On lui a trouvé une guitare, pas raccordée évidemment. Mais c'est mieux que rien. Elle reste dans un coin de sa chambre pour le moment. Les vêtements offerts par Salamanca et Ivan sont rangés précieusement dans un sac. Personne n'a le droit d'y toucher. Moon aime les porter, avoir des couleurs vives et des strass. Elle a au moins l'impression d'être elle-même. Personne ne lui dit rien, même si ses robes ne sont pas vraiment pratiques ou adaptées à l'endroit.
Aujourd'hui est un jour comme les autres. Moon a erré jusqu'à ce que la nuit commence doucement à tomber. Elle a dîné avec les autres, avant de se balader un peu. Moon donnerait n'importe quoi pour avoir la compilation faite par Raf et un lecteur pour l'écouter. Bientôt, si elle part en mission, elle pourra peut-être récupérer des choses du monde moldu. Perdue dans ses pensées et sa mélancolie, Moon ne remarque absolument pas que quelqu'un se rapproche d'elle. Preuve en est, qu'elle ne survivrait pas seule plus que deux minutes. La voix la fait sursauter et elle pose une main sur son coeur. Moon reconnaît ce timbre. Son coeur bat à tout rompre. C'est impossible que ça soit lui, puisque Andrés est mort. Elle l'a vu tomber par terre, prendre un sort à sa place et s'effondrer. Elle l'a vu rendre son dernier souffle et fermer ses yeux pour toujours. Il est mort, mort, mort, mort, archi mort. Moon a fait son deuil -ou presque. S'il s'agit d'un métamorphomage, la blague est de très mauvais goût. Elle déglutit, n'arrivant pas à prononcer un mot. Pourquoi Andrés se trouve face à elle ? Il est mort. Cela veut-il dire qu'elle aussi est morte ? La planque vient-elle d'être attaquée ? C'est l'explication la plus logique. — I don't understand. Son corps tremble. — You're dead. I saw you die. You shouldn't be-

Il y a un moment où tout semble s'être arrêté. Le temps suspendu, tout le monde à l'arrêt. Il n'y a plus qu'eux, il n'y a plus que leurs cœurs qui leur martèlent les côtes et leurs souffle coupés qui viennent briser le silence. Moon a l'air de faire face à un fantôme, et sans doute est-ce le cas. Andrés est mort, mais vit encore, un mystère qu'il ne comprend pas lui-même. Durant cet instant, Andrés parcourt le visage de la chanteuse. Ses traits fatigués, marqués par des années de souffrance et sans doutes quelques insomnies. Pourtant elle est toujours aussi belle, toujours aussi lumineuse à ses yeux, une lune étincelante dans une nuit sans étoile. Il peine à croire que cet instant soit réel, qu'elle soit vraiment là, devant lui. Qu'ils soient en sécurité. Quelqu'un va arriver, d'un moment à un autre, quelqu'un va l'arracher à lui, encore une fois. Il va la voir crever sous ses yeux comme elle l'a vu crever à Gracefield. Quelqu'un va venir, et éteindre à jamais la lueur d'espoir qu'il sent renaître dans sa poitrine.

“ I don't understand. ” Sa voix. Il ne réalise pas qu'il ne respire plus. “ You're dead. I saw you die. You shouldn't be- ” Il a des larmes qui perlent dans ses yeux et trop d'émotions logées dans sa gorge. Peut-être qu'il va pleurer, peut-être qu'il va vomir ou s'évanouir. Finalement il lâche un rire, comme si la situation était drôle, comme si Moon venait de lui sortir une blague. Mais c'est son corps qui réagit nerveusement. “ I know- ” Il a tellement de choses à dire, tellement de mots qui s'entrechoquent qu'il ne sait pas par où commencer. Alors il reste silencieux pendant quelques secondes supplémentaires, ne décrochant jamais son regard de la sorcière, par peur qu'elle disparaisse et que tout ceci ne soit qu'un rêve, une expérimentation sadique du Ministère, preuve qu'il n'aura jamais droit à autant de chance et qu'il est encore trop bête pour y croire encore. “ I don't understand it either, poursuit-il au bout d'un moment. I did die. Or at least I thought I did. ” Il a le souffle court, du mal à repenser à ce moment. “ But... I'm here. I'm alive. ” Il fait un pas vers elle, tend la main et saisit la sienne du bout des doigts. “ I really am. ” Il tente un sourire, la regardant toujours de ses grands yeux humides. “ And you are too. I- I was so afraid. ” Il ferme les yeux, ravale enfin ses larmes. “ Know- Hoping you were out there, somewhere... alive. That's what kept me going. That's why I came back, that's- that's even why I joined the Order. ” Sans doute aurait-il rejoint la résistance malgré tout, ne serait-ce que pour venger sa mort et les venger de toutes les souffrances qu'ils ont subi.