Lucy traînait des pattes, queue de cheval s’agitant de gauche et de droite alors qu’elle ouvrait la marche parce que même avec le moins de motivation du monde, elle réussissait toujours à être plus rapide qu’Isobel. Elle n’avait même pas besoin de se retourner pour s’assurer que la handler était là, il suffisait d’à peine tendre l’oreille pour entendre le cliquètement étouffé des talons sur le chemin en terre battu et le son répétitif avait le don d’agacer Lucy.

Elle huma l’air, apprécia la vue qui s’offrait à elle alors qu'elle levait la tête : un grand manoir en ruine construit tout en haut d’une colline rocailleuse, qui flairait l’humidité et le moisi. Une partie du toit s’était affaissée, des pierres manquaient à l’édifice et jonchaient le parvis, le lierre courrait tout le long de la façade et s’infiltrait dans les interstices et un arbre avait étendu ses branches jusqu’à les faire pénétrer par une fenêtre brisée. Lucy entendait le bruit de minuscules pattes s’affairant dans les décombres, c’était forcément un rat qu’elle eut brusquement envie de chasser et de tuer. Elle était civilisée, elle se retint, ignora rongeur qu’elle ne voyait même pas encore et se tourna vers Isobel pour observer d’un air sceptique ses chaussures.

On leur avait dit que le manoir était dans un champs, pas en haut d’une butte, pas que ça gênait Lucy qui pouvait tenir un marathon avant de montrer des signes d’essoufflement, mais Yaxley ? Et bien elle allait être aussi utile que d’habitude, vraisemblablement.

- I walk, prévint la blonde avant même que l’idée de transplaner au sommet de la colline ne puisse être émise.

Lucy aimait les randonnées et les sentiers caillouteux à hauts risques de glissade étaient ce qu’on faisait de mieux. La louve entreprit l’ascension en marche rapide, zigzagua au bond vouloir du minuscule chemin en cherchant parmi les branches basses et les cailloux un signe de passage humain. Il y en avait bien un, quelques branches tordues et trace de pas sur le sentier. La seule odeur imputable à un être humain (outre le parfum de Yaxley qui embaumait les alentours à trois kilomètres à la ronde) remontait à plusieurs jours.

Lorsque Lucy arriva au sommet, ses iris verts scannèrent les lieux, notèrent les restes desséchés d’une rose trémière et les marches éboulées d’un perron que l’on avait pas foulé depuis une éternité.

- It’s most likely a false lead, commenta-elle à Isobel. The person who was there, they were alone. They’re not here anymore, by the way.

Lucy voulait bien pister cependant, elle aimait crapahuter dans les bois et la piste était assez fraiche pour qu’elle puisse éventuellement suivre la trace de l’individu (un.e évadé.e de ceux qui étaient sortis de nulle part après la fin juillet).

- What do we do?

Continuer la randonnée et jouer à cache-cache ? Et bien non, quelle ne fut pas sa déception lorsque Yaxley décréta qu’il fallait fouiller l’intérieur. On se demandait bien ce qu’Isobel voulait trouver dans le manoir, mais bon, Lucy se contenta de ne rien dire et de gravir le perron en évitant les fissures des marches. Elle espéra un instant que Yaxley se fasse une cheville, essaya la poignée de porte dont le bois pourri laissait échapper une odeur des plus détestables, et comme le battant semblait pris dans l’encadrement, elle y mit un coup d’épaule qui l’envoya claquer contre le mur.

Lucy entra, ses yeux s’accommodèrent rapidement à la pénombre troublée par les rais de lumière qui pénétraient de trous dans le toit, et elle manqua se cogner contre la branche d’arbre qui avait investi l’intérieur.

- Branch, prévint-elle en esquivant l’obstacle.

En face d’elle, une grande pièce à vivre plongée dans l’obscurité ; un tableau au mur se mit à vociférer sur les vandales qui pénétraient la demeure, le manteau de cheminée s’était effondré et les pierres remplissaient l’âtre, le canapé et les fauteuils avaient été mutilés, grignotés, arrachés et il en émanait des effluves de tissus humide ; dans un coin, un piano avait un pied cassé et s’était de fait à moitié affaissé.

Il y eut soudain un bruit, comme celui du verre pilé sur lequel on marchait. Lucy sursauta. Elle n’avait pas peur mais l’atmosphère était propice aux petites frayeurs – elle s’assura d’un coup d’œil que Yaxley n’avait rien vu et espéra au passage qu’elle était aussi nerveuse qu’elle.

- It’s a rat.

Et à l’instant où elle l’en informait, le rongeur apparut au bout du couloir et disparut par un trou dans le mur. Le tableau continuait à proférer des obscénités, Lucy lui jeta un regard méprisant et se détourna du salon pour entrer dans la pièce la plus proche. C’était un boudoir, le sofa dans le même état que les précédents, les fleurs qui ornaient un vase n’étant plus qu’un simple souvenir ; sur une immense bibliothèque trônaient de vieux livres jaunis qui embaumaient la pièce d’une odeur de pourriture.

Comme attirée par les rayonnages de bouquins, Lucy s’avança dans la pièce, ouvrant des yeux ronds en penchant la tête pour lire quelques uns des titres sur les tranches.

- Oh they have original editions, dit-elle à voix basse.

Elle avait peu d’espoir sur l’état des pages et de l’encre, aussi dut-elle se résoudre à s’arracher à sa contemplation. (dés) A peine avait-elle tourné le dos qu’un grondement résonnait derrière elle, la faisant se retourner derechef. La bibliothèque s’était mise à trembler et à s’ébrouer, grinçant dangereusement sur ses pieds rongés par le temps et l’humidité. Lucy recula vivement, sursauta lorsque la porte du boudoir claqua, juste à temps pour voir s’effondrer les livres en une marée de papier grouillant.

La vague gagna en hauteur et en terrain sous les yeux ébahis de Lucy qui se retrouva contre le mur, sentant dans son dos que le papier peint était mou et trempé – elle jeta un regard alarmé à Isobel qui était en possession d’une baguette, elle, pas comme Lucy qui avait la sienne mais refusait catégoriquement d’y toucher. Elle shoota dans un livre qui s’approchait en claquant de ses pieds, prêt à la mordre ou à badigeonner d’encre baveuse ses docs, réserva le même sort à un autre, puis à un autre.

- That’s bloody crazy, pesta-t-elle, sous-entendant qu’elle l’avait bien dit, que ça ne servait à rien de rentrer dans ce manoir, qu'elles n'y trouveraient rien que des nuisibles et des ... bibliothèques maudites.

Qui était responsable maintenant, les propriétaires originels ? Des pilleurs à l'humour douteux ? Le.a futigitif.ve qu'elles cherchaient ? Lucy s'en fichait, les livres s'empilaient devant elle et claquaient dangereusement près de ses mollets ; elle envoya son genou dans la pile et la fit s'effondrer, maculant au passage la jambe de son uniforme d'encre noire.

Charmante ambiance au sommet de la colline, ça sentait encore le temps perdu et manque de chance, Lucy détestait cela. Elle aimait les choses efficaces et bien faites, se retrouvait à travailler avec une fille qui manquait sa cible une fois sur deux, ne courait jamais et manquait vraiment de goût pour le travail bien exécuté. Ça venait peut-être de la nature en elle-même du travail, Lucy non plus n’avait pas d’envie particulière d’envoyer des gens dieu savait où, mais c’était comme ça et elle n’avait de toute façon pas le choix, pas comme Yaxley qui avait le loisir de faire échouer les missions.

- So we're looking for one person, that should be easy.

Lucy ne répondit pas, pas qu’elle répondait souvent de toute façon; cette fois elle avait encore plus de raisons : il y avait peu de chance que ce soit easy puisque l’individu avait déserté les lieux il y avait un moment.

- We go in and search the place to see if they let some clue or something.

That’s stupid, and useless, pensa très fort Lucy. Elle se dirigea vers le perron, entra dans le manoir et évita l’obstacle que Yaxley allait probablement se prendre en pleine poire. Ce serait con. Elle le lui signala. Tableau-sirène-de-pompier, rat, salon en chantier, Lucy se demandait vraiment quel était l’intérêt, outre l’urbex et le frisson. Elle enjamba un tas de gravas, entra dans une nouvelle pièce, trouva peut-être quelque chose d’intéressant. Plantée devant la bibliothèque, la louve plissa les yeux pour lire les tranches de livres à la lumière qui filtrait par une fenêtre brisée, laissa passer une minute de silence pour les ouvrages probablement rares dévorés par l’humidité.

- We have some of them in better condition at my parents'.

Iris verts se tournèrent vers Isobel, Lucy tentant de déterminer si c’était de la provocation ou une proposition déguisée. L’un comme l’autre, la blonde ne savait pas quoi en faire.

- Okay?

Et soudain, l’enfer s’abattit sur terre, ou la bibliothèque s’effondra dans le dos de Lucy qui fit volte-face, découvrant la marée de livres aux gueules béantes.

- What did you touch ?

- Nothing! s’offusqua-t-elle.

C’était sans doute un piège posé par les premiers occupants, ou par le fugitif; Lucy ne fit pas à Yaxley l’affront de le dire à voix haute, sachant que celle-ci arriverait à cette conclusion toute seule.

La bataille faisait rage, Lucy avait l’impression d’affronter l’Hydre : pour tout livre qu’elle écrasait sous sa semelle, deux revenaient à la charge pour lui croquer les mollets. Rien de bien douloureux, elle allait juste finir par tomber lorsqu’ils atteindraient ses genoux, ce qui n’allait pas tarder malgré ses efforts pour distribuer des savates.

- It's ridiculous.

Regard noir à Isobel qui comme d’habitude ne servait à rien, et finalement celle-ci se décida à agir. Odeur de fumée, Lucy fronça le nez, iris tombant sur les livres qui s’éloignaient de ceux étant entrés en combustion spontanée dans un chuintement.

- Out, now.

Elle n’aimait pas ce ton. Elle obéit.

La louve claqua la porte derrière Yaxley, entendit les livres se jeter dessus en caquetant avant que plus aucun bruit n’atteste de leur présence dans la pièce voisine. L’odeur de la magie commençait à retomber, le charme était rompu.

- You sure you want to stay? demanda-t-elle.

Elle n’avait pas très envie, les pièges ne l’amusaient pas et comme elle l’avait déjà fait remarquer, ce n’était pas ici que l’on trouverait leur fugitif. Lucy fit quelques pas dans le salon où le tableau continuait de vociférer, criant (littéralement) au loup. La blonde leva les yeux vers l’ancêtre en passant près de lui, enfonça son poing dans la toile après avoir brièvement pesé le pour et le contre. La figure du portrait redoubla de hurlements, sembla maudire les intruses sur cinq générations avant de quitter son cadre, replongeant la maison dans le silence.

- Finally.

Elle inspecta rapidement la pièce, notant que les objets de valeur avaient disparu et que le reste était abimé ou brisé.

- Sooo, we can stay here or I can find them, hasarda-t-elle en revenant près d'Isobel, son ton indiquant clairement quelle était l'option qu'elle favorisait.

Lucy aimait étrangement bien l’odeur d’humidité qui embaumait le manoir effondré, et elle se demandait à quel point Izzie la percevait. Sûrement peu puisqu’elle ne s’était pas encore plainte, or tout le monde savait qu’elle n’en ratait pas une pour geindre. La déception de voir les livres rongés par le temps s’envola bien vite après l’attaque de la bibliothèque probablement animée par un sort répulsif, et finalement, le salon paraissait presque accueillant comparé à l’armada de volumes en état de décomposition.

Si cela ne tenait qu’à Lucy, elles n’auraient de toute façon jamais mis les pieds dans la bâtisse, mais ça, Isobel ne l’aurait su que si elle écoutait ce qu’on lui disait, or ça n’arrivait jamais puisqu’elle préférait se jeter dans des aventures pénibles qui n’apportaient rien que des tâches d’encre sur le bas des jambes de son uniforme. Ce qu’elle cherchait n’était définitivement pas caché sous les décombres ni à l’étage où la louve ne s’aventurerait certainement pas de peur de traverser le plancher percé ; elle se tourna vers Yaxley pour s’enquérir auprès de la moins qualifiée d’elles deux sur la marche à suivre.

- We give the house a quick look around, without touching anything — If they put traps here, maybe there's something interesting to find. Then we'll go out so you can sniff and fetch them.

I don’t wanna be a bitch but you’re really boring et autres pensées désagréables furent gardées derrière les lèvres scellées de Lucy qui garda un visage pour le moins fermé mais rien ne sortait de l’ordinaire. Tout dans l’attitude et les paroles d’Isobel la contrariait et elle décida donc qu’elle n’allait rien faire du tout pour l’aider dans sa visite de la maison. Si elle et son portefeuille bien garni comptaient racheter la bâtisse pour la rénover, qu’elle le fasse un autre jour, Lucy n’était pas Stéphane Plazza et était intimement convaincue qu’il n’y avait rien à trouver dans les décombres. Elle se planta près de l’embouchure du couloir pendant que la handler avançait, balaya de ses iris verts le  salon et repéra sans peine la musaraigne qui fouinait dans la mousse humide du canapé éventré. Même le rongeur était moins agaçant que l’autre sorcière, lui au moins ne perdait pas son temps dans du sightseeing inutiles et c’était tout à son honneur.

- I stay here to guard the front, annonça-t-elle en voyant l’idiote qui lui servait de partenaire s’aventurer près de l’escalier.

Pour un peu, elle lui aurait souhaité de passer au travers du plafond, mais cela entraînerait des complications qu’elle n’avait pas envie de revivre et si l’on pouvait accorder une chose à Izzie, c’est qu’aussi désagréable et méprisante soit-elle, elle l’était moins que son prédécesseur. Lucy attendit, la musaraigne trottina du canapé à une poutre déchiquetée qui barrait la table basse affaissée. La blonde s’avança sur le perron et attendit que la princesse de la VB daigne achever sa visite, retrouvant un air ennuyé à la seconde où la brune entra dans son champs de vision.

- Happy now ?

- You?

C’était plutôt à Lucy de poser la question, puisque l’autre avait tant voulu arpenter le manoir alors que la raison poussait à ne pas le faire. La louve retint son commentaire sur l’investissement dans le patrimoine immobilier et la possible reconversion des Yaxley dans ce même secteur – elle n’avait pas envie de se lancer dans une discussion avec la handler – et reporta son attention sur Isobel.

- So, where have they gone now ?

- Since we lost about fifteen minutes here, they’re probably too far to be caught, unless you’ve discovered how to fly.

Lucy n'était cependant pas contre poursuivre la randonnée, elle aimait ça et avait admis depuis longtemps que les balades sylvestres n'avaient généralement pas d'autre but que de jouir de la vue et de l'air frais, rien qui n'impliquait de traquer quelqu'un (offre soumise à condition, non applicable en période de pleine lune.)