Harper n’est pas d’humeur lorsqu’elle descend les escaliers de son appartement. Il fait froid, c’est gris, elle vient de se réveiller. La dernière pluie n’a toujours pas séchée sur les marches métalliques et elle glisse. Elle ne sait pas comment, mais sa cheville se tord lui arrachant un juron. Elle se relève en se tenant au garde-corps. Elle met son pied au sol et grimace. Son pied est très sensible et franchement, elle a juste envie de remonter et retourner dormir pour être en meilleure forme pour son quart au Dancing Phoenix. Mais, elle doit se rendre à l’entrepôt des Wang pour récupérer une livraison pour Carrie. Et si elle ne le fait pas, la fox sera très désagréable et Harp préfère éviter de l’avoir sur le dos. Pourquoi elle a dit oui? Ah oui, parce que c’est son job, parce que Carrie est sa supérieure, parce qu’elle est rien chez les Warlocks et qu’elle doit faire ce qu’on lui dit sans se plaindre. Elle a quand même l’impression de s’être faite avoir et que cette histoire est vraiment louche. Cette demande pue la merde à plein nez. Carrie n’a pas voulu lui dire ce dont il s’agit et lui a fait promettre de ne rien dire à Jin. Ses yeux de biche avaient aussi un éclat inexplicable à l’intérieur et la blonde semblait à la fois excitée et nerveuse. Harper n’a pas voulu la confronter ou l’interroger, mais elle sait qu’elle se rend complice d’un truc et ça l’a met vraiment en colère. D’autant plus, qu’elle ne peut rien y faire. Elle ne peut rien lui refuser. Carrie aura toujours le dernier mot. Elle aura toujours plus de poids contre elle et surtout plus de munition. La dog n’a aucun doute que l’autre demi-vélane n’hésiterait pas à se débarrasser d’elle au besoin, même si elle dit être sa copine.

Dans un soupir, elle transplane sur l’isle of dogs, non loin des docks. Elle se met en route pour se rendre au sud. Bien sûr, elle ne connait pas un sort pour atténuer la douleur ou même la guérir. Alors elle boite et maudit la petite blonde. Harper marmonne, se renfrogne dans le foulard noir qu’elle a tricoté dans la nuit. Comment on peut aimer et détester autant une personne? Comment on peut avoir pitié et avoir envie de la gifler en même temps? Le fait est que l’hybride est redevable. Si ce n’était pas de Carrie et de tous ceux qui ont mené la Purge, elle serait encore une dove droguée, dépouillée, torturée et soumise par Marth et ses sbires. Elle n’aurait pas un semblant de vie normale et ne serait pas aussi libre. Si ça ne lui fait pas plaisir, si elle trouve ça louche, Harper le fait quand même. C’est sa façon de payer, de prouver qu’elle est digne de confiance et que malgré tout, elle respecte Carrie.

Elle arrive finalement devant l’énorme entrepôt des Wang. Ce n’est pas la première fois qu’elle vient, mais comme toutes les fois qu’elle doit venir chercher une livraison, elle a une montée de nervosité qui lui prend au ventre. Elle s’assure d’être seule et qu’il n’y a rien de curieux dans les parages et elle cogne à la lourde porte.

Les bras croisées, les épaules rentrées, le nez caché, Harper essaie de passer inaperçue en attendant qu’on vienne lui ouvrir la porte. Elle n’aime pas être à la vue et invulnérable. Une cible facile à contrôler. Elle a toujours ses faux papiers sur elle et elle sait très bien comment agir avec la police sorcière, mais elle a toujours peur qu’on la soupçonne, qu’on l’interroge plus durement ou qu’on trouve une faille quelque part. Disons qu’elle est un bon exemple de ce qui rebute le gouvernement : hybride et dealeuse. En plus d’une magie timide et d’un pied empoté, rien pour l’aider à s’en sortir en cas de problème. Ses yeux furètent nerveusement les alentours, son pied la démange, la douleur est lancinante quoi que supportable. Elle a connu pire. Tout est mineur après ce qu’elle a pu vivre plus jeune et dans les dernières années. Chaque blessure ou mal est tolérable et n’est rien comparé aux traumatismes laissés aux Good Childrens, aux mutilations ou au sevrage de l’opium. C’est toujours en repensant au pire de sa vie que la blonde réussi à passer par-dessus ses petits bobos. Ce pied probablement enflé c’est de la petite bière. Elle soupir néanmoins, elle ne dirait pas non à un petit sort anti-douleurs ou à une petite pilule qui endormirait tout ça. Qui l’endormirait, elle. Merlin qu’elle voudrait être dans son lit. Fuck Carrie.

Elle tourne les talons, lorsque la porte s’ouvre. Elle grimace. Elle ne renvoie pas son sourire à celui qui se trouve devant elle. La dog le reconnait bien vite. C’est lui qui a flirté avec Verdi à la soirée syndicale. Un des Wang. Il n’a pas l’air méchant et sa coloc a des bons mots sur son compte, mais Harper reste sur ses gardes, sans réellement savoir pourquoi. "Salut." qu’elle souffle doucement en levant un sourcil interrogateur sur l’accent mis sur les mots livraison spéciale. "Ouaip, ça doit être important. C’est pas toi d’habitude." Ce qui rend cette livraison encore plus louche et soupçonneuse. Elle n’aurait pas dû accepter. Mais, elle est là, aussi bien en finir. Le pire c’est qu’elle ne peut pas dire à Carrie « Tu me le revaudras », parce que ce n’est pas assez pour ce que la fox a fait pour elle. Harper lui sera toujours redevable. Jamais sa dette ne sera complètement payée et ça, Carrie le sait bien. C’est pour ça qu’elle envoie Harper faire sa sale besogne et que c’est elle qui prend les risques. Dans un autre soupir, elle avance difficilement dans l’entrepôt. Elle essaie de marcher normalement lorsqu’elle passe devant l’homme qui lui tient la porte, mais chaque pas est une torture. Chaque pas résonne dans tout son corps. Elle retient sa respiration comme si ça aidait à contenir la douleur. C’est pire que ce qu’elle croyait. Elle ne se plaint pas et fait comme si tout va bien, se permet même un sourire coincé vers lui, mais il n’est pas idiot et se rend bien compte que quelque chose ne va pas. "Oui oui, tout va bien. Juste une petite foulure, rien de grave." Répond-elle, têtue en essuyant la remarque d’un revers de la main. Elle se permet toutefois de prendre appuie sur une grosse boite et de soulever légèrement son pied. Elle prend à son tour une position décontractée pour appuyer ses dires. "Elle est où cette livraison qu’on en finisse?" Vraiment, la blonde n’a aucune envie de s’éterniser chez l’ennemi, même si dans les faits, les deux clans sont en quelque sorte liés depuis ces fiançailles en grandes pompes entre un Wang et Kamala. Elle veut juste en terminer au plus vite avec cette besogne imprévue.

Elle ne sait pas si elle doit lui sourire ou lui foutre une baffe. Harper n’est pas d’humeur et lui il en a trop. Trop de fierté aussi. Il est tout de même plus agréable que l’autre qui s’occupe d’elle habituellement avec son air bête. Elle n’est toutefois pas là pour faire connaissance, mais pour prendre la livraison de Carrie et retrouver son lit. "Quoi d’autre?" qu’elle répond sèchement. Est-ce qu’il peut arrêter de faire le beau et de lui donner ce qu’elle demande? Il lui semble que ce n’est pas bien compliqué, même pour un Wang. Elle ne veut pas discuter. Elle ne veut pas être jugée parce qu’elle ne s’est pas occupée de sa blessure ou ne pas être prise au sérieux parce qu’elle est une jolie blonde frêle à qui on peut en passer une petite vite. Et le voilà qu’il s’accroupi, elle fronce les sourcils en ayant un mouvement de recul. "C’est rien je te dis…" Elle soupir. Elle sait que ça ne sert à rien d’insister, il fait vraiment une fixation sur sa cheville. Il fait ensuite un mouvement et sort sa baguette de sa veste, elle sursaute, plus par réflexes que par vraie peur. "T’es médicomage aussi?" Dans un mouvement fluide, il agite sa baguette. Des bandelettes et des morceaux de bambous apparaissent dans les airs. Un autre petit geste et tout s’assemble ensemble pour former une attelle à son pied endolori. Elle doit avouer qu’elle est impressionnée. Elle bouge son pied et est surprise par la légèreté du truc. Elle sent sa cheville plus stable, mais c’est comme s’il n’y a rien qui la maintient. "Ouah. Il faudra que j’apprenne ce sort." Pas qu’elle est maladroite et qu’elle se fasse souvent mal, mais c’est toujours utile à connaitre. Ça lui arrive de mettre des talons hauts pour son boulot et c’est immanquable qu’elle se tord la cheville sans raison. Toutes.les.putains.de.fois. Elle souffre alors toute la nuit, se promet de ne plus jamais en mettre, même si elle aime ses escarpins. Mais, en connaissance ce sortilège, elle n’aurait plus de raison de les maudire. "Merci." Elle le regarde franchement dans les yeux. Son ton est déjà plus doux et elle est plus détendue. La douleur ainsi disparue, son corps n’a plus à la combattre et ça se reflète sur tout le reste. Sauf la fatigue et l’impatience d’en finir rapidement. Elle roule des yeux lorsqu’il parle de son stock de bisou magique. "Bien sûr. C’est comme ça que vous gardez vos clients?" Elle se permet une petite taquinerie qui contraste avec sa mauvaise humeur depuis son arrivée. Il faut croire que le côté charmant et décontracté du Wang réussi son petit effet.

Il lui offre son bras pour la mener à la livraison, mais elle décline, surtout par entêtement. Harper le suit à travers les boites, les caisses et les sacs contenant toutes sortes de marchandises et elle se rend compte qu’elle n’a jamais dépassé la porte de l’entrepôt jusqu’à maintenant. Ça a toujours été vite et concis sans blabla. Là, c’est différent. Toute la transaction est différente. Ce n’est pas le même type, c’est un des huit Wang, ce n’est pas à la vue de tous, mais loin dans le bâtiment. Elle commence à avoir un mauvais pressentiment "Hmm…tu sais ce qui se trouve dans cette livraison spéciale?" Si ses doutes se confirment, elle va se sentir vraiment stupide.

tw: drogues, ptsd, angoisse

Harper est loin d’être impressionnée par les tentatives de flirt du Wang. Elle en a que faire de ses belles paroles ou de ses petits commentaires mielleux. Ça lui passe dix kilomètres au-dessus de la tête. Le qualificatif pathétique lui traverse aussi l’esprit. Elle sait que c’est sans doute pour être gentil, pour la mettre à l’aise, la décoincer ou pour la faire sourire. Elle apprécie l’effort, mais elle n’a pas envie. Elle est plutôt saoulée. Les belles phrases, elle les a toutes entendues lorsqu’elle était une Dove au Tuskers, quand elle marche dans la rue, quand elle fait une transaction de marchandise et en tant que serveuse au Dancing Phoenix. Tous les jours, elle y a droit. Tous les jours, elle répond par un sourire niais, faute de pouvoir répliquer surtout dans le cadre de ses boulots. Elle fait comme si ça ne la dérangeait pas, même si au fond, ça la fait rager. Elle se contente de le fixer en gardant un air blasé. Il l’a soulagé de son mal, ça ne signifie pas qu’elle doit se montrer aimable. Elle veut vraiment juste en finir et retourner à son lit. Si elle embarque dans son jeu, elle ne va que l’attiser et ils ne termineront jamais leur besogne. Elle vient de le voir en le taquinant un peu à son tour.

Il l’entraine dans l’entrepôt. Son regard azur se pose sur les employés qui disposent rapidement après un ordre lancé en langue étrangère par le Wang. À mesure qu’ils s’enfoncent dans les boites, les barils et les containers, Harper a un mauvais pressentiment sur ce qu’elle vient chercher. Elle demande à son interlocuteur s’il sait ce qui se trouve dans ce paquet spécial. Il se tourne vers elle sans qu’elle ne s’en rende compte et lui fonce direct dessus. Il lui barre le chemin. Elle recule aussitôt et ne tente pas de le contourner. Il l’observe les sourcils froncés et l’air suspicieux. Il doit penser qu’elle est une espionne et quand la blonde y réfléchie bien, c’est vrai qu’elle n’a pas l’air net. Pendant un court instant, elle croit qu’elle a tout raté et qu’il va la mettre dehors. Elle ne peut pas revenir les mains vides auprès de Carrie. Elle ne peut tout simplement pas. Sa fox est capable de tout. Elle ne peut pas, ne veut pas la décevoir. Elle reste droite et ne baisse pas le regard devant celui méfiant du sorcier. "J’ai bien été envoyé par Carrie pour récupérer le colis, mais elle a jamais voulu me dire c’est quoi. " Qu’elle lui répond d’un ton ferme et sans hésitation. Elle ne remarque pas qu’il a posé sa main sur son holster, trop occupée à ne pas détourner le regard. Il doit la croire. Il doit lui donner son paquet. Elle ne réagit pas quand il s’approche trop d’elle, sans doute pour vérifier si elle est vraie et qu’il n’y aucun sortilège qui l’entoure. Elle ne fléchit pas, elle n’a rien à cacher.

Sans se départir de son sourire, il lui confirme néanmoins ce qu’elle redoutait. De l’opium. Vingt-cinq kilos. Harper déglutit malgré elle. Elle savait. Dès que Carrie l’a chargé de cette affaire et qu’elle lui a fait promettre de rien dire à Jin, Harper savait. Elle s’en doutait que toutes ces cachoteries avaient un rapport avec l’opium. Mais, elle ne pouvait pas refuser. Elle a tant espérer se tromper. Aussitôt, son cœur se met à battre rapidement. Sa tête tourne. Ses yeux voient flous. Elle est entourée d’opium. Ses doigts s’activent, cherchent à arracher les petits bouts de peau séchés qui dépassent et ses ongles longs. Son corps la gratte. Elle a des sueurs froides. Elle pensait en avoir fini avec cette drogue. Elle pensait qu’ils en avaient tous terminé. N’ont-ils pas assez souffert de leur sevrage? Quand Carrie a-t-elle craqué à nouveau? Et pourquoi? Un frisson lui passe. Pourquoi la dog le saurait? Ce n’est pas comme si elle était si proche de la fox. Et Verdi, elle en a repris? Et Stan? Et Maxim? Est-ce qu’elle est la seule à ne pas être retombée dans cet enfer? Pourtant, juste entendre le mot lui met l’eau à la bouche. Elle doit s’appuyer sur une caisse pour reprendre ses esprits. La meilleure came, ça oui. Elle ne peut que lui donner raison. La plus redoutable aussi. Elle se mord l’intérieur des lèvres, jusqu’à y ressentir le goût métallique du sang. sang, rouge, plein les mains, mal, dégoût, vomir, insomnie, souffrance Elle revient tranquillement à elle et au regard méfiant qui lui fait face. "Ha…Harper. Désolée….je m’appelle Harper. Je….je dois sortir d’ici." La voilà qui flanche, qui faiblit. Plus louche que ça, impossible. Dealeuse à deux balles. Tant pis. Elle se fraie un chemin vers l’entrée du hangar, désorientée et claudicante. Elle fait une folle d’elle, mais elle s’en fiche. Elle se sentait étouffer entourée de la substance qui lui a tant donné de mal et à laquelle elle associe les pires années de sa vie. Elle se doute que ce n’est pas la première fois qu’elle se tenait si proche, probablement qu’elle en a tenue dans ses mains, mais d’en avoir la confirmation lui est rentrée dedans. Elle secoue la tête, déçue par sa réaction. En colère que l’opium aille encore de l’influence sur elle. En colère d’être tenue à l’écart par les autres qui ont sans doute recommencé à consommer. Quelle conne. Pire Warlock.