Kad sort à nouveau son téléphone de la poche de son jean et relit les derniers messages qu'ils ont échangé avec Anthony un sourire un peu niais sur le visage avant de froncer les sourcils et de glisser le téléphone à sa place, dans la poche arrière de son pantalon. Depuis que son ami lui a proposé de célébrer Rosh Hashanah ensemble, he's a right mess. All bubbly inside. il n'a jamais été dans cet état, à ne pas savoir rester en place - lui qui est d'ordinaire si calme voit ses mains pianoter sur son pantalon, impatientes d'attraper le téléphone déjà pour relire la conversation.

Il s'en empêche et tente de suivre les instructions laissées par Hugo pour la préparation de gourmandises au miel. La pâtisserie n'est pas son terrain d'expertise mais la précision qu'elle demande fait presque sens pour lui qui est habitué à préparer des potions, ça ne peut pas être trop compliqué non plus. Hugo lui a dit qu'il l'aiderait si besoin, mais c'est primordial pour Kad de le faire lui-même et sans magie, parce que cette date est importante. De bien des façons.

La journée se déroule à la manière de la pate qu'il travaille, à savoir bien trop lentement à son goût. Son plat sucré finit par ressembler à quelque chose, et il en a fait en plus pour que tout le monde puisse en profiter. Il ne lui reste plus qu'à attendre. A book in his hand but the mind wandering to the last night, his bad pun, and all the texting. Cette sensation qui le prend est nouvelle, pas dérangeante per say, bien qu'il ne sache pas encore quoi en faire. C'est comme si un bouchon s'était délogé de son torse en retrouvant Simon et son père, qu'avec ce poids enlevé il s'autorisait pour la première fois de sa vie à oser vivre pour autre chose que pour les retrouver, les sauver et résister.

Pourtant, Kad n'est pas certain d'être prêt et ne sait pas avec qui évoquer tout ça. Généralement, il finit toujours pas trouver une solution ; mais il n'est pas question ici d'un problème de runes récalcitrantes. Le reste de son temps avant l'heure du rendez-vous, il le passe en solitaire, à tenter d'éloigner les questionnements et les doutes qui l'assaillent de toute part.

Quand Anthony arrive enfin, à l'heure prévue, Kad l'attend avec un sourire et la main prête à le saluer ; un peu trop rapidement peut-être à l'image de ce mélange entre excitation et malaise : "Hey, I made some honey pastries.". Il s'avance sans trop savoir ce qu'ils sont supposés faire. Like a hug, a handshake, nothing? Par précaution, le sorcier part sur la dernière possibilité. "It's cool that you could come today. It has been a while." Même s'ils se sont croisés après les Battues, il y avait tellement à faire qu'à par les sms (et il y en a eu beaucoup) ils n'ont pas pris le temps de se voir. Peut-être que ça lui a manqué encore plus qu'il ne le pensait.

Anthony avait été élevé avec l’habitude de ne pas célébrer la majeure partie des fêtes religieuses avec lesquelles il avait grandi jusqu’à ses onze ans. L’Angleterre, malgré ses promesses de tolérance n’était pas faite pour les gens comme eux et le monde sorcier n’y faisait pas exception. Il n’avait jamais été question de prendre quelques jours d’absence pour ça, ses parents ne l’auraient jamais laissé faire, de toute façon. S’il y avait bien un des préceptes du judaïsme qu’ils respectaient à la lettre, c’était le point d’honneur mis sur les études, sur la connaissance, sur l’importance d’apprendre tout au long de sa vie, même lorsqu’on était pas, ou plus, à l’école. Il avait eu de la chance, néanmoins, ses amis avaient toujours été compréhensifs de ce point de vue là, ils avaient participé comme ils le pouvaient, quand l’occasion se présentait mais ça n’était pas pareil, pas vraiment. Il avait essayé de chercher du soutien dans les quelques autres élèves juifs de l’école, mais ceux-ci se comptaient sur les doigts d’une main (à l’exception des Guterman, qui étaient déjà bien nombreux et qui n’avaient donc besoin de personne d’autre) et les choses n’avaient pas toujours été très fructueuses. Sauf avec Kad, qui avait souvent été là, avec qui les choses avaient toujours été simples, puisqu’ils étaient dans la même maison et qui l’avait toujours accueilli avec des sourires timides, mais tout de même présents.

Ils avaient poursuivi les traditions, même maintenant. Anthony s’était presque invité à Dagobah pour l’occasion. Il avait proposé de faire quelque chose et Kad avait proposé de faire quelque chose à Dagobah. L’endroit ne lui était plus vraiment étranger, entre les quelques visites qu’il y avait effectuées et les anecdotes que Kad lui racontait presque quotidiennement.

Son arrivée au camp des Avengers s’était faite avec une excitation qu’il ne pouvait nier. Il avait ramené des pommes et du miel, comme le voulait la tradition, sans avoir eu l’opportunité de faire quelque chose d’autre, non pas que c’était important, en réalité. Passer ce moment avec Kad était ce qui importait réellement. Son ancien camarade l’avait accueilli avec un sourire familier. “Hey, I made some honey pastries," lui dit-il en guise de salutation. “I brought apples and honey,” Anthony lui répondit à son tour avec un sourire. Il ne se serait peut-être pas attendu à être ainsi salué, mais il avait appris depuis le temps qu’ils se connaissaient que Kad n’était pas aussi démonstratif que lui pouvait l’être. C’était quelque chose sur lequel lui-même essayait de travailler, afin de ne pas se surprendre à devenir trop présent, trop demandant, comme on le lui avait parfois reproché. “It's cool that you could come today. It has been a while,” Kad ajouta avec raison. Ils ne s’étaient pas beaucoup vus, ces derniers temps, les retombées des battues avaient été intenses. “Yeah,” Anthony lui répondit simplement, avant de se lancer dans une sorte de bro hug un peu maladroit. Ses résolutions ne tenaient jamais très longtemps, de toute façon. “Shanah tovah,” il lui dit après s’être éloigné, “I tried to find how to sign it but no book had anything on that. I guess it may just be ‘happy new year but’, uh, yeah.” C’était là aussi, quelque chose qu’il avait développé depuis que lui et Kad se parlaient davantage, quelque chose qui lui permettait d’apprendre encore, et de se rapprocher de son ami, d’une certaine manière. “Anyway, did you have anything planned?”

Depuis qu'ils avaient repris contact ces derniers mois, Anthony s'était fait une place dans la vie de Kad sans que celui ne voit venir l'évolution. Ils avaient discuté et s'étaient rendus compte qu'ils avaient beaucoup de choses en commun puis avaient échangé leurs numéro de téléphone et se textotaient presque quotidiennement dessus. Il n'était pas rare pour Kad de s'endormir son portable à côté de son coussin ces derniers temps et il n'avait jamais eu autant besoin de recharger la batterie du vieux téléphone. Il y avait eu les Battues et les retombées qui impactèrent pendant un temps leur contact ; mais le fait de n'avoir pu se voir pendant plusieurs semaines rendait cette rencontre plus importante aux yeux de Kad. Et doublement stressante. Pourtant, il n'était pas du genre nerveux même s'il n'avait jamais eu trop d'amis avant les Avengers et qu'il avait plutôt passé son enfance seul ou dans le sillage de son grand-frère.

Sauf que la simple vue d'Anthony suffit à lui faire perdre ses moyens, ses mains ne sont pas aussi assurées lorsqu'il s'adresse à son ami pour le saluer et il ne va pas assez vite quand il se retrouve embarqué dans une sorte de câlin amical, reste trop longtemps immobile et le temps qu'il lui faut pour poser sa main sur l'épaule d'Anthony celui-ci s'est déjà reculé. Awkward. Il n'a pas le temps de s'y appesantir trop longuement cependant, ses yeux se plissent quand Anthony prononce deux mots qu'il croit reconnaître sans en être complètement certain. Contrairement à ce que la plupart des gens croient, il ne sait pas lire sur les lèvres et rate à peu près une syllabe sur trois voire plus si les phrases sont longues- c'est pour cela qu'il vaut mieux utiliser le sortilège, sauf qu'Anthony a fait de nombreux progrès depuis la première discussion ce qui est un soulagement pour Kad. Heureusement, la suite lui permet de comprendre les deux premiers mots et il sourit avec un regard entendu. "It doesn't surprise me one bit. It's always so difficult to find things about our culture. Here, it's this : ses index se penchent à l'horizontale et font un roulement avant que ses mains ne se redressent, les pouces vers son corps posés contre les autres doigts de ses mains qu'il abaisse une fois." Kad lui montre lentement, puis recommence plus rapidement. "shanah tovah". Ce geste lui rappelle sa mère sans qui il n'aurait pas pu apprendre tout cela et il est d'autant plus heureux d'avoir quelqu'un avec lui aujourd'hui. Quelqu'un qui peut comprendre l'importance de cette tradition à ses yeux, quelqu'un avec qui partager, et il se sait chanceux parce qu'il y a Noam chez les Avengers et qu'il n'est pas complètement seul mais en ce moment, on ne peut pas dire que son ami soit le plus disponible (et si une vague de culpabilité le saisit en y pensant, il décide de la rejeter au large au moins pour ce soir).

Puis, rien ne sert de mentir, Kad avait vraiment envie de voir Anthony. Point à la ligne. "I didn't really plan anything except for the meal. I thought we could make our new year resolutions at some point and maybe look at the star later, unless you have to go back early? Whatever you want," conclut-il en fixant son regard vers le ciel, puis un arbre, et enfin Anthony. Le sorcier y a beaucoup pensé à cette soirée, like a lot. Mais le penser et le signer sont deux choses bien différentes. C'est important pour lui et vu qu'Anthony est à l'origine de la demande, Kad en déduit que c'est important pour son ami aussi ; malgré tout il ne sait pas du tout s'ils sont sur la même ligne, ni même sur quelle ligne il se trouve exactement.

Anthony observa attentivement son ami, hochant la tête pour montrer sa compréhension. Il esquissa un sourire à la mention de leur culture. Les anglais n’étaient clairement pas au point à ce niveau là, et Anthony faisait partie de ceux qui étaient les plus obviously jewish. Il ne pouvait imaginer à quel point l’expérience de Kad avait été différente, lui qui n’avait ni le nom ni le visage de ceux qu’on associait généralement à la judéité.
“Shanah tovah,” il finit par murmurer en refaisant les gestes du mieux qu’il le pouvait. Ce serait à retravailler pour l’année suivante, mais Anthony avait une mémoire plutôt performante, utile dans ce genre de situation.

“It sounds like a good plan,” il lui répondit. Il ne put retenir un nouveau sourire à la mention des étoiles. Anthony n’était pas certain que Kad réalise à quel point ce type d’activité était perçue comme romantique aux yeux du commun des mortels. Il n’en dit rien pour autant. “There’s no one waiting for me, so we have all the time in the world, sort of,” il termina. Il jeta un coup d'œil aux alentours. “Wasn’t there a lake or something not far?” il demanda à son ami, “I was thinking we could do, Tashlich” il prononça le mot à voix haute, bloqué une nouvelle fois par ses connaissances limitées en la matière, “you know, cast away our sins and all. I probably have more of those than you do, but still.” Rosh Hashanah lui rappelait toujours à quel point l’humain était plein de défauts et à quel point les siens prenaient de la place dans son existence. Il essayait de ne pas s’en formaliser outre mesure, de relativiser du fait qu’ils vivaient tous dans une situation plus que complexe. Mais il savait également que la guerre n'excusait pas tout, qu’il avait fait une croix sur ses parents en une demi-seconde et que rien que ça, ne faisait pas de lui quelqu’un de pur.

“So, where do we start?” il demanda après un instant. Anthony avait tendance à prendre beaucoup de place, mais il était en terrain inconnu, il ne savait pas où ils étaient censés s’installer ni même comment les choses fonctionnaient ici, et il ne savait pas non plus ce que Kad attendait de lui. Il savait qu’ils étaient très différents, et qu’il ne voulait pas en faire trop pour ne pas risquer de le brusquer.

“It sounds like a good plan.” C’est un soulagement qui s’empare du cœur de Kad, c’est qu’il en a mis beaucoup à l’ouvrage dans la préparation de la recette et l’organisation de la soirée. Parce que Kad aime que tout soit bien organisé et parce qu’il a envie d’offrir une belle soirée à son ami. “There’s no one waiting for me, so we have all the time in the world, sort of,” All the time in the world, il y a quelque chose dans la portée de ces mots qui lui chauffe les joues et fait couper sa respiration l’espace d’une petite seconde ou deux ou trois, assez brèves pour que cela passe inaperçu, suffisantes pour que Kad s’en rende compte. “Wasn’t there a lake or something not far?” “Yes. Over there." Geste du bras en direction du lac où il aimait bien s’asseoir avec l’un des rares livres qu’ils arrivaient à dénicher.

“I was thinking we could do, Tashlich” L’idée lui plait. “you know, cast away our sins and all. I probably have more of those than you do, but still.” Kad sourit doucement, résiste contre l’envie de le contredire, sait à quel point ce n’est pas agréable quand les gens réfutent nos ressentis même lorsque cela part d’un bon sentiment. “Yeah okay. I’d like that. It’s always important to do a little bit of self-reflexion. I may have a lot of sins myself, you don’t know” it’s a great tradition Kad thinks.

Un temps s’installe ensuite durant lequel Kad ne bouge plus que pour passer d’une jambe à l’autre. Il n’a jamais trop su prendre de la place dans les interactions sociales et ces derniers temps, il se passe un truc avec Anthony qui le met encore plus dans l’incertitude. Kad se doute de ce dont il s’agit et c’est bien tout ça le problème. “So, where do we start?” Le fait que son ami prenne les devants est réconfortant et la question lui permet de revenir un peu sur terre. “Hmm, I guess with Tashlich? We’re supposed to do that during the afternoon… Come!” et Kad se met en chemin vers le Lac - heureux aussi de n’avoir pas à affronter les potentiels regards des autres Avengers. “Could we use something other than bread though? There’s probably birds living in the lake and I read somewhere that it wasn’t good to feed them bread. There’s this syndrome called angel wings that can be caused by it...” Il se lance dans une explication ensuite sur les effets de ce syndrome plus à l’aise dès qu’il s’agit de partager une information apprise, et si avec d’autres personnes, l’Avengers finirait par s’excuser ou se couper par peur d’ennuyer la personne, avec Anthony ce n’est jamais le cas.

Ils finissent par arriver devant le lac au bout de quelques minutes. "How do you want to do this?"