tw: guerre, mention de génocide, de discrimination

Ils ont fini leur service et comme d'habitude, Buck a attrapé Corban par le col et l'a traîné à sa suite pour s'éloigner de la caserne avec un paquet de cigarettes ishvales volées dans la poche. Ils s'arrêtent à l'ombre d'un immeuble à moitié explosé pour se protéger de la lumière - ils ont bossé toute la nuit et le soleil se lève à peine - et ils s'asseyent en silence pour fumer, même si Buck déteste le goût des cigarettes ishvales et Corban l'odeur des cigarettes en général. Mais c'est le seul réconfort qu'ils ont, en étant si loin d'Amestris et de la maison.

Au loin, Buck voit d'autres soldats de leur escouade rassembler des civils. Son coeur se serre dans sa poitrine et il détourne pudiquement les yeux, prétendant ne pas entendre les tirs des fusils quelques minutes plus tard. "So," marmonne-t-il à l'adresse de Corban en lui donnant un coup dans l'épaule. "What did you say you were going to do after our tour's over?" Ils sont encore jeunes et fringants, plein d'espoir - ils ont la vie devant eux. Buck compte bien monter en grade dans l'armée, quitter ce pays de malheur et être stationné à Central ou quelque part où il y a quelque chose à faire. Secrètement, il aimerait rejoindre la division spéciale des alchimistes. Mais ça, c'est un rêve impossible qu'il n'a jamais partagé avec personne, pas même Corban, malgré les livres de recherches alchimiques qu'il lit tous les soirs dans son lit à la lueur de sa lampe de poche.

"Here's what I'm going to do," enchaîne-t-il sans lui laisser le temps de répondre. "I'm going to be your right-hand man. Right? And we'll turn this whole thing upside down. We'll be kings in this world, and the next world." Buck passe un bras autour du cou de Corban et de l'autre main, lui désigne le paysage, dessine du bout des doigts des palais, des monts et des merveilles, des chimères. "This war, it's... it will end one day, right?" Ses yeux clairs brillent de naïveté et de tendresse quand il les tourne vers Corban, resserrant son emprise autour de son cou avec son coude. "We can go home, you and I. Set up our futures for ourselves... and decide, really decide, who we become."

C'est facile d'y croire, en ignorant l'odeur fétide de la mort et du sang qui les entoure constamment depuis leur arrivée à Ishval. Le poids du fusil qui ne quitte jamais leur épaule, la tension dans leurs uniformes bleus, les cernes qui s'amoncellent sous leurs yeux - autant de détails qui indiquent que le monde est en train de changer sous leurs yeux, grâce à eux, et qu'ils sont les seuls maîtres de leur destinée.

Corban avait failli s'endormir debout, planté entre deux caisses de la réserve, si Buck ne l'avait pas attrapé au vol. Corban aurait bien voulu grapiller quelques minutes de sommeil, maintenant qu'ils avaient été disposés. Mais en même temps, Corban a peur de s'endormir, depuis qu'ils sont stationnés à Ishval. Alors il se laisse tomber à côté de Buck, fait glisser son fusil de son épaule et le pose à côté de lui. Même quand ils ne sont pas en service, ils doivent se tenir prêts. Prêts à quoi exactement? Corban le sait, mais il veut pas y penser. Il n'a pas y penser; la baïonnette de son fusil est incrustée de brun.

Il détourne les yeux de son arme, laisse Buck lui allumer sa cigarette qu'il fume doucement. Le petit coup dans son épaule l'extirpe de ses pensées noires. "So, what did you say you were going to do, after our tour's over?" Corban plisse des yeux en posant son regard sur Buck, la tête un peu penchée sur le côté, par confusion. Il n'y avait pas vraiment réfléchi, pour être honnête, mais il se doute que ce genre de réponse ne satisfera pas son comparse. A vrai dire, c'est comme si le cours du temps s'était suspendu le jour où ils avaient rejoint le champ de bataille.
Au départ, Corban devait avouer que ça lui avait fait du bien; s'éloigner de son père et de ses foutus préceptes d'alchimie qu'il essayait d'inculquer à son fils avec force et autorité.
Si Buck cachait pudiquement sa passion pour l'alchimie (Corban, qui ne fermait plus l'œil, l'observait le soir, éplucher consciencieusement un vieux bouquin sur le sujet), le jeune Yaxley ne cachait pas son mépris pour la chose, et plus encore, pour son alchimiste d'état de père.

Buck enchaîne en lui expliquant ses plans, leurs plans, et Corban a l'impression qu'il pourrait enfin s'endormir, calé contre le bras de son ami passé autour de son cou. "[...] We'll be kings in this world, and the next world." Corban a un sourire amusé maigrichon. "Yeah sure; you'd be a perfect king; you already have the delusions of grandeur of one!" "This war, it's... it will end one day, right?" Une ombre passe sur le regard de Corban. A ce stade, on ne pouvait plus vraiment parler de guerre... Un massacre, voilà qui serait un nom plus à propos. Les hauts-gradés n'en touchent pas un mot à des bleus dans leur genre, mais les garçons ne sont pas dupes, malgré l'éclat dans les yeux de Buck; c'est ce qu'il faut, pour tenir.

Corban pose un instant son front contre la joue de Buck, les yeux clos. Il s'imagine sans doute le futur, comme il a dit, à la maison, avec lui. "I can work with that," confie-t-il à voix basse. "I think I'd quit the army; if it wasn't for... this, I'd rather do something else, like travelling, studying..." Lui non plus, il n'en a jamais parlé à personne, de ce genre de rêves. "I don't care where home is..." Il se redresse et observe Buck. "Because you're home, James—"
Sa confession est soudainement interrompue par le hurlement des sirènes. Sous leurs pieds, le sol se met à trembler, tandis qu'un bruit d'explosion retentit dans leur dos. La caserne de fortune se met en branle, sous le regard confus et terrifié de Corban, dont la vision du futur, à peine effleurée, semble déjà un lointain et douloureux souvenir.

tw: guerre, fma canon-typical discrimination, gore, violence

Corban ne répond pas à sa question quant à la fin de la guerre. Buck met ça sur le compte de la fatigue, et de toutes façons il enchaîne dans l'exposé de leur plan et de leur futur - au fond de lui, il sait que sa question n'a pas de réponse et n'a aucun sens et que la guerre à laquelle ils participent n'en est pas vraiment une. Il est presque soulagé quand Corban ferme les yeux et arrête de regarder l'endroit où ils se trouvent, reposant son front sur sa joue. Buck ne bouge pas, paralysé, trouvant un réconfort démesuré dans la proximité de son ami; il ferme lui aussi les yeux, et il peut presque ignorer le monde autour d'eux.

Ils sont de retour dans le camp où ils ont fait leur entraînement; ils sont de retour le premier jour de leur service quand ils se sont rencontrés; ils sont de retour dans les casernes où leurs lits étaient si proches; ils sont de retour à Central; ils sont partout mais pas ici, pas ici. Tout mais pas ici.

"I can work with that." La voix de Corban s'élève à peine au-dessus de la tumulte du coeur de Buck, qui s'accroche désespérément à ses mots comme un noyé à une bouée de sauvetage. "I think I'd quit the army; if it wasn't for... this, I'd rather do something else, like travelling, studying..." L'idée est tellement ridicule: avec son nom de famille, et son père, Corban pourrait devenir quelqu'un. Doit devenir quelqu'un, et changer la donne...
Mais une vie studieuse d'érudit ne serait-elle pas plus agréable? Loin du monde, loin d'Ishval, loin de toute cette horreur. Ensemble, ils pourraient s'enfuir, et personne ne les trouverait où ils iraient.

"I don't care where home is..." Corban se détache et Buck rouvre les yeux pour les plonger dans ceux, noirs comme un ciel sans lune, de Corban. "Because you're home, James—" Buck n'a pas le temps d'ouvrir la bouche pour répondre, de laisser ses yeux s'attarder sur la bouche de Corban qui s'enroule autour de son nom, parce que tout d'un coup, le sol lui tombe sous les pieds et une sirène lui déchire les tympans.
C'est sans réfléchir qu'il se met en action: son bras autour du cou de Corban tombe et il pose fermement sa main dans son dos, le projetant en avant pour l'éloigner du bâtiment en train de s'effondrer dans leur dos. "WATCH OUT!" Il essaye de sauter à sa suite mais perd l'équilibre sur un morceau du sol en train de se résorber dans l'implosion. "CORBAN!" Mais sa main se referme sur du vide quand il essaye de l'attraper, et Buck se fait avaler par la bâtisse qui s'écroule.

Le monde devient poussière, puis noir, puis douleur. Quand on le sort de là, Buck a les poumons plein de poussière mais il est miraculeusement sain et sauf excepté pour quelques égratinures et une concussion - on l'amène dans une tente d'infirmerie dressée pour l'occasion. Il a passé presque trente-six heures sous les décombres, écoutant anxieusement les bruits d'affrontements au-dehors, pleurant silencieusement en s'imaginant qu'on ne viendrait jamais le chercher.
Accompagné par un lieutenant, Buck regard Ishval réduite à néant. Les alchimistes d'état et l'armée n'ont pas chômé depuis la veille: des restes de leur ennemis n'existent que des poussières et des corps démembrés, brûlés, tordus. Buck se sent horrifié et soulagé à la fois devant ce spectacle horrible de la cruauté de son armée. On lui a dit que l'explosion de la caserne avait été causée par un alchimiste ishval.

Il s'est décidé à demander après Corban une fois sorti de l'infirmerie - il a peur, autrement, d'apprendre une terrible nouvelle qui l'achèvera. Quand il était sous les décombres, il s'est repassé en boucle le film de ses derniers instants à la lumière: la bouche de Corban, sa main se refermant à quelques centimètres de la sienne, le regard paniqué et sombre de son ami alors qu'il était avalé par le bâtiment. Il ne fait aucun doute pour Buck qu'il a survécu.
Il ne s'attend donc pas à le voir allongé, inconscient, sur un lit de fortuné. Sa forme est asymmétrique, coupée net au-dessus d'un genou; et, plus terrifiant encore, surplombé par la silhouette menaçante de ce qui ne peut être que son père. "Corban?" Il se précipite à son chevet, sous le regard froid du commandant Yaxley, qui le regarde silencieusement alors que Buck replace une mèche de cheveux noirs sur le front de Corban. Le père de Corban répond laconiquement à ses questions, et lui indique son fils va être déchargé honorablement et reviendra avec lui le lendemain à Central. Et vous, jeune homme, qu'allez-vous faire?

Buck ne sait pas quoi répondre. Il ne peut que regarder ses rêves s'envoler en fumée quand, au petit matin, il se réveille en priant pour ne pas avoir manqué son réveil, et tourne la tête pour voir que le lit de Corban est vide et qu'il est seul.