| | | Atrium du Ministère — Mai 2006 Lend me your hand and we'll conquer them all But lend me your heart and I'll just let you fall. Lend me your eyes I can change what you see But your soul you must keep, totally free. Rentrer à la maison devenait chaque jour plus compliqué. Un comble, pour une femme comme Jae-Hwa qui avait dressé sa maison en foyer, là où tout le monde devait rentrer, si emplie de sa magie qu’elle pouvait parfois savoir où était toutes les personnes à l’intérieur de ses quatre murs. Sa maison, c’était une extension d’elle-même et pourtant elle ne voulait plus y retourner. Car chaque fois qu’elle en passait le pallier, cela devenait mille fois plus douloureux d’en ressortir. C’était comme une prison, une embrassade étouffante qui, cherchant à la protéger, ne la lâchait pas. Chez elle, la magie de Ha-Yun était partout, chez elle, l’illusion d’une famille complète la berçait encore. Il n’y avait pas les loups-garous qui l’horrifiaient, il n’y avait pas les collègues imbéciles qui la jugeaient, il n’y avait pas les mangemorts bien plus anciens, bien plus dangereux qu’elle, qui regardaient de haut sa misérable vendetta personnelle. Jae-Hwa n’avait jamais été chez elle qu’avec sa famille, et sa famille n’était plus là pour la soutenir. Alors plutôt que de devoir souffrir de quitter le berceau tendre qui lui chantonnait de rester à jamais au creux de son lit à attendre sa fille décédée, elle préférait de ne pas rentrer. Souffrir de l’agressivité du monde, de la difficulté de la vie, et s’enfermait dans son travail pour trouver sa dépression. Si elle travaillait plus, si elle convertissait plus de loups-garous, si elle en tuait le plus possible, alors elle trouverait ceux qui ont tué sa fille, elle les trouverait et les exécuterait. Et après cela… Après cela quelque chose se passerait, se débloquerait, et peut-être que le monde en deviendrait supportable.
Ne pas rentrer, travailler, jusqu’à ne pas rentrer chez elle. Ce n’était pas comme s’il était inhabituel de travailler en continu au Département des Mystères, et chaque Langue-de-Plomb un tant soit peu bien placé avait un canapé dans son bureau où s’effondrer de quatre à cinq heures du matin pour faire semblant d’être reposé une fois les plus raisonnables arrivés au matin (pères et mères de jeunes enfants, chercheurs dégoûtés par le gouvernement qui fuyaient leurs recherches, imbéciles qui ne feraient pas long feu). De toute manière, lorsqu’elle rentrait, Aloysius n’était que rarement présent, et elle entrait alors dans des spirales sans fin à se demander avec qui il la trompait, et il était alors impossible de trouver le sommeil. Ce jour-là, comme tant d’autres jours, Jae-Hwa avait donc passé la nuit au labo, enfilé des vêtements laissés dans son bureau au matin, des choses sombres, sobres, maintenant que son mari n’était plus là pour lui conseiller quoi mettre. Plus de mari, non plus, pour dompter sa chevelure au matin, pour lui donner un sens, et ainsi, comme souvent dernièrement, elle ne fit qu’attraper la masse pour l’attacher au sommet de son crâne. Elle n’avait pas le temps, de toute manière. Une fois prête, elle fit le trajet inverse de ceux qui suivaient des horaires de bureau. En silence, avec à peine quelques salutations, on laissa passer la Mangemorte pistonnée qui n’était là que pour torturer les monstres, et certainement pas là pour la beauté de la recherche. On ne lui demanda pas où elle allait. On ne s’interrogea pas sur ses rendez-vous. Si Clearwater la cherchait, elle serait reçue par sa secrétaire, et baste.
Il n’y avait pas à supporter longtemps la masse de l’ascenseur pour rejoindre l’atrium. Du niveau 9 au niveau 8, à peine le temps de respirer l’odeur immonde de la masse de sangs-mêlés. Heureusement elle était à l’inverse du flux, et eut surtout à jouer des coudes pour sortir de l’ascenseur sans que la masse qui cherchait à monter aux bureaux ne cherche à rentrer à l’ascenseur. Quelqu’un hurla derrière elle : « Laissez les gens sortir bordel ! » Ce qu’elle ne put qu’approuver, bien qu’en silence. Elle restait largement en avance pour retrouver Elspeth, sa jeune apprentie, qui venait d’arriver par l’entrée des visiteurs. Un sourire satisfait vint bercer les lèvres de Jae-Hwa. Elle aussi, était en avance. « Bonjour Elspeth, » l’accueillit-elle en la rejoignant, bras tendus qui vinrent vite embrasser la jeune femme. Elle la serra un peu fort, signe de sa tension, de son impatience, voire de l’excitation qu’elle avait à aider cette pauvre petit à trouver sa voie. En s’écartant d’elle, elle jaugea son apparence, redressa la lanière de son sac, inspira. « Bien, très bien. » Elle acquiesça dans le vide, tout en serrant son épaule. « Comment te sens-tu ? Prête ? As-tu réussi à dormir ? À manger ? Je ne te laisse pas y aller sans quelque chose dans le ventre. » Elle avait une voix qui grognait un peu, légèrement sévère, comme ces mères qui s’inquiètent de façon trop véhémente, pour votre mieux. Car si rentrer à la maison devenait chaque jour plus compliqué, Jae-Hwa faisait de son mieux pour retrouver la sécurité de son foyer et de sa famille dans son travail et dans les liens qu’elle continuait à tisser, malgré le deuil. |
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