Two days after GracefieldTW : language

Elle n’osait pas espérer. Pourtant, Sinead ne pouvait s’en empêcher. Qu’au milieu de la foule désorganisée et apeurée des rescapés, elle apercevrait son visage. Presque un an. Une putain d’année à attendre son retour, à craindre son trépas, à désespérer d’un jour le retrouver. Une année à enchaîner les décisions irréfléchies et les coups de gueulante dans l’intimité du Tempest (sorry Ed). A s’tourner et s’retourner dans son lit dont les draps même réchauffés par d’autres corps lui semblaient glaciaux quand elle tentait d’y trouver le sommeil. A renifler un de ses pull qu’il avait laissé derrière lui dans sa chambre, à sentir son odeur, à l’imaginer au bout de quelques mois quand ce pull n’aurait rien dû sentir d’autre que son désespoir, son impuissance, son odeur à elle à force de le serrer contre sa peau et de le revêtir. Comme si ce geste pouvait le ramener. Comme si elle pourrait le retrouver. Elle n’osait pas espérer parce qu’elle avait trop peur d’être incapable de s’relever s’il s’avérait que Gabriel ne faisait pas partie des survivants.

Alors, pour masquer l’inquiétude grandissante et les espoirs qui s’attisent et se gèlent à chaque nouvelle main qu’elle attrape pour hisser la personne dans la sécurité du Tempest, Sinead s’affaire, elle gueule, elle bouge en long et en travers sur le pont du navire, s’active à passer potions par-ci et lancer quelques sorts élémentaires de guérison par-là. N’pense pas à son père qui est là quelque part, qu’elle a à peine eu l’temps d’enlacer - s’faire écraser dans ses bras serait plus exact - et tente désespérément de n’pas penser à Gabriel.

Et ça marche. Un peu.
Sinead s’oublie dans l’urgence.
Jusqu’à ce que sa voix perce le doute et la peur.

Ce serait mensonger de dire que l’temps se suspend, les cris ne s’amenuisent pas, les gens continuent de courir dans tous les sens et à l’extérieur, la magie fuse de partout. Mais tout s’estompe d’une certaine manière quand cette voix jaillit de nulle part, quelque part dans son dos. Et qu’elle la reconnaît. D’un brusque mouvement, Sinead s’retourne, ses cheveux la fouettant au passage, et elle le voit, il est là sous ses yeux. Il soutient quelqu’un qu’elle n’connaît pas. Il a changé. Elle aussi sans doute. Sinead court, bouscule quelqu’un peut-être, se rue vers cette voix et la personne qui la détient. Elle n’rêve pas putain.

Il est là.
il est vivant.
Elle peut l’toucher.

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Elle aurait voulu rester avec lui. Eux, parce qu’elle a rencontré Herbert - a daigné lui envoyer un regard mais sans plus, ayant qu’une bien piètre estime du personnage - et que l’un n’va pas sans l’autre ; mais on n’lui en a pas laissé la chance, fallait qu’ils se reposent et qu’ils soignent leurs blessures, l’pauvre vampire semblait dans un état proche de l’apathie et y’avait tous les autres. Puis, y’avait son père aussi et Sinead ne s’voyait pas s’éloigner de lui aussi vite après l’avoir retrouvé.

Prenant son mal en patience, Sinead a réussi à attendre deux jours avant de transplaner jusqu’à la Fawkes sous le prétexte authentique d’apporter des nouvelles potions et des plantes. après avoir échangé avec les sorciers présents là-bas, apporté un peu de son aide, elle demande où est Gabriel et s’dirige vers la chambre qu’on lui a attribué. Heureusement, quand elle toque à la porte - d’une main tremblante et peu assurée - et qu’on lui dit d’entrer, Sin peut constater que Gabriel est bel et bien seul et non pas scotché à son meilleur ami.

Un fantôme de sourire se dessine sur ses lèvres tandis qu’elle s’avance pour s’arrêter à quelques centimètres de lui. Ils sont bien loin de l’effusion des retrouvailles, mais dans le calme retrouvé tout se mélange dans sa tête. Le soulagement de le revoir sain et sauf (autant que faire ce peut), la fatigue du sommeil qui ne vient toujours pas, la peur des annonces à venir. Quelque part, Sin sait qu’elle va l’perdre une deuxième fois, alors qu’elle vient à peine de le récupérer. It’s so fucking unfair.

Elle n’pourra pas lui en vouloir.
Personne n’accepterait ce qu’elle s’apprête à lui révéler.
Elle n’peut pas lui demander ça.
Pas après tout ce qu’il a vécu. Tout ce à quoi il a survécu.

Dans un souffle timide qui ne lui ressemble, elle ose parler sans trop s’approcher, sans essayer de le toucher. “Hey. J’espère que j’dérange pas. Je voulais juste te voir. Est-ce que j’peux faire quelque chose pour toi ?” Tu m’as manqué, tu m’manques encore. J’ai envie de t’embrasser là tout de suite, j’ai pas envie de parler. Prends moi la main, laisse moi prétendre que tout ira bien et qu’on peut reprendre là où on s’est arrêté quand on t’a arraché à moi.

Mais, le temps inflexible ne revient jamais en arrière.
Il ne fait qu'avancer et on ne peut que le suivre ou s'arrêter.

Sinead observe Gabriel. Après tout ce temps passé à penser qu'elle n'pourrait plus jamais le contempler, l'entendre, le toucher, la sorcière a encore du mal à penser qu'il est bel et bien vivant sous ses yeux, en sécurité. D'abord, elle est comme figée sur place, bloquée par un mur invisible formé par ses propres pensées et ses inquiétudes et tous ces mois qui les ont tenus éloignés l'un de l'autre. Puis, Gabriel parle. Sa voix lui fait l'effet d'une bourrasque, d'une inspiration, d'un espoir auquel elle avait presque cessé de croire. Elle s'en veut pour ça aussi, voudrait s'excuser d'avoir pu penser même une seconde qu'il ait pu perdre la vie alors qu'elle a jamais douté pour son père. Au milieu de tout ça, Sin est en colère contre lui aussi de s'être mis en danger, de s'être laissé prendre, de ne pas lui avoir dit où il allait. C'est pas rationnel mais ça bouillonne et ça la tient figée.

Jusqu'à ce qu'il parle. "J’suis content de te voir." "Moi aussi," murmure-t-elle, un sourire en réponse de celui qu'il lui envoie. Il a l'air mieux que sur le bateau, rasé, lavé, presque reposé. Et tout lui revient de plein fouet, des bribes de souvenirs, des moments partagés. Son sourire tremble. Son corps aussi. Sinead a grand mal à écouter ce qu'il lui dit, cligne à plusieurs reprises avant de comprendre qu'il lui a posé une question. "Tu…tu vas bien?" "Oui." Sinead avance d'un pas. "Pas vraiment." D'un autre. "J'sais pas." Elle rompt la distance et se fracasse contre son corps, ses bras viennent s'enrouler autour de ses hanches, les paumes à plat sur son dos et la tête enfouie dans son torse. Elle inspire. Il a toujours la même odeur. C'est bien lui. "Mais t'es là. Putain. T'es là," répète-t-elle un peu bêtement, comme pour s'assurer que tout n'se passe pas dans sa tête. "Tu m'as manqué," confie-t-elle, la tête cachée. Ses mains s'accrochent maintenant à lui, un peu trop fort, elle lui dira après pour tout le reste.

Sinead a juste besoin de quelques minutes de répit, dans une bulle qu'elle construit autour d'eux avant de la faire exploser. Il va falloir lui dire. Elle s'attend déjà au pire, elle n'veut pas le perdre alors qu'elle vient à peine d'le retrouver. "Et toi ? Comment tu te sens ?" qu'elle demande en se détachant de lui assez pour le regarder dans les yeux, la tête penchée en arrière. Son sourire est vacillant, y'a peut-être même quelques larmes au coin d'ses yeux. "Ca se passe comment ici ?" trop de questions s'enchaînent maintenant, "Il est pas là ton ami ?" Tant qu'ils parlent des choses qui ne comptent pas alors elle n'a pas à aborder le reste. C'est une technique d'évitement comme une autre dans laquelle la laborantine s'engouffre avec aisance pour l'moment.

Sin a besoin d'un peu plus de sa chaleur. D'encore un peu de son odeur. D'autant de lui qu'elle peut emmagasiner avant que tout disparaisse.

Après des phrases que Sin n'a qu'à moitié entendues, trop distraite par son odeur et sa chaleur, elle le sent s'éloigner d'elle. Se détacher en attrapant ses bras doucement mais fermement pour que l'étreinte cesse. Ses sourcils se lèvent et s'affaissent et ses dents mordillent sa lèvre inférieure. Mais Sin ne dit rien. Elle s'est laissée emportée un peu par le son de sa voix et la vague de souvenirs qui l'a assaillie. Au fond, elle sait aussi qu'elle avait besoin de cette étreinte un peu égoïstement, parce qu'après ce qu'elle va lui dire la sorcière n'est pas certaine qu'il y en aura d'autres.

Gabriel met de la distance entre eux en s'asseyant sur son lit et elle voudrait venir l'effacer immédiatement, mais n'en fait rien. Message reçu. A la place, Sin s'assied à côté de lui mais sans le toucher cette fois et l'écoute parler. "Ici….ça bouge beaucoup, même si ça s’est relativement calmé. On vérifie les signes vitaux toutes les deux heures, mais on nous laisse quand même tranquille. Il y a beaucoup de curiosité, mais on respecte notre silence. Je n’ai pas vu les autres, en vrai. " Notre silence. Dans les jours qui ont suivi la nouvelle des horror games, et après s'être mise à espérer qu'elle le retrouverait là-bas, Sinead a beaucoup trop imaginé ce qui avait pu leur arriver, les horreurs qu'ils avaient dû voir et faire pour survivre. Elle sait que si un jour il voudra lui en parler (lui ou son père) elle sera là pour l'écouter, mais ne veut pas poser la question. N'a d'une certaine manière pas envie de savoir la vérité. C'est souvent pire que tout ce qu'on croit savoir, non ? Il lui dit ensuite qu'Herbert (ah oui c'est ça son prénom) est quelque part - pas là en tout cas, sans doute pas pour un moment - et ça la rassure un peu, avec un peu de chance il ne les dérangera pas. Sinead n'a pas trop envie d'une autre paire d'yeux quand elle devra lui dire pour ... le bébé.

Il n'a pas l'air d'aller bien. L'éclat dans ses yeux n'est plus le même. Ptêtre qu'il faudrait qu'elle se taise. Est-ce que c'est le bon moment ? Est-ce qu'il y en a un de bon moment ? Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux faire comme si de rien n'était jusqu'à ce que les choses se tassent un peu ? Trop de questions qui s'entortillent. Aucune réponse à l'horizon bien sûr. On n'est jamais certain d'emprunter le bon chemin avant qu'il ne soit trop tard. Elle fixe ses mains qui s'ouvrent et se referment à quelques centimètres de son ventre qui bientôt va s'arrondir.

C'est sa voix qui lui fait lever la tête, la lui secouer brièvement pour en chasser les doutes. "Je…j’ai pas voulu fuir. Cette nuit-là. Il y a plus d’un an. " Ses sourcils se froncent, Sinead n'comprend pas tout de suite de quoi il est question. Puis ses yeux s'agrandissent comme des soucoupes, ah oui, leur dispute (une de plus), son départ précipité, sa disparition totale. La sorcière y pensait même plus. En fait, elle s'était même jamais dit qu'il s'était enfui. L'avait cru mort, et la dispute en avait parue que plus superficielle. Un détail, une bricole. Y'avait eu un peu de culpabilité peut-être, mais principalement c'était le chagrin et la perte qui l'avaient accompagnés pendant ces mois. Parce que si elle n'avait jamais douté de la vie de son père, il n'en avait pas été pareil pour son compagnon. Elle l'écoute cependant lui expliquer ce qu'il s'est passé, "Je suis sorti avec Herbert et on a été arrêté par un membre de la brigade value. Je n’ai pas eu la chance de te contacter. Jamais je ne serais parti." hoche de la tête et sourit doucement. "Je sais. J'ai jamais pensé que t'étais parti, j'ai cru que ... enfin ..." ouais. tu vois quoi ... Elle baisse la tête, hausse une épaule, a un peu honte d'avouer ça et n'veut pas prononcer les mots qu'elle a que trop pensé dans sa tête. Surtout le soir, surtout la nuit. Ces mots qui l'ont conduite à trouver refuge dans les bras d'autres personnes. Parce que c'était trop dur d'être seule. Parce que ça faisait trop mal. "Ca m'a paru si débile cette dispute quand t'es pas revenu le lendemain. J'sais même plus à propos de quoi c'était." Dans d'autres circonstances, Sin l'aurait cogné au niveau de l'épaule en lui disant qu'il avait été con et qu'il aurait pu faire un peu plus attention. Mais l'existence de Gracefield a enterré tout ça.

Allez, s'il peut être honnête, elle aussi. Sinead inspire un grand coup, son diaphragme se gonfle puis se dégonfle comme un ballon. "Moi aussi j'ai quelque chose à t'dire. Ses doigts dessinent des spirales sur le drap de la couchette et elle regarde le visage de Gabriel sans fixer ses yeux, est pas certaine de vouloir être témoin de sa réaction. J'sais pas où on en est tous les deux. Et c'est clairement pas la priorité en c'moment. Un geste pour désigner les lieux et tout le bordel de l'Ordre. Mais j'pense que c'est important qu'tu le saches. C'est pas comme si j'allais pouvoir l'cacher bien longtemps de toutes façons. Okay là clairement, Sinead gagne du temps. tourne autour du chaudron de la plus ridicule des manières. J'suis enceinte de quelques mois maintenant. J'vais l'garder. Le père est pas au courant. C'était pas prévu mais euh voilà." Sa main s'est refermée sur le drap à la fin de son discours décousu et sin n'a jamais autant regretté de pas savoir s'exprimer que maintenant là tout de suite. Putain, quel bordel quand même !

Le regard de Gabriel glisse sur son ventre et Sinead a le reflexe de se recroqueviller un peu, de passer une main dessus pour s'extraire à ses yeux. Comme elle aimait son regard posé sur elle avant. Mais il n'y a plus la fougue et la passion et la tendresse dans ses yeux maintenant. Il n'y a ... plus rien. Ou plutôt une tempête dissimulée derrière un brouillard. Il répond Okay et le cœur de Sinead se brise un peu plus. De le faire souffrir, d'accentuer le gouffre immense qui déjà les sépare. D'être responsable de son silence. De savoir que d'une certaine manière elle plante un couteau contre son torse. Et le pire dans tout ça c'est qu'elle n'regrette pas ce qu'il s'est passé. George était la seule personne qui lui permettait de rester à peu près saine et de pas péter un cable quand tous les autres avaient disparu. Ne pas parler avec lui était le seul réconfort qu'elle trouvait dans les moments où le sommeil la laissait tomber.

Non, Sinead n'regrette pas.
Ca veut pas dire pour autant que c'est simple comme un bonjour, que ça lui brise pas un peu le coeur, qu'elle a pas l'impression de se fracasser contre les récifs.

Gabriel évitent son regard et reste silencieux trop longtemps. Elle s'apprête à ouvrir la bouche de nouveau quand il lui pose une question à laquelle elle s'attendait pas. A quoi s'attendait-elle au juste ? — Euh ... Sid compte sur ses doigts en fronçant les sourcils, est-ce que c'est le genre de trucs qu'elle est censée savoir ? On compte en semaines quand on est enceinte ? Merde. Sept ou huit semaines, un truc du genre. Faudrait que j'aille voir Eimear et ... Sa bouche se referme, ses yeux se perdent dans l'observation d'un point aléatoire de la pièce, évitent à leur tour de trop rester sur le visage autant par peur d'y voir de la colère que de l'indifférence. It's a fucking mess.

Ensuite, il faudra en parler à ses pères ainsi qu'à George... Ensuite, il faudra qu'elle apprenne à devenir quelqu'un qu'elle n'aurait jamais songé être un jour. Ensuite, elle devra prendre soin d'un petit-être. Mais tout ça c'est plus tard et Sinead aura bien le temps d'y penser, de paniquer, de rouspéter et tempêter. Pour l'instant, il y a Gabriel à ses côtés mais qui lui semble être à des années lumières d'elle-même, si proche et pourtant si loin. Il y a Gabriel et son regard si terne, et sa voix cassée et ses longs silences compréhensibles mais plus brutaux que des mots. Dis quelque chose, qu'elle se refuse à lui demander.

— J'suis désolée, dit-elle à la place, ce n'est certainement pas le genre de choses que t'as envie d'entendre. Ni de vivre, surtout pas après Gracefield. Mais il paraît que c'est la vie, pleine d'imprévus, aussi bien ordonnée que bordélique, surprenante. Chaotique.

A cet instant, Sinead est persuadée qu'elle va perdre Gabriel alors même que la vie vient à peine de le lui rendre. C'est injuste. C'est comme ça.