Il a fallu plusieurs semaines pour qu'Elena trouve Mendo. Elle est très occupée, et en plus elle ne va pas très vite quand elle marche, et je ne la vois pas souvent... mais elle ne m'oublie pas (elle me le promet à chaque fois) et elle revient toujours (ça aussi) et elle est là pour moi (ça c'est un mensonge en revanche).
Le manoir se vide peu à peu à mesure que les semaines défilent, et on parle de plus en plus de mon départ pour Sweet River. On me dit que c'est bien là-bas, que y'a plen de gens comme moi et au début ça me donne l'espoir, mais quand je comprends qu'ils veulent dire d'autres hybrides, ça me rend triste. Hybrides. Comme moi. Un hybride. Les gens changent. Fils. Frère. Weirdo. Ami. Hybride. Comme la chenille qui devient papillon en passant par la chrysalide. J'espère que ma transformation n'est pas finie.

L'agitation d'août laisse place au calme relatif de septembre. Je pourrais rester ici peut-être, j'arrive plus trop à utiliser ma magie depuis Gracefield. Elle s'échappe de ma baguette comme un lapin qui s'enfuit, saute quand on tend la main pour lui attraper la patte. C'est vrai que je ne fais pas beaucoup d'efforts en plus. Je n'ai pas envie de partir, et si être étudiant signifie rester ici... je commence même à m'habituer à ma chambre, qu'Elena a insonorisé pour moi. La nuit, je regarde la pluie tomber sur ma fenêtre sans que ça fasse le moindre bruit. J'écoute de la musique très fort jusqu'à ce que mes oreilles me fassent mal. Je pense à Mendo. Je pense à Bashir. Je pense à Jesse. Parfois, je pense à Maman. Je pense surtout à Mendo.

Quand est-ce qu'ils vont me laisser partir?

Il fallu plusieurs semaines à Elena pour qu'elle trouve Mendo; et seulement quelques jours après ça pour qu'on me dise qu'il fallait que j'aille à Sweet River.  Quatre jours, seize heures, vingt-huit minutes.

Maintenant, j'ai envie d'aller à Sweet River. Mendo ne veut plus de moi... Quand je me suis approché de lui pour la première fois, il s'est reculé. "LYING...?" Je crois qu'il ne me reconnait pas. J'ai pleuré toute la nuit et normalement, il aime bien me rejoindre dans mon lit et ronronner contre mes cheveux. Mais il n'est pas venu. Pendant la nuit, il est même sorti de ma chambre. Impossible de le retrouver, même quand mes mains ont commencé à trembler. "Mendo?" Ça sert à rien, il ne me reconnait pas et me déteste. J'ai fait le tour de l'étage où je dors, et celui d'en bas, en ouvrant les portes non-verrouillées et jetant des regards désintéressées aux silhouettes parfois endormies. "Mendo?" Tous les murmures n'y sont pas parvenus. Mon fléreur mon déteste et je suis tout seul et je vais aller à Sweet River avec les gens comme moi demain matin et j'ai pas envie, pas sans Mendo, pas tout seul, pas moi, je suis pas comme eux, je suis comme personne, c'est Maman qui disait ça toujours, et elle avait raison, je veux juste être tranquille et jouer de la basse et fumer de la weed et écouter ma musique et retourner à la maison et où est Elena--

"Mendo!" Il fait froid, c'est le milieu de la nuit, mais je sors quand même pieds nus pour le trouver. Il est allongé sur le perron du manoir à côté de quelqu'un que je ne connais pas. Je ne la regarde pas dans les yeux en m'agenouillant près de mon fléreur, dont les poils s'hérissent quand je tends la main. "Mendo, it's me. - LYING? - No, Mendo, look..." Mais il saute en arrière quand j'essaye de le toucher, et vient plutôt se lover dans les jambes croisées de l'inconnue. "It's, uh, it's my cat," je lui dis avec un froncement de sourcils embêté. "LYING. - My kneazle," je me corrige. "Who are you?" Who do you think you are, je pourrais presque demander, alors que Mendo se met à ronronner contre elle.

Assise sur le perron du Manoir, Cam fume une cigarette les yeux dans le vague. Depuis qu’elle est arrivée, ce rituel s’est mis en place sans qu’elle le réalise. Quitter sa chambre à la tombée de la nuit, quand personne ne la dérangera, allumer une cigarette qui lui permettra de dormir à moitié, et s’perdre dans ses pensées. Faire le bilan de sa journée. Elle pensait que tout serait plus simple une fois en sécurité, à l'abri. Mais Cam se sent étouffer. Acculée. Y’a plus Jax, mais y’a Gabriel. Y’a plus Cat mais y’a l’animagie. Trop de changements, de chamboulements, de bouleversements. Elle a parfois du mal à respirer. N’arrive plus à suivre, et elle dort toujours aussi mal, et elle a toujours autant peur, et elle veut qu’on la laisse tranquille et en même temps qu’on la remarque.

Ses pieds nus tapent sur la pierre de la marche nerveusement, un ballet incontrôlable alors qu’elle reprend une bouffée de sa cigarette. Freaking pathetic.

La joie fugace d’une journée à la plage lui paraît déjà lointaine, et ne restent que les échecs répétés durant les cours. Pourquoi ne peut-elle pas faire comme tout le monde et attraper les bons moments qui passent juste sous son nez ? Pourquoi ne peut-elle pas être comme tout le monde ? Sa main libre est venue tracer le D. inscrit sur sa cheville, les doigts tremblants sur la peau nue et marquée à vie. Sa moue s’intensifie, sa respiration s’accélère, et des larmes qui ne coulent pas se figent à l’intérieur de son corps.

Un bond fugace en sa direction la fait sursauter, lâcher sa cigarette et se relever d’un seul coup, ses yeux se dardant sur le mouvement. Son cœur tambourine alors qu’elle se fige. Plus de pensées, plus rien. Le vide.

Jusqu’à ce qu’elle réalise que ce n’est qu’un chat - ou quelque chose s’en approchant - qui la regarde sans bouger en penchant la tête sur le côté. Une main sur sa poitrine haletante, Cam le fixe à son tour de ses yeux sombres. Les deux s’observent un long moment avant que l’animal s’allonge en la fixant comme s’il l’invitait à le rejoindre. Ou ptêtre bien qu’elle imagine des choses, mais c’est ce que fait Cam abandonnant la cigarette qui s’est éteinte en tombant par terre. “Hey. You lost?” Chuchote-t-elle au bout d’un moment. Il cligne des yeux. Elle aussi. “Yeah. Me too.” Puis, le silence. Par moment, leurs regards se croisent, mais sinon l’animal et Cam restent assis dans bouger ; ses pensées se sont calmées depuis qu’iel a fait son apparition. Elle se demande - comme toutes les dernières fois - si son animal pourrait être un chat. Comme professeure McGonagall, ça serait classe et badass.

Ses pieds ne tapent plus nerveusement, et ses jambes se croisent l’une sur l’autre alors qu’elle lève la tête vers le ciel. Cam ne pourrait dire combien de temps passe ainsi, sans qu’elle ne fasse mine de se lever ou de partir se coucher quand une voix, une personne qu’elle aperçoit sans la reconnaître (ils sont tellement nombreux en ce moment à la Fawkes. Un peu trop à son goût), vient briser le cocon dans lequel ils s’étaient enfoncés tous les deux. "Mendo, it's me. - LYING? - No, Mendo, look..." Les yeux de Cam s’arrondissent en entendant la réponse de l’animal. He can talk? so cool. Ses yeux remontent ensuite jusqu’au garçon ; il doit avoir à peu près son âge et ne la calcule même pas alors qu’elle fixe avec méfiance. Il tend une main vers son chat qui atterrit sur les genoux d’une Cam surprise. Elle retient un sourire surpris et un sourcil se soulève tandis que l’animal se love contre ses jambes. Il est tout chaud et tout doux. "It's, uh, it's my cat," "LYING. - My kneazle," Ses yeux passent du visage du garçon à celui du chat. Fléreur. Whatever. Silencieuse et circonspecte. agacée un peu d’avoir été interrompue. Calmée pourtant par ce qui se dégage de Mendo. "Who are you?"  qu’il demande tandis que la joue du chat vient chercher la paume de sa main. Son torse vrombit contre sa jambe et pour un peu la sorcière en oublierait de répondre. C’est peut-être un chat qu’il lui faudrait en fait, pour aller mieux. Quoi que… sans doute pas. “Cam,” répond-elle finalement, sa main vient caresser la nuque de l’animal. Elle ne regarde le garçon qu’en coin maintenant, “You?” Et après un temps, Cam l’interroge sur ce qui l’intéresse vraiment. “What’s a kneazle? And why your kneazle is wary of you?” Elle essaie pas d’être méchante - mais peut-être l’est-elle un peu.

Cette fois, le fléreur reste silencieux. Bizarre, c’est peut-être un truc magique de maître/animal ou autre chose du même genre ?

Si le fléreur ne l’empêchait pas littéralement de se lever, Cam se serait enfuie dans sa chambre depuis plusieurs minutes déjà. Mais Mendo enfonce doucement les griffes de ses patounes sur le lainage de son pull et ronronne à chacune de ses caresses. Cela fait longtemps qu’elle a pas entendu un son aussi agréable et ça vaut bien la présence du garçon - qui a l’air plus inquiet que dangereux.    

Évidemment que Mendo est gentil: c'est moi qui l'ait vu grandir et qui lui ait appris à ne pas mordre, à ne pas griffer, à ne pas embêter les gens. Ça a pris du temps, des années pour en arriver là, et je me sens trahi de le voir ainsi se lover et se presser contre cette inconnue. Il agit comme une... comme une... comme une tchoin dirait Bashir! Il n'a pas le droit! Mendo est à moi.
Et pourtant, je l'entends ronronner, parfaitement à l'aise.

J'ai envie de pleurer. “Cam. You?” Cam, elle s'appelle Cam. "C-Cal. I'm Cal." En temps normal, je préfère me présenter sous le prénom de Caliban (parce que c'est mon prénom, et que le raccourcir est un peu stupide, non?) mais je trouve ça drôle que nos prénoms se ressemblent. Je ne regarde pas Cam, juste ses mains qui caressent Mendo et lui qui s'y frotte comme si je ne l'avais jamais habitué aux caresses... “What’s a kneazle? And why your kneazle is wary of you? - He's not wary of me! - LYING." La voix graveleuse de Mendo est hésitante, et il ne me regarde pas alors même que je sens mon coeur faire des saut périlleux dans ma poitrine. Pas le bon genre de sauts périlleux.

Je ne me souviens pas d'une vie sans Mendo. Je crois que je n'ai pas envie d'imaginer une vie sans Mendo. Quand Bashir l'a ramené à la maison, je me souviens de comment il s'était terré sous le canapé, terrifié par tout le bruit. Bashir avait essayé de l'attirer avec des croquettes, en vain. Stevie avait proposé de lui mettre des bols de lait aux quatre coins de la pièce. Moi, je m'étais contenté de m'allonger à même le tapis rugueux pour le regarder et lui parler. J'avais parlé de l'école et de Bashir et de Stevie et de mon album préféré (People's Instinctive Travels and the Paths of Rhythm), et de la dernière basse que j'avais acheté (une Rickenbacker moldue), et du fauteuil qu'on pensait récupérer avec Stevie de chez un pote (en velours vert).
Bashir et Stevie étaient partis dans leurs chambres pour dormir et moi j'étais resté toute la nuit à parler. Je lui avais parlé de Maman et de Jesse et de Papa et puis de Maman encore, et Mendo m'avait écouté. J'avais fini par m'endormir. À mon réveil, il dormait sur ma poitrine.

Et maintenant, il me regarde comme si il ne me reconnaissait pas, soumis aux caresses d'une inconnue. Non, pas d'une inconnue. De Cam. "That's a kneazle," je fais en le pointant du doigt. "He's a purebreed. That's why he does the thing..." Je m'approche lentement, à quatre pattes, de Cam et de Mendo qui s'immobilise dans ses ronronnements et ses frottements en me voyant faire, aux aguets. "He doesn't recognise me... I smell like a wol... I got clawed and..." Je sens les larmes me monter aux yeux et je renifle, en réprimant l'envie de gratter ma blessure à peine en train de cicatriser sur mon cou et mon épaule. "He doesn't know who I am anymore. Mendo, it's me, Caliban... - L-LYING?" Je ne l'ai jamais entendu si peu sûr de lui.
Peut-être que ce n'est pas que moi qui a changé, mais lui aussi...

"C-Cal. I'm Cal." Il ne la regarde pas toujours pas, ses yeux fixés sur le chat - fléreur - et c'est bizarre un peu mais pas désagréable, Cam aime pas trop quand les gens la fixent longtemps. Ca lui donne l'impression qu'ils peuvent voir à travers sa carapace, découvrir tous les secrets qu'elle dissimule et les cicatrices aussi bien visibles qu'invisibles. Ca la met toujours très mal à l'aise. Etre en face d'un inconnu lui aspire déjà tellement d'énergie qu'elle s'accroche à tout ce qu'elle peut pour supporter chacune des interactions qui viennent avec le fait de vivre au sein de la Fawkes.

Cam s'apaise quelque peu lorsque la discussion se tourne vers Mendo, le curieux animal qui a pris résidence sur ses genoux et ne semble plus jamais vouloir en partir. Elle l'écoute avec attention, son regard alternant entre de brefs coups d'oeil en direction de Cal et de plus longs arrêts sur la boule de poils. "That's a kneazle. He's a purebreed. That's why he does the thing..." il se rapproche et Cam en même temps que Mendo s'immobile avant de se détendre quand elle voit qu'il n'essaie pas de la toucher. Elle reste sur le qui-vive, cette fois l'observant avec attention pour ne pas être prise par surprise à nouveau. "He doesn't recognise me... I smell like a wol... I got clawed and..." Oh, ses lèvres s'entrouvrent avant de se refermer sans prononcer un mot. Il a l'air si jeune - comme elle - et il a été blessé - comme elle. Ses yeux aperçoivent pour la première fois la marque d'une blessure contre son cou et ses yeux se plissent. Un de plus. Quand est-ce que ce bordel va cesser ? Elle en a vu que trop des blessés ces derniers temps et à chaque fois ses propres cicatrices la brûlent et la démangent. Mais c'est encore pire maintenant, devant ce sorcier qui tente en vain de toucher son animal, son ami peut-être. Et ne trouve que le vide. Cam secoue la tête, elle n'a pas le luxe de s'inquiéter pour les autres. Mais le fait tout de même et son visage s'adoucit quand il prononce les mots suivants : "He doesn't know who I am anymore. Mendo, it's me, Caliban... - L-LYING?"

Un silence et une caresse contre la joue de Mendo avant de s'aventurer sur un terrain glissant, dangereux, empli d'inquiétudes et de doutes. "Is the lie that you're not really Cal or that you don't know who you are anymore?" Cam peut comprendre ça, elle a vu son a se faire avaler par les profs de la DHS, ses deux ll se briser sous les manipulations de D. et le i disparaître avec ses souvenirs : jusqu'à ce que de son prénom et de sa personne ne demeure qu'un petit bout à conserver précieusement sous une cloche de verre par peur qu'on ne lui laisse plus rien à la fin. Camilla n'existe plus, est-ce que si elle prononçait son prénom à haute voix devant le fléreur celui-ci hisserait son lying comme il le fait avec Cal ? La jeune femme sait qu'elle ne tentera pas l'expérience, terrifiée à l'idée d'avoir une réponse à cette question sans savoir ce qu'elle préfèrerait découvrir. "Maybe you should try saying something else. Or not talking at all." Elle hausse une épaule et détourne le visage un bref instant vers le lointain avant de pincer les lèvres. "If Mendo can't trust your words or your smell anymor'..." Maybe it can trust something else, qu'elle ne dit pas mais pense très fort. La confiance est un mot qui s'enroule toujours difficilement contre sa langue, qu'elle a appris à redécouvrir avec Jax et qu'elle tente d'apprivoiser un peu plus chaque jour. Les gens mentent et manipulent et on peut jamais savoir ce qu'ils cachent derrière leur manche. Alors, parfois le mieux c'est de ne rien dire du tout. Les actes ont plus d'importance que les mots, non ?

Impuissant, je regarde Mendo qui se presse dans les jambes de Cam, se laisse caresser par sa main pâle et ses doigts fins. Je n'ai jamais eu autant envie d'enfouir les miens dans la fourrure de mon Fléreur, de le sentir ronronner contre moi, sa poitrine et sa gorge vibrer d'affection... pour moi, rien que pour moi. C'est tellement égoïste, c'est tellement injuste, c'est tellement stupide; mais en cet instant, je donnerais tout, tout, pour celui que je pensais être mon ami pour toujours.

"Is the lie that you're not really Cal or that you don't know who you are anymore?" Je cligne des yeux, fronce les sourcils et ouvre la bouche pour rétorquer que non, c'est pas ça, Cam n'a rien compris, et puis de toutes façons, pour qui elle se prend? Mais elle enchaîne- "Maybe you should try saying something else. Or not talking at all." -et je sais qu'elle a raison. Elle a raison, la plupart des gens feraient mieux de se taire la plupart du temps.

Elle n'a... pas tort. Je devrais me taire. Et puis... qui suis-je? C'est vraiment moi qui ment, ou lui qui ne me reconnait pas? Est-ce que je suis encore Cal, ou alors Cal-et-le-Loup? Ou juste un loup? Un Greyback, un Halfer, un hybride, un monstre?

Et avant, j'étais quoi?

"If Mendo can't trust your words or your smell anymor'... - Then what?" Je m'accroche à ce qu'elle me dit comme un naufragé à une ligne de sauvetage. Cam a l'air de savoir ce qu'elle dit, et puis Mendo est un très bon gage de caractère, alors elle ne doit pas être aussi vicieuse comme la voleuse de chats que je la soupçonnais d'être au départ... "Do you- do you know what I could do to..." earn his trust again? make him love me again? Les mots me manquent; ils restent dans ma gorge et m'étouffent, m'écorchent, j'ai l'impression qu'ils veulent me retourner l'estomac et me faire vomir une diatribe dangereuse et méchante.

Je suis frustré, et triste, et curieux aussi. L'idée que je vais un jour devoir partir de la Fawkes, et que si ça se trouve Mendo ne voudra même pas me suivre, me brise le cœur. Je dois regagner sa confiance, même si ça veut dire gagner celle de Cam. "What should I do?" je lui demande avec une panique grandissante, à court d'idées, en me remettant complètement à elle. "I never had to work for his trust before... He- I don't know. He loved me..." Est-ce que ça veut dire que je ne le mérite plus, son amour, maintenant que je suis un monstre?

I don't care, passe presque la barrière de ses lèvres, not my problem dude. Mais Cam ne ment jamais, elle préfère le silence au moindre artifice. N'fais pas ce que tu n'voudrais pas que l'on te fasse. — I-I don't know. Elle hausse une épaule, la jeune femme se demande si elle n'aurait pas mieux fait de se taire plutôt que de déballer comme ça ses idées. Mais Cal avait l'air si triste et ça lui a fait quelque chose. So much for staying away from other's problems. Mendo se retourne, lui présente son ventre et tend son cou telle une invitation à laquelle elle s'empresse de répondre sans plus quitter le visage de Cal.  — I don't think it's about love. Animals are not like men. Not that he doesn't love you anymor'... I mean I don't know him that well to say either way, but if I'd put myself in his paws and my friend had changed one day out of the blue, I'd be suspicious as hell of him. Il en faut beaucoup moins pour la rendre suspicieuse. Words are for humans and even between us it doesn't mean shit. What's happening. Depuis quand Cam parle autant ? Est-ce la présence du fléreur qui l'apaise ou l'inquiétude de Cal qui la touche au point de dire à voix haute ce qu'elle pense tout bas. Sauf que ce qui n'a déjà que très peu de sens dans son esprit entouré d'ombres n'en fait pas beaucoup plus une fois prononcé. — So use your actions, prove him you're his friend. Don't leave just because it's not easy anymor'. That's the worst thing you could do to someone. Partir, laisser quelqu'un en arrière, ne pas revenir. Abandonner, laisser tomber, oublier. Tant d'actes qui créent des gouffres dans le coeur de ceux qui restent, humains et bêtes tout autant. combien se disent amis avant de planter un couteau dans le dos ? Combien se croient maître avant de laisser la créature sur le bas de la route quand celle-ci devient plus gênante que mignonne ?

— Or do whatever. you know him best... Don't you? Le fléreur est resté silencieux tout du long de son discours sans début et sans fin et la voix finit par s'enrailler. Cam retourne à ses pensées, lève la tête vers le ciel étoilé, ce qui était son point de repère au cœur de la forêt l'est tout autant maintenant alors qu'elle est censée avoir trouvé ici un refuge. Quelque chose déconne, le lieu ou elle, ou un peu des deux. Quelque chose dysfonctionne. Cal et Mendo ressentent peut-être la même chose.

Ils sont tous un peu perdus au final.

"I-I don't know." J'ai envie de pleurer parce qu'il y a de nombreuses questions, comme ça, où personne n'a la bonne réponse. Et c'est la vie, et c'est normal, et tout n'a pas besoin d'avoir une réponse. Mais c'est frustrant tout de même, horriblement frustrant, parce que ça ne m'empêche pas de me poser tout plein de questions et que des fois ne pas avoir la réponse me donne envie de faire des choses qui font mal. C'est un peu comme avoir une plaie et de ne pas arrêter de la gratter, sans pouvoir s'en empêcher. J'ai trop de questions et le monde a trop peu de réponses.

Je suis content qu'elle admette qu'elle ne sait pas, ceci dit: certaines personnes, beaucoup de personnes, mentent. Ils disent qu'ils savent mais en fait ils ne savent rien et ils n'ont pas le droit de promettre. Il y a beaucoup de gens qui préfèrent me mentir, aussi, à moi spécifiquement. Ils pensent que je suis trop bête pour entendre les réponses qui font mal ou qui sont injustes. Il pense que je suis encore un garçon, qui n'est pas prêt à entendre la dure réalité du monde. Ils ne comprennent pas que j'ai toujours eu l'impression de comprendre la dure réalité du monde mieux qu'eux - c'est pour ça que parfois, il m'est si insupportable.

"I don't think it's about love." Je suis surpris de l'entendre continuer, j'étais prêt à me laisser me morfondre en silence en regardant avec envie Mendo se faire caresser par Cam. Je relève les yeux vers elle, soulagé de ne pas avoir à croiser son regard puisqu'elle regarde elle aussi le fléreur. Elle est jolie - la soudaine réalisation me prend un peu de court.

Elle continue de parler et je l'écoute en silence, immobilisé, comme si faire le moindre bruit allait l'interrompre et la faire fuir. "Words are for humans and even between us it doesn't mean shit." Use your words! me disait toujours Maman. Je détestais l'entendre dire. Je renifle un peu. Elle a incroyablement raison. "People lie," je souffle en réponse, un peu amer. "So use your actions, prove him you're his friend. Don't leave just because it's not easy anymor'. That's the worst thing you could do to someone." Je me demande si on l'a beaucoup abandonnée, Cam, mais je ne pose pas la question à haute voix. Je crois que je comprends ce que ça fait, et je sais que je n'aime pas en parler.

J'ai l'impression que je devrais dire ou faire quelque chose mais je reste immobile, à étudier son profil qui est aussi acéré qu'un couteau, et à me demander pourquoi les gens sont si cruels, parfois. "Or do whatever. you know him best... Don't you?" Cam lève le nez vers le ciel, dépliant son long cou gracile pour regarder les étoiles. Oui, elle est définitivement jolie. "I like to think I do," je marmonne, embarrassé, en détournant les yeux. Je regarde moi aussi le ciel.

J'ai l'impression d'avoir perdu le contrôle de ma vie et tout ce qui la rendait supportable. Bashir, mon appartement, ma basse, mon fléreur, mon sang-mêlé correct, mon argent, ma place médiocre dans la société... Des fois, on perd quelque chose d'énorme mais la vie se recompose d'une manière incroyable, comme pour compenser ce qu'on a perdu et reconstruire sur le vide que ça a laissé derrière. Je ne pensais pas que je finirai par rejoindre l'Ordre, et certainement pas dans ces conditions. J'ai peur, et je me sens seul, et je ne sais pas trop ce qui m'attend. Je suis perdu.
Mais j'ai Mendo, et Elena, et les autres. Il y a encore demain, et après, et Maman m'a toujours dit que tout va bien à la fin. Et que si ça ne va pas bien, alors ce n'est pas la fin.

"I will never give up on Mendo," je dis après un court silence, les yeux toujours rivés sur les étoiles. "I'll show him that I'm me and that I'm still his friend and that I'm here for him. But I'm... I'm glad he's found another friend in the meantime." Je jette un regard timide en direction de Cam. Si elle est vraiment l’amie de Mendo, alors j’aimerais qu’elle soit mon amie aussi.