tw: dépersonnalisation

Il a fallu des semaines à Harry pour trouver la force de sortir.

Depuis cette funeste nuit d'août, il a l'impression d'être un fantôme. Tous les jours, il perd un peu plus de sa consistance, de son énergie, de sa vie. Les heures se succèdent et se ressemblent, passées au fond de son lit peuplé de cauchemars et d'angoisses, repoussant Draco à chaque fois qu'il essaye de l'y rejoindre.

Il y a eu un certain calme, au début. Après avoir vu Umbridge mourir et l'âme de Voldemort - particulière et fragile, vulnérable le temps de quelques battements de coeur -, Harry a pu dormir, réellement dormir, pendant presque une semaine. Des sommeils sans rêve, sans cri, sans douleur. Sans rien.
Et puis les rêves sont revenus. Les cris, aussi. La douleur, surtout.

Quand il se regarde dans le miroir de la salle de bains, Harry a les yeux rouges comme Tom Voldemort. Il cligne des yeux puis ils disparaissent.

Des fois, il ne reconnait pas son reflet, sa peau, sa chair. Il a envie de l'arracher. Il y a des voix dans sa tête, qui n'appartiennent pas à lui. Il a l'impression constante d'être dans un état constant de supernova, en train de se scinder en deux, de mourir, de renaître, de naître sans être, de mourir et de pourrir.
Les jours deviennent des semaines puis des mois, puis il parvient enfin à sortir de l'appartement.

Narcissa les a invités à dîner, lui et Draco. Une affaire rigide et chiadée un dimanche. Ils ont passé le repas à discuter sans rien dire, Harry restant silencieux face à son assiette intouchée, ne s'offrant une bouchée que quand il était incité par Narcissa - par mécanisme, et jamais par appétit ou par envie. Il n'a pas plus faim qu'avant quand ils sont enfin libérés et qu'il se relève d'un mouvement brusque en demandant si il peut sortir. Narcissa, en train de discuter avec son fils, le congédie d'un mouvement de main et Harry ne se le fait pas répéter pour sortir.

Il a envie de courir, de voler, de hurler. Il se laisse plutôt tomber sur un banc sur la vaste propriété des Black, regarde d'un oeil morne le jardin parfaitement entretenu, avant de se plier en deux pour enfouir son visage dans ses mains froides.
Il pleut un peu, et ça lui fait du bien. Quelque chose s'agite sous sa peau, la distend, la rend trop étroite et brûlante, poupée de cire en train de fondre.  

Neither can live whilst the other survives.
Ces mots le hantent comme une charade à laquelle il ne trouve pas de solution. Il ne sait plus où il les a entendus. Pire, il ignore si c'est lui qui les a entendus. Lui, ou...

Harry se redresse en entendant quelqu'un s'approcher. Il se force à respirer, se passe les doigts dans les cheveux et se redresse, rassuré à moitié en voyant Draco se tenant devant lui.
Il a envie d'une cigarette. Envie de lui dire de s'asseoir, ou de l'embrasser, ou de partir. À la place, tout simplement, il le regarde. "Can we get out of here?" finit-il par souffler d'une voix plus tendue et blanche qu'il ne s'attendait lui-même. Et puis, pour la première fois entre eux: "please?"

Draco est inquiet quand il pose son regard sur Harry. Ça fait des semaines que c’est comme ça, des semaines qu’il guette le Survivant du coin de l'œil, à l'affût de la moindre faiblesse et des semaines qu’il a peur lorsqu’il voit une certaine lueur dans ses yeux. Une lueur familière qui hante ses rêves depuis des années et qui lui a valu d’être marqué. Cette marque qui dit qu’il lui appartient. Pourtant, il ne veut pas laisser Harry dans cet état. C’est qu’il a commencé à beaucoup trop s’attacher à lui depuis le temps. C’est qu’il a envie de le protéger, de le sortir de là parce que ce n’est plus possible qu’il continue comme ça. Draco a tout fait : les potions, il a cherché des solutions dans l’alchimie, mais vu son perfectionnisme maladif, ça lui prendrait des années pour tenter de réussir quelque chose si jamais il trouvait un remède là-dedans et il a feuilleté les meilleurs livres de sortilèges à sa connaissance. En vain. Rien ne pourrait soulager ce qui ronge Harry parce que Draco ne sait pas exactement de quoi il souffre.

Quand sa mère leur a proposé un repas, Draco a été surpris que son amant veuille bien y participer. Il lui a glissé avec un sourire en coin typique Potter qu’au moins, elle allait arrêter de harceler le blond pour qu’il vienne. Ce n’est pas faux. Alors pour cette fois, Draco a renforcé ses barrières mentales pour éviter que Narcissa perçoive l’inquiétude qui inonde son fils, histoire de donner le change. Il surveille Harry du coin de l'œil, prétend un profond ennui quand sa mère fait remarquer que c’est bien qu’ils semblent bien s’entendre et ses lèvres tressaillent un peu lorsque, sans s’en apercevoir, Narcissa balance une phrase à double sens. Oh si elle savait… La conversation s’interrompt soudain quand Harry se lève brusquement faisant un bruit d’enfer avec sa chaise. Immédiatement, Draco tourne la tête dans sa direction et fronce légèrement les sourcils lorsqu’il demande à sortir. Il se mord l’intérieur de la joue et se fait violence pour ne pas le rejoindre tout de suite. Sa mère continue la conversation tandis que son fils suit Harry du regard. Il lui fait la conversation encore quelques minutes avant de s’excuser. Le ciel dehors est bien sombre et il ne veut pas qu’Harry prenne froid.

Draco sort et cherche le brun du regard avant de l’apercevoir sur un banc, la tête dans ses mains. Ses lèvres se pincent alors qu’il s’approche de lui, manteau sur le dos et parapluie déplié au-dessus de sa tête. Il l’avance un peu pour protéger aussi Harry. "Can we get out of here? please?" Les traits tirés lui font dire que ce n’est pas un caprice (ce n’est jamais un caprice). Draco hoche lentement la tête et tend la main au brun. “Where do you want to go?” Demande-t-il. “We can go to the beach if you want. What do you think?” Il a une idée, Draco, quelque chose qui peut aider Harry à se faire sentir mieux. Ce n’est pas grand chose et peut-être que ça ne l’aidera pas du tout, mais il a bon espoir qu’il dise oui et qu’une fois là-bas, le bruit des vagues l’apaise au moins un peu, au moins cinq minutes. Peut-être que ça va l’amener à lui parler aussi et que Draco pourra trouver une solution pour l’aider. Allez, Harry, dis oui, laisse-moi t’aider. Please. La pluie commence à tomber un peu plus, brisant le silence entre eux par des ploc qui s’écrasent sur le parapluie noir de Draco. C’est un temps véritablement parfait pour aller faire un tour sur une plage.

Draco lui semble parfois si fragile. Si frêle, noueux, osseux, pas mince mais maigre - un sac de brindilles à quoi on aurait octrôyé d'une coiffe blonde et d'un regard perçant. Quand ils sont debout, Harry le dépasse d'une tête et se sent parfois pataud, parfois embarrassant, prenant trop de place dans le peu d'espace qu'ils partagent même dans l'appartement. Ils vivent ensemble depuis plusieurs mois, un peu plus d'un an maintenant, et ils se sont mutuellement marqués et touchés et embrassés de nombreuses fois - et pourtant Harry se sent toujours si mal à l'aise à l'idée de partager son espace.

Il danse pour éviter de toucher Draco quand ils sont tous les deux dans la cuisine étroite; il ramasse précautionneusement ses tasses de thé comme si elles allaient se révéler dangereuses si il les laissait trop traîner dans le salon; certains jours sont passés dans un silence solitaire et désagréable, plombant. C'est seulement quand le soleil se couche et que la nuit tombe que Harry vient chercher Draco, se réfugie dans le lit qu'il partage dans la chambre de l'ancien Slytherin, non sans une pointe de culpabilité maladive. Si on lui avait dit, il y a quelques années, qu'il en serait rendu là... même lui peut voir à quel point la situation est devenue absurde.

Et pourtant, dans toute son étrangeté et malgré leur vieille rivalité, Draco s'approche et lève le parapluie pour qu'il les protège tous les deux. Et pourtant, dans toute sa fragilité, Draco attire Harry comme un aimant, et le Survivant se retrouve à graviter jusqu'à lui, à vouloir s'appuyer contre lui, l'inventer solide et protecteur et safe.

Sa nuque lui fait mal à se tordre pour le regarder par en-dessous, et Harry regarde la main que lui tend Draco sans comprendre. Un piège, ça ne peut rien être d'autre qu'un piège - un mauvais pressentiment lui dévale l'échine, mêlé aux gouttes de pluie auxquelles il était soumis jusqu'à l'arrivée de son colocataire, et Harry se retrouve à bout de souffle. Un piège, c'est forcément un piège.
“Where do you want to go?” Home, est la première réponse qui lui vient. Quand est-ce que l'appartement qu'ils partagent est devenu home? Et puis, Harry n'a pas envie d'y retourner tout de suite - il a parfois l'impression d'y étouffer. Où qu'il aille avec Draco, ça ira. "I don't know," admet-il à mi-voix, embarrassé. “We can go to the beach if you want. What do you think?” La surprise donne à Harry un visage soudainement libéré de son inquiétude, les rides entre ses sourcils se lissent pour laisser place à une expression confuse et un peu moqueuse. "To the beach? The beach, Malfoy, really?" Harry roule des yeux. Toutefois, il prend la main toujours tendue de Draco dans la sienne, pour s'assurer qu'il ne se vexe pas de son ton un peu irrévérencieux.

La paume de Draco est douce, mais ferme, quand il y glisse sa main. Il est bien réel. Il n'y a pas de douleur, pas de sortilège, de maléfice ou de piège. Juste la sensation désormais familière de la peau du Malfoy, la solidité de ses doigts qui se referment sur les siens, la chaleur de son corps qui apporte à Harry un intense et douloureux sentiment de sécurité. Ça est plus dangereux que n'importe quoi d'autre. Le Lord l'étriperait de ses propres griffes si il savait le réconfort que lui apporter le feu héritier Malfoy.
Mais c'est un secret, Harry se rappelle dans le secret de ses pensées, en laissant son pouce caresser rapidement la jointure des poings de Draco. C'est un secret, et le Lord n'a pas besoin de savoir - et de toutes façons, se rappelle-t-il avec un élan de douleur dans la poitrine, le Lord n'est pas là.

Harry résiste à l'envie de tirer sur leurs mains liées pour inciter Draco à s'approcher et lui dérober un baiser, mais il est douloureusement conscient de l'endroit où ils se trouvent, et se contente ainsi de simplement serrer la main de Draco dans la sienne. "Alright then. To the beach." Il soupire comme si c'était une énorme concession. Harry jette un regard en biais en direction de la fenêtre du manoir des Black, où il y a encore de la lumière et où Narcissa les attend certainement. "I'll follow your lead," dit-il distraitement à son colocataire, avant de ramener son regard vert vers lui.
La vérité derrière cette phrase est presque douloureuse, réalise-t-il. Il va suivre Draco, même si c'est pour l'emmener à la plage alors qu'il pleut des cordes, même si c'est pour le ramener à l'appartement, même si c'est pour aller au bout du monde. Malgré la gentillesse de Narcissa, le soutien du Lord, les réassurances de Pettigrew, Harry ne s'est jamais senti en véritable sécurité avec eux. Jamais autant qu'avec Draco, du moins. Il est lui-même étonné de la profondeur de ses sentiments et de la sincérité dans ses propos quand il ajoute, ses yeux enfoncés dans les siens, brûlé et sauvé à la fois par l'intensité du feu glacé du regard de Malfoy: "I trust you."

A l’attitude moqueuse d’Harry, Draco se rembrunit. A deux doigts de laisser tomber sa main le long de son corps et de l’envoyer se faire voir. "To the beach? The beach, Malfoy, really?" Dur dur de pas laisser voir une grimace de profond ennui sur le visage suite à cette phrase. Non, allez, un petit effort, Draco. Il se contente de hausser un sourcil voulant dire bon ? allez on se bouge puis esquisser un très léger sourire lorsqu’il sent la main du survivant dans la sienne. Il laisse traîner ses doigts un peu trop longtemps contre la peau de sa paume et sent la surprise l’envahir lorsqu’Harry serre un peu plus sa prise. "Alright then. To the beach. I'll follow your lead. I trust you." L’expression sur le visage de Draco chancelle un peu. I trust you. Il se contente d’un hochement de tête. Qu’aurait-il pu dire de plus ? Waw merci pour ta confiance, Harry, on avance vachement dans notre relation ? Tout à fait crédible venant de lui. A la place, il allonge ses doigts et vient poser le bout de son index et son majeur dans le creux de son poignet. Il ne sait pas si ça peut rassurer Harry un peu, mais c’est la seule chose qu’il est capable de faire en cet instant.
Qu’on donne un livre et un devoir à faire à Draco, ça, il sait faire. Il est le meilleur pour ça, n’en déplaise les appréciations des professeurs d’Hogwarts à l’époque. Mais alors quand il s’agit d’émotions, c’est plus compliqué. Il a envie de dire à Harry qu’il lui fait confiance aussi, mais ça reste bloqué dans le fond de sa gorge. D’aussi loin qu’il se souvienne, on lui a jamais dit un truc pareil.

“Yeah, cool. Look, I’m gonna go tell my mum we're leaving so she won't send the elves after us because we left without saying goodbye.” Et puis il a oublié sa veste avec sa baguette dedans en plus. Il n’y a aucun moyen pour qu’ils partent discrètement. “Keep this.” Draco lui fait prendre le parapluie et court jusqu’à l’intérieur du manoir pour récupérer leurs affaires. Il croise Narcissa, les bras croisés sur sa poitrine, qui l’attend dans l’embrasure du salon. “Draco, is he okay?” Il voit que les sourcils de sa mère se froncent très légèrement, faisant apparaître une ride. Autant qu’il se retienne de lui dire, elle va mal le prendre. “Yeah.” Répond-il sans la regarder. “We have to go. I–I have this thing for the–flat, I completely forgot.” Il ose enfin lever les yeux vers sa mère. Narcissa ne le croit pas. Faut dire que le mensonge n’est pas très fin. Il soupire par le nez et s’avance jusqu’à elle, pose ses mains sur ses bras et vient déposer un baiser sur son front en se penchant en avant. “Everything is fine. He’s just tired. And I really have something to do at the flat. It was nice seeing you and–your husband.” Narcissa émet un rire nasal, elle sait très bien que son fils n’en pense pas un mot. “Maybe it’s too soon for H–Potter. Another day perhaps?” “Yes, of course, honey. If you need anything with your… thing tell me, okay?” Un hochement de tête plus tard, les vestes récupérées et une promesse arrachée de revenir bientôt, Draco est de nouveau dehors. “Sorry. We can go.” Il présente son bras au Survivant pour qu’ils puissent transplaner.

Un crac sonore les fait disparaître de la résidence Malfoy pour atterrir sur une plage de Barton dans le Sud de l’Angleterre où il fait aussi mauvais qu’un peu partout. Leur apparition passe inaperçu, le vent marin souffle si fort qu’il n’y a personne sur la plage, à part eux. La pluie commence à peine ici aussi, mais les vagues ramènent encore plus d’humidité avec les embruns. “Brilliant. Now… scream.” Draco est presque dans un état d’euphorie. C’est inhabituel de voir chez lui cette étincelle dans les yeux. Comme s’il partageait une découverte importante. “Nobody can hear you. You can scream your lungs out. You really need it, y’know.” Il a fait ça quelque fois quand ça n’allait pas dans sa vie. Ça ne résout aucun souci, mais ça permet de soulager la pression qu’il garde dans sa poitrine. Et cette fois, il a envie qu’Harry s’essaye à l’exercice.

Les doigts de Draco effleurent la peau fine et sensible de l'intérieur de son poignet et Harry déglutit. Son visage s'empourpre et il a subitement envie de détourner les yeux pour s'arracher au faisceau du regard clair de Draco braqué sur lui, mais il résiste et se laisse entièrement consumer, alors même qu'il a l'impression d'entendre une sonnette d'alarme résonner au fond de son crâne. Ce qu'ils sont en train de faire est dangereux - ça l'a toujours été. Sa peau lui donne l'impression d'être en feu, tout comme ses veines elles-mêmes.

“Yeah, cool.” Quelque chose d'étrange passe sur le visage de Harry, un mélange entre outrage, incrédulité et une profonde tendresse face à la maladresse de Draco quand il est mis au pied du mur et face à l'énormité de ses émotions. “Look, I’m gonna go tell my mum we're leaving so she won't send the elves after us because we left without saying goodbye.” Quelqu'un d'autre se serait peut-être effarouché que face à cette déclaration sans détour - I trust you -, Draco n'ait que des platitudes à offrir. Harry trouve ça étonnament rassurant et un léger sourire vient apparaître sur ses lèvres. "Alright. - Keep this.” Harry prend le parapluie que lui tend l'ancien Slytherin et l'attend patiemment sous la pluie, l'écoutant rebondir contre le tissu magique en rythmne. Il sourit en voyant Draco courir pour partir, et revenir en toute hâte. Il attrape volontiers son bras quand il le lui présente. “Sorry. - No worries." Peut-être aurait-il dû l'accompagner dire au revoir à Narcissa, mais l'idée de la voir en cet instant terrible où il se sent tellement à vif et à bout de nerfs n'est pas rassurante du tout. “We can go.” Ils transplanent dans un craquement.

Quand ils arrivent sur la plage qu'a choisi Draco pour eux, il pleut un peu moins, mais l'air est d'autant plus humide et le vent désagréable. Harry coule un regard en direction de compagnon, l'air de dire I told you so et sort sa baguette de sa poche pour lancer un rapide sort qui leur épargnera le gros des bourrasques.

“Brilliant. Now… scream.” Harry arque un sourcil en se tournant vers Draco, circonspect face à la lumière qui inonde soudainement son visage. Ce n'est pas seulement que le soleil s'est immiscé entre deux nuages gris, mais il y a quelque chose dans son regard et Harry sent son coeur se serrer douloureusement dans sa poitrine. "What? - Nobody can hear you. You can scream your lungs out. You really need it, y’know. - I..." Harry s'interrompt en fronçant les sourcils. Il se souvient d'avoir crié, tellement crié, et que personne ne l'a jamais entendu...

Mais il n'a pas envie de penser à ça maintenant. Pas quand Draco le regarde comme ça, pas quand Draco est là, pas quand Draco est là pour lui. Harry se force à déglutir. "Alright." Il se sent complètement ridicule quand il baisse à la fois sa baguette et le parapluie, le vent et la pluie venant lui frapper le visage avec force. Il se tourne face à la mer et ses vagues inlassables, le torrent des éléments face à lui. Et alors même qu'il se sent complètement stupide, il pousse un petit cri, qui est presqu'aussitôt avalé par le vent. Il avale un peu d'eau salée et un peu de sabe et il s'étrangle, faisant partir sa voix dans des aïgus ridicules. Il entend Draco s'esclaffer à côté de lui. "Don't laugh! Stop it, Malfoy!" Ses mots sont emportés par le vent, et Harry sent les commissures de ses lèvres se redresser. Il se remet à crier, avec un peu plus de force et d'engouement. Quand il est à bout de souffle, il recommence. Et encore. Et encore.

Il n'entend que le vent dans ses oreilles, qui fait vrombir ses tympans douloureusement. Il n'entend que le vent, et son propre hurlement, et Draco qui finit par le rejoindre à côté de lui. Il se met à rire entre un cri et un autre, encore plus quand le gros de la pluie commence à leur tomber dessus à grosse gouttes. Harry répète la chose jusqu'à l'épuisement, jusqu'à ce que la pluie soit passée et que Draco et lui finissent assis sur le sable humide, à regarder les vagues qui se déchaînent jusqu'à venir lécher leurs pieds. Ils ne parlent pas jusqu'à ce qu'il soit temps de retourner à Londres. "You were right," lui dit Harry, en enroulant son bras autour du sien. "I really needed it." And you.

Le vent est fort lorsqu’ils arrivent sur la plage. Et le bruit des vagues est assourdissant. Mais qu’est-ce que c’est reposant. Draco relâche sa respiration à l’instant même où une bourrasque vient lui éclater des dizaines de gouttes sur le visage. Ok, c’est peut-être un peu mouillé et pas franchement agréable, mais il ne peut pas s’empêcher de sourire au regard que lui lance Harry. Si ses yeux veulent dire qu’il l’avait prévenu, le sourire du Serpentard lui, veut dire, I don’t care, it’s cool.
Il s’attend à la réaction du Survivant lorsqu’il lui ordonne de crier. Il sait que sa démarche est inattendue voire futile ? Idiot ? Qu’attend-on de l’héritier des Malfoy pour ce genre de choses ? Normalement, si on y réfléchit bien, juste qu’il se taise et garde pour lui ses colères soudaines. Pas qu’il aille hurler sur une plage. Donc il comprend la réaction d’Harry et ça le fait sourire intérieurement. "Alright." Finit-il par lui répondre et Draco s’écarte de quelques centimètres pour lui laisser l’espace suffisant. Il observe le jeune homme baisser son parapluie et sa baguette. Draco ramène ses bras dans son dos et étouffe un rire en voyant la première tentative timide du Gryffondor. "Don't laugh! Stop it, Malfoy!" Il lève une main en signe de paix. “Sorry! Keep going.” Il est prêt à l’encourager pendant que le vent met leurs cheveux en pagaille et que les embruns salés se déposent sur leur visage.

Et puis soudain, Harry se lâche. Le cri parvient étouffé aux oreilles du blond, mais il est bien là. Puissant, enfermé depuis des années dans le corps frêle du brun. Draco le laisse faire, n’intervient pas. Il le laisse exprimer ce qu’il a réprimé depuis trop longtemps.
En le regardant plus attentivement, il ne peut pas s’empêcher d’avoir cette pensée de quand est-ce qu’il a commencé à ressentir autant de choses pour son ennemi de collège ? Machinalement, ses doigts se serrent contre ses poignets. Peut-il seulement s’avouer cette pensée ? Et si jamais on fouille son esprit ? Même s’il est bien armé maintenant, pourrait-il résister à la torture mentale ?
Pour chasser tout ça de sa tête, Draco finit par bouger pour se placer aux côtés du Survivant. On lui avait confié la tâche de s’occuper de Harry Potter et plus que jamais, maintenant, il avait envie de le sortir de là. De lui apporter un peu de paix intérieure pour les années où il n’en a pas eu.

Au bout d’un moment, de cris répétés à moitié étouffés par le vent et le bruit des vagues, Harry s’arrête et ils s’assoient sur le sable pour regarder les vagues qui se fracassent contre les rochers ou la plage. Aucun mot n’est échangé. Harry, probablement épuisé d’avoir tout donné. Draco pour apaiser son esprit. Ce moment est réconfortant et d’une incroyable intimité, se dit-il. Puis lentement, ils décident en un échange de regard qu’il est temps pour eux de quitter cet endroit et de rentrer. Ils sont trempés, grelottent un peu et le sel commence à coller un peu trop les cheveux de Draco. Ils se lèvent, récupèrent le parapluie (qui n’aura servi à rien finalement) et les baguettes. "You were right. I really needed it." Draco sourit et avant de transplaner pour l’appartement où la réalité va les frapper, il fait une chose qu’il n’a pas calculée, mais qui lui semble juste sur le moment : il embrasse Harry.