septembre 2007, the theater. tw insomnie Il n'y a vraiment rien d'extraordinaire à ce qu'il se passe. Si bien qu'Alex enchaîne chaque mouvement de façon machinale, presque même sans s'en rendre compte. Il ouvre les yeux et sait que c'est le milieu de la nuit. Il tourne la tête et sait qu'Angèle ne dort pas vraiment. Il regarde de l'autre côté et sait que Leo ne sera pas dans son lit. Il se redresse et se lève parce qu'il sait où elle est.

Comme ça, silencieux, endormi, et sombre, le Théâtre ressemble au décor de film d'horreur mais Alex n'a pas peur, n'a plus peur de cet endroit depuis bien longtemps - même si l'épisode avec l'épouvantard lui reste encore en travers de la gorge. Il déambule dans les couloirs presque avec détermination, sachant très bien où il va. Il monte les marches jusqu'à ce qu'elle devienne des échelles et, finalement, après de bonnes grosses minutes, se retrouve dans les combles du bâtiment, un petit coin aménager et presque secret qui possède une grande lucarne qui donne sur la ville. Les Lancaster Five ont tendance à graviter vers cette endroit, une bulle secrète loin d'un la foule et de la folie de la Résistance. Un cocon.

Leonora est là mais Alex ne dit rien, ne fait rien pour attirer son attention. Il sait qu'elle est là et c'est suffisant. Il s'assoit en face d'elle et reste silencieux. Une partie de lui sait que de toute façon, rien de ce qu'il a à dire n'est utile pour le moment. Une autre partie de lui est bien contente de ne pas avoir à parler, les choses étant... compliquées ces temps-ci.

Tout mettre sur le dos du coma de Lukas serait trop facile, certes, mais pas non plus si loin de la vérité. Alex a été un ami déplorable depuis l'incident. Quelque chose s'est cassé en lui et, visiblement, ce quelque chose a aussi affecté ses liens avec les autres. Angèle est prudente autour de lui, ce qui n'arrivait jamais auparavant. Nico, c'est tout le contraire, beaucoup trop jovial et enthousiaste en sa présence, beaucoup trop pour que ça soit juste une tentative de faire comme ci de rien était. Et avec Leo... Avec Leo c'est encore différent. Parce qu'il y a autre chose. Un autre chose qu'Alex ne comprend pas et, surtout, ne veut pas comprendre.

Et, finalement, parce que c'est Alex et que même s'il y met tout son coeur, il est incapable de ne pas parler, il se lance. "You heard that new song they keep playing? It goes, 'Oh, it's what you do to me,'" Alex commence alors à chanter, incapable de s'arrêter même s'il sait que c'est la dernière chose dont Leo a besoin pour l'instant.

tw: idéation de suicide, insomnie, dépersonnalisation

Leonora regarde la ville en silence, assise sur le rebord de la fenêtre, les pieds dans le vide. À côté d'elle, le cendrier déborde, et elle a perdu la page marquée de son livre. Elle s'en fiche, elle regarde les silhouettes ridicules des veilleurs dans la rue, les carcasses silencieuses des voitures qui filent dans la rue. Depuis les combles du Théâtre, elle ne voit pas beaucoup de Startford-upon-Avon, mais suffisamment pour savoir qu'elle déteste tout ce qu'elle regarde.

Leonora regarde la ville en silence, ses pieds battant le vide. Elle regarde le bout de ses converses usées, sur lesquelles elle a dessiné des yeux ouverts. Elle aimerait pouvoir fermer les siens, se laisser emporter par la fatigue qu'elle sent pulser derrière ses orbites et dans ses veines. Mais elle sait que si elle retourne s'allonger dans la chambre qu'elle partage avec Adèle, elle n'aura que le noir pour compagnie, que son cerveau refusera de s'arrêter, ses pensées de danser. Elle regarde le cadran de sa montre numérique et fait rapidement le calcul. Trente-six heures depuis le dernier somme - ça va, elle a fait nettement pire par le passé. Pas d'hallucinations, de malaise, d'envie de se laisser tomber jusqu'au trottoir: juste cette fatigue lacée dans ses os, ces battements de coeur effrénés qui veulent juste se calmer.

Leonora regarde la ville en silence, sort la dernière cigarette de son paquet pour la glisser enter ses lèvres. Elle sursaute en entendant le parquet grincer derrière elle, et jette un coup d'oeil par-dessus son épaule en ayant du mal à réprimer sa déception quand elle voit Alex s'approcher à la place de Nicholas. Elle se tourne lentement sur le rebord de la fenêtre pour lui faire face, faisant dos à la ville. Elle fume silencieusement en le regardant s'asseoir, lui adresse un sourcil arqué comme toute question silencieuse.

"You heard that new song they keep playing? It goes, 'Oh, it's what you do to me.'" Leonora recrache sa fumée dans la direction d'Alex. "Yeah I heard it." Sa phrase a des apparences de fin finale de la conversation. Elle le regarde sans rien dire pendant quelques secondes. Leonora n'aime pas l'Ordre. Elle en a marre d'y reste, d'être obligée d'y rester à cause de Lukas et donc d'Alex. Leonora veut aller quelque part où personne ne la recherche, où personne ne la traque, où personne n'attend rien d'elle. Mais elle ne peut pas vivre sans les Lancaster Five... et qui voudrait d'elle? Elle sait que c'est injuste, mais elle en veut à Alex. Énormément. Elle lui en veut de les avoir emmenés ici. De les garder ici. D'être là, avec son petit sourire, comme si tout allait bien. De la regarder comme si rien n'avait changé. "Can't sleep?" se force-t-elle toutefois à demander, d'un ton plus sec que d'habitude - mais qui est devenu de plus en plus commun pour elle ces dernières semaines. Leonora se sent de plus en plus mal au Théâtre - la présence de Rubén n'aide en rien. Elle n'a même pas envie de penser à lui en cet instant. Elle ne veut penser à rien à vrai dire. Mais avec Alex sous les yeux, elle n'a pas trop le choix.

TW Egoïsme (jsp si c'est un trigger mais voilà)

La tentative d'approche d'Alex est nulle, maladroite, il le sait mais c'est tout ce que son esprit embrumé a trouvé. Alors quand Leonora lui recrache sa fumée en pleine figure, il peut difficilement être surpris ou offusqué. Quand même, il grimace et fait un geste un peu exagéré pour repoussé la fumée, comme s'il s'agissait d'un moustique. "Yeah I heard it," Leonora répond quand même, froidement, histoire de bien appuyé le fait qu'Alex a échoué et le message est reçu cinq sur cinq. Tais toi, Alex.

Les genoux pliés contre son torse, il laisse sa tête retombé contre le rebord de la fenêtre et passe une main devant son visage en se frottant le front de frustration. Il déteste ne pas savoir quoi dire ou quoi faire. Déjà qu'il se sent inutile à passer ses journées au chevet de Lukas - qui reste perpétuellement immobile - il pensait qu'au moins, la bulle des Lancaster Five resterait intacte, un point de chute qui l'aiderait à se sentir mieux. Mais non, Leonora a décidé que c'était maintenant le bon moment pour lui faire la tête et ça le rend dingue, parce que vraiment, il a pas besoin de ça.

"Can't sleep?" Leonora demande, un peu trop sèchement pour le goût d'Alex mais il s'empêche, in extremis, de dire quoi que ce soit sur ça, préférant saisir la perche qu'elle semble lui tendre.

"How did you guess?" il s'autorise quand même à répondre, tentant le ton de la plaisanterie. Malheureusement ça tombe à plat et son ton est plus cassant qu'autre chose. Super, maintenant lui aussi est d'humeur massacrante. Il soupire, passe maintenant sa main dans ses cheveux, et répond plus chaudement, "I can't stop thinking." C'est pas faute d'avoir essayé. Mais il a beau faire les exercices de méditation qu'on lui a appris, à l'intérieur de sa tête c'est comme un congrès où tous les participants prennent la parole en même temps. Et à chaque fois qu'il ferme les yeux, il revoit le visage de l'épouvantard, son coeur s'emballe, et il a si chaud qu'il a l'impression de suffoquer. "Nothing too unusual," il ajoute en haussant les épaules.

En face de lui, Leonora continue de tirer sur sa cigarette et le geste l'intrigue. Il n'a jamais été attiré par le tabac, l'odeur lui prenant désagréablement le nez, mais là, il se retrouve presque fasciné par la chorégraphie lasse de son amie. "Mind if I take one?" il demande alors, se souvenant d'un client à Galway lui ayant expliqué que fumer entre amis resserrait les liens.

tw: dépersonnalisation

Leonora se sent injuste. Pire, Leonora se sait injuste. Elle sait que la manière de plus en plus aggressive qu'elle a de traiter le reste (ce qu'il reste) des Lancaster Five est toxique, et qu'ils méritent bien mieux. Elle sait aussi qu'ils le remarquent de plus en plus, qu'elle s'éloigne de Nicholas alors qu'il est la seule personne sur Terre qu'elle supporte quoiqu'il arrive, qu'Angèle lui en veut, qu'Alex ne sait plus par quel bout l'aborder... elle le sait. Et elle aimerait changer, vraiment.
Mais, comme souvent, elle a l'impression de regarder sa vie se dérouler sous ses yeux comme derrière un voile. Ou pire: derrière une fenêtre barrée, ou renforcée, comme elles l'étaient à Lancaster. Et comme elle le faisait dans ce manoir ed malheur, dans leur prison, elle peut regarder les nuages passer dans le ciel sans s'arrêter, sans se soucier d'elle; tout comme elle peut voir les gens s'éloigner, sans savoir quoi faire pour les faire rester, quoi leur dire.

Alex est gentil, il l'a toujours été. Leonora aimerait être comme lui mais, de plus en plus, elle a l'impression d'avoir perdu sa gentillesse et sa bienveillance entre deux cauchemars, deux nuits blanches. Au fil de ses journées trop longues, Leonora perd de plus en plus des parties d'elle, qu'elle abandonne sans compter aux démons qui vivent dans sa tête et sous son lit: leurs mains avides attrapent tout ce qu'ils peuvent, gardent pour eux ce qui comptait un jour pour elle. "How did you guess?" Leonora le regarde, agacée de son ton sec, et détourne les yeux - elle ne daigne pas répondre, sans doute que ça le fera fuir (comme les autres) (ou comme les autres fois) (ou comme d'habitude) (n'a-t-il pas son précieux Lukas à aller veiller de toutes façons?) en tirant sur sa clope. "I can't stop thinking. Nothing too unusual. - Yeah." La peau de Leonora est hérissée d'un frisson d'exaspération. Il n'arrive pas à dormir cette nuit, big fucking deal.

Elle, elle se bat toutes les nuits. Pirouette et glisse et danse comme une équilibriste sur son fil: d'un côté elle tombera sur le sommeil, de l'autre sur un cauchemar. À ce stade, elle ne sait pas si elle est vraiment insomniaque, ou si c'est elle qui se bat autant qu'elle peut contre la torpeur (elle a pourtant été quasi-diagnostiquée par tous les médicomages de l'Ordre qui l'ont vue, et tous les docteurs moldus de Galway). Elle est une imposteuse, parce qu'elle n'est jamais sortie de Lancaster. Elle y restera toujours, quoiqu'elle y fasse, sans pouvoir rien n'y faire.

"Mind if I take one?" Leonora repose les yeux sur lui. "Seriously?" marmonne-t-elle, avec une vague moue de dégoût en dévisageant Alex. "Uh. Sure." Cette habitude nocive lui est un peu arrivée subitement, avec le reste des autres abus à Galway. Quelque chose pour meubler ses nuits, reposer ses psychoses, alléger son esprit. Maintenant c'est pire, vu qu'elle n'a plus sa prescription, qu'elle n'a jamais pu renouveler en Angleterre. À cause de Lukas. À cause d'Alex.

"Here." Elle lui tend le paquet ouvert, doigts tremblants, puis lui donne le briquet jaune vif. Elle le regarde avec curiosité en le voyant mettre la clope dans ses lèvres. "It's the other way around," lui dit-elle pour le prendre en dépourvu, comme la Leonora d'antant le ferait. Alex n'est pas bête, il a bien mis le filtre dans sa bouche, mais le regard de Leonora est sérieux. Avant, il aurait été pétillant de malice, son sourire moqueur, et elle aurait enchaîné: ah! made you look!
Là, elle le regarde, les yeux morts, comme deux gemmes grises trouvées au fond d'une mine. "Just joking, jeez," souffle-t-elle quand Alex ne rigole pas (parce que ce n'est pas très drôle, et qu'elle est trop sérieux, faiblarde, piquante pour faire sourire, maintenant) et elle envoie voler son mégot vers la rue pour mieux attraper une autre cigarette dans son paquet et la glisser dans sa bouche. "Since when do you smoke anyway? I hear it's bad for you or something," fait-elle du ton de celle qui n'y croit pas une seule seconde. "Maybe you want your lungs to get sick so that you can spend more time in the hospital with your boyfriend?"

Le "Seriously?" qu'elle lui lance pique un peu. Alex sait qu'il n'a jamais été capable de fumé. Il a tenté une fois et l'expérience à été désastreuse - il a toussé, était au bord de la nausée, et n'a plus jamais voulu y toucher - mais c'était il y a si longtemps que ce soir, il se sent poussé par une terrible envie de recommencer - seulement renforcé par le dédain que Leo semble avoir pour cette requête. "Uh. Sure." Ouf, elle accepte, se dit Alex. C'est déjà ça.

(Il pourrait faire une remarque sur le fait qu'ils "fument le calumet de la paix" ou un truc du genre mais il est presque sûr que Leo pourrait le pousser par la fenêtre s'il osait alors il garde cette remarque (aussi pertinente et finement trouvée soit elle) pour lui.)

"Here." Alex remarque sa main qui tremble mais ne dit rien parce que qui y a-t-il à dire ? De toute façon, peu importe, elle ne veut clairement pas l'entendre de sa bouche - et vraiment il aurait du laisser Nico aller la voir, aurait du rester en bas, à faire semblant de dormir à côté d'Angèle mais ça encore c'était ne pas agir et Alex en a plus que marre de ne pas agir, de ne pouvoir rien faire, d'être absolument et irrémédiablement inutile. Alors il prend une cigarette et la glisse entre ses lèvres parce que visiblement, c'est son meilleur plan d'action.

"It's the other way around," Leo lui dit alors et Alex baisse les yeux sans sortir le bâton de sa bouche, les sourcils froncés. "Uh?" Tout le long de la cigarette est blanc, aucun signe de orange, qui est bien dissimulé par ses lèvres. "Just joking, jeez," Leo explique alors mais il n'y a pas vraiment de malice dans sa voix et ça noue l'estomac d'Alex plus qu'autre chose. Tout tombe à plat entre eux. ça sonne creux, ça gène, ça gratte, c'est inconfortable et il le prend comme un défi personnel, sûrement à tort. "Ahah," Alex se force et c'est encore pire. C'est pire, c'est pire, c'est pire et il entend que ça sonne faux et elle sait que ça sonne faux et il sait qu'elle sait et elle sait qu'il sait. Tout ceci est un désastre.

"Since when do you smoke anyway? I hear it's bad for you or something," elle demande alors qu'il va pour allumer sa cigarette - qui est dans le bon sens merci - et il y voit une perche tendue, un moyen de faire de l'humour noir sur leur santé alors il lève les yeux au ciel et va pour parler, la cigarette entre les lèvres, avant que Leo ne l'attaque avec le reste de sa phrase. "Maybe you want your lungs to get sick so that you can spend more time in the hospital with your boyfriend?"

ça fait mal. La cigarette tombe tristement des lèvres d'Alex quand il entrouvre la bouche mais il ne fait rien pour la rattraper parce que son regard est rivé sur Leo et il a mal, putain, il saigne, complètement mis K.O. parce que ça, c'est pas une simple boutade entre amis, une pique bien placée qui pince mais qui fait aussi rire, qui le fait redescendre de ses grands chevaux comme il a souvent besoin. Là... Là c'est Lukas. Et Alex a mal.

"I- Excuse me?" il demande, très inutilement, parce qu'il a parfaitement entendu, sait ce qu'elle a dit et voit que c'était bien volontaire. Mais il ne comprend pas. Comprend ce qu'il lui a fait, comprend pas pourquoi elle le prend pour cible. Il doit jouer les punching balls, c'est ça ? Accepter qu'elle se défoule sur lui en se souvenant qu'elle ne pense pas ce qu'elle dit ?

Jouer les cobayes, Alex a donné. Plus jamais. "What's wrong with you, anyway? What did I do that makes you so angry at me?" il demande en sautant à pied joint dans le plat parce que y en a marre, et de toute façon, y a plus grand chose entre eux qui n'est pas encore cassé.

tw: idéation de suicide, dépersonnalisation, dépression

Leonora regarde la clope tomber des lèvres entrouvertes d'Alex avec une certaine tristesse - quel gâchis, pense-t-elle égoïstement, qu'il lui ait piqué une cigarette pour la gâcher ainsi. Elle regarde aussi le clou de cercueil parce que c'est plus simple que de regarder Alex dans ses yeux. Elle peut imaginer la surprise, le heurt et la tristesse, et elle n'a pas envie d'y être confrontée.
Leonora veut être seule. Pourquoi l'a-t-il rejointe? Pourquoi ne peut-il pas... abandonner? Pourquoi ne réalise-t-il pas, aussi, que ça ne sert à rien de se battre? Qu'ils ne sortiront jamais de Lancaster - pas vraiment en tous cas - et qu'ils ne trouveront jamais leur place dans ce monde qui les repousse à tour de bras? L'optimisme à toute épreuve d'Alex, le même qu'elle a pu ressentir un jour, lui semble si désuet et naïf. Depuis quelques temps, Leonora a l'impression d'avoir tiré le voile qui lui cachait la réalité jusque là.

Elle voit les choses comme elles sont. Désespérées et désespérantes.
Comme la cendre de la cigarette qui tâche le t-shirt d'Alex. Comme son coeur qui se serre dans sa poitrine à l'idée qu'elle ait pu blesser son meilleur ami. Comme ce vide, ce gouffre béant, qui grandit en elle de jour en jour et qu'elle n'a plus a force d'essayer d'arrêter. "I- Excuse me?" Leonora détourne le regard après avor paresseusement cligné des yeux, recrachant un nuage de fumée vers Stratford. "What's wrong with you, anyway? What did I do that makes you so angry at me?" Elle grince des dents. "Just leave me alone, Alex," marmonne-t-elle d'une voix basse. "Just- just leave."

Leonora ferme les yeux en se passant une main tremblante sur le visage. Elle aimerait que ce soit aussi simple, qu'Alex lâche le morceau et la laisse tranquille mais elle le connaît trop, et l'inflexibilité de sa voix le trahit. Il ne va pas laisser ça passer gentiment.
Mais qu'a-t-elle à lui dire de plus? Qu'elle en a marre, qu'elle est triste, qu'elle n'arrive pas à dormir, qu'elle a envie de mourir, qu'elle ne trouve sa place nulle part, qu'elle se sent lentement changer mais qu'elle n'arrive pas à s'arrêter, qu'elle ne sait plus où elle est, ce qu'elle fait et pourquoi - et, surtout, qu'elle est fatiguée.
Tellement fatiguée, comme si elle avait du plomb à la place de la moelle, du feu à la lisière des paupières, des nuages dans la tête. Les jours se ressemblent et se mélangent, les nuits sont si obscures qu'elle n'en voit jamais le bout, et la vie continue - la vie continue, sans elle.

"I'm just tired," marmonne-t-elle, parce que cette excuse marche normalement, et qu'elle n'en a pas d'autre. Elle ignore si elle est sincère quand elle ajoute: "Sorry."

Alex a les yeux rivés sur Leo, la regarde, cherche, et espère ne pas la reconnaitre, avoir l'excuse de la trouver différente, changer, pas elle même, mais ce n'est pas le cas. La personne en face de lui ne peut être personne d'autre que Leo, son amie, sa soeur, l'une des personnes les plus importantes à ses yeux. Et c'est peut être ça qui fait encore plus mal que le reste. Parce que ça reste un simple commentaire, une phrase lâchée comme ça, de façon détachée mais c'est un home run et Alex a mal et il veut comprendre, comprendre pourquoi Leo dirait quelque chose comme ça contre lui. Et il ne sait pas laissé les choses tranquilles. Il a toujours besoin de creuser, comprendre, encore plus quand ça le concerne alors au lieu de se lever et quitter la pièce en furie, il reste planter là, en face de Leo, et continue de la regarder, même quand elle lui demande de la laisser. "Just leave me alone, Alex. Just- just leave."

"No," Alex proteste, la voix ferme avant de s'adoucir. Il souffle, détestant s'entendre lui parler comme ça. "What's going on with you, Leo?" il demande, ou plutôt redemande, cette fois de manière moins agressive, plus douce. Il n'est pas bête. Il sait qu'il a tendance à être un peu trop auto-centré mais ça ne veut pas dire qu'il ne sait pas remarquer ce qui compte. Et maintenant, il semble enfin comprendre que pendant qu'il était accaparé par Lukas, Leo traversait ses propres merdes.

"I'm just tired. Sorry," Leo répond, en marmonnant plus qu'autre chose et la phrase a du mal à passer avec Alex, le mot "Sorry" n'étant pas un mot qu'ils échangent souvent. Les Lancaster 5 ont rarement besoin de l'utiliser entre eux, pas aussi sérieusement...

"No you're not," Il répond rapidement avant de lever les yeux au ciel à sa propre maladresse. "I mean... Of course you are - tired I mean - but there's something else. I can tell, you know?" Il souffle à nouveau et passe une main dans ses cheveux, essayant de prendre son air le plus compatissant. Après la mort de Cole, Alex s'est souvent senti obligé de prendre sa place dans la dynamique du groupe, endossant le rôle de médiateur et confident, quitte à agacer les autres avec ses grands airs. "Tell me what's going on." Cela a peu de chance de fonctionner mais Alex refuse de ne rien tenter, la mention de Lukas restant encore amèrement coincé dans sa gorge.

tw: pensées dépressives, langage cru, insultes

"No you're not." Alex est trop têtu - Leonora lui jette un regard noir plein de sentiment et d'une chaleur brûlante, qui elle espère lui fera lâcher prise pour une fois. Mais ce serait mal le connaître, et Leonora le connait par coeur. Alors elle ne peut que soupirer lorsqu'il insiste, se passant une autre main sur le visage dans un geste épuisé qui dissuaderait quiconque d'autre de prolonger cette conversation déjà suffisamment longue et douloureuse. "I mean... Of course you are - tired I mean - but there's something else. I can tell, you know?" Leonora se pince l'arête du nez d'un air agacé. "Tell me what's going on. - Just leave me alone," s'entend-t-elle snap d'un ton dur. D'un mouvement brusque, Leonora s'éloigne de lui et saute sur ses pieds, jetant par la fenêtre la cigarette à peine consumée qu'elle a glissé entre ses lèvres il y a quelques secondes. "Just leave me the fuck alone! Is that so hard for your tiny as shit brain?" Les insultes lui sont toujours venues si facilement, mais jamais envers ses amis. Jamais envers Alex.

Mais là, elle a l'impression d'avoir ouvert les vannes, et elle est incapable de calmer l'eau de mal-être qui s'y engouffre comme on ferait s'écrouler un barrage. "I just- I just need some space, some time. Away from you and your fucking drama." Les sifflements deviennent cris rauques et angoissés, angoissants. Leonora a l'impression d'avoir de l'énergie pour la première fois depuis des jours, des semaines, des mois. "Everything's always about you, Alex! Stop- stop prying. Stop prying, stop groveling, stop- fucking- I don't know- just stop, alright? Something broken you can dote on so you don't feel so fucking empty and useless. Because guess what, Alex? You are!" And so am I.
Ils ne seront jamais rien d'autre: vide de magie, de sens, de vie. Jamais moldus, jamais sorciers, jamais acceptés par les premiers ou les seconds - coincés dans un entre-deux, destinés à gâcher de l'oxygène et des ressources et du temps, et à attendre une salvation qui ne viendra jamais.

Quand est-ce qu'elle est devenue si pessimiste? Ou alors l'a-t-elle toujours été sans s'autoriser à l'être? Leonora sent des larmes de frustration et de désespoir envahir sa vision et elle détourne la tête avec embarras et colère. "Shit," souffle-t-elle sous sa respiration. "Shit, shit, shit, fuck you, Alex, fuck you, couldn't you fucking DROP IT? You're always- ah! Always fucking prying, like some sort of evil spider, fuck, shit, fuck--" Leonora retourne ses poches à la recherche de médicaments qui ne seront pas là, les doigts tremblants. "I just," et elle se rend compte à ce moment-là qu'elle sanglote, que sa poitrine se soulève sur des bruits humides et douloureux, "I just want a fucking good night's sleep, fuck you."

"Just leave me alone." Alex grimace lorsque Leo s'emporte, fatigué d'enchaîner les faux pas avec elle, mais sans jamais chercher à abandonner. Il peut arriver à retourner la situation. Il le sait. "Just leave me the fuck alone! Is that so hard for your tiny as shit brain?"

C'est une insulte parfaitement ciblée mais Alex ne relève pas, fixe simplement Leo d'un air las, loin d'être amusé, son irritation grandissante se lisant dans ses traits qui se tendent. A ce moment précis, Leo lui rappelle cette gamine agaçante qui venait souvent au restaurant avec ses parents quand Alex travaillait à Galway. Une petite brune à tresses qui prenait la moindre contrariété comme une attaque personnelle. Il trouve plus facile d'en vouloir à cette gamine qu'à Leo alors il l'imagine elle lorsqu'il dévisage son amie qui n'a clairement pas finit de déchargé son venin.

"I just- I just need some space, some time. Away from you and your fucking drama." "My drama?!" Alex relève cette fois-ci, profondément outré, mais Leo le calcule à peine. Elle n'a pas finit et rien ne semble pouvoir l'arrêter. "Everything's always about you, Alex! Stop- stop prying. Stop prying, stop groveling, stop- fucking- I don't know- just stop, alright? Something broken you can dote on so you don't feel so fucking empty and useless. Because guess what, Alex? You are!"

If I'm useless then what are you? Il pourrait le dire. Dire les choses a toujours été si facile pour lui. Encore plus quand il le pense. Et il le pense tellement à ce moment précis. C'est comme s'il se nourrissait de la colère que Leo évacue. Elle frappe là où ça fait mal. C'est peut être ça son talent, son utilité. Mais pour l'instant, Alex ne remarque qu'une seule chose - Elle est en train de tout gâcher.

Les non-dits. Les Lancaster Five ont toujours été des experts en la matière. (ça aide quand un sortilège vous empêche littéralement de dire les choses, justement. De toutes les formes de magie, il fallait que ça soit celle-ci qui ait une faille. Les mots qui sont affectés plutôt qu'eux même. Pratique. Agaçant.) Ils n'ont jamais eu de problème pour fermer les yeux sur certains de leur comportements parce qu'ils devaient rester soudés malgré tout, s'aimaient malgré tout. Et bien sûr, ils pouvaient se parler honnêtement si besoin mais là, c'est différent. Alex ne s'est jamais senti comme ça face à l'un des L5. Et il en veut à Leo d'avoir gâcher ça, peu importe sa raison.

"Shit. Shit, shit, shit, fuck you, Alex, fuck you, couldn't you fucking DROP IT? You're always- ah! Always fucking prying, like some sort of evil spider, fuck, shit, fuck-- I just, I just want a fucking good night's sleep, fuck you."

La tête haute parce qu'il veut rendre ça très clair que lui est resté calme, Alex laisse le silence planer quelques secondes pour s'assurer qu'elle ne va pas repartir avant de répondre, le ton cassant, "Are you done?" Il la regarde, les sourcils levés, avant d'ajouter, "Feel any better?" Il croise les bras et fait tout son possible pour que Leo comprenne qu'il a peu de patience pour elle. (C'est lui l'ainé des deux. Alex aime bien le rappeler.) "You don't have to talk to me like that, say these things to make me understand you're not okay, alright? I'm pretty smart, I can get it just fine." Il dit comme si Leo ne s'était pas énervée justement parce qu'il était totalement à côté de la plaque. "That's why I'm here. I want to help you. You know that. Why won't you let me?" Alex veut savoir, il veut aider, il veut régler ce problème parce que c'est quelque chose qu'il peut faire maintenant. Tout de suite.

Leonora est en train de s'étouffer sur ses larmes. À moins que la brûlure dans ses poumons soit dûe au fait qu'elle ait du mal à respirer à travers ses sanglots. À quand remonte la dernière fois qu'elle a pleuré comme ça? Elle serait bien en peine de le dire: elle a l'impression de faire barrage sur ses émotions depuis des mois maintenant, de laisser la frustration et la détresse s'accumuler depuis qu'ils sont retournés au Royaume-Uni et qu'ils sont coincés ici, à tourner en rond à n'en plus finir au Théâtre...

Égoïstement, elle aimerait qu'Alex la prenne dans ses bras et lui dise qu'il lui pardonne et qu'il est désolé et que ça va aller. Mais son ami ne lui a jamais semblé aussi loin qu'en cet instant précis et Leonora lui en veut, tout comme elle lui en veut pour plein de choses importantes et insignifiantes qui se sont accumulées avec les années.

Pire que tout, Alex se fait cruel en plein milieu de sa crise, les bras croisés sur sa poitrine et la voix ferme: "Are you done? Feel any better?" Cette fois, Leonora s'étouffe sur l'injustice de la situation et, essayant vainement d'effacer les larmes qui n'en finissent pas de couler de ses yeux, jette à Alex un regard perdu. "You don't have to talk to me like that, say these things to make me understand you're not okay, alright? I'm pretty smart, I can get it just fine." Can you? Les Lancaster sont les seul.es qui pourront jamais la comprendre et pourtant plus le temps passe, plus Leonora a l'impression qu'un fossé se creuse entre eux. Alex, Nick et Angèle ont tous l'air d'être sur le chemin pour aller mieux; Leonora, elle, a l'impression de tomber dans le vide depuis des années et que sa situation ne s'améliorera jamais.

"That's why I'm here. I want to help you. You know that." Est-ce qu'elle le sait vraiment? Leonora est confuse, fatiguée, triste et frustrée. Elle ne sait plus rien. "Why won't you let me? - I... I..." L'air le manque, les mots aussi. Leonora plaque ses mains sur son visage pour se le frotter avec force, violence presque - sa peau lui fait mal, ses yeux aussi, sa gorge, son nez, son corps tout entier. Elle a l'impression qu'elle est en train de se fissurer en mille morceaux et qu'il n'y aura personne pour les ramasser et les rassembler. "You can't!" le cri finit par sortir, frustré et triste. "You can't. No one can! No one understands," ment-elle d'une voix cassée avant de s'éloigner de quelques pas en secouant la tête, glissant ses doigts dans ses cheveux à la recherche désespérée d'un modicum de calme. "Just drop it, Alex." Elle a du mal à respirer et elle a mal à la tête, s'éloignant un peu plus en direction de la porte. "I'm sorry, I really am but I can't... I can't do this." Not now; not ever. Quand a-t-elle perdu son sens de l'humour, la technique tried and true du désistement par la blague et la bonne humeur? Si elle pouvait y accéder de nouveau, le ferait-elle?
De ça non plus elle n'est pas sûre.