« Hold the door pl… » La demoiselle n’a pas le temps de finir que les portes de l’ascenseur se sont déjà refermées. Maudissant ses talons, qu’elle maîtrise pourtant, elle s’arrête devant l’encadrement. Le prochain conviendra tout aussi bien, c’est une certitude. Plus qu’en avance, étant donné que ses cours d’Espagnol ont été suspendus pour cause de maladie du professeur, elle n’a aucunement besoin de se dépêcher, en théorie. D’autres personnes, autour d’elle, semblent un peu plus stressées. Certains rendez-vous au Ministère sont, après tout, tout sauf une partie de plaisir. Dans son cas, rien à redouter à première vue. Le sac en cuir qu’elle porte en bandoulière contient les dernières leçons de Jae-Hwa et si son coréen n’est pas encore parfait, elle y a travaillé toute la soirée précédente et n’a donc aucune raison de redouter de ne pas être prête. Toutefois, des révisions de dernière minute, profitant de son avance et du planning chargé de Lady Rosier – qui ne sera sans doute pas  libre avant l’heure dite – ne semblent pas superflue. D’où son impatience de trouver un coin tranquille non loin du point de rendez-vous, et absolument pas dans le hall, impropre à la concentration. Son mentor lui dirait sans doute qu’elle aurait pu en profiter pour tenter d’approcher des personnes du département de la Coopération Magique Internationale … mais chaque chose en son temps. Et même si elle est toujours parfaite, de la tête aux pieds, après une journée de cours et dans la perspective d’une leçon supplémentaire, elle ne se sent pas de se lancer dans une nouvelle opération séduction. Maintenir le masque en silence sera d’autant plus facile, surtout si elle est concentrée sur autre chose.

C’est donc parfaitement concentrée et dans un calme olympien qu’elle attend le passage suivant. S’écartant pour ne pas manquer de se faire renverser, elle finit par se glisser seule dans la cabine. Ce n’est visiblement pas l’heure de pointe, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Rajustant sa jupe, attend patiemment que les portes se ferment après avoir appuyé sur le bouton correspondant. Jusqu’à voir une silhouette se diriger vers l’habitacle. La tentation de refermer les portes rapidement pour ne pas être importunée est grande, mais c’est finalement d’un mouvement de doigts derrière le dos qu’elle les maintient ouvertes. Politesse oblige. Cependant, elle aurait peut-être agi différemment si elle avait vu plus rapidement le nouvel arrivant. Pour l’heure, elle se contente de demander : « What floor S… ? », le dernier mot "Sir" se bloquant dans sa gorge alors que son index effleure les touche et qu’elle pose enfin réellement les yeux sur la personne en face d’elle. Un jeune homme d’environ son âge, brun, à première vue pas de quoi la troubler – définitivement pas son style. Ce sont les traits, auxquels elle s’accroche, qui l’ont fait s’arrêter, pour finir par ces prunelles que les années n’ont certainement pas pu lui faire oublier. « Sully ? » A moins d’une hallucination ou d’une ressemblance profondément troublante, le doute n’est pas permis. C’est bien le jeune Swanson qui se tient devant elle ; enfin, le plus jeune des Swanson. Ou le dernier. « It’s been … quite some time. » Et ce n’est pas peu dire. Leurs chemins ne se sont pas croisés depuis que les Gallagher se sont établis au Royaume-Uni. Et il y a une raison très simple à cela : ne pas prendre le risque que qui que ce soit de leur passé ne ressurgisse à un moment inopiné. Et ce qui est en train de se produire est exactement ce qu’Elspeth a toujours redouté. D’où son air interdit passager, qu’elle a rapidement contrôlé. Ce pourrait ne pas être une si mauvaise nouvelle. Mais pour cela … tout dépend de qui se tient en face d’elle.

« Your wand, please… » On aurait dit que le « please » lui avait écorché la bouche. Malgré tout, cela changeait du ton monocorde habituel de ce vieil idiot qui contrôlait l’entrée du ministère. Il pouvait comprendre toutes ces mesures de sécurité que le nouveau gouvernement avait mis en place. De ce qu’il se souvenait, l’ancien ministère était un vrai gruyère et presque tout le monde pouvait y entrer comme bon lui semblait. « Reason of your visit ? » Revoila ce bon vieux ton monotone. « I work here… » Même s’il les comprenait, il désirait plus que tout en finir avec ces contrôles et il voulait rentrer chez lui. « Dumbass… » ajouta-t-il dans un murmure. Le vieux ne sembla pas l’entendre. Ou alors il était tellement habitué aux insultes qu’il ne réagissait même plus. C’était triste si c’était vrai, et il le plaindrait presque.

Le vieux lui rendit sa baguette sans lui prêter plus d’attention et fit signe au suivant d’avancer. Il entendit de nouveau le robotique « Your wand, please… » alors qu’il s’éloignait du point de contrôle. Il traversa d’un pas rapide le hall avec toutes les cheminées. Plus vite il aurait fait son rapport au chef, plus vite il pourrait rentrer chez lui. Son rapport ne devrait pas lui prendre trop de temps. Après tout la mission n’avait consisté qu’à débusquer un petit groupe de contrebandiers. Les trouver s’était avéré relativement facile. Les idiots ne savaient même pas bien se cacher. Ils avaient fait une petite reconnaissance de la zone puis il avait lancé Reinir sur eux avant de se lancer lui-même dans la bataille. Sous l’effet de surprise, deux étaient déjà tombés sous les coups de Reinir. S’occuper des trois restants avait été tout aussi rapide. Ils en avaient gardé un pour un interrogatoire un peu plus poussé sur leurs activités. Il avait chargé Reinir de le ramener au ministère pour l’enfermer dans une des cellules pendant que lui finissait de fouiller leur planque. Ce qui n’avait pas donné grand-chose.

Il traversa l’atrium sans un regard pour l’immense statue qui trônait au centre. Arrivé devant les ascenseurs, il jeta un rapide regard circulaire pour en trouver un de disponible. Il en repéra un avec une personne déjà à l’intérieur. Il se dirigea vers l’ascenseur à grand pas, espérant que les portes ne se refermeraient pas avant qu’il n’arrive à monter dans l’ascenseur. Heureusement, il semblerait que la chance soit avec lui aujourd’hui, puisqu’il réussit à l’atteindre sans que les portes ne bougent d’un millimètre. Sans faire attention à l’autre occupant de l’habitacle, il se pose contre un des murs, bras croisés et ferme les yeux. « What floor, S… » Il rouvre les yeux en entendant l’hésitation sur le dernier mot. Il se tourne vers l’autre personne et la détaille les sourcils froncés. La jeune femme est légèrement plus petite que lui, les cheveux longs, blonds. La jeune femme lui dit quelque chose. « Sully ? » C’est à ce moment-là que tout lui revient. Ses yeux s’écarquillent légèrement. « Elsie ? » Son ton est presque incrédule. Cela lui fait bizarre de revoir une personne qu’il a connu étant enfant comme Elspeth. Surtout une personne qui l’a connu avant son petit changement de mentalité. Il est comme pris au dépourvu de cette rencontre fortuite. « It’s been… Quite some time. » Sully la détaille de bas en haut avant de lui répondre, songeur. « Yes… Quite some time, indeed. » Un bel euphémisme. Cela fait quasiment sept ans qu’ils ne se sont pas revus. Et si Elspeth a vécu son changement à lui. Sullivan était là pour son changement à elle. Et ce changement l’avait plus que décontenancé à l’époque tant ce changement avait été brusque.

« So… How have you been, all this time ? » Il se penche sur le côté pour appuyer sur le bouton de son étage et se replace à côté d’Elspeth. Les deux font face à la porte de l’ascenseur, comme une gêne entre eux. Dans le même temps, Sullivan tente de faire marcher sa tête à toute vitesse et essayer de faire remonter à la surface les souvenirs de cette époque à laquelle Elsie avait changé du tout au tout. Il lui jette un regard du coin de l’œil et se rend compte qu’elle semble tendue. Bien sûr, elle sait ne pas montrer ses faiblesses, il le sait parfaitement. Après tout, ils ont reçu le même genre d’éducation sur ce sujet, faisant partie de famille de sang pur. On ne montre pas ses émotions et encore moins ses faiblesses. Cette tension qu’il ressent chez elle l’intrigue. Alors il se dit que renouer le lien qu’ils avaient ne serait pas un grand mal. « What have you been doing all these years ? »

Si elle a espéré, l’espace d’un instant que le jeune homme ferme de nouveau les yeux, en lui démontrant qu’elle s’est trompée, elle en est pour ses frais : « Elsie ? » Le surnom remplit l’espace et il n’y a bien que lui qui l’ait jamais appelée comme ça. Surtout avec cette intonation. Alors oui, c’est bien lui. Enfin. Qui est « lui » ? En d’autres temps, elle aurait pu vous répondre assez simplement. Sullivan Swanson est le fils d’amis de famille, qu’elle a côtoyé depuis l’enfance. Quelqu’un avec qui elle s’est entendue comme deux enfants d’environ le même âge, élevé dans le même milieu peuvent le faire : avec cette innocence qui les caractérise si bien. Et cela aurait pu être très simple, elle l’aurait étreint, ils auraient repris contact … mais voilà, rien ne l’est, simple, justement. Parce que peu avant que les choses ne se compliquent pour elle, elles se sont corsées pour lui. Il y a eu un changement dont elle a été témoin. Une scission, dans l’être qu’elle a pourtant longtemps connu. Alors … malgré le surnom, que les deux faces de la pièce connaissent, qui se trouve face à elle aujourd’hui ? « Yes… Quite some time, indeed. » Beaucoup trop longtemps. Mais couper les ponts avec son passé a encore été le plus aisé, quand elle a déménagé. Et pour beaucoup, ça a été rapide, étant donné qu’Elspeth a bien veillé à dégoûter la plupart de ses proches, qui n’ont plus eu envie d’entendre parler d’elle. Pour lui … ça a été différent. Le temps, les occupations différentes, sans le moindre doute. Plus facile. Alors pourquoi a-t-il fallu qu’ils se retrouvent aujourd’hui ? Qu’elle retienne les portes de l’ascenseur ? Il ne faut pas qu’elle espère que ce soit bel et bien le Sully de son enfance en face d’elle. Parce que c’est un pari qui pourrait lui coûter bien trop cher. Et elle ne peut absolument pas se payer le luxe de tout perdre sur un coup de poker.

« So… How have you been, all this time ? » Alors qu’il se penche pour sélectionner son étage, elle recule, comme fuyant le moindre contact avec lui. Ses mains se croisent sur sa jupe. Ce n’est pas aussi violent que de croiser les bras, mais la posture, si elle se veut relativement neutre, a quelque chose de défensif. Et comment ne pas l’être, de façon naturelle ? « What have you been doing all these years ? » « Studying, mostly. » C’est une réponse honnête et neutre qu’elle lui sert, résumant effectivement assez bien son parcours. « I shall graduate this year from Euro’Glyph and have already from Morgana’s. » Un terrain facile, neutre, surtout depuis qu’elle a eu le feu vert pour de nouveau briller en cours. Rien de suspect là-dedans, donc. Les yeux rivés sur la porte, elle sent pourtant son regard sur elle et ne manque pas de finalement le rendre à son voisin. Il n’y a rien, aucun signe physique qui pourrait lui indiquer son état d’esprit réel. Le problème avec les Sang Pur : ils ont été tellement conditionnés à bien se tenir que les variations sont difficiles à lire. Puisque tout le monde fait semblant, à plus ou moins fort degré, à chaque moment. « What about you ? » La conversation semble légère, juste deux vieux amis qui se sont perdus de vue prenant des nouvelles l’un de l’autre. Mais les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être. Et Elspeth ne sait pas ce qu’elle préférerait : retrouver celui qu’elle connaît, pouvoir arrêter le jeu quelques secondes, au risque de prendre trop goût au fait d’évoluer à visage découvert et de risquer un faux pas, ou bien celui qu’elle redoute, ce pur produit un peu trop extrême, qui au moins la forcera à ne jamais baisser sa garde ? Qui est parfaitement tenue, pour l’instant. Ce qui ne l’empêche pas de détourner le regard quand elle murmure : « We’ve heard about your family … sorry for your loss. » Elle ne doute pas que ses parents aient envoyé une carte ou des fleurs ou bien les deux, mais elle n’en a pas eu l’occasion. Et qui qu’il soit, et qui qu’aient été ces gens cela reste une épreuve. Surtout en ayant perdu à la fois ses parents et sa fratrie.

« Studying, mostly. » Sullivan hoche vaguement la tête, se rappelant qu’Elspeth avait quelques années de moins que lui. Un petit sourire en coin se dessine sur ses lèvres. « Studying ? You ? » Il rirait presque de la situation dans laquelle ils se trouvent tous les deux, à faire la conversation comme si de rien n’était. Alors que la tension dans l’air est palpable. Lui le ressent parfaitement et il est sûr que c’est aussi le cas d’Elsie, mais chacun fait semblant de ne pas y faire attention. Elsie continue sur le même ton neutre. « I shall graduate this year from Euro’Glyph and have already from Morgana’s. » Sullivan n’en montre rien, mais il est tout de même impressionné. Ce n’est pas donné à tout le monde. Ce qui ne l’empêche pas de continuer sa petite pique. « I'm so surprised. It was so not you to study assiduously when we were young ! » Son ton est ironique est légèrement moqueur. Il est vrai que contrairement à lui qui préférait aller jouer à l'extérieur, Elsie était plus du genre à prendre ses études au sérieux. Elle continue de faire face à la porte de l’ascenseur mais il la voit bien rouler des yeux avant de finalement tourner le regard vers lui. Il a quelques souvenirs de leur enfance, mais a du mal à accéder à tous les souvenirs de cette époque. Ces souvenirs, ce sont ceux de Sully. C’est presque comme si Sully et lui étaient deux entités bien distinctes, avec leurs souvenirs propres, alors qu’ils ne sont que deux personnalités d’une seule et même personne. Heureusement, l’occlumencie l’aide énormément à gérer ces petits problèmes de mémoire. Elle lui permet d’avoir un meilleur accès aux souvenirs antérieurs à son apparition. À l’époque où ils avaient coupé les ponts il ne maîtrisait pas encore assez bien l’occlumencie et Sully faisait encore régulièrement son apparition. Et c’est principalement cette partie de lui qui s’était posé des questions sur ce changement soudain chez son amie. Sullivan lui avait été intrigué, mais avait vite mis ça de côté. Et la revoir aujourd’hui faisait ressortir toutes ces interrogations à la surface. Et Sullivan n’avait vraiment pas envie d’avoir de nouveaux soucis en tête. Alors il lui faudra faire une recherche dans ses souvenirs liés à Elspeth lors de sa séance quotidienne de méditation quand il sera enfin rentré chez lui. Peut-être que se replonger dans des souvenirs de l’époque de Sully et de l’époque à laquelle Elspeth avait changé ainsi qu’à son comportement actuel pourrait l’aider à mieux appréhender la situation.

« What about you ? » « Well… » Il regarde l’aiguille de l’ascenseur passer lentement du 1 vers le 2, réfléchissant à ce qu’il pourrait bien lui répondre. « I’ve always been your typical average student. Never the kind of student to continue with my studies. » Ce qui était vrai. À Poudlard il était plutôt dans le haut du panier, mais c’était parce que ses parents surveillaient de près ses résultats. Pas de médiocrité chez les Swanson. « Then, after graduation, I took a couple of sabbatical years. » Et cette période n’avait vraiment été que du fun. Merci cher papa… Celui-ci avait été ravi des résultats de sa leçon dans les cachots du manoir malgré le fait qu’il ait été lui-même victime de la rage incontrôlée de Sully qui avait fait place à Sullivan. Il serra les poings au souvenir de cette période. « Then, three years ago, I joined the Ministry. Daddy was so proud. » Il n’avait pas pu s’empêcher de lâcher cette dernière petite phrase sur un ton des plus ironiques. À quoi bon servait sa fierté à son père maintenant ? C’était elle qui l’avait mené là  où il était maintenant et c’était à cause d’elle qu’il avait forgé l’arme qui servirait plus tard à l’abattre.

« We’ve heard about your family… sorry for your loss. » Justement, alors qu’il y pensait… Elsie n’a lâché ça que dans un murmure, mais dans le silence de la cabine il l’a parfaitement entendu. C’est comme si elle regrettait d’aborder ce sujet, de peur de le blesser. Si elle savait. Sullivan revit régulièrement ce moment en rêve ou bien lors de ses méditations. Il se demande combien de temps encore il devra jouer ce jeu du pauvre orphelin éploré. Ça faisait déjà quatre mois que sa famille s’était faite massacrée. Est-ce qu’il y avait un temps précis de deuil ? Franchement ils étaient morts, qu’est-ce qu’ils en avaient à faire ? Il se força malgré tout à prendre un air peiné. « Thanks. It’s been really hard these last few months. » Tu parles que ça avait été dur. Il ne s’était jamais senti aussi libre que depuis de jour-là. Il laisse passer quelques secondes de silence pour le côté dramatique avant de reprendre. « Losing Neil hit me the hardest. We were really close, you know. » Quelle connerie ! Ça aurait pu être vrai quelques années auparavant quand il était encore jeune et naïf, mais un fossé avait commencé à se creuser entre eux sans qu’ils ne le sachent dès le moment où sa soeur avait mis les pieds à Poudlard. « I still try to understand how it could have happen to us. And the worst is not knowing who’s responsible for this tragedy ! » Si seulement elle savait qu’elle l’a sous les yeux, le « responsable de cette tragédie ». Il se demanda comment elle réagirait.

« Studying ? You ? » L’ironie est perceptible, que ce soit dans ses paroles ou dans le sourire qu’elle distingue du coin de l’œil. Rien de méchant, vous direz-vous sans doute, qu’il l’embête sur son sérieux académique ? Que cela n’aurait du résulter qu’en une petite tape sur le bras avec un petit « stop it » de circonstance et s’arrêter là ? « I'm so surprised. It was so not you to study assiduously when we were young ! » Cela aurait sans doute été le cas avec d’autres. Mais pas avec eux et pas dans cette situation, où le passé est si légèrement évoqué. Innocemment ? Comment le savoir. Les souvenirs sont des choses dangereuses, surtout quand on ne peut pas deviner ce que la personne en face en fera, si elle en a l’occasion. Si elle relie tous les points. Pour ce sujet, cependant, ce n’est pas extrêmement grave. Maintenant qu’elle brille de nouveau, il n’y aura rien d’étonnant à ce qu’un ami d’enfance se souvienne de ses prouesses de l’époque. Quant à aller jusqu’à questionner son bulletin à Hogwarts … tout le monde l’a oublié, parce que personne ne s’en préoccupe et c’est tant mieux. Cela lui permet de reprendre le dessus, rapidement. Cela ne sert à rien de s’inquiéter. Et se montrer nerveuse ne fera sans doute qu’accentuer la méfiance du jeune homme à son égard ou tout du moins sa curiosité. Une jeune femme sans histoires, une étudiante hors pair, voilà tout ce qu’elle est et ce n’est déjà pas mal. Et une ancienne amie curieuse, de façon honnête, de savoir ce qu’il est devenu lui … et plus précisément, qui il est devenue.

« Well… I’ve always been your typical average student. Never the kind of student to continue with my studies. » Un regard de côté l’informe qu’il est suffisamment absorbé par la flèche de l’ascenseur pour qu’elle se permette de détailler ses traits. On pourra sans problème blâmer la curiosité de quelqu’un n’ayant pas posé les yeux sur lui depuis des années – et il y a de ça. Les traits lui sont familiers et pourtant sensiblement différent. S’ils sont agréables ? Elle ne s’est jamais posé la question, sans doute objectivement est-ce le cas, mais ce n’est pas ce qui retient son attention. Elle cherche une expression, quelque chose qui serait propre à l’enfant qu’elle a connu. « Then, after graduation, I took a couple of sabbatical years. » Ce qui explique que leurs chemins ne se soient pas croisés. « Then, three years ago, I joined the Ministry. Daddy was so proud. » Le ton légèrement amer de la phrase ne lui a pas échappé. Si cela est à mettre sur le compte du décès de ce dernier ou d’autre chose, la demoiselle n’aurait su le dire. Mais il aurait été complètement déplacé de poser la question, surtout quand elle ne lui a pas présenté ses condoléances en temps et en heures. Elle y a pensé, sur le coup, pourtant. Mais cela faisait si longtemps. Et il y avait des risques, que ses parents avaient soupesé plus qu’elle. S’ils avaient su … « Thanks. It’s been really hard these last few months. » « I can’t even imagine… » Et elle ne préfère pas. Par réflexe, ses doigts se tendent pour presser rapidement ceux de Sullivan. Qui qu’il soit, il n’a pas mérité ce qui lui arrive. « Losing Neil hit me the hardest. We were really close, you know. I still try to understand how it could have happen to us. And the worst is not knowing who’s responsible for this tragedy ! » « Is the investigation still on ? »

Elspeth est à son tour absorbée par les étages qui passent. Le sujet est des plus épineux. Mais elle ne pouvait pas passer à côté, pas prétendre ne pas savoir. En mémoire de leur amitié et par simple correction. Neil n’est plus qu’un lointain souvenir dans sa mémoire, ce qui ne l’empêche pas de compatir, de se demander ce qu’elle ressentirait si les siens venaient à disparaître. Ses parents … ses cousines. Secouant légèrement la tête, elle demande, tout en douceur : « I hope you are surrounded by supportive people. It is important not to be alone in those moments. » En tous cas, c’est ainsi qu’elle le verrait. Et ça ne vaut sans doute pas grand-chose, mais c’est ce que l’on peut souhaiter de moins pire dans ce genre de situations. Se rendant compte qu’elle a sans doute elle-même rendu la conversation remarquablement lourde, la demoiselle se fend d’un léger sourire. Il n’y a toujours pas le moindre indice. La moindre certitude. Et si elle pourrait simplement se contenter de le laisser partir … une partie d’elle se demande toujours s’il n’est pas là. Juste à portée de main. « Are you doing anything else, apart from working ? » « Come on… give me something … »