Il y a quelques jours déjà que la dernière fournée de prisonniers est arrivée sur l’île battue par le vent. Un petit groupe, trois ou quatre, à moins qu'ils ne soient cinq ? Peu importe dans le fond. Tous ne le vivent pas spécialement bien de ce qu’il a pu observer, surtout depuis qu’ils savent ce qui les attend un peu plus tard dans le mois et ce n’est pas la météo qui est en cause.

Accepter son sort est rarement une chose facile pour ceux qui foulent le sable de la plage de Gracefield, il est là depuis assez longtemps pour le savoir. Il a eu le temps d’en voir des réactions depuis qu’il est lui-même entré sur la liste très spéciale des résidents de Gracefield. Mais qu’il est difficile d’apprécier d’avoir quitté les murs d’une cellule étroite pour rejoindre ce vaste espace quand on en connaît le prix. Certains jours il lui arrive même de regretter son choix, du moins jusqu’à ce que sa mémoire ne lui rappelle à quel point Azkaban a pu être affreuse comme résidence secondaire. Pas que celle-ci soit beaucoup mieux, elle est un peu moins pire dirons-nous. Ce qu’il sait en tout cas, c’est que si ces nouveaux colocataires ne se bougent pas un peu, les premières battues risquent d’être difficiles à surmonter pour eux. L’entrainement imposé par Faye au début avait fait ses preuves sur lui, sur un paquet d’autres mêmes. Savoir courir aide énormément par ici, surtout lorsqu’on est dépourvus de baguette. Leur jeu du Marco Polo vient faire pencher la balance de leur côté à certains moments mais ça n’est pas parfait, la technique ne fonctionne pas toujours, on compte encore quelques ratés. Les poids sur la balance n’étant pas bien répartis, il y a toujours un côté qui est avantagé.  Et c’est bien trop rarement le leur.

Le sort des petits nouveaux l’inquiète quand même, ils ont l’air sympa mais pas particulièrement endurants. Ils ne méritent pas ça. Pas plus que lui d’ailleurs. Seulement entre lui et eux, il a plus de chances de s’en sortir. Il a eu le temps d’explorer l’île d’Est en Ouest et du Nord au Sud, sans trop savoir dans quel ordre il avait commencé. Il connait le caillou presque comme le fond de sa poche ; mais pas eux. S’ils ne se bougent pas, s’ils ne cherchent pas à se mêler davantage aux groupes existants, ils seront les premiers pris pour cible. Alors après avoir réfléchi à comment faire pour les aider au mieux, il finit par trouver une idée. Pas peu fier de lui, il débarque dans la pièce commune où certains s’étaient rassemblés pour parler d’il ne sait trop quoi. « Quelqu’un veut venir courir ? » Pas de réponse, c’est tout juste s’il obtient quelques regards de la part de ceux qui sont présents dans la pièce. Ça le vexe un peu, le grand blond. Il s’était attendu à un peu plus de motivation, la dernière fois il avait eu plus de succès. Cette fois il avait été prévoyant, il ne leur était pas tombé dessus au saut du lit, ils pourraient au moins faire un effort et paraître intéressés par son offre !  « Allez les nouveaux, promis c’est une bonne chose. C’est l’occasion de visiter l’ile de manière utile et puis vous aurez gagné le droit de râler tout le long si vous voulez. Je râlerais avec vous si ça peut aider. »  Qu’il est mauvais dans son rôle de vendeur, s’en est presque risible, mais ça a le mérite d’arracher un petit sourire sur le visage de l’une des nouvelles résidentes. « Perdita, c’est ça ? » Il n’est pas encore trop bon avec les noms, mais il est presque sûr de celui-là. « Allez viens, c’est ta punition pour t’être moquée. » Il capte son regard peu assuré, il peut la comprendre, pas sûr qu'il aurait accepté au départ. Il avait peut-être bien envoyé Faye bouler la première fois qu'elle avait lancé l'idée de s'entrainer. « T’inquiète, j’te ramène en un seul morceau et on trouvera quelqu’un pour te faire un massage si t’es trop mal en point ! » Ok, là il s’avance peut-être un peu trop sur ce coup-là. Pas sûr que ses derniers mots soient les mieux choisis non plus. « Allez, viens. En plus on a de la chance, il pleut pas pour le moment donc c'est nettement plus agréable. »

Et c’est une victoire !

La désignée volontaire cède face à ses arguments, mais pas sans le prévenir que ses aptitudes physiques sont loin d’être celle d’une marathonienne. Tant pis, il fera avec, il n’était pas non plus excellent quand il avait posé le pied sur l’île la première fois. «T’inquiète pas, on tâchera d’améliorer ton endurance. » Dix minutes, c’est toujours mieux que rien. « Dix minutes aujourd’hui, ou même cinq, tu verras ça te fera du bien. » Au pire, il lui ferait juste faire un petit tour du morceau de terre sur lequel on les avait lâchés. Il faudrait qu’elle se familiarise rapidement avec le terrain si elle voulait optimiser ses chances lors de la prochaine Battue.

Une fois dehors, il se tourne vers elle, persuadé qu’elle avait finalement rebroussé chemin. Mais non. « J’ai même pas d’habits de rechange ? Comment on fait quand on supporte même plus sa propre odeur ? » Des habits de rechange, il pince les lèvres. Il s’est habitué, mais c’est un détail qui revient souvent chez les nouveaux. Est-ce qu’il faut lui dire maintenant qu’elle peut faire une croix dessus ? Certains parmi les plus appréciés des salauds qui contribuent à faire tourner le système ont parfois le luxe d’avoir un t-shirt et un pull ou deux pantalons. Un truc que Zabini avait qualifié de « généreux dons de la part de vos sponsors. » quand ça avait été lancé. Mais rien qui ne permette de changer totalement de vêtements et encore moins tous les jours. En général on leur envoyait plutôt de la bouffe ou de quoi soigner, ce qui était au moins tout aussi nécessaire à leur mode de vie. « On a une baignoire à ciel ouvert, le summum du luxe dans le coin. Juste on choisit pas la température. » Hygiène minimum en plein hiver. Surtout que le linge, ça sèche mal avec l’humidité. « Et pour la tenue de rechange … on verra si quelqu’un peut te prêter un truc le temps que tes vêtements sèches. » Des vêtements qui seront vaguement trempés dans l’eau salée ou bien dans un des rares lavabos encore fonctionnels à leur disposition avec un pain de savon. Il paraît que y en a un qui en a reçu dans un cadeau surprise. Le machin va partir à une vitesse folle. Comme la dernière fois que ça s’est produit…

« Tu t’appelles bien Nathan au fait ? » Il hoche la tête. « Bien vu, mais tu peux m’appeler Nate. » Et elle enchaine avec une autre question. « T’es pas un peu une légende ou genre, le doyen ? » Il la fixe quelques secondes, sans trop savoir quoi répondre. Il préfère être qualifié de légende que de doyen, ça fait mieux, mais est-ce que c’est comme ça que les autres le perçoivent au village ? « Je sais pas trop, mais j’aime bien l’idée d’être une légende. Ca donne un peu de prestige. » Il faudra vraiment qu’il raconte à Faye que par ici, les nouveaux le qualifie de légende. Elle en sera verte, surtout s’il nuance un peu, en disant que si lui est une légende, ça fait d’elle une doyenne. « Si tu veux traiter quelqu’un de doyen, tu peux le faire avec Faye. » Il prend des risques à lui donner l’idée. « On est arrivés en même temps, mais vu qu’elle est plus vieille, ça me paraît légitime qu’elle récupère le titre. Mais si tu fais ça, assure toi d’être capable de courir. » Et vite. Encore que … Faye est parfois adepte du dicton « la vengeance est un plat qui se mange froid. »

« T’es là depuis combien de temps en vrai ? » Assez longtemps pour connaître tous les coins de l’île. Trop longtemps, donc ? « On est en quelle année déjà ? 2005 ? 2006 ? » Il a un doute, faut dire que personne n’a pris le temps d’apposer un nouveau calendrier dans l’infirmerie depuis 1992, soit déjà bien avant leur arrivée. « Je suis là depuis la première Battue, et ça, c’était en 99. » Ça il sait. Il se souvient du papier qu’il a signé – une pratique vraisemblablement délaissée avec le temps. Il se rappelle la mauvaise surprise en découvrant ce qu’on leur réservait comme traitement une fois envoyé ici. C’était pire que ce qu’il avait pu imaginer. « Enfin, si c’est des questions qui se posent, t’es pas obligé de répondre. » Y pas vraiment de questions taboues, pas avec lui en tout cas. Certains sont plus frileux, ça ravive des souvenirs, ça les ancre davantage dans cette réalité pourrie et ça les aide pas à aller mieux. « Pose-moi toutes les questions que tu veux, même si Gabriel a dû déjà répondre à la majorité. » De toute façon, c’est pas comme s’il avait des choses à cacher.

« T'as fait quoi pour finir ici, d'ailleurs? » Elle a pas l'air bien méchante, difficile à imaginer qu'elle ait pu faire quoi que ce soit de répréhensible. M'enfin, il pensait ça aussi de Lottie et la gamine faisait pourtant bel et bien partie du groupe de locataires.

La nouvelle n’est pas prête pour vivre ici, voilà ce qu’il se dit quand elle lui explique que la mer n’est pas une option. Au pire, il y a les petits cours d’eau qui traversent l’ile, mais là encore, c’est particulier. Quant à la lessive, si vraiment elle insiste, peut-être que Maureen acceptera de tenter un sort. La magie sans baguette lui permet de manière très aléatoire de faire usage de quelques sortilèges, mais ce n’est pas à lui que revient le privilège de révéler l’information.  En attendant, Perry devra donc se contenter de ce que la nature a à leur offrir. Rien à voir avec le confort d’une vraie douche ou d’une baignoire. Il aurait presque hâte que ça soit la journée annuelle de la propreté.

Il parvient encore à l’étonner en lui donnant sa date d’arrivée sur le morceau de cailloux qui leur fait office de résidence. Et lui s’étonne encore un peu d’avoir tenu aussi longtemps. Tant que ça, vraiment ?

- Mais nan, c’est vrai ?? Ptain mais on dirait pas, en plus t’as encore le moral ??? Nan vraiment comment t’as fait ?

S’il a encore le moral ? Comme la majorité des prisonniers, il y a des jours avec et des jours sans. Au départ, ça a été beaucoup de jours sans. Il doit bien reconnaître qu’il a apprécié de pouvoir se dégourdir les jambes comme il le voulait, de trouver du contact en dehors des murs ou de ses compagnons de cellules. Mais le manque de confort, le fait de savoir qu’une fois de temps en temps le gratin de la société allait venir les regarder ou tout simplement participer aux battues sans que personne n’y fasse rien ? Ça c’était dur.

-C’est simple : soit tu choisis de voir le côté positif de la situation, soit tu te laisses couler.  

Ok, plus facile à dire qu’à faire. Elle lui fera sûrement remarquer.

Voyant qu’elle ralentit le rythme déjà peu rapide qu’ils avaient adopté, il décide de lui-même d’arrêter l’exercice pour simplement marcher. Il n’a clairement pas sélectionné la plus sportive du lot. Tant pis, il irait courir plus tard.

-Regarde le bon côté des choses : Tu pourrais être à Azkaban, ça c’est le mauvais plan : t’as vite fait le tour de ta cellule, crois-moi. Tu pourrais être couchée au fond d’un trou, six pieds sous terre. Pas fun non plus. J’ai pas tenté, mais je suis sûr que ça l’est pas. A la place, t’es là. T’as de l’espace pour crier ou pleurer sans qu’on t’entende si tu vas assez loin ou alors trouver du réconfort dans les bras de quelqu’un, tu peux aller courir à t’en épuiser ou t’écharper avec je sais pas qui. Franchement, à part leurs Battues, ça ressemblerait presque à un camp de vacances.

Presque. Faut pas oublier qu’en camp de vacances on prône la sécurité, le confort de la clientèle et l’amusement. Tout un tas de critères auxquels Gracefield ne répondait franchement pas.

- Je travaillais à la DHS, t’as connu ? – il lui confirme d’un hochement de tête. Il en a effectivement entendu parler -  Ben j’y bossais comme surveillante et je balançais un peu à l’Ordre en même temps bref, y’a eu une descente sur l’école pour faire sortir les élèves et j’ai un peu aidé tu vois. Il paraît que quelqu’un m’a dénoncée, mais je sais pas qui, je vois pas trop qui pouvait savoir.

A son tour d’être impressionné, vu le gabarit et la personnalité timide qui semble émaner d’elle, il n’aurait probablement pas parié sur elle en tant que source de renseignements. C'est d'ailleurs probablement ça qui a joué en sa faveur jusqu'à ce qu'elle ne soit dénoncée.

-Merde c’est con ... Enfin j'veux dire, t’avais l’air d’avoir un job plutôt tranquille.

Et lui ? Ce qu’il avait fait ?

- Hm. Mauvais endroit au mauvais moment ? Il sourit, ouais y avait un peu de ça quand même dans son arrestation. En vrai, j’étais dans une planque de l’Ordre quand le ministère nous est tombé dessus. On n’a rien vu venir. Certains ont pu s’échapper et d’autres comme moi ont eu moins de chance. C’est le cas de le dire. Azkaban pendant un long moment et puis un jour ils ont ouvert ce centre aéré pour la belle société. Tu t’en doutes, j’ai pas hésité longtemps avant de signer, un vrai plaisir de pouvoir servir la communauté !

L’ironie, ça aussi c’est important de pouvoir en faire usage pour tenir. Elle l’apprendra vite. Ils sont nombreux à l’utiliser, il ne se passe pas un jour sans que quelqu’un en fasse usage.

- Je sais déjà que t’as du sang de vélane – qu’il fait en désignant le tatouage sur sa joue – pas que ça nous aide franchement et aussi que la course c’est pas ton truc, donc on essayera de te planquer avec un groupe qui pourra s’occuper de toi, histoire que tu sois pas trop bousculée. Mais t’as des talents particuliers ? Animagie ? Magie sans baguette ? ou autre ? Ils ne sont clairement pas difficiles sur les compétences que chacun peut apporter au sein de leur groupe. Tout est bon à prendre.