Tu avais passé ces derniers jours à errer dans la nature. Tes sens de loup aidant, tu arrivais à te repérer tant bien que mal, même sans l'usage de tes yeux... Tu avais pris soin de rester du côté moldu, le temps de voyager, histoire qu'on ne te tombe pas dessus par hasard, et pour libérer tes sens de l'encombrante magie qui pesait dans l'air. La bonne nouvelle, c'est que l'Ordre du Phoenix te pensait sans aucun doute mort et enterré sous les décombres du Manoir de Gracefield. Tu n'avais donc pas à te soucier plus que ça de si ta tête était encore mise à prix... Et puis, en plus, avec toutes les blessures que tu portais, c'était à peine si tu étais reconnaissable.

De fil en aiguille, ton périple t'avait conduit jusqu'en Ecosse, comme si, dans ton désarroi, tu avais inconsciemment voulu rentrer à la maison. Oh, les Greyback avaient eu l'occasion de camper dans les Highlands, de temps à autres, mais tu te voyais (enfin, tu t'imaginais, quoi) déjà retourner dans la bourgade de ton enfance, si minuscule qu'elle était sans doute répertoriée nulle part, voire même disparue aujourd'hui, coulée sous le goudron d'une autoroute. Là où tout avait commencé. Là où tu avais été mordu par un loup, il y a plus d'un demi-siècle de ça. C'est fou comme les événements les plus bouleversants pouvaient se résumer à de fugaces instants. Ta morsure n'avait nécessité que quelques maigres et pénibles minutes. Les incidents qui avaient secoué et presque détruit votre meute (enfin leur meute désormais...) n'avaient duré que d'insignifiantes secondes, quelques jours à peine. Le temps d'une explosion, d'une mort.  

Il va sans dire que tu étais dans un état misérable. Quand tu ne rôdais pas avec des sans-abris, tu survivais dans la nature, fort de ton ascendance lupine qui pouvait s'avérer utile pour chasser. Ceci dit, même si les blessures à tes yeux avaient cicatrisées, l'hygiène de vie déplorable que tu entretenais commençait à multiplier les risques d'infection, si tu ne trouvais pas un endroit sec et sain pour t'y reposer quelques jours...
Privé de ta meute de loups, dépourvu de tes yeux, il ne restait plus grand chose du cauchemardesque alpha qui avait fait trembler tant de mômes à Poudlard. C'est dire si tu redoutes de croiser un sorcier ou une sorcière qui te reconnaitrait, de peur de te tourner en ridicule... Quoique, tu commençais à être tant à bout de forces que la perspective qu'on se foute de ta gueule en échange d'un abri commençait à te faire de plus en plus de l'oeil.  

Si tu pouvais encore voir, pour sûr que ta vision serait trouble de fatigue. Mais au lieu de ça, tu repères au loin une maigre signature magique, inconnue, et décides de jeter ton dévolu sur cette infime piste, bien décidé à éviscérer la pauvre bougresse qui croiserait ta route, pour lui voler son chez-soi. "Hé toi, là! T'as pas un truc à grailler?" aboies-tu, appuyant sur l'ironie de la situation puisqu'à quelques lunes près, la jeune fille aurait elle-même pu servir de plat de résistance.

Tu savais pas si la jeune fille était motivée par un certain courage ou si elle était simplement inconsciente. C'est que tu n'inspirais pas vraiment quelqu'un à qui on voulait donner la réplique. Pourtant, elle n'avait pas l'air plus terrorisée que ça, prête à prendre ta requête en considération. Elle ne semblait pas impressionnée par ta stature imposante qui te rendait plus grand que ce que tu étais. Ni par tes épaules larges, tes bras épais et poilus, tes mains comme des claquoirs. Ou par ton dos, énorme et vouté, alourdi par un manteau en peaux de bêtes, beaucoup trop chaud pour la saison, et qui te faisait suer à grosses gouttes.
L'odeur, c'était le pire dans tout ça ; peut-être même plus dérangeant encore que les cicatrices qui zébraient ton front, ou que les lambeaux de chairs ou de compresses qui battaient au gré du vent sur ta face. Des effluves amères de sueur, de crasse et de sang qui donnaient des haut-le-cœur, qui prenaient à la gorge et rendaient les lèvres poisseuses.  

Tu avais toujours eu un odorat surdéveloppé, même avant que tu perdes la vue. Aussi, tu n'as pas besoin de savoir à quoi ressemble ton interlocutrice. Son parfum en révèle bien plus que tout ce qu'elle aurait pu te montrer comme première impression. Pour le moment, rien de bien fou. Les bonnes odeurs sont toujours moins intéressantes que les mauvaises. Cette gamine sentait l'hygiène de vie respectable et une nutrition correcte, à la bonne heure. Rien de bien pertinent à se mettre sous la dent. Mais pour être honnête, tu n'avais pas le temps de lui renifler ses plus sombres peurs. Tout ce qui t'importait, c'est qu'elle te file son goûter. Et d'ailleurs, les relents de fruits et de biscuits qu'elle gardait à ses côtés ne t'avaient pas échappé non plus.

"Comment puis-je vous aider?" Tu t'approches de quelques pas, projetant ton ombre immense sur elle. "J't'ai d'mandé si t'avais de la bouffe?" que tu répètes, exhibant une impatience intimidante. Tu grattes ta barbe crasseuse et fais un mouvement du menton vaguement dans la direction de son en-cas, le chef haut, vu que, comme tu ne pouvais pas la voir, tu n'avais concrètement pas besoin de baisser la tête pour la regarder dans les yeux (que tu n'avais plus). "J'ai rien mangé depuis trois jours...", exagères-tu, peu enclin à lui révéler que tu avais certainement égorgé un ou deux écureuils au passage... Hé, c'était ça ou l'auto-stoppeur qui t'avait accompagné sur un bout de chemin! "Alors j'me disais qu'tu pouvais partager... Ou, si jamais t'as un truc plus consistant que tes graines de piaf, là... ça serait pas de refus... J'pourrais manger un Sombral!" Tu renifles bruyamment, éclates un sourire cauchemardesque sur ton visage à moitié mort, alignant tes crocs bruns, maigre barrière contre ton haleine fétide.

Même si la jeune fille se force à rester polie, tu entends les battements de son coeur au ralenti, alors qu'elle retient son souffle. C'est que la vision qui s'offre à elle ne doit pas être très ragoutante, pour ne pas dire qu'elle attaque même plusieurs de ses sens. Reste à savoir si elle avait plus de patience que de souffle, puisque tu ne comptais pas lâcher l'affaire, et encore moins après qu'elle te propose d'aller te sustenter de quelques vulgaires fruits. Comme si tu ne sentais pas suffisamment la viande pourrie pour la renseigner sur ton habituel régime alimentaire... Les barbecues Greyback te manquent.
"Ummm je veux bien partager.. Il y a un jardin et un verger plus loin", répond-elle, se retenant sûrement de prendre ses jambes à son cou.

Tu lèves le nez pour humer l'air, renifles bruyamment par-dessus tes poils de barbe et de moustaches répugnants. Effectivement, tu sentais le bois de pommiers ou peu importe quel fruit c'était ; pour toi, c'était toujours la même chose, vaguement sucré et supposément bons pour la santé... Rien qu'un bon steak un peu trop cru ne pouvait pas remplacer.
D'un mouvement de main pointée dans une direction assez hasardeuse, tu la sommes de se lever pour t'accompagner. Théoriquement, tu pouvais te déplacer sans trop de difficulté, grâce à tes sens lupins, mais pour une obscure raison, tu préférais garder la gamine sous la main, au cas où.

Il faut dire que, plus que les bonnes et saines odeurs du verger, tu sentais son odeur à elle. Et, bien qu'elle se taise à propos de sa maison, tu reniflais tous les parfums d'une vie d'intérieure, riche et saine, pour un sorcier moyen (autant dire, rien à voir avec ton ancien mode de vie de meute). Et puis, au son de sa voix, elle devait être assez jeune, et il aurait été donc assez irresponsable qu'elle s'éloigne trop de chez elle.

Vous vous dirigez jusqu'au champ voisin (tu manques passablement de te cogner dans la barrière, puis dans les premiers arbres). Après avoir ramassé un fruit (dont tu ne ferais pas l'effort de reconnaître la nature) passé d'âge puisque tombé au sol depuis plusieurs jours, tu l'avales presque d'une seule traite et fais la grimace.
"Il va m'falloir que'qu'chose d'un peu plus consistant, petite..." que tu avoues en piochant un second fruit, encore plus moisi que le premier. "T'habiterais pas dans le coin, par hasard?" Autant mettre les pieds dans le plat pour de bon. "Et essaye pas de faire la maligne, parce que j'ai le pif pour flairer les mensonges..." Au pire, si elle refusait de te montrer le chemin vers sa cuisine, tu pouvais toujours la retrouver à l'odeur, avec ou sans elle...

"Et bah alors, qu'est-ce qu'on attend!" que tu vocifères, appuyant le contraste entre ta verve et la jeune fille qui n'a clairement pas envie de te ramener chez elle. Il faut dire que de base, c'était tout sauf conseiller de ramasser un inconnu au milieu de nulle part. Tu avais bien récupéré quelques points de capital sympathie du fait de ta cécité, mais malheureusement pour toi, ta carrure (et ton odeur) jouait toujours autant en ta défaveur. Aussi, la jeune fille aurait pu être sourde, aveugle et muette qu'elle aurait senti que quelque chose ne tournait pas rond, dans ta tête comme dans cette situation.

Tu te redresses, tâtonnant exagérément autour de toi, le bois du pommier, l'air, cognant distraitement un bon de son épaule avant d'y poser une main disproportionnément large par rapport à sa carrure frêle. "Tu vas quand même pas laisser un pauvre vieillard handicapé tout seul dans la nature, pas vrai?" Tu courbes un peu l'échine, comme pour mieux rentrer dans le rôle qui ne va pas du tout. Mais bon, les vieilles habitudes sont comme toi, elles ont la peau dure! "Tes parents t'ont pas élevé comme ça, pas vrai?" Tu ne sais pas exactement où est son regard mais tu t'essayes à faire un genre d'expression un peu apitoyé (ce qui doit rendre assez bizarre au vu de ton visage à moitié et grossièrement bandé).

Tu fais mine de regarder (hrm...) autour de toi. "Et pis, on sait pas c'qui traîne dans la nature ; j'ai entendu dire qu'y'avait des loups, dans le coin, ouh!" De ta main libre (l'autre est toujours plantée à son épaule comme une pince), tu te frottes le côté du bras, comme s'il était parcouru de frissons de peur, alors que jusqu'à présent, tu étais certainement ce que ces bois renfermaient de pire.
Tu la pousses légèrement dans une direction hasardeuse, l'exhortant ainsi à prendre la direction de sa maison. "Allez, en route, mauvaise troupe!" Tu ne lui laisses ainsi pas le choix ; tu avais eu plus d'occasions de la faire disparaître que de poils sur le dos, mais hé, on n'est pas des bêtes, non plus!