tw: mention de drogue, de mort

« Mot d’passe. — Yo… je…… y-y’a un… » tu sursautes à moitié, regarde partout autour de toi quand soudain le regard beaucoup trop clair du rouquin te perce à jour. Ça alors qu’il te croise dans un des couloirs boisés du Tempest, ou te fout à poil, tu sais pas trop, alors que ton cœur s’affole, battant contre la toison rousse de ton chat que tu serres fort contre toi.
T’as l’impression que c’est lui qui a parlé, (pas le chat, le roux, enfin l’autre quoi,) mais en fait ça n’a pas l’air d’être lui, parce qu’il se met à râler juste après auprès du vieux Bullstrong (l’autre vieux Bullstrong, le brun) à cause de ce « foutu chat » que t’as ramené « à bord » (ils parlent une drôle de langue ces gens, déjà que t'y comprends pas grand-chose sans accent ou mots bizarres). Au départ t’as cru qu’il allait faire demi-tour pour t’arracher Moncho et le jeter dehors (ou pire, dans l’eau salée qui clapote contre les murs, enfin, la « coque ») mais au final, c’est la Bullstrong qui fait peur (l’autre)(la fille quoi) qui te sauve la mise, et t’emmène dans un coin plus tranquille — t’es tellement fatigué d’avoir pleuré et fumé cette nuit que tu la suis sans broncher, puis même, t’es jamais venu ici, contrairement à Lena.

« J’ai entendu genre, quelqu’un parler, mais c’était, genre, pas ton père, ‘fin, pas le deuxième non plus t’sais, c’était genre, super chelou……… » te confesses-tu à mi-voix à Sinead quand vous vous engouffrez dans une pièce. Comme si ça avait grondé, comme si y’avait un truc qui te suivait à chaque pas, qui te scrutait sans arrêt. Peut-être que t’en as trop prit la veille, tu sais pas. Peut-être même qu’avec tout ça, t’es devenu plus parano qu’au sortir d’une désintox. T'espères pas.

T’en fait tout un pat à caisse parce que d’une part, ces derniers temps et comme beaucoup, t’es devenu aussi crybaby que Moon sans ses chaussures favorites. Moon qui…
Moon…
À chaque fois que tu penses à quelqu’un, ce quelqu’un est mort, ou très probablement mort. C’est vraiment horrible. T’as l’impression que tu pourrais jamais t’en remettre. Un peu comme quand ta mère et ta sœur sont parties. C’est mieux de dire « partir » que « mort » et tu dis toujours ça parce que t’es persuadé qu’un jour, elles vont revenir. Tu sais pas comment, ni pourquoi, mais elles vont revenir. Dans ces moments-là tu fous ton nez dans le gras du bide de ton chat et tu pleures en silence, si peu que tu sois armé pour pleurer en silence, parce que Merlin sait que t’es vraiment très bruyant.

Alors forcément quand t’as vu que le trois quart de tes potes étaient aussi tristes que des murènes ménopausées, ou même carrément morts, et que toi, t’étais même pas capable de les aider, t’as essayé de trouver des solutions. La solution rapide : la came. T’as même pas tenté l’alcool avec, tellement t’en a prit. Tu t’es dit que ça allait faire passer tout ça, comme ça a (presque) fait passer pour mamá et Pili. En fait la réalité c’est que toute cette merde te ramène au point de départ, et pire encore, te fait entrevoir la douloureuse réalité : t’as jamais été foutu de faire ton deuil.

De toute façon on t’a jamais apprit à faire ça. On t’a jamais préparé à ça non plus. Pourtant dehors la guerre fait rage, mais tu t’es toujours raccroché à quelque chose : les amis, ta nouvelle famille. Mais là c’est eux qui ont morflé. Vous avez tous morflé. C’est dans ces moments-là où ton enfant intérieur s’écrase, et où tu te dis enfin : putain, c’est vraiment grave ce qu’il se passe.

D’ici un an ou deux t’auras oublié. Ou au moins tu te seras suffisamment anesthésié pour penser que t’as guéri. Mais ça marche pas comme ça.

T’y connais pas grand-chose en magie, rien diront tes anciens professeurs, mais ce qui a de bien dans la magie c’est qu’on peut faire des trucs extraordinaires, non ? Des trucs magiques, quoi. Alors tu te dis qu’il y en a bien un, ou une, qui saurait t’aider avec la magie qu’ils vantent tant.
Tu t’es dit que la maître alchimiste Bullstrong saurait sans doute t’aider pour ça. Mais tu savais pas trop comment lui dire, surtout qu’elle te fait peur, genre, beaucoup. Elle a une aura qui inquiète, un peu comme son père, en moins pire a priori, mais tu sens bien que c’est pareil, en quelques sortes.
Tu caches tes cernes et tes petits yeux encore un peu gonflés dans l’ombre de la casquette de Lee, que tu ne quittes plus depuis que Lena te l’a donné. Plus qu’un hommage, c’est comme une partie de toi. T’as pas envie qu’il parte, et c’est grâce à ça qu’il ne partira pas. Jamais vraiment en tout cas.
Et tu lèves le nez dans la direction de la rouquine qui s’impatiente sûrement — t’as perdu ta langue ces derniers temps.

« C’est sympa d'me laisser venir aquí sur le bateau, » que tu dis en te tortillant un peu, ton gros chat contre toi, le caressant doucement d’une main, le portant sur ton avant-bras comme un gros bébé de l’autre. T’es stressé comme jamais, si on peut parler de stress, tellement ça devient envahissant ces derniers temps. « C’est Lena querida amorosa qui m’a dit que… ‘fin c’était y’a longtemps genre qu’elle m’a dit, (elle parle plus vraiment de tout ça Lena), mais askip tu sais faire des trucs géniaux avec la magie, des potions magiques, plein de magie, tout ça… » t’as l’air encore plus simplet que d’habitude, tellement t’es pas à l’aise avec elle. T’oses même pas bouger davantage alors que t’es une pile électrique : le genre de truc qui te fait mal jusqu’à l’intérieur. Comme si on te broyait de partout, sans te toucher.  

Tu ravales ta salive et baisse un peu les yeux, faut dire que t’es assez petit, ou plutôt assez grand pour un gnome, mais là au moins t’es sûr de ne plus voir ses yeux à elle. T'aurais quand même pu faire chier les medicomages de Sweet River non ? Bah en fait tu t'es dit bêtement que t'aurais plus confiance en elle que ces autres-là qui en ont déjà assez de voir passer des cadavres, des blessés, et des cadavres blessés (les vampires tmtc). « E-Et… Et du coup, no sé, tu pourrais ptet m’aider, j’arrive plus à dormir, même avec- - ‘fin, avec des trucs naturels » naturel, genre, du bon sandwich bien roulé, et beaucoup trop chargé. C’est que t’as fini par devenir résistant à ces trucs. Si ça se trouve, son père, il arrive plus à dormir non plus, tellement il en a vu des horreurs. T’y penses aussi à ça bien sûr, même si parfois tu fais ton lion et tu regardes ton nombril avant celui des autres. Si ça se trouve elle lui a trouvé un truc vraiment cool de magique à boire ou à renifler et maintenant il arrive à bien dormir. Comme ça au moins, toi aussi, demain, t’espères pouvoir râler comme il l’a fait.

Y’en a du monde sur le Tempest depuis le retour du capitaine. Le calme après la tempête ne doit exister que quand on est mort, là c’est plutôt tempête après tempête et des dizaines de tête qui se suivent les unes après les autres. Qui cherchent ses pères ou Eimear, et de plus en plus de gens qui veulent la trouver, elle. Pour ses potions car c’est souvent la principale raison qui pousse les gens à oser l’approcher, comme si elle allait les mordre. S’il est vrai que depuis que Sinead a été forcée d’arrêter l’alcool, ses sautes d’humeur sont moins nombreuses mais plus violente, c’est pas pour autant qu’elle s’en prendrait à n’importe qui.

C’est pourquoi lorsqu’elle tombe sur l’ami d’Elena qui a l’air perdu au milieu du navire à serrer son chat comme un naufragé se tiendrait à sa bouée (qui rassure qui on se le demande ?), elle lui vient automatiquement en aide, vole à son secours en l’éloignant du ton bourru de son père et du regard noir dirigé en direction du matou. Et si elle hésite à passer derrière lui pour lui faire bouh, c’est juste parce qu’elle s’est souvenue de la conversation avec Alex et que l’idée de vérifier si elle lui fait réellement peur lui effleure l’esprit l’espace d’une seconde à peine. Bien sûr, Sinead se retient. C’pas le moment.

Dans une pièce à l’écart, elle va pour lui demander la raison de sa visite quand Nacho prend la parole immédiatement « J’ai entendu genre, quelqu’un parler, mais c’était, genre, pas ton père, ‘fin, pas le deuxième non plus t’sais, c’était genre, super chelou……… » “Ah oui, c’est notre fantôme personnel. enfin plus ou moins. Plutôt moins que plus même. C’est Ed. J’lui ai déjà dit de pas faire peur aux nouveaux, mais il m’écoute jamais.” Son commentaire est accompagné d’un regard noir et doux en direction d’un hublot. Elle jurerait entendre des tremblements sardoniques pour réponse. Elle va pour ajouter quelque chose mais l’état général du jeune homme l’arrête dans son élan, ses sourcils se froncent - signe d’inquiétude chez la rousse - et elle penche la tête sur le côté en posant ses mains sur ses hanches.

Elle reconnaît que trop bien cet air misérable de celui qui se sent au bord d’un précipice mais ne sait pas très bien s’il vaut mieux plonger ou se raccrocher à un rocher.

Ils l’ont tous plus ou moins ces derniers jours. La guerre n’épargne personne. Dans un sens, elle ne fait pas de quartier mais n’accorde aucun privilège non plus.

“Qu’est-ce qui t’amènes ?” qu’elle demande en même temps qu’il dit « C’est sympa d'me laisser venir aquí sur le bateau, ». il a l’air tout gêné et pas à sa place et Sinead sait pas où s’mettre parce qu’elle sait pas être délicate ou douce ou gentille comme certains bien que ça lui fende le cœur de le voir comme ça. “T’es le bienvenue ici,” le rassure-t-elle simplement et très maladroitement. « C’est Lena querida amorosa qui m’a dit que… ‘fin c’était y’a longtemps genre qu’elle m’a dit, mais askip tu sais faire des trucs géniaux avec la magie, des potions magiques, plein de magie, tout ça… » Il s’entortille dans ses paroles, elle a du mal à suivre, mais Sinead retient l’principal. il a pas besoin d’en dire plus et ça la soulage quelque part que Nacho soit là pour ça et pas pour parler. Sinead saurait pas bien par où commencer, mais les potions, la magie et tout ça, c’est une seconde nature.

En plus, en vrai, tout au fond, elle l’aime bien Nacho. « E-Et… Et du coup, no sé, tu pourrais ptet m’aider, j’arrive plus à dormir, même avec- - ‘fin, avec des trucs naturels » Un grand sourire s’étire sur un visage fatigué, à de quoi illuminer des traits tirés et une gueule qui a vu trop de trucs et qui en plus doit maintenant gérer la présence d’un tout petit être dans son ventre. “N’en dis pas plus, tu es venu toquer sur le bon pont !” Et sans demander rien de plus, la sorcière lui indique de la suivre jusqu’à une autre pièce qui lui sert de placard fourre-tout et de réserve. C’est dans cet endroit que pendent des herbes sèches et bocaux parfois sans étiquette ; ici aussi qu’on peut trouver ses rhum arrangés dont elle n’peut plus toucher (mieux vaut pas y penser) et surtout quelques potions nécessaires. “T’as besoin de dormir c’est ça ? De faire taire les pensées qui tournent dans ta tête et qui t’donnent l’impression qu’tu vas exploser ?” Ses questions ont tout de la rhétorique, un moyen de passer l’temps pendant qu’ils sont dans cette petite pièce et qu’elle tripatouille à la recherche de ce qu’elle a en tête. “Ah ah, trouvé !” Sa main se referme sur une potion apaisante, un ptit truc de sa concoction qu’elle a amélioré au fil du temps. “Trois cuillères par soir et pas une de plus si tu veux pas te retrouver avec un esprit tout embrouillé le lendemain matin.” Précise-t-elle avant de lui tendre le breuvage, une ptite fiole qui paie pas de mine avec un liquide transparent. On dirait de l’eau, ce n’en est pas. .

Sinead pourrait en rester là. Hop, il a sa potion, il a aucune raison de rester, mais en posant une nouvelle fois son regard sur le visage du sorcier, en repensant à tout ce qu’ils ont vu, tout ce qu’ils ont fait, tout ceux qu’ils ont perdu, Sinead ouvre la bouche et sort un conseil - qui pourrait être d’amis si c’était ce qu’ils étaient l’un pour l’autre, qui sera un conseil d’ami d’amis. “Mais ça suffira pas tsais. Ca va t’aider pendant un temps et franchement c’est efficace mais … C’est qu’une béquille tout ça. Ca efface rien définitivement. Si tu vois c’que je veux dire.” C’est frustrant quand même, alors qu’ils ont des baguettes magiques et des pouvoirs que les moldus n’osent qu’imaginer en fiction, ils sont incapable de les agiter pour apaiser les souffrances.