"Mais putain, c'est pas vrai, elle est fourrée où encore ?!" C'est pas souvent, que Garfield vocifère, mais il faut bien se faire entendre, dans ce foutoir.
La soirée bat son plein dans les sous-sols du Dancing Phoenix. Les combats d'hybrides s'enchainent, la thune et les dents pétées coulent à flots. Il n'y en a qu'un qui fustige, en plus de celles et ceux qui ont parié sur le mauvais poulain, c'est Garfield. Il roule des mécaniques pour se creuser un chemin dans la foule, ses Dogs allant et venant à lui, sans pour autant lui donner les infos qu'il veut. En effet, personne ne sait où se trouve Loomis Greyback, alors que son combat est sur le point de commencer.

Le truc, c'est que c'est pas le premier soir qu'elle manque. Depuis la fin du mois de juillet, Loomis a déserté les bancs du Dancing Phoenix, au grand damne de Garfield. Depuis le temps, il avait pris l'habitude de parier sur elle, quand il n'était pas d'humeur à prendre trop de risques. Loomis était une valeur sûre, c'était bien la seule chose qu'on pouvait lui reconnaître, si on faisait l'impasse sur son patronyme inquiétant. Heureusement pour elle, Garfield n'était pas du genre à s'arrêter à la première impression. Aussi, il avait bien vite pris la louve sous son aile, lui refourguant la masse d'encouragements et de récompenses quand elle sortait vainqueur du combat. Et, jusqu'à présent, si elle lui avait déjà foutu les jetons (surtout au début), filé quelques sueurs froides (à la deuxième mi-temps), et fait remporter un paquet de fric, elle ne l'avait jamais déçu.

Mais il faut croire que c'était en passe de changer, puisque donc, depuis la fin du mois de juillet, Loomis faisait partie des abonnés absents.
Garfield serait bien venu aux nouvelles, mais il avait aucune idée d'où se trouvait la piaule de la meute Greyback, et l'idée ne lui avait jamais traversé l'esprit de lui demander, ou même de piocher l'info dans sa caboche. C'est qu'il s'en foutait, Garfield, de ce que Loomis faisait de sa vie, en dehors des combats clandestins. Bien sûr, depuis le temps, il avait appris à la connaître, et avait même retenu quelques détails de son quotidien, mais sans plus. Il regretterait presque de ne jamais lui avoir posé la question, ce soir, s'il n'était pas aveuglé (et assourdi) par la frustration.

Il aurait pu simplement lâcher l'affaire ; mais il a un cocktail de Worrynot et de firewhisky sur son lit de hurlements intérieurs dans le pif qui l'empêche de relativiser, ou pis encore d'aligner la moindre pensée intelligible.
De fait, lorsqu'il fait irruption dans les vestiaires désertés, autant pour essayer de se calmer, que pour vérifier une fois de plus si Loomis se cachait pas dans un casier, il ne s'attendait plus à la trouver simplement sur le pas de la porte, débarquant fraîchement d'il ne sait où.
Le sang de Garfield ne fait qu'un tour, comprimé par des émotions trop différentes pour qu'il y comprenne quelque chose : un mélange entre le soulagement et l'envie irrémédiable de lui en retourner une pour lui apprendre les bonnes manières...
Sauf que quelque chose cloche. Loomis a l'air éteinte, qu'à moitié là, là où habituellement, elle ne se serait pas faite prier pour lui rentrer dans le lard.

Garfield l'observe quelques instants. Il semble digérer l'arrivée inopinée de sa favorite, sans trop savoir par quel bout la prendre. De cette voix forte et un peu discordante, qu'il prend comme s'il était dans une pièce bondée, il finit par éructer : "Oi, c'est à c't'heure-ci qu'tu débarques ? File te changer, t'as un match dans cinq minutes, contre Golden Rod, là, c'est du tout cuit..." Il ouvre un casier d'où il sort un jeu de six cannettes de boissons énergisantes moldues. "Allez c'est fini les vacances, on s'remet au boulot, hé !" Il pousse le pack dans sa direction, peinant à la regarder dans les yeux, puisqu'il était évident qu'elle ne revenait pas d'un tranquille séjour sous les tropiques... Bien au contraire, elle semblait revenir tout droit des Enfers.

Tu jettes un œil autour de toi et tout ce que tu vois c'est des caravanes aux portes fermées, des détritus qui roulent au gré du vent sur la terre humide et la forêt qui borde votre campement. T'entends des grognements discrets, un bruit de taule qui tombe et quelqu'un qui tousse au loin. C'est étrangement silencieux chez les Greyback, y a même pas de feu de camp allumé. C'est que vous avez pas la tête à faire la fête. Pas cette fois. C'est comme si c'était la fois de trop, un dernier uppercut pour la meute après la mort de Nadja. Ton regard se pose sur la caravane d'Hoshi. Elle était si jeune, elle méritait pas ça. Aucun de vous ne mérite ça. Mais c'est pas seulement que vous venez de perdre l'une des vôtres, une fois de plus... C'est que vous prenez peu à peu conscience de la fragilité de la meute. De la fragilité de votre alpha. Du moins c'est comme ça que tu le perçois. Tu prends en pleine face à quel point cette petite famille qu'on t'a constitué, à quel point ton monde tout entier peut s'effondrer en un claquement de doigts. Tes iris glissent vers les nouveaux du camp, ceux que vous êtes allés chercher. Ouais, t'as réussi ta mission, mais à quoi bon ? Pourquoi garder avec vous deux péquenauds qui veulent même pas être là, et risquer la vie de ceux qui sont fidèles à la meute depuis toujours ? Tu grondes, les pieds enfouis dans la terre, les mains si serrées entre elles qu'on voit apparaître le blanc de tes jointures. Ne supportant plus de rester immobile, tu te lèves d'un bond, renverses le bidon d'essence sur lequel t'étais assise et provoques un vacarme qui t'attires quelques regards, bien vite détournés par manque d'intérêt. Tu finis par roder entre les caravanes, jetant parfois un coup d'œil aux fenêtres dans l'espoir de croiser un regard familier. Mais cette aprem, t'es plus seule que jamais.

Alors comme souvent, tu te diriges vers le semblant de garage que vous avez installé avec Balls. Tu commences à sortir tes outils, à huiler la carrosserie de ta bécane. La douleur de ta marque se réveille alors t'ingurgites la potion infâme concoctée par Wyvern. Dégueulasse ce truc. Tu sors un son proche du chat crachant sa pelote de poils avant d'envoyer valdinguer la fiole. Ça ira mieux dans quelques minutes. Tes griffes parcourent distraitement le guidon de ton engin avant de le saisir fermement, un geste si naturel pour toi que tu te décides à te laisser aller et à grimper sur la moto. Un coup de poignée et te voilà qui décampes au beau milieu de la nuit, laissant derrière toi la meute et ses soucis.

Tu parcours la campagne pendant quelques heures, seule sur ta moto, l'esprit vagabondant sans jamais s'accrocher à une pensée plus longtemps qu'à une autre. Puis comme souvent, le visage de Nadja s'impose à toi. Pas comme avant, pas avec aigreur. Tu sens toujours ton estomac se nouer et ta mâchoire se serrer, et tu sais maintenant que c'est sans doute ce que tu ressentiras à chaque fois que tu penses à elle à présent. Mais le volcan de colère que tu abritais en toi s'est éteint, du moins pour le moment. Ta fureur est accaparée par l'Ordre à présent, et par tous ceux qui sont responsables de la mort des tiens, tous camps confondus. Mais Nadja est redevenue ton point d'ancrage, même dans la mort. Elle est là, court à tes côtés comme sur cette maudite île. Elle te protège.

Au loin se dessine la silhouette reconnaissable de Londres et de ses cheminées en brique rouge crachant des volutes de fumée blanche. Tu relances ta moto en direction de la grande ville.

Tu finis ta course devant la porte du Dancing Phoenix. Ça fait combien de temps que t'es pas venue ? Tu perds le fil à force. Faut dire que t'avais d'autres choses en tête. Comme une douleur atroce à la joue pendant quelques jours, quand tu t'es pas pointé à la VB comme tous les matins. Heureusement que Wyvern est parvenue à trouver un semblant de solution. C'est contraignant, temporaire, mais ça te permet de pas perdre la boule. Puis y a eu Gracefield. Préparer l'attaque t'a demandé toute ton énergie. Et depuis que vous êtes revenus... T'as eu besoin de prendre de la distance. Mais ce soir, tu le sens, t'as à nouveau besoin de sentir tes poings briser des mâchoires, et peut-être même sentir la tienne se faire démolir par Tali, avec un peu de chance...

Tu débarques dans les vestiaires, jettes nonchalamment ta veste en cuir sur un banc, avant de te retrouver nez-à-nez avec Garfield. Merde. Garfield, tu l'aimes bien au fond. C'est un pauvre mec, et sur bien des points il aurait tout à fait sa place chez les Greyback. Mais il fait pas partie de la meute, et c'est sans doute ça que t'aimes le plus chez lui. Il est, au même titre que ces combats, ton jardin secret. Cette bulle hors du temps qui te fait oublier tout le reste. Dommage qu'il soit aussi con.

Tu lui jettes un regard morose, lui te revoit une vague de reproches comme il sait bien faire. “ Oi, c'est à c't'heure-ci qu'tu débarques ? File te changer, t'as un match dans cinq minutes, contre Golden Rod, là, c'est du tout cuit... Allez c'est fini les vacances, on s'remet au boulot, hé ! ” Tu l'observes pousser vers toi un pack de boissons énergisantes au goût infect, comme s'il donnait de la pâtée à son dobermann. Tu touches pas les canettes, t'as eu ta dose de liquides imbuvables pour la journée. “ Les vacances ? ” Tu renifles un rictus dédaigneux. “ Excuse-moi, j'ai oublié d't'envoyer une carte postale. ” L'ignorant, tu commences à enlever tes vêtements de moto pour une tenue plus propice au combat. Au bout d'un certain temps, tu soupires, le nez toujours fourré dans ton casier. “ Écoute, j'suis pas v'nue ici pour m'prendre la tête avec toi, j'pas la force. ” Peut-être que t'as pas la force de combattre non plus, en fin de compte. Peut-être que t'es surtout venue ici pour te prendre la raclée de l'année. Peut-être que c'est parce que t'as l'impression que c'est tout ce que tu mérites. Que tu devrais pas être là, vivante, à discuter de la pluie et du beau temps avec Garfield, quand y a Nadja et Hoshi qui sont crevée. Ouais, peut-être que tu mérites juste d'être mise KO pour les deux prochains mois. “ Parie pas trop sur moi, ok ? ” Tu te diriges vers la porte menant au ring, espérant sans en être bien convaincue que le sorcier te foutra la paix.

Garfield se sent légèrement con, à pas savoir ce qui pouvait mettre Loomis dans cet état. Il était clair qu'elle n'avait pas fait l'école buissonnière pour aller se dorer la pilule sous les tropiques. C'est pas que d'habitude, elle était de meilleure humeur, au contraire, elle était tout le temps plus ou moins en train de faire la gueule, mais il avait cru comprendre que c'était la signature même des Greyback, aussi, il aurait pu ne pas s'en étonner plus que ça. Mais cette fois-ci, ça sonne différent. Il y a quelque chose en plus ; ou plutôt, quelque chose en moins. Dans son regard, dans l'amertume de sa voix.
"Les vacances ? Excuse-moi, j'ai oublié d't'envoyer une carte postale." qu'elle réplique. Et aussitôt, Garfield d'en rajouter une couche, bon joueur. "Parce que t'as appris à écrire, toi, maintenant ?" Il se sent légèrement con, alors il fait le malin, avec cet espèce de rictus un peu crado en coin, histoire de lui souhaiter un bon retour, de la remettre dans le bain.

Mais la louve, au lieu de le régaler de son habituelle cinglante répartie, se change en silence. "Écoute, j'suis pas v'nue ici pour m'prendre la tête avec toi, j'pas la force," explique-t-elle, sans que ça ne mette Garfield sur la moindre piste des récents événements. Il faut dire qu'à cette période, tandis que l'Ordre et les Mangemorts s'étaient entredéchirés sur l'île de la mort, les Warlocks étaient plus ou moins en train de préparer les festivités de la prochaine réunion du Syndicat, et Garfield avait les pattes dans les confettis jusqu'aux coudes. Autant dire que ce genre de priorités le faisaient doucement chier, et qu'il avait eu tout le temps du monde pour se préoccuper du sort de sa protégée du ring.

Il plisse les yeux, les réduisant à l'état de deux fentes bouffies. "Pas la force ? C'est un peu tout ce dont t'as besoin, mainten-" "Parie pas trop sur moi, ok ?" l'avise-t-elle en se dirigeant vers la porte. Le souffle coupé par tant d'impudence -et surtout par tant de défaitisme, Garfield voit trouble (et pas seulement à cause du coup qu'il a dans le pif). En quelques foulées, il lui passe devant et s'interpose entre Loomis et la sortie, le dos cognant lourdement contre la porte, les bras ouverts pour lui barrer le passage (c'est qu'elle avait largement la force de lui passer sur le corps, si elle le voulait -une chance qu'elle ne soit pas d'humeur à cogner, au final). "Hé oh, tu nous fais quoi, là ?" mugit-il en la poignardant de son regard chafouin et boursoufflé. "J'te paye pas pour que tu te laisses mettre sur la gueule, t'sais ?" Ou alors, juste quand il s'agissait de matchs truqués, mais ça n'était pas le cas, ce soir. Ce soir, c'était censé être de la thune facile ; un nouveau poisson qui avait aucune idée de la vigueur de la louve, et qui allait se faire mettre au tapis en même pas deux rounds.

"Tu monteras pas sur ce ring tant qu'tu m'auras pas dit c'est quoi ton problème !" Dans le fond, c'est simplement que Garfield s'inquiète. Mais il est infoutu de formuler ça plus gentiment ; il a pas l'habitude de se soucier des autres. "Il s'est passé quoi ? T'étais passée où ? C'est ta p'tite escapade qui t'met dans des états pareils ?" Il espère naïvement qu'elle avait effectivement pris des vacances, et que ça la faisait juste chier de revenir à son quotidien, qu'il ne s'agissait de rien de grave, auquel cas, il allait réaliser qu'il s'était fait bien plus de soucis pour elle que ce dont il pensait être capable...

TW : langage cru, deuil, comportement autodestructeur

“ Parce que t'as appris à écrire, toi, maintenant ? ” Tu le toises quelques secondes et même si tes lèvres vont pas jusqu'à se fendre d'un sourire, t'apprécies la répartie. Tu te détends, juste un peu, oubliant pour l'espace d'une seconde le poids des dernières semaines qui t'écrase plus qu'il ne pèse sur tes épaules. Y a un goût de banalité dans votre échange et c'est tellement imperceptible que tu t'en rends pas vraiment compte mais ça te fait du bien d'être là, et du bien de le voir. Tu réponds pas pour autant, encore trop enlisée dans ta frustration et ton anxiété, et tu continues de te changer. Tu lui balances quelques répliques défaitistes qui te ressemblent absolument pas et c'est juste de quoi l'alarmer suffisamment pour qu'il vienne te barrer le chemin. “ Hé oh, tu nous fais quoi, là ? ” Il te gueule dans les oreilles et tu plisses le nez en détournant le regard. “ J'te paye pas pour que tu te laisses mettre sur la gueule, t'sais ? ” Tu te retournes à nouveau vers lui avec un regard ouvertement agacé. Tu laisses échapper un soupire. C'est si compliqué de se faire casser la gueule de nos jours ?

T'as vraiment l'impression que c'est tout ce dont t'as besoin. Un bon coup dans le pif, une mâchoire éclatée puis ça repart. Mais t'as besoin de ça, besoin de toucher le fond pour repartir, besoin de payer pour être là alors que les autres sont crevés. A cause du Ministère, à cause de l'Ordre, y en a pas un qu'est mieux que l'autre. Mais en attendant toi tu te retrouves comme une conne à rien foutre de tes journées à part te demander si la vie serait pas mieux si toi t'étais morte et Nadja et Hoshi étaient en vie.

“ Tu monteras pas sur ce ring tant qu'tu m'auras pas dit c'est quoi ton problème ! Il s'est passé quoi ? T'étais passée où ? C'est ta p'tite escapade qui t'met dans des états pareils ? ” Tu le dévisages un instant puis tu réalises qu'il dit vrai. Que t'auras pas ton compte tant qu'il aura pas un brin de vérité à se mettre sous la dent. Alors tu pousses un nouveau soupire et tu fais un pas en arrière. “ Tu fais chier, tu lâches comme pour marquer ton abandon. ” Tu finis par t'asseoir sur un des bancs crados du vestiaire et tu lui fais signe de te rejoindre. T'acceptes même de décapsuler une de ses boissons énergisantes dégueulasses parce que ça t'occupe les mains et peut-être que ça te donnera même un peu la niaque. T'écartes les jambes - tu Greyback-spread - et aspire une gorgée, fais une moue dégoûtée puis tu reprends. “ On s'est fait baiser. Pour changer. ” Ta mâchoire se serre, t'as l'air amère. “ On est allés sur cette putain d'île. J'sais pas si t'en as entendu parler. ” Tu regardes rapidement à droite à gauche pour vérifier que vous êtes bien seuls. “ L'île où tous ces connards de mangemorts venaient chasser du prisonnier. On est venus aider l'Ordre. ” Tu renifles avec dédain. “ 'Fin, on était surtout là pour sauver les nôtres, nos loups qui s'sont fait prendre, tu vois ? D'mon côté, ça s'est plutôt bien passé. Mais d'l'autre... ” Tu marques une pause, tu te donnes le temps de digérer les souvenirs. “ L'autre partie d'la meute s'est faite avoir. L'Ordre nous a doublés et ils se sont retrouvés enfermés dans l'manoir en pleine explosion. ” Nouveau silence, tu te prépares à sortir la prochaine phrase. “ On a eu un nouveau mort. ” T'as la tête baissée, plus trop la force de bouger. Tu restes comme ça un moment, à respirer doucement, la tête remplie de souvenirs et de pensées sombres. “ J'sais plus quoi faire pour supporter tout ça. Les morts. Les échecs. J'sais plus où aller, parce que l'Ministère ou l'Ordre, même combat. J'sais pas pourquoi moi j'ai l'droit d'te parler, là, pis y en a qu'ont juste eu l'droit d'crever. ” Tu relèves finalement la tête, convaincue que ton argumentaire a du sens. “ C'pour ça qu'j'ai b'soin d'ce combat. B'soin d'm'en prendre plein la gueule juste un soir. Pour oublier. Pour m'défouler. ” Mais tu te doutes que Garfield verra pas les choses du même œil. Ce qui l'intéresse, c'est le pognon qu'il peut se faire avec toi, pas tes états d'âme. Et c'est clair que c'est pas en perdant inutilement que tu vas lui rapporter grand chose. En attendant, c'est la première fois depuis des mois que t'alignes autant de mots à la suite. Première fois depuis des mois que tu te confies, et ça te fait sacrément bizarre, et peut-être un peu de bien aussi.

"On s'est fait baiser. Pour changer." Jusque là, rien de nouveau, effectivement. Le jour où Loomis arriverait à un entraînement, les bras en croix, bénissant le reste de sa famille de dégénérés pour leurs idées de génie, Garfield s'en souviendrait. "On est allés sur cette putain d'île. J'sais pas si t'en as entendu parler." Angus plisse les yeux, la tête légèrement inclinée sur le côté. Non, il n'en a pas entendu parler ; il faut dire que tout ce qui touche pas de près ou de loin aux Warlocks, il s'en tamponne le coquillage avec une patte de troll. Ses Rats lui avaient bien rapporté des bruits de Mangemorts dans le mal, mais rien qui n'avaient attiré particulièrement son attention. "L'île où tous ces connards de mangemorts venaient chasser du prisonnier." Ah! Oh... Quoi? Cette fois-ci, Garfield a un mouvement de recul de la caboche, la grimace imprimée sur la figure. Décidément, le gouvernement saura toujours le surprendre en termes de sauvagerie ; et il était bien placé pour dire ça... Vraiment, y'a des malédictions qui se perdent ! "On est venus aider l'Ordre." Ça aussi, ça le fait tiquer ; il avait cru comprendre que les Greyback jouaient avec leurs propres règles.

La suite est plus confuse, pour Garfield, puisque Loomis fait allusion à des événements bien précis, encore trop précis, trop bouillants, dans sa mémoire. Un manoir, une explosion, un nouveau mort. Garfield a un hochement de tête, maintenant que la louve a mis le doigt sur la cause de ses émois.
Garfield se retient de lui demander si, depuis le temps, c'était pas devenu monnaie courante. Il y connait pas grand-chose, en loup-garou. Chez les Warlocks, on tapait plutôt dans la vélane ou la harpie. Mais pour lui, une meute de loups, ça devait forcément mal finir. Appartenir à aucun camp à part le sien, ça pouvait pas marcher ; ce serait trop facile, et depuis le temps, ça se saurait. Même les gangs avaient dû se serrer les coudes et les fesses, créant un Syndicat depuis il sait pas combien de temps.
Les Greyback avaient pas de beaux jours devant eux, avec ou sans neurones pour se sortir de là.

Et Loomis avait pas l'air de savoir comment s'en sortir non plus. "C'pour ça qu'j'ai b'soin d'ce combat. B'soin d'm'en prendre plein la gueule juste un soir. Pour oublier. Pour m'défouler." Entre temps, Garfield a lui aussi ouvert une cannette de boisson énergisante qu'il a vidé presque d'une traite, et maintenant ses dents du fond lui font mal à cause du trop plein de sucre.
Il reste silencieux un temps, parce que y'a pas grand-chose d'autre à faire ; parce que Loomis s'attendait sûrement pas à ce qu'il lui dise quoi faire, comment surmonter ça, comment défaire ça. Plus que n'importe qui d'autre, Garfield a jamais su se défaire de quoi que ce soit ; malédiction d'avant l'heure.

And yet, il finit par ouvrir le gosier, un œil en coin, fixant non pas Loomis directement, mais un coin de leur reflet à eux deux dans un miroir pété pendouillant au mur d'en face.
"Par contre, j'suis désolé de te décevoir, mais t'en prendre plein la gueule, ça va te faire oublier que dalle... Enfin, si, genre cinq minutes, le temps que ton pif arrête de saigner, mais c'est tout..." Il s'essuie le nez, trop de fois pété à cause de passages à tabac répétitifs. Autrefois, Garfield avait été du genre à chercher la merde, pensant naïvement que ça le sortirait de sa merde actuelle. Résultat des courses ; il en avait désormais jusqu'aux coudes.

"A ta place, j'canaliserais plutôt tous tes trucs, là, ton chagrin, ta colère, ton deuil... J'les foutrais dans mes poings, dans les tripes et j'irais péter les genoux du guignol qui pense pouvoir te tenir tête ce soir..." Il a bon dos de lui conseiller un tel plan, si en plus ça peut lui rapporter du fric ; mais il n'est clairement plus question d'argent, à voir comment il serre lui même les poings, les angles de la cannette froissés perçant la pulpe de sa paume. "Ça règlera pas tes problèmes, hein, mais au moins, ça peut t'aider à les contrôler ; à leur foutre une rouste, au lieu que ça soit eux qui t'la foutent, tu vois?"
Peut-être qu'il repense à ses propres fantômes, peut-être que c'est eux qu'il fixe dans le miroir. "Parce que personne règlera tes problèmes pour toi, alors autant foutre les mains dans le cambouis ; ça fait pas revenir les morts mais ça t'évite de finir comme eux, mais en pire : mort mais encore en vie..."
Il se rend pas compte, Garfield, qu'il n'est même pas foutu de suivre lui-même les conseils brouillons qu'il prodigue en grommelant. Il pense peut-être être une peine perdue ; et il refuse que Loomis finisse comme lui.

“ Par contre, j'suis désolé de te décevoir, mais t'en prendre plein la gueule, ça va te faire oublier que dalle... Enfin, si, genre cinq minutes, le temps que ton pif arrête de saigner, mais c'est tout... ” Tu grognes en détournant la tête du sol que tu fixais jusqu'à présent. Tu sais plus trop où regarder alors tu laisses un vieux casier dégondé s'accaparer ton attention pour quelques secondes. Tout mais pas regarder Garfield dans les yeux. Déjà que c'est pas trop votre truc, mais t'es d'autant plus mal à l'aise que tu viens de déballer tes états d'âme à un type qui en a probablement rien à foutre et que ça aussi, c'est pas trop ton truc. T'oses pas insister. T'oses pas préciser que c'est pas tant le fait d'oublier, mais de payer le prix de ta survie. Parce que tu mérites pas d'être là, pas alors que les meilleurs d'entre vous partent les uns après les autres. Et ils laissent un putain de vide derrière eux. Un vide que t'arrives pas à remplir et ça t'oppresse. C'est pas toi qui devrait être là. Pas toi avec ta sale gueule, tes humeurs de chien, ton incapacité à aimer les gens correctement. C'est Nadja qui devrait être là. Elle elle savait comment faire. Elle savait quoi dire, trouver les mots pour redonner le sourire à tout le monde. T'es sûre que si c'était toi qu'étais morte à sa place, la meute l'aurait mieux vécu, parce qu'elle aurait été là pour leur remonter le moral. Et puis Chiwa, la petite princesse. Elle est pas taillée pour cette vie, c'est ce que tu t'étais dit en la voyant débarquer. Faut dire qu'elle payait pas de mine, la gamine, mais contre toute attente elle a fait de la meute sa famille et elle a apporté un peu de lumière et de paillettes dans vos vies. Pire, elle s'est frayé un chemin dans ton cœur. Et maintenant elle est crevée, comme tous les gens bien de votre meute.

“ A ta place, j'canaliserais plutôt tous tes trucs, là, ton chagrin, ta colère, ton deuil... J'les foutrais dans mes poings, dans les tripes et j'irais péter les genoux du guignol qui pense pouvoir te tenir tête ce soir... ” Cette fois tu te tournes vers lui, l'air vaguement désabusé. Tu sais pas trop si c'est du lard ou du cochon. S'il te conseille ça sincèrement ou si c'est juste parce que c'est ça qui lui rapporterait des gallions. C'est toujours dur à dire avec les Warlocks. “ Ça règlera pas tes problèmes, hein, mais au moins, ça peut t'aider à les contrôler ; à leur foutre une rouste, au lieu que ça soit eux qui t'la foutent, tu vois ? ” Ça te fait bizarre de le voir parler autant, puis surtout ça te fait bizarre de le voir visiblement affecté parce qu'il te raconte. Tu commences à croire que c'est pas juste une histoire de fric. Et puis le conseil, tu l'entends. C'est même un peu comme ça que t'as toujours marché. On tape un bon coup et ça redémarre. Comme sur ta bécane. Mais ces derniers temps, t'as laissé la vengeance prendre le dessus. Ça fait des mois que tu penses plus clairement et peut-être qu'il a raison, Garfield, peut-être que c'est dans le ring que tu vas régler tes comptes avec l'injustice qui te profite depuis des mois. “ Parce que personne règlera tes problèmes pour toi, alors autant foutre les mains dans le cambouis ; ça fait pas revenir les morts mais ça t'évite de finir comme eux, mais en pire : mort mais encore en vie... ” Tu fronces légèrement les sourcils. Là, il fait pas que parler de toi. “ Tu parles d'expérience ? ”

C'est un peu hors du temps, ce qu'il se passe là. Un genre de discussion un peu trop deep que t'aurais pas imaginé avoir avec quelqu'un comme Garfield. Malgré tout, tu vas pas te plaindre, et tu te défiles pas. Parce que ça te fait du bien d'avoir quelqu'un à qui parler. Quelqu'un qui soit pas Fish ou Fen. Quelqu'un de nouveau, avec qui t'as pas de passif. Tu sais pas trop s'il pense comme toi mais malgré tout tu tentes un truc. “ Tu m'as jamais dit comment t'étais arrivé ici ? ”

"Tu parles d'expérience ?" Garfield ne capte pas tout de suite que Loomis le dévisage, piquée dans sa curiosité. Il est trop occupé à fixer la surface moite et fissurée du petit miroir en face d'eux. En fond sonore, les vociférations du public qui s'impatiente -si ça continue, ils allaient finir par débouler dans les vestiaires pour venir les chercher par la peau du cul, ou pire encore, se mettre sur la gueule sur le ring, sans même avoir besoin de combattants, au final. Et, en fond du fond sonore, les mômes qui braillent à tue-tête dans la caboche de Garfield. A ce stade, c'est un tour de force qu'il puisse encore prodiguer des conseils à sa chère Loomis; c'est qu'il doit y tenir, à sa louve...

Il finit par croiser son regard au travers du reflet, tandis qu'il hoche pensivement du chef. "P't'être bien, t'sais..." qu'il admet en haussant lourdement une épaule. Il veut se retrouver une contenance, qui sait, peut-être même détourner la conversation en collant son pif à sa cannette de boisson énergisante, mais celle-ci est vide (depuis un moment déjà); il a le gosier sec. "Tu m'as jamais dit comment t'étais arrivé ici ?" Le cerveau alourdit par les stupéfiants et sa malédiction, Garfield ne remet pas tout de suite la question dans son contexte. Son regard bovin et hagard papillonne un moment autour de lui, observant sans trop savoir quoi faire les vestiaires puants. "T'veux dire, comment j'ai—" Il effectue de vagues cercles de ses quelques doigts restants, comme pour cerner les lieux.

"Ah non! Ok, t'veux dire ici, ici..." Raclement de gorge. "Y'a pas d'la flotte dans l'coin..." maugrée-t-il, à la recherche d'une échappatoire que son échine avachie ne semble pas suffisamment courageuse pour aller chercher. "Huun, j'suppose qu'un manque d'éducation et une bonne dose de mauvaises décisions, ça fait l'taf..." ironise-t-il en craquant un sourire un peu benêt, histoire de détendre l'atmosphère.
Mais y'a pas grand chose à détendre; c'est pas souvent qu'il évoque son parcours, et encore moins avec une combattante du Dancing Phoenix. Constatant que sa blague ne satisferait pas Loomis, il enchaine: "En vrai, j'faisais pas trop grand chose d'ma vie, et j'me suis retrouvé à m'foutre sur la gueule avec..." Il marque une pause, fait mine de chercher à se rappeler d'un nom qui avait longtemps été imprimé dans ses tripes, "Duane ; il était Dog à l'époque..." Ça lui fait bizarre de prononcer son nom; il n'a pas parlé de son comparse depuis si longtemps. "Putain, ouais, ça fait une paye c't'histoire, tiens! Mais ouais, du coup, on est d'venu comme cul et chemise et il m'a fait entrer chez les Warlocks... et depuis j'en suis jamais r'ssorti, hé!"

Combien de fois avait-il songé à se faire la belle... Il secoue ses doigts mutilés sous le nez de Loomis. "J'ai essayé d'me tirer une fois, et ça a pas été ma plus brillante idée..." Il les observe pensivement, réalisant peut-être à quel point les Warlocks l'avaient aussi bien détruit que façonné. Sa main retombe mollement entre ses jambes. "Quand t'as rien de base, tu prends le premier truc qui passe qui t'fait sentir appartenir à que'qu'chose, tu sais... Même s'ils t'font faire les pires trucs... Y'a rien qu'tu ferais pas pour la famille..."
Il laisse planer un silence pendant lequel il étudie les angles de sa cannette écrasée. Finalement, son regard bouffi chavire de nouveau dans les yeux acérés de sa comparse. Un bref mouvement du menton en direction de son visage, et de sa marque de loup. "Mais t'sais j'dis ça, mais tu dois en connaître un rayon en fidélité, nan? La meute, tout ça; chez vous, ça r'lève de l'instinct, nan?"

“ T'veux dire, comment j'ai— ” Tu sais pas s'il joue au con ou s'il est juste pas très vif, toujours est il qu'il finit par capter où tu veux en venir. “ Ah non! Ok, t'veux dire ici, ici... ” Il se racle la gorge, tente de fuir une conversation mais est rapidement rattrapé par sa propre flemme. “ Huun, j'suppose qu'un manque d'éducation et une bonne dose de mauvaises décisions, ça fait l'taf... ” Tu lâches un rictus, avant de t'avachir un peu plus contre le mur derrière toi, les pattes écartées parce que c'est comme ça que t'es la plus à l'aise. On dirait presque ton histoire, en fin de compte, 'fin c'est sans doute ce que t'irais raconter à quiconque te demanderait ce que t'as bien pu faire pour en arriver là. Comme si les gens en avaient quelque chose à foutre. T'as jamais brillé à Poudlard, et ça t'a jamais intéressée, faut dire. T'étais à deux doigts de reprendre le garage de ton père quand t'as croisé la route de Fenrir. T'es à peu près sûre que si t'étais devenue Danielle-it's-leviôsa-not-leviosaah il se serait jamais intéressé à ton cas. Puis bon, en termes de mauvaises décisions, on peut dire que tu les a enchaînées ces temps-ci, alors qui sait, peut-être que tu finiras tes jours chez les Warlocks à boire des boissons énergisantes pour traîner ton corps amorphe. “ En vrai, j'faisais pas trop grand chose d'ma vie, et j'me suis retrouvé à m'foutre sur la gueule avec... Duane ; il était Dog à l'époque... Putain, ouais, ça fait une paye c't'histoire, tiens! Mais ouais, du coup, on est d'venu comme cul et chemise et il m'a fait entrer chez les Warlocks... et depuis j'en suis jamais r'ssorti, hé! ” Tu hoches distraitement la tête, te faisant le film dans ta tête de tout ce qu'il te raconte. T'imagines un jeune Garfield, toujours aussi crasseux mais avec moins de poils au menton. Tu le vois se faire embrigader par les Warlocks et sans doute se fourrer dans une histoire dont il ne réalisait pas encore les conséquences. “ J'ai essayé d'me tirer une fois, et ça a pas été ma plus brillante idée... ” Tes yeux se posent sur les vieilles paluches abîmées du sorcier et tu grognes un peu. Ce genre d'organisations à qui tu vends ton âme en entrant te filent les jetons. Pourtant t'y connais un rayon. En quoi sont-ils si différents des Greyback, finalement ? T'es à peu près sûre qu'on peut quitter cette meute que les deux pieds devant. En tout cas t'as déjà vu dans quel état s'est mis Fen' après le départ de Val'. Tu secoues la tête. C'est différent. Les Greyback sont ta famille. Fen' t'a tout donné. Mais peut-être que c'était pas suffisant, en fin de compte. “ Quand t'as rien de base, tu prends le premier truc qui passe qui t'fait sentir appartenir à que'qu'chose, tu sais... Même s'ils t'font faire les pires trucs... Y'a rien qu'tu ferais pas pour la famille... ” Ton regard s'assombrit légèrement. T'as le cœur qui bat un peu trop vite, parce que tu vois des similitudes à vos deux expériences, là où t'aimerais pas en voir. Ta meute, c'est tout pour toi. Et tu suivrais Fenrir jusqu'en enfer s'il fallait. Même après tout ça. Même si y a des moments où tu le détestes. Même après Nadja. Même alors qu'il est plus là. La vérité c'est que tu donnerais tout pour qu'il repointe le bout de son museau au campement et qu'il vienne faire le malin comme à chaque fois qu'il se barre pour mieux réapparaître. Tu lui donnerais un coup dans son gros bide et vous vous prendriez la tête mais à la fin de la journée, vous seriez en train de rigoler autour d'une bonne côte de bœuf. Sauf que dans ton délire, y a Fish, y a Balls, y a Hoshi, y a Nadja, y a toute la meute. Les Greyback ne sont pas les Warlocks, pourtant qu'est-ce que t'as pas traversé au nom de ta prétendue famille. “ Mais t'sais j'dis ça, mais tu dois en connaître un rayon en fidélité, nan? La meute, tout ça; chez vous, ça r'lève de l'instinct, nan? ” Tu grognes à nouveau, dévies ton regard. L'instinct. Tu sais pas si c'est vraiment une question d'instinct, ou si t'as encore un peu de libre arbitre dans cette histoire. Tu sais pas ce que tu préfèrerais. Être assez bête pour toujours rappliquer dès que ton alpha daigne se rappeler qu'il a une meute à gérer, ou ne jamais avoir eu une once de choix dans tout ce qui t'arrivait. “ D'l'instinct, j'sais pas, tu finis par lâcher après un rictus. Mais oui, j'imagine qu't'as raison. J'aurais pas fait la moitié d'c'que j'ai fait si c't'était pas pour la meute. ” Et tu sais pas si c'est une si mauvaise chose, au fond. Tu sais pas où tu serais sans eux. “ Toi et moi, on a jamais trop eu l'choix. Mais c'est comme ça hein, on a notre famille et on l'a pas choisie, mais faut faire avec. ” Tu sais pas si c'est une fatalité, tu sais plus trop où t'en es, faut dire. Parce que t'es pas certaines que les Greyback vont encore tenir très longtemps sans leur alpha. “ J'suis pas sûre qu'la mienne s'ra toujours là. Et j'suis pas sûre que m'rapprocher d'la tienne, de famille, ça soit la plus judicieuse des idées. 'Fin j'en ai ma claque d'avoir une laisse autour du cou, tu vois l'truc. ” La vérité, c'est que t'en sais trop rien, de ce que tu vas faire. Ce que t'aimerais, toi, tu peux pas l'avoir. La vie te l'a bien fait comprendre. C'est jamais vraiment toi qui décides de ce qui t'arrive. Et pour ça, en fin de compte, Garfield a peut-être raison : loger toute ta frustration dans tes poings, et défoncer tes adversaires sur le ring, c'est sans doute ce qui se rapprochera le plus de prendre ta vie en main. Après quelques secondes de silence supplémentaire, tu lâches : “ Ce type, Duane. Comment ça s'fait qu'j'l'ai jamais vu ? ”

Il y a quelque chose d’un peu risible, d’un peu ironique, de les voir tous les deux avachis, à partager du bout des lèvres et du fond de leurs gorges, une expérience un peu trop commune. Garfield s’entête à fixer le petit miroir en face de lui, une flaque d’eau crasseuse à ses pieds, quand son reflet est simplement dans la pupille noire et vive de Loomis. De près comme de loin, ils étaient tous les deux passés par les mêmes incidents; des débuts un peu houleux, un hasard un peu lamentable, du genre se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Et un désespoir tel que le mauvais endroit devient peu à peu un foyer, dangereux, mortel, même, mais tellement chaleureux. Pendant des années, Garfield avait refusé de l’admettre, en face des horreurs qu’il avait commises au nom des Warlocks. Il se disait toujours qu’un jour ça s’arrêterait, soit parce qu’il passerait l’arme à gauche, soit parce qu’il aurait le courage et le bon sens de se barrer.
L’ennui, c’est qu’au nom de la famille, il a engendré tant de maux et s’en est infligé tout autant que même s’il était parvenu à s’enfuir, les Warlocks auraient fini de le hanter.

"D'l'instinct, j'sais pas. Mais oui, j'imagine qu't'as raison. J'aurais pas fait la moitié d'c'que j'ai fait si c't'était pas pour la meute. - Ah, tu vois..." approuve-t-il en écrasant sa cannette avant de viser une poubelle déjà remplie à ras bords des restes des combats précédents. Il loupe.
"Toi et moi, on a jamais trop eu l'choix. Mais c'est comme ça hein, on a notre famille et on l'a pas choisie, mais faut faire avec." Garfield ne répond rien, s’encombre d’un raclement de gorge un peu gêné. C’est quelque chose qu’on continue de lui reprocher aujourd’hui, son manque d’initiative, et sa tendance à se déresponsabiliser en grognant à qui veut l’entendre que de toute façon, il n’avait pas le choix. Mais il le pense; il pense que si on lui laissait la liberté de faire un choix, quoiqu’il fasse, ça finirait par déplaire à quelqu’un, à quelqu’un de plus puissant, à quelqu’un de plus dangereux, qui aurait tôt fait de faire le choix de le buter.
Les choix, non vraiment, très peu pour lui.

"J'suis pas sûre qu'la mienne s'ra toujours là." L’esprit de Garfield se ferme, s’enferme avec ses fantômes hurlants. Il préfère ne pas y penser, au jour où les Warlocks disparaîtront, tiraillé par l’impression qu’il ferait partie du navire, et l’envie intestine de se barrer avant que ça sente le cramé. "Et j'suis pas sûre que m'rapprocher d'la tienne, de famille, ça soit la plus judicieuse des idées. 'Fin j'en ai ma claque d'avoir une laisse autour du cou, tu vois l'truc." Par réflexe, Garfield se masse l’arrière du cou. Sa laisse à lui, elle fait partie de lui depuis longtemps qu’on ne la discerne plus de sous sa peau. "Bah écoute, si l’indépendance te fait pas peur, tu peux toujours prendre ton envol et tout le bordel là... Même si bon, j’sais pas si ça vole très bien, les loups..." Loomis coupe court à son trait d’esprit, fort heureusement: "Ce type, Duane. Comment ça s'fait qu'j'l'ai jamais vu ?"

Garfield écarquille ses yeux bouffis, leur rendant une taille sensiblement normale. La confusion se lit partout sur son attitude agitée. Pris de court, il se relève, se tape les cuisses pour épousseter son jean crados. Il va même jusqu’à regarder rapidement son poignet, là où il imagine une montre. "Ouh là, va falloir qu’on y aille, là, ton combat va commencer, j’te signale..." grommelle-t-il.
Mais ça ne prend pas auprès de la louve qui ne bouge pas d’un poil. Elle pourrait aussi bien avoir planté ses crocs dans sa jambe, à l’image (ironique) d’un piège à loup dont il ne pourrait se défaire que s’il abandonnait une partie de lui.
Allez, il pouvait bien lui abandonner les restes de Duane.

Il se passe la main sur le visage, soupire exagérément. "Il s’est fait prendre, Duane, par sa faute, lors de la grande purge Warlocks, dans le genre, il avait tout fait pour la famille, Duane... Mais ça n’empêche que quand il a voulu nous la faire à l’envers, ils l’ont pas raté." Du pouce, il trace une plaie (mortelle) imaginaire sur sa gorge. "Hmm, intercepté par le Ministère, j’crois, tu crois pas, tu es certain, tu étais là, et exécuté sur la place publique..." Le haussement d’épaules est nonchalant, bien que le récit ne le laisse pas de marbre.
"C’est un pacte avec le démon; tu files ton âme, tu obtiens une âme, mais si tu fais faux bond, tu peux lui dire adieu," conclue-t-il simplement, avec un désintérêt qui frôle l’insolence, tant il avait pu désormais se faire à l’idée.

"Mais hé, t’sais quoi? J’te laisse un choix, un vrai; si tu veux pas t’battre ce soir, j’te laisse prendre ta nuit... Et promis, pas de coup dans le dos, juste parce que t’as pas honoré tes engagements, ou j’sais pas quoi..." Il trace une croix sur sa poitrine. "Toutes les familles ont pas besoin d’verser dans la loyauté ou toutes ces conneries..." Une nouvelle fois, ses doigts se crispent dans son cou, à l’idée qu’il ait pu la considérer comme partie de sa famille à lui, un cercle plus petit, plus confus, mais peut-être plus tranquille aussi.

“ Bah écoute, si l’indépendance te fait pas peur, tu peux toujours prendre ton envol et tout le bordel là... Même si bon, j’sais pas si ça vole très bien, les loups... ” T'ignores le trait d'humour, principalement parce que tu te laisses complètement engloutir par l'idée d'indépendance, l'idée que peut-être un jour tu finiras seule. Sans ta meute. Sans le ring. Sans rien. Parce que tout le monde finit par crever ou te laisser, et que c'est ça ou te passer la corde au cou avec les Warlocks. T'avais tellement l'impression que la meute, c'était pour toujours. Faut dire que vous en avez traversé des épreuves, tout ensemble. Mais depuis la mort de Nadja, c'est plus pareil. Pas que pour toi, parce que toi on aurait compris. Mais c'est comme si la glue qui vous liait tous avait fini par sécher, s'effriter puis disparaître. Tu comptes plus tes morts, ni les mois d'absence de ton alpha. Plus rien n'a vraiment de sens depuis quelques temps. Tu vois ta vie filer entre tes griffes, t'essayes de l'arrêter, de la retenir mais y a rien à faire. Elle t'attend pas. Elle te laisse pas le temps d'encaisser le coup et de comprendre. Et ça te terrifie.

Alors tu lui réponds rien, et de toute façon vous êtes passés à autre chose. “ Ouh là, va falloir qu’on y aille, là, ton combat va commencer, j’te signale... ” Il te fait tout un cirque parce que faut croire que t'as appuyé sur un point sensible. Tu l'avais encore jamais vu dans un tel état, et peut-être que ça chatouille un peu plus ta curiosité. Cut the crap, tu lui intimes du regard. T'as besoin de quelque chose de vrai, pour le moment, quelque chose de tangible, qui ne partira pas comme tout le reste. Tu ne t'y attendais pas mais votre conversation avec Garfield semble faire le job. Ce type bourru et renfermé, qui fait la gueule 24/7, est là à te donner des conseils de vie et à te laisser apercevoir un petit bout de la sienne. Surréaliste, comme scène, en tout cas tu l'avais pas vue venir en débarquant pour la première fois dans ce taudis mal famé. Pourtant tu t'accroches à ses mots comme à un dernier espoir. “ Il s’est fait prendre, Duane, dans le genre, il avait tout fait pour la famille, Duane... Mais ça n’empêche que quand il a voulu nous la faire à l’envers, ils l’ont pas raté. ” Tu hoches lentement la tête. Définitivement, t'as de moins en moins envie de foutre les pieds dans ce merdier. “ Hmm, intercepté par le Ministère, j’crois, et exécuté sur la place publique... ” Tu serres la mâchoire. Évidemment ça te fait penser à elle, à la vitesse à laquelle ils ont scellé son destin et au peu de considération qu'ils ont eu pour vos protestations. Après tout, vous n'êtes que des chiens, des chiens mal dressés et puants, une vermine sur laquelle le Ministère se fait un plaisir de marcher. “ C’est un pacte avec le démon; tu files ton âme, tu obtiens une âme, mais si tu fais faux bond, tu peux lui dire adieu. ” Maudits. Vous menez une existence maudite, vouée à l'échec. Pourtant t'es pas pas prête à dire ton dernier mot. Comme si t'avais encore une raison de te battre, une raison d'avancer. “ J'suis désolé, pour ton... Pour lui, tu grognes d'un air renfrogné. ” Tu sais que Garfield n'est pas un enfant de cœur, mais toi non plus. Quoi qu'il ait bien pu faire, il ne mérite pas plus que toi le sort qu'on lui a réservé.

“ Mais hé, t’sais quoi? J’te laisse un choix, un vrai; si tu veux pas t’battre ce soir, j’te laisse prendre ta nuit... Et promis, pas de coup dans le dos, juste parce que t’as pas honoré tes engagements, ou j’sais pas quoi... ” Tu fronces un peu les sourcils, visiblement surprise par un tel revirement. C'est pas trop dans le genre de Garfield de te faire des fleurs. Ici, ils sont avant tout là pour les gallions qu'ils peuvent se foutre dans les poches.
“ Toutes les familles ont pas besoin d’verser dans la loyauté ou toutes ces conneries... ” Tes yeux s'attardent sur sa carcasse mal à l'aise, avant de lâcher un rictus. “ J'te croyais pas si sentimental... ” Tu souris encore un peu, juste le temps de réaliser que ça fait un petit moment que t'as plus utilisé les muscles de tes joues. “ J'vais m'battre. ” T'es convaincue qu'il est pas assez futé pour se la jouer psychologie inversée. Et puis t'as pris ta décision. C'est peut-être pas pour la meute, encore moins pour les Warlocks. C'est pour toi. Et pour tous les gens qui en valent la peine. “ J'sais pas qui est à l'affiche ce soir mais j'espère qu't'es prêt à miser tes gallions... ” Tu te lèves avec un grognement et fais craquer ta nuque de chaque côté. Tu prends ta vieille serviette de ton casier et tu la passes autour du cou puis tu te plantes devant lui. “ Merci. ” Pour la discussion. Pour être là, pour de vrai. Y a l'ombre d'un nouveau sourire qui se fraie un chemin au coin de tes lèvres. T'as peut-être perdu un alpha, mais t'as gagné un ami.