Sam se sent épuisé. Moralement. Physiquement. Il en avait oublié ce que c’était que de soigner autant de gens en même temps. Ça draine son énergie. Et sa lutte pour ne pas plonger ses crocs quand il est trop submergé par toutes les odeurs différentes et alléchantes empire toujours un peu la chose. Il sait qu’il ne doit pas déraper. Sous aucun prétexte. Il a promis à l’Ordre que sa condition ne serait pas un problème et maintenant il est un peu moins sûr de ça. Et puis, on ne va pas se mentir. Depuis qu’il est de retour des Battues, Sam n’a pas eu le temps de se poser pour prendre le recul nécessaire sur toute la situation. Sinon, il aurait vite compris qu’il devait prendre une pause. Des gens étaient morts. Des deux côtés. Oh il en tombe tous les jours, mais sans savoir trop pourquoi ces pertes sont différentes aux yeux de Sam. Peut-être parce que pour la plupart ils sont morts dans l'indifférence la plus totale et que leurs proches n’en sauront rien avant un long moment. Du moins pour les prisonniers morts dont les familles vivent toujours dans la société.

Un lourd soupir lui échappe et il se passe une main sur le visage. La nuit commence à toucher à sa fin. Ça fait presque deux jours qu’il n’est pas retourné au camp des Avengers. Il serait peut-être temps pour lui de quitter l’Ordre pour rejoindre les siens. Il sait que là-bas aussi, il a des soins à prodiguer et il ne doit pas traîner. Il culpabilise déjà beaucoup de les laisser seuls pour en soigner d’autres. Sam se lève de sa chaise et s’étire avant de passer une main sur son visage puis dans ses cheveux. Il contourne les lits en silence pour rejoindre une autre personne qui l’aide dans les soins. “Ça ira pour aujourd’hui ?” L’homme hoche la tête. “C’est bon. Tu peux y aller.” Sam lui fait un sourire fatigué en ignorant le recul de l’autre homme lorsqu’il s’approche pour passer à côté de lui. Il sait que c’est pour éviter le vampire qu’il est. Ça aurait pu blesser Sam, l’énerver même, mais il avait simplement hâte de rejoindre les Avengers pour s’attarder sur lui. Ils étaient tous dans un état de fatigue avancé, ce serait inutile d’ajouter des conflits en interne. Enfin plus que d’habitude dirons-nous.

Sam retrouve sa veste et sort. A l’extérieur, il fait frais. Sam prend le temps d’inspirer et d’expirer à pleins poumons. Il a pris l’habitude de réguler sa respiration quand il se trouve avec les blessés, ainsi l’odeur du sang est moins envoûtante et il arrive mieux à se maîtriser. Il rabat sa capuche sur la tête par pur réflexe avant de s’isoler pour transplaner. Il atterrit non loin du camp des Avengers. Marcher lui fera du bien. Il a piétiné une bonne partie de la nuit et il sent que ses jambes lui font mal. En arrivant non loin, il ne peut s’empêcher d’esquisser un léger sourire. Il est content de retrouver le campement. Il a la sensation de rentrer chez lui. Sans perdre de temps, il se dirige vers la tente où il entend que tout le monde dort quasiment.

Il va récupérer de quoi se nourrir avant de se poser sur la terrasse. Il y reste un long moment à écouter les légers ronflements qui lui parviennent des quatre coins de la tente. Lorsqu’il voit le ciel qui commence à s’éclaircir, Sam rentre de nouveau. Il doit être six heures du matin, c’est une heure acceptable pour aller réveiller la dernière patiente qu’il tenait à voir : Rafaela, jumelle d’Elliott. Il doit voir comment cicatrise sa blessure. Il travaille toujours sur le dessin qu’il pourrait faire pour l’aider avec la douleur, mais ce n’est pas encore au point alors pour l’instant, il la soigne comme il peut. Il se dirige vers son lit et constate qu’elle est déjà réveillée. “Ça fait longtemps que t’es réveillée ?” Il récupère un tabouret qu’il approche de son lit. “Faut que je regarde comment ça se passe pour ta langue.” Il détaille toujours ce qu’il fait pour éviter d’effrayer le patient. Faut dire qu’un vampire médicomage c’est un peu inédit. Mais Sam l’a promis : il ne croque pas les malades.

tw: douleur, sang

Elle a mal, elle a peur, elle a faim, elle a soif, elle a mal, surtout, elle a tellement mal - malgré les potions et sorts et onguents et le reste, Rafaela a l'impression que sa gorge est en feu constamment. Cette sensation s'est à peine apaisée depuis leur retour de Gracefield, depuis que sa langue... sa langue...

Rien que d'y penser, elle se sent malade et son estomac fait un saut périlleux dans son ventre, menaçant de faire remonter une nausée acide dans cette gorge douloureuse à la plaie encore ouverte. Elle ne se souvient même pas de comment elle a quitté l'île, s'étant écroulée dans les bras de Sohan dès qu'elle a vu l'énorme bâteau de l'Ordre qui les attendait: le soulagement d'être enfin arrivée en lieux plus ou moins sûrs a eu raison de sa vaillance face à la perte progressive de sang... Elle s'est réveillée dans une tente pas du tout familière, mais remplie de visages familiers, dont Elliott. Elle aurait pu en pleurer de joie et le recouvrir de baisers en le prenant dans ses bras, si elle n'avait pas aussi mal.

On lui a promis qu'on s'occuperait de Snout, on lui a dit que ça irait, que Samuel l'aiderait, mais Raf n'est pas rassurée. C'est surtout à cause du fait qu'il y a quelques jours, elle était encore une dragonologue de bonne famille, mariée à un "homme formidable" d'après ses propres dires, avec une vie bien rangée, ses parents, Alicia, Romilda, ses amis, et caetera. Et maintenant... maintenant...

Y penser lui donne envie de pleurer. Alors elle se concentre sur la douleur, et les jours passent à travers un épais coton désagréable, se ressemblant tous, perdant fil et sens à mesure que la douleur récède sans jamais vraiment la quitter.

Rafaela joue fébrilement avec une petite statuette en forme de dragon (évidemment) que Malachi a taillé pour elle quand ils étaient petits et passaient leurs étés en Roumanie. Parfois, la queue en bois s'agite, et la gueule s'ouvre, et elle sent des larmes lui monter aux yeux à l'idée qu'elle ne reverra pas son meilleur ami avant... avant... avant très longtemps. Et quels problèmes elle a dû lui apporter, avec cette histoire. Elle a essayé de le prévenir, à demi-mot, mais elle ignore si il va s'en sortir sans elle.

La porte de la tente s'ouvre et Rafaela se fait toute petite dans son lit en reconnaissant la silhouette de Samuel, dont les attentions douces et les crocs un peu trop longs la mettent légèrement mal à l'aise. Il l'aide pourtant, il l'aide vraiment, mais elle a toujours si mal, mal, mal, et il lui fait peur. “Ça fait longtemps que t’es réveillée ?” Rafaela déglutit, serrant les dents de dégoût en sentant qu'elle vient d'avaler une quantité dégoûtante de sang ce faisant, et hausse une épaule un peu désobligeante. Elle ignore quelle heure il est, mais il doit être tôt. Elle se sent fatiguée, et de mauvaise humeur, mais c'est un peu constant pour elle ces derniers temps.

Sam s'assied près d'elle et elle se redresse un peu dans son lit, évitant son regard. “Faut que je regarde comment ça se passe pour ta langue.” Raf se concentre sur la couverture, qu'elle tripote du bout des doigts, son autre main resserrée autour de sa figurine. On lui a dit et répété que Samuel ne lui ferait pas de mal, mais il y a tellement, tellement de sang dans sa gorge et dans sa bouche, est-elle vraiment sensée lui faire confiance. Elle ouvre la bouche pour essayer de protester, mais aucun mot ne sort - juste un son guttural et humide, maladroit. "..." On lui a dit de ne pas parler pour ne pas se faire de mal, et ainsi faciliter les soins. Mais Rafaela adore parler, c'est ce qu'elle fait de mieux...

Les larmes montent sans même qu'elle ait le temps de les retenir, et Rafaela relâche sa figurine pour plaquer ses deux mains sur ses yeux débordants alors qu'un sanglot éclate dans sa poitrine. Elle renifle, et le goût de sang envahit sa bouche et sa gorge, et elle a mal, et elle va être malade, et elle en a marre, tellement marre, et elle aimerait rentrer chez elle. Surtout, au final, elle a honte. Honte parce que les Avengers, comme Sam, sont en fuite depuis des années, et qu'après quelques jours, elle est déjà elle-même en train de craquer. Elle a honte parce que même si Anthony a dit qu'elle a été cruciale pour la mission de Gracefield et qu'ils n'auraient pas pu le faire sans elle, Rafaela sait que si elle avait le choix, elle retournerait dans le temps pour changer le déroulé des évènements, et ne jamais avoir à se confronter à cette horrible douleur qui irradie de son corps comme un poids tangible.

tw: sang

L'odeur de sang vient jusqu'à ses narines et Sam doit user de toute sa force mentale pour ne pas laisser ses plus bas instincts prendre le dessus. Raf n'a très certainement pas besoin de voir le vampire se jeter sur elle pour se nourrir. Elle est suffisamment terrorisée comme ça pour qu'il en rajoute une couche. Il doit tenir bon quelques minutes encore. Et après... alors seulement après, une fois sorti de la tente, il pourra arrêter de lutter et pourra demander à Norah si elle veut bien le laisser la mordre. En attendant, il tente d'oublier l'envie irrépressible de plonger ses dents dans sa chair. Par pudeur, il lui laisse un moment lorsqu’il la voit couvrir son visage de ses mains. Il se lève, serre la mâchoire puis sort sa baguette de sa veste. "Accio sacoche !" Murmure-t-il. Elle contient tout son nécessaire de soin qu'il garde pour les Avengers et son matériel pour le dessin au mehndi. "J'ai cherché quelle plante pourrait t'apaiser." Commence-t-il à expliquer de dos à Raf. Il est allé les chercher un soir et les a fait macérer dans de la pâte de henné pendant plusieurs jours. Il sort un carnet de sa sacoche et cherche dans les nombreuses pages les bonnes notes. Il esquisse un léger sourire en voyant le dessin et redresse la tête. Il se réinstalle sur son siège et pose délicatement une main sur le poignet de Raf pour lui montrer la page. “Tu auras ça dessiné sur la gorge.” Il espère la rassurer un peu, lui faire comprendre que même si son calvaire n’est pas fini, il fera tout pour qu’elle se sente mieux, qu’elle aille mieux.

Puis Sam finit par se lever de nouveau de son siège pour aller récupérer un récipient qu’il pose à côté de sa petite table de nuit de fortune. “Si jamais tu saignes trop, tu peux cracher dedans.” Il sait qu’il prend un risque en disant ça et en restant sous la tente avec elle, mais il veut lui prouver qu’il n’est pas un danger malgré la faim qui le tiraille. Pour elle, avoir du sang dans la bouche doit être absolument dégoûtant en plus, elle ne doit pas se sentir obligée de l’épargner. Il a connu pire comme situation. Tout en se réinstallant, il s’approche de la table de nuit où il dépose la fiole contenant le mélange de pâte de henné avec les herbes médicinales étiquetée maladroitement et à la va-vite Raf qu’il sort de sa sacoche puis il en extirpe son calame rangé dans une boîte abîmée par le temps. On peut voir qu’elle a pris l’eau par endroit, mais elle protège encore bien le matériel alors Sam ne s’en formalise pas. Il sort le bâton et débouche la fiole d’où une odeur peu agréable s’en échappe. “Désolé, ça ne sent pas trop bon.” Il a le souvenir de son père qui lui dit que les meilleurs remèdes ne sont pas ceux qui ont un bon goût ou un bon parfum. “Ça ne fera pas mal. Et si tu es d’accord, on peut s’y mettre dès maintenant ? Il faudrait que tu t’allonges et que tu dégages bien tes cheveux, ce sera plus pratique.” Explique-t-il toujours d’une voix basse et calme pour la mettre en confiance le plus possible.

tw: discrimination, sang

Rafaela se force à respirer posément, une seconde pour inspirer, trois secondes pour expirer, et est reconnaissante quand Samuel la laisse à son embarras et se détourne pudiquement pour checher ses soins. "J'ai cherché quelle plante pourrait t'apaiser." Rafaela l'écoute sans vraiment y faire attention, calmant lentement le vent de panique qui s'est abattu sur elle, refoulant les larmes qui coulent pathétiquement le long de ses joues. Elle pousse un petit gémissement du fond de la gorge quand Samuel lui touche le bras, mais elle se laisse faire et ouvre un oeil à travers ses doigts pour regarder ce qu'il lui montre. “Tu auras ça dessiné sur la gorge.” Avec des doigts tremblants, par mécanisme, Rafaela prend le carnet des mains de Samuel pour regarder son dessin en reniflant.

Elle aussi elle aime dessiner, mais elle n'a jamais vu quelque chose comme... ça. Ses doigts retracent le dessin de Samuel sans le comprendre, sans cesser de renifler, essayant de rassembler ce qu'elle sait de la magie desi (pas grand chose) pour comprendre ce qu'elle a sous les yeux (en vain). “Si jamais tu saignes trop, tu peux cracher dedans.” Raf regarde d'un air morne le pot qu'il vient de poser sur la table près du lit et hoche la tête pour signifier qu'elle comprend. Elle a arrêté de pleurer, remarque-t-elle distraitement en rendant à Samuel son carnet. Elle préfère avaler des litres de sang plutôt que d'en cracher au pied du vampire: elle aurait peur de réveiller sa faim...
Elle devrait se punir d'avoir de telles pensées pour l'homme qui essaye de lui sauver la vie, mais c'est plus fort qu'elle. Elle a eu la chance (devrait-elle seulement y penser ainsi?) de ne pas avoir été confronté à trop d'hybrides par le passé. Noam en est un maintenant, et c'est un mec bien. Samuel aussi c'est un mec bien. Mais elle n'a pas eu d'autre choix que d'écouter la propagande qui a envahi les ondes cristal ces dernières années, et certains préjugés sont plus faciles à oublier que d'autres.

Raf regarde avec intérêt Samuel déballer son matériel et fronce du nez quand il ouvre le petit pot de préparation. “Désolé, ça ne sent pas trop bon.” Elle lui adresse une légère grimace en réponse. “Ça ne fera pas mal. Et si tu es d’accord, on peut s’y mettre dès maintenant ? Il faudrait que tu t’allonges et que tu dégages bien tes cheveux, ce sera plus pratique.” Rafaela le dévisage un instant et hoche la tête. Mais avant de se rallonger, elle attrape le carnet qu'elle a rendu à Samuel, ainsi qu'un crayon posé sur la table de nuit. Thanks. I trust you. Et puis, après une hésitation, elle ajoute: sorry. Et après une autre hésitation, un petit xx, comme deux baisers maladroits, avant de rendre carnet et crayon à Samuel.

Les mains un peu tremblantes, elle s'accroche les cheveux avec un élastique de son poignet et se rallonge. Elle est nerveuse, sa poitrine se soulève difficilement sous l'à-coup de ses respirations, la structure en métal de son soutien-gorge lui rentre dans les côtes, il fait si chaud sous la tente soudainement, elle a envie de s'enfuir en courant... mais Raf se fait violence et ferme les yeux, tendant le cou pour laisser plein accès à Samuel qui est là pour l'aider aujourd'hui. Quand elle sent le bout du roseau se poser sur sa peau, elle sursaute un peu et machinalement, sa main vient trouver le genou de Samuel penché au-dessus d'elle et elle s'y accroche avec force, un bruit d'excuses et d'angoisse lui échappant malgré elle du fond de la gorge.