L'image de Simon était restée gravée sur sa rétine : trop vive, trop réelle, après des années à reconstituer son souvenir à partir des photos qu'il avait rangées dans une petite boîte, sous son lit, après les avoir laissées accrochées sur le mur au-dessus de sa tête. Simon était vivant, Simon était avec eux – avec lui, se répétait-il en tentant de raccorder le visage famélique du sorcier avec le sourire des photos, aux regards et aux mots d'amour d'une époque révolue, un Simon du passé qui semblait pourtant étrangement plus réel aux yeux d'Ethan que celui qu'ils avaient sorti de cette île infernale.

Il lui avait paru si frêle, entre ses bras ; ils s'étaient regardé sans un mot, quelques secondes pour se reconnaître, appréhender le fossé de la distance et du temps qui s'était creusé entre eux – Ethan avait eu un temps de latence, perdu dans cette recherche du Simon qu'il connaissait, au fond des yeux de ce Simon mi-inconnu mi-amour, lorsqu'on avait appelé son nom. “I'll, I'll see you“, était-il parvenu à articuler gauchement, ses capacités motrices et cérébrales altérées par cette apparition du fond des limbes, sous le choc.

Il jeta un coup d'oeil nerveux en direction de la tente de Kad, où il avait appris que Stephen et Simon s'étaient établis à son retour – il y avait eu à faire, à l'Ordre, et Ethan avait tenu à aider au-devant du chaos monumental qui avait suivi la libération, ce en dépit de ce qui semblait être un plan bien huilé de la part du cercle 7. Il avait revu des visages bien connus, compté l'absence d'autres, entendu que Javier était parmi eux désormais ; le souffle frénétique était seulement retombé lorsqu'il était rentré à Dagobah, et que toute la fatigue de la nuit s'était abattue sur ses épaules. Il avait pris le temps d'une douche rapide pour se laver des émotions de la veille et se préparer à accueillir celle du jour : la présence de Simon, à même le camp, le rendait fébrile, et il avait rapidement décidé de l'attendre, autour du feu de camp éteint, sa tente désespérément vide une option écartée d'emblée – la disparition de Logan était encore trop vive, une trahison brûlante qui lui mordait le ventre.

Désormais que le choc se diffusait lentement en lui, Ethan voyait lui revenir les questionnements qui l'avaient parfois hantés, de faibles échos aussitôt écrasés par la simple perspective de le revoir un jour. Simon serait-il le même ? L'aimerait-il encore ? Que seraient-ils, désormais ? Les réponses imminentes à ces questions lui agitaient les nerfs ; invariablement, Ethan se raccrochait vaillamment au fait que peu lui importait, tant que Simon était vivant.
Ce n'était pas tout à fait vrai ; mais dans l'éventualité où ils ne pouvaient plus être ensemble, parce que Simon ne le voulait ou ne le pouvait plus, il s'agissait de la dernière barrière à laquelle il pouvait se raccrocher.

Ethan releva vivement la tête et sentit son cœur faire un bond prodigieux en voyant la toile de la tente s'ouvrir pour laisser passer Simon.
Il se leva, la gorge serrée, sans oser faire un pas dans sa direction, secoué par l'intensité de ses yeux bruns, sous lesquels s'étaient creusées deux demi-lunes violacées. “Are you... Are you alright?“ s'entendit-il demander sans savoir exactement ce qu'il cherchait à savoir ; s'il allait véritablement bien, s'il s'était installé, s'il était en état de parler – de lui parler. Il s'humecta les lèvres, nerveux, déstabilisé un peu plus par cette approche terriblement gauche, figé sur place, ses yeux hagards sur lui, oubliant de ciller comme de peur de le voir disparaître le temps d'un clignement d'yeux.

Simon avait été happé par le trop plein de choses à faire dès son retour. Il ne savait même pas vraiment ce qu’il s’était passé, incapable de suivre l’enchainement des évènements depuis qu’ils étaient enfin sortis de Gracefield. Cinq ans de captivité, cinq longues années pendant lesquelles ils n’auraient sans doute pas dû survivre, mais le destin avait apparemment été de leur côté. Il aurait aimé pouvoir dire que tout était pareil qu’avant, ou que tout allait pour le mieux maintenant qu’il était sorti, mais la réalité était différente, et le monde extérieur complètement incompréhensible à ses yeux. Ils avaient vécu dans une sorte de parenthèse pendant tout ce temps, mais ceux qui avaient échappé à cette prison avaient avancé, évolué, sans eux. Kad était devenu un homme, Sohan et Anthony avaient enfin réglé leurs problèmes et tous à leur manière avaient changé, à tel point qu’ils étaient presque méconnaissables.
Il savait que lui aussi avait changé, c’était évident, sa nature même avait changé, son corps en portait les marques, les cicatrices et les runes. Pourtant il ne pouvait s’empêcher de ressentir cette impression étrange, comme si les changements que lui avait vécus, aussi drastiques soient-ils, n’étaient rien comparés à ceux des gens qui avaient vécu, réellement, pendant toutes ses années. Et revenir dans ce monde qui ne les avait pas attendu était bien plus difficile qu’il ne l’aurait imaginé.

Il y avait une énergie tourbillonnante en lui, un sentiment d’agitation dont il n’arrivait pas à se défaire, alors qu’il était là, simplement assis à discuter avec son père et son frère, le corps tremblant sans qu’il ne sache même pourquoi. “I’m gonna go for a walk,” il marmonna dans un temps de silence, se redressant sur ses jambes qui n’avaient cessé de bouger depuis de longues minutes. Il n’attendit pas leur réponse avant de sortir de la tente.

Simon le sentit avant de le voir, l’odeur qu’il avait pu enregistrer lorsqu’ils s’étaient vus, quelques secondes à peine pour rattraper des années passées loin de l’autre. Il posa enfin les yeux sur lui alors qu’Ethan se relevait. Lui aussi avait changé, et Simon ne savait pas quoi en penser. Il l’avait quitté en le connaissant mieux que personne, mais il ne savait pas si c’était toujours le cas. Lui était resté bloqué toutes ces années auparavant, il n’avait jamais pu oublié Ethan, il n’avait jamais accepté cette séparation forcée et il avait dû souvent repousser violemment les questions dans un coin de son esprit, parce que penser à ce qu’il se passait pour lui, ce qu’il se passerait si Simon sortait un jour était trop pénible. Jusqu’à ce que la sœur d’Elliott lui redonne un petit morceau de lui, une confirmation que, même s’il était passé à autre chose, même s’il avait trouvé quelqu’un d’autre, il ne l’avait pas complètement oublié. Et Simon s’y était accroché, l’avait gardée sur lui, camouflée sous une des nombreuses runes que Stephen avait posées sur lui.

“Are you... Are you alright?“ Il fut un temps où il aurait dit oui, où il aurait voulu être fort pour lui, mais peut être que les choses avaient changées à présent, peut être que ce Ethan là, dont la stature même semblait plus appuyée, serait celui qui le guiderait, au moins pour les débuts.
“I’m not sure, honestly,” il finit par répondre, avant de faire quelques pas prudents en sa direction. Il aurait eu envie de courir vers lui, de se jeter dans ses bras, mais il n’était pas sûr que cela soit sa place à présent. “Were you … were you waiting for me?” il lui demanda. Autrefois, il aurait prononcé ces mêmes mots avec l'arrogance subtile qui le caractérisait parfois, à présent il était incapable de camoufler l’espoir présent dans sa voix.

“I’m not sure, honestly.” Ethan retint son souffle à l'écho de la voix de Simon, bien réelle dans l'air de la nuit – un son presque dissonant venant heurter les recompositions de vieux souvenirs en un grand chaos qui perturbait les radars affûtés de l'Avenger, chamboulé par cette nuit que l'on pouvait déjà établir comme historique. Il y avait la victoire de la résistance, et le retour de Simon (et de Stephen et de Javier) – deux moments qu'Ethan avait douté voir un jour, ses espoirs s'amenuisant au fil des jours, des semaines, des années. Apprendre la mort d'Araminta n'avait fait qu'enfoncer le clou et aucun des mots d'encouragement de ses camarades n'avaient su le détourner de cette certitude qu'il ne reverrait plus les siens en vie.
Et pourtant ; Simon se tenait juste devant lui, un rescapé aux airs de miracle qui fit quelques pas dans sa direction. How did you even make it? “Were you … were you waiting for me?” Ethan perdit la voix face à cette question le renvoyant à des années de ce qu'il aurait considéré, auparavant, comme une pénible attente, percluse de doutes mais motivée par l'assurance tacite qu'ils se retrouveraient un jour.

Mais après Sohan, après Noam, jusqu'à ce que la photo de Rafaela ne ravive un espoir fulgurant dans son torse, il n'avait pu que se rendre à la dure évidence : Ethan n'avait pas tant attendu son retour que redouté chaque semaine d'entendre son nom figurer dans la liste des morts de Rise FM. “It's only been a few minutes“, préféra-t-il répondre en baissant les yeux sur le siège de fortune où il avait attendu plus d'une heure, pressant nerveusement ses mains à l'arrière de son jean, balayant les espoirs écrasés de ces dernières années, les interminables nuits à pleurer la disparition de Simon et la gêne d'avoir abandonné l'idée de le revoir un jour ensuite.

Le silence retomba légèrement ; Ethan eut tout le loisir d'entendre son cœur tambouriner contre son torse tandis qu'il relevait les yeux dans ceux de Simon, saisi par l'intensité de ses yeux noirs, dérouté par la familiarité côtoyant un éclat inconnu, nouveau (ou alors avait-il simplement oublié à quoi ressemblaient ses yeux durant son absence ?). “It's hm... It's really nice to see you“, souffla-t-il en s'humectant les lèvres, fébrile, mis à mal par ces silences, les émotions roulant dans son torse, l'amaigrissement visible de Simon, ce malaise nouveau entre eux – il s'était imaginé, durant les accès d'espoir, des retrouvailles grandioses, courir pour se jeter dans ses bras et pleurer à chaudes larmes dans son cou en lui soufflant des I missed you brouillés par ses pleurs. “Simon“, fit-il finalement d'un air solennel, ses yeux brillants d'une émotion qui n'avait, au final, rien à envier à celle de ses divagations perdues, “can I give you a hug?“ Il cilla devant l'humidité soudaine cherchant à flouter sa vue, fronçant les sourcils comme pour l'en chasser, pris à la gorge par cette demande stupide – la peur de le perdre de nouveau maintenant qu'il l'avait retrouvé, la crainte de le brusquer d'un contact physique soudain, de l'envahir d'un amour qui avait malgré tout persisté, au fond de ses entrailles, étouffé par la dure réalité de son absence, douloureusement exhumé à sa vue, autant d'émotions chahutant sa joie de le savoir en vie.

“It's only been a few minutes“, Ethan lui répondit simplement. “Oh, okay,” Simon lui répondit à son tour en essayant d’enfouir la partie de lui qui aurait souhaité une autre réponse. Il savait qu’Ethan ne voulait sans doute rien dire par là et il savait à quel point ça aurait été égoïste de demander qu’Ethan l’ait attendu, plus longtemps, depuis le jour où ils avaient été séparés, même. Mais il n’était pas un saint, loin de là, et son égoïsme le poussait dans ses idées qu’il n’appréciait pas vraiment. Peut-être qu’il y avait une raison, il avait été altruiste pendant longtemps, à Gracefield, il n’avait pensé qu’aux autres, à comment assurer leur survie, leur bien-être, du moins tant que c’était possible. Le pilotage automatique s’était enclenché dès le premier interrogatoire, dès leur arrivée à Gracefield. Il n’avait pas eu le temps de s'apitoyer sur son sort, pas quand il s’était retrouvé captif, prisonnier, mordu, chair à canon pour les amusements de ceux qui se pensaient supérieurs à eux. Il n’y avait eu que la survie, pas le temps de s’arrêter, de réfléchir, de penser à tout ce qui leur arrivait, ni au fait que personne ne semblait s’occuper de leur sort à l’extérieur. Et maintenant qu’il était libre, il se sentait prisonnier de toutes ces années de frustration, de doute, de toutes ces années où il avait dû devenir quelqu’un d’autre parce que le Simon qui était arrivé à Gracefield n’aurait jamais pu survivre à tout cela.

“It's hm... It's really nice to see you“ Ethan ajouta après un instant, et Simon détourna les yeux. Il n’avait pas réalisé qu’il l’avait fixé pendant tout ce temps. “Yeah, you too,” il répondit après s’être éclairci la gorge. Les mots lui manquaient, comme souvent. Il n’aurait jamais pensé revoir Ethan, ni qui que ce soit d’autre d’ailleurs, et il n’avait jamais vraiment réfléchi à ce qu’il lui dirait, il n’avait jamais osé, même lorsque Rafaela lui avait fait comprendre qu’il était là, dehors, qu’il savait où Simon était. Il ne savait pas s’il était censé lui rendre sa croix non plus, celle qu’il avait gardée précieusement, malgré tout.

“Simon“, la voix de son ancien camarade le sortit à nouveau de ses pensées. "Can I give you a hug?“ Il ne lui fallut pas une seconde de réflexion pour qu’il ne lui réponde d’une voix cassée par l’empressement “Yeah, fuck, yeah.” Ses jambes s’étaient mise en marche d’elles-mêmes, et peut-être que celles d’Ethan également, parce qu’il s’était bien vite retrouvé dans entouré par le blond, par l’étreinte si familière et en même temps complètement différente de celle dont il se souvenait. Ca n’était qu’un rappel de plus de tout le temps qui avait passé, du fait qu’ils avaient beaucoup changés. Ses bras autour du cou d’Ethan ne pouvait se positionner de la même façon, parce que ses épaules s’étaient élargies avec le temps, l’odeur qu’il dégageait était similaire mais bien plus intense que dans ses souvenirs, et il ne savait pas si c’était Ethan ou ses nouveaux sens qui lui faisait percevoir tout cela différemment. Il fut traversé par l’envie subite et presque incontrôlable d'emmener Ethan dans un endroit où ils ne seraient que tous les deux, de le mettre à nu dans l’unique but de noter tous les changements qu’il avait manqués. Mais il ne pouvait pas faire cela, il ne savait pas s’il le pourrait un jour, alors il se contenta de serrer Ethan un peu plus contre lui, de respirer un peu plus profondément son odeur et de murmurer contre son cou le début de tout ce qu’il voulait lui dire : “I’ve missed you.”

“Yeah, fuck, yeah.” À la voix cassée de Simon, le cœur d’Ethan remonta dans sa gorge, comme un oiseau affolé cherchant à sortir de sa cage – il l’avait tant voulu, en avait tant rêvé, qu’il peinait à se rendre compte qu’il s’agissait bel et bien de la réalité, embourbé dans un mélange de fatigue physique, émotionnelle, et le chamboulement d’avoir retrouvé Simon.

Ses jambes le portèrent à retardement lorsqu’il vit Simon s’avancer, son corps rouillé prenant les devants pour son cœur atrophié par ce trop-plein de sentiments. Il referma ses bras autour de lui, son souffle tu. Ce fut comme s’ils s’étaient enroulés dans une bulle hors du temps et de l’espace ; une bulle où n’existait que l’odeur de Simon et son corps enlaçant le sien, son souffle discret et les battements de son cœur en écho aux siens. Tout était comme avant, réalisa-t-il soudain, assommé par un paradoxe étourdissant – tout avait changé, un fossé de souffrances, de doutes et d’absence creusé entre eux, et pourtant tout était resté en l'état : les sentiments brûlants d’Ethan pour Simon, intacts, l’impression viscérale qu’il ne pourrait jamais aimer quelqu’un d’autre aussi fort que lui. Il l’aimait à s’en déchirer le cœur, et ce dernier n’avait trouvé d’autre moyen, devant le choc douloureux de sa disparition, que de cribler l’esprit d’Ethan de doutes et de remises en question, comme pour se détacher de cette souffrance qui l’aurait, il le réalisait désormais, le nez enfoui dans son cou et le souffle court sous l’émotion, probablement tué. “I’ve missed you.” Il eut un hoquet face au murmure, son souffle saccadé en resserrant son étreinte autour de la taille amaigrie de Simon ; à l’époque, ce dernier aurait pu le porter sans problème. Désormais les rôles avaient changé. “I’ve missed you so much“, s’entendit-il répondre avec des trémolos dans la voix, sa gorge se serrant tandis que le col de Simon s’humidifiait de ses larmes, ses paupières pressées contre lui.

Il l’aimait tant – il l’aimait tant qu’il lui était impossible d’imaginer que la réciproque ne soit plus, et il le serra un peu plus contre lui, enfonçant son visage dans son cou, le retenant à lui et à ses pleurs discrets, incontrôlés, comme pour repousser l’échéance d’une vérité qu’il redoutait violemment. “Do you have to go back inside?“ Sa voix n’était plus qu’un souffle mouillé de larmes, et il rouvrit les yeux, ses doigts recroquevillés sur le début de sa nuque en une caresse timide et maladroite, avant de se détacher tout juste de lui, ses mains coulant dans son dos, retrouvant son regard tout proche, bien trop conscient de ses yeux rougis et de ses joues trempées. “Could we stay together? Somewhere quiet, just for a bit,“ ajouta-t-il en détaillant les traits tirés de Simon, ses pommettes plus saillantes que jamais, son teint pâle et les cernes marquées, ses propres muscles paralysés par le désespoir de le voir s’éloigner de nouveau.

“I’ve missed you so much“ Ethan lui répondit et Simon ne put retenir le soupir de soulagement qui lui échappa. Ca n’était rien et pourtant c’était tout ce qu’il avait attendu et appréhendé depuis des années. Il avait imaginé ces retrouvailles de nombreuses fois, souvent malgré lui, ne retenant que les scénarios dans lesquels rien n’avait réellement changé, où ils pourraient se retrouver comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Il n’avait pas vraiment voulu penser au reste, penser aux possibilités qui pourtant étaient bien réalistes, qu’ils auraient pu être trop différents, qu’Ethan aurait pu trouver l’amour ailleurs, qu’il aurait pu avoir peur de lui, de ce qu’il était devenu, de ce qu’il avait vécu et de toutes les conséquences que cela pourrait avoir, qu’il aurait pu l’oublier, tout simplement, faire une croix sur lui et passer à autre chose. Il savait que ça ne serait pas le cas, surtout depuis qu’il lui avait donné sa croix, un signe évident qu’il ne l’avait pas oublié, qu’il savait qu’il était toujours vivant et pas seulement une création de ses souvenirs lointains. Pour autant la confirmation que ses sentiments, ce manque, du moins étaient réciproques, le remplissait d’un apaisement presque surprenant. Même si tout avait changé, là était la preuve qu’il avait pensé à lui pendant tout ce temps.

Simon le serra un peu plus près de lui et il put sentir l’autre homme faire de même. L’humidité qui se répandait contre sa peau lui coupa le souffle un instant, son propre corps ne sachant comment gérer tant d’émotions, pas quand une partie de lui pensait encore que tout ceci n’était peut-être qu’une illusion. Il ne savait pas s’il le pouvait, de toute façon, il pensa alors que ses yeux s’humidifiaient brusquement. Les émotions n’avaient pas été les bienvenues à Gracefield, surtout pas celles qui pouvaient s’apparenter à de la faiblesse et il ne savait pas s’il pourrait un jour reprendre complètement le contrôle des siennes.
“Do you have to go back inside?”, il murmura contre lui et Simon ne put que faire non de la tête en réponse, les mots lui échappant encore une fois. “Could we stay together? Somewhere quiet, just for a bit,“ il lui demanda en s'éloignant légèrement, assez pour que Simon puisse croiser son regard humide. “Yeah,” il lui murmura avant de s’éclaircir la gorge et de reprendre plus fermement, “of course.” Il tenta de lui lancer un sourire rassurant, mais il n’était pas certain que celui-ci ait eu l’effet escompté. “Hum, what were you thinking?” il demanda après un instant, “I don’t really know, uh, the possibilities here.” Il n’avait pas vraiment pris le temps de visiter, mis à part la tente que Kad occupait, et lui aussi à présent. Il ne s’était aventuré nulle part, l’obscurité des alentours forestiers lui rappelant un peu trop les quelques planques qu’il avait pu trouver sur l’île pour qu’il ne veuille s’y aventurer seul. Il laissa sa main glisser vers celle d’Ethan avant d’ajouter “I’ll go anywhere, though, I- I trust you.” Ses mots auraient sans doute semblé démesurés à qui que ce soit d’autre, mais il avait la vive impression qu’Ethan comprendrait ce qu’il voulait dire, tout ce qui se cachait encore derrière ses mots et au creux de leurs mains liées.

“Yeah.” La voix de Simon était empreinte d’une émotion jumelle, ravivant la sienne. “Of course.” Le sourire vacillant sur ses lèvres fit prendre conscience à Ethan de son apparence lamentable – il essuya rapidement ses joues et ses yeux en détournant le visage, submergé d’un bonheur amer, teinté des années d’absence et des incertitudes parasitant ces retrouvailles. Il avait l’impression de retrouver un inconnu sous lequel dormait le Simon qu’il avait aimé – des sentiments enfouis, douloureux maintenant qu’ils se trouvaient si brutalement exhumés, une opération à cœur ouvert qui n’avait d’autre spectateur que Simon lui-même (changé, transformé – littéralement). “Hum, what were you thinking?” Ethan cilla pour chasser les dernières larmes brouillant sa vue, son autre main coulant lentement le long de son flanc, peinant à se résigner à quitter le contact de son corps chaud (maigre) en tentant de rassembler ses pensées. La libération avait amené quelques rescapés dans leur camp, occupant la tente des invités et d’autres spécialement montées pour cette nuit riche en événements. Et Ethan se refusait à ramener Simon dans sa tente partagée, quand bien même Sam devait être occupé à soigner alentour -- il y aurait bien, dans un coin du camp, une tente magique inutilisée… I don’t really know, uh, the possibilities here.” Ethan eut une brève expiration, un semblant de rire qui retomba tout aussi vite, étouffé par les émotions vives agitant son torse, puis à la main glissant dans la sienne.

Le cœur d’Ethan plongea entre ses côtes, provoquant des remous qui vinrent éclabousser jusqu’au coin de ses yeux ; ses yeux s’humidifièrent de nouveau tandis qu’il enserrait ses doigts entre les siens en une prise fébrile, le souffle court, luttant difficilement contre l’émotion de retrouver le contact de Simon et la chaleur de sa paume contre la sienne. Tout n’était pas fini ; quand bien même ils avaient tous les deux changé, tout n’était pas fini… Ethan peina à entendre la voix basse de Simon entre les battements assourdissants contre son plexus. “I’ll go anywhere, though, I- I trust you.” Il essuya rapidement les larmes menaçant de couler sur ses joues humides, ses gestes tremblants et peu précis devant le regard brillant de Simon. S’il savait à quel point il avait cru mourir, sans lui à ses côtés... "Come. I’ll find a place for us," fit-il en tirant avec douceur sur sa main, son regard accompagnant le sien tandis qu’il se détournait pour mieux l’entraîner, ses derniers mots restant coincés au travers de sa gorge.

A place for us.