endless nights
ladies and gentlemen ! you're still in the dark.
Fin juillet 2007 | Irak
@Shaula ÇelikLe campement de la Seconde Ligue d’Ur est resté pratiquement immobile toute la journée. À peine le vent a-t-il secoué les tentes à l’allure inoffensive pour tout curieux, à peine quelques curieuses bestioles ont rebroussé chemin bien des mètres avant de croiser les premières runes de protection, repoussées par la magie brûlante. Toutefois, dès que le soleil a entamé sa course descendante vers l’horizon, les sorciers sont sortis de leur léthargie, afin d’avancer ces travaux qui doivent un jour trouver une fin. Pour leur santé physique autant que celle mentale.
L’horaire est habituel, pour les sorciers, qui sont en phase de recherche plutôt que d’exploration, en ce moment, et qui économisent leurs forces. La majorité de leur activité se concentre au lever du jour et au cœur de la nuit, alors que les températures froides sont moins écrasantes, étouffantes, que celles qui parcourent le désert alors que le soleil brille haut dans le ciel de l’Irak. Depuis avril, l’épiderme du O’Neill s’est transformé en constellations serrées de taches de rousseur, de coups de soleil inégaux et d’un bronzage qui persistera bien des mois après cette aventure. D’ecchymoses, aussi, aux divers stades de guérison ― une tache verdâtre sur sa joue, une violette sur sa main, une jaune sur une cuisse bien cachée sous les vêtements chauds afin d’affronter la fraîcheur nocturne. Les seuls souvenirs qu’il garde du temple de Puabi, à chaque fois.
Ils ont tenté à nouveau d’entrer dans le temple, sans succès. Se sont réveillés la bouche remplie de sable, le cœur battant à toute allure, l’esprit toujours nuageux. Lethe et Shaula, restées au campement afin de ne pas s’attirer le mauvais sort de Puabi à leur tour, ont seulement pu les aider à revenir et à affronter ce qu’ils savent déjà.
Ils ont besoin d’aide.
Ils ne s’en sortiront jamais, sinon.
L’Irlandais est assis depuis quelques heures à la station de travail, celle-ci installée dans un renfoncement rocheux, là où le vent sec de l’été est naturellement coupé et où le feu du campement ne trouble pas le regard qu’ils peuvent porter vers le ciel. Isolée. Parfait pour celui qui se bute trop souvent au regard d’incompréhension de ses pairs et fuit ceux qui ne le reconnaissent plus. Que ce soit le fait (probable) de la malédiction de Puabi n’efface pas moins la blessure. Il préfère encore réviser ses cercles runiques, ceux constitués de scripts akkadiens et sumériens cunéiformes révisés jusqu’à en avoir mal au crâne. Même ses lunettes de travail, qui empêchent la magie des runes d’user ses yeux, ne peuvent rien contre la céphalée permanente qu’il se traîne depuis quelques jours. Le manque de sommeil, le soleil, le surplus de travail, la magie qui pulse partout autour de lui, les cauchemars, la marque au dos de sa main qui semble toujours vibrer d’une douleur fraîche.
Une des lanternes s’illumine soudain, alarme discrète qui signale l’arrivée de quelqu’un dans le cercle de protection tracé autour de l’espace. Un regard par-dessus son épaule afin de vérifier qui vient le rejoindre et s’il espère pour Castor, voire Pollux, il est plutôt déçu de la vérité. Ses doigts tapotent machinalement la lanterne, qui peu à peu s’éteint. «
Bonsoir Shaula, le sourire esquissé est plus épuisé qu’autre chose. Très faux, aussi, alors que ses yeux ne portent pas la même sympathie.
Thé, café ? » Un geste vers les carafes de breuvages chauds (et caféinés) qui permet à l’équipe de se relayer autant pour la garde que pour le travail, accompagnées de tasses enchantées afin d’être toujours agréablement tièdes en main. Au cœur de ce damné calvaire d’aventure, c’est un détail qui peut faire toute la différence pour chaque membre de la Seconde Ligue d’Ur, dont les nerfs sont littéralement à fleur de peau. Les siens, surtout.
Aries n’a jamais été très ouvert à avouer ses faiblesses, mais de toutes les sorcières qui ont proposé leur aide à la Seconde Ligue d’Ur ces derniers mois ― Lethe, Azra, Shaula est celle à laquelle il a été le plus rébarbatif. Il a accepté parce que Medea a insisté et a vanté ses qualités, et qu’au Royaume-Uni, les propos de sa collègue lui semblaient sensés. Maintenant qu’ils sont de retour aux abords du temple, il a l’impression qu’elle lui a débité un paquet de conneries et qu’il s’est laissé avoir. Ils n’ont pas besoin d’une astronome, Sid sait très bien se débrouiller avec les cartes du ciel, et ils ont encore moins besoin d’une voyante, alors à quoi bon ? Évidemment, trop tard pour protester, surtout après avoir retrouvé la Turque à Ankara et que celle-ci partage la tente de ses deux autres collègues féminines. Il n’empêche que chacun de ses regards bleu cobalt, lorsque posé sur Shaula, est toujours plus dur, plus critique, presque défiant.