Il observe les gens passés. Sagement. Discrètement. Il a l’habitude de se fondre dans les ombres, c’est là qu’il se sent le mieux. Il se concentre sur les scènes qui se jouent devant ses yeux noirs. Fait des déductions plus ou moins rapidement. Il aime s’adonner à cet exercice qui lui permet de décrypter les mimiques des autres. Cela lui permet d’affilier rapidement une attitude à un sentiment, ce qui dans son cas et plus ou moins pratique. Se faire discret tout en apprenant un maximum sur les autres, il a l’art et la manière d’exceller dans cette discipline et c’est bien pour ça que Leo ne se fait pas remarquer à l’ordre. Il ne bronche jamais quand une tâche lui est confiée. Offre un sourire à ses interlocuteurs qui se veut amicale et mystérieux. N’attire pas l’attention des autres et se contente d’être ce gentil Simba. Nom qu’il déteste ça va sans dire mais il ne laisse rien transparaitre, bien trop habitué à en dire le moins possible sur lui. Il se contente donc d’être là sans être là et ça lui convient très bien. Et aujourd’hui encore il se fond dans le décor de St James. Plus tôt dans la journée il a croisé Ginny, a pris un peu de temps pour discuter avec elle. Il en apprend chaque jour un peu plus sur la jolie rouquine et il doit avouer qu’elle le surprend de plus en plus. Se laisse volontairement distraire, parfois et apprécie sa compagnie, souvent.

Il s’autorise à penser à elle se désintéressant soudainement de son exercice. Ginny est censée être une poupée docile qu’il pourra manipuler à sa guise. Censée. C’est le mot propice à la situation. Car même si le petit jeu qu’il entretien avec elle est censée lui apporter un certain intérêt, il ne peut que se rendre à l’évidence… Il ; comme qui dirait ; joint sans aucunes hésitations, l’utile à l’agréable. Avec un sourire en coin Leo se lève donc. Marchant d’un pas gracieux, le menton haut comme à son habitude. Salue d’un mouvement de tête les membres de l’ordre qu’il croise. Toujours gentil, toujours poli. Cette plaque est de loin la mieux gardée et il a mis bien trois ans à enfin pouvoir la rejoindre. Trimbalé de planques en planques sous prétexte de devoir faire ses preuves, ce qui de nos jours est tout à fait louable. Les secrets des membres restants bien cachés et avec ça ; la curiosité grandissante de Leonard attisée. Et même après plusieurs années. Et même après plusieurs rassemblements. Et même après plusieurs missions à grande échelle ; la déception de Leo est plus intense que jamais, car son objectif n’est pas atteint. Amalia lui file encore et toujours entre les doigts, lui rappelant sans cesse son échec. Mais fort heureusement il est patient et c’est toujours ça de gagner.

Le plaisir de la voir succomber entre ses mains ne sera que plus grand, lorsqu’enfin il aura la joie de la retrouver. De la trouver serait même plus exacte. Et c’est avec un plus grand sourire qu’il glisse entre les couloirs mornes et sombres de la demeure, rejoignant le grand salon et le vieux canapé près de la cheminée. Sa main vient rejoindre ses tempes qu’il masse douloureusement. Il ne dort pas très bien ses derniers temps. Son esprit fuse en permanence, entre ses obligations et ses divergences, pourtant il ne laisse rien transparaître et puis ; il n’est pas le seul. Ici, beaucoup d’esprits sont plus torturés que les siens. Il le sait. Doucement il soupire avant de lever à nouveau la tête et d’apercevoir au loin un visage qui lui paraît familier. Il lève un sourcil, en essayant de reconnaître ses traits. L’individu semble faire de même et puis, il le reconnaît enfin. Quelques années les séparent mais il reconnaît le jeune homme. Oh bien sûr il n’est pas rare pour Leonard de croiser des figures qu’il a côtoyé à Poudlard mais Joseph et lui ne se sont pour ainsi dire jamais entendu. Ils ne se sont pas côtoyés longtemps du fait de leur différence d’âge mais il était difficile pour eux de trouver un quelconque intérêt commun. Leur avis étant bien trop divergent, malgré la discrétion de Leonard sur son parti. Alors il lui offre un hochement de tête poli. Ne sait pas vraiment si Joseph se souvient de lui mais avec le temps les gens et les idées peuvent changer n’est-ce pas ? Il attend un instant que l’homme se retrouve seul et se décide enfin à l’approcher. Bonjour… Je ne suis pas sûr que tu te souviennes de moi mais dans le doute je suis venu te saluer. dit-il simplement avec un léger sourire plein de mystère.

Ce n’était pas tous les jours qu’il mettait les pieds à Saint-James, c’était même particulièrement occasionnel pour des raisons de sécurité. Jo attendait, patiemment au début, beaucoup moins après quelques minutes, il ne savait être patient qu’avec les gens, pas quand il fallait se tourner les pouces avant un rendez-vous. C’était comme les salles d’attente de médecins quand il avait cinq ans. Il en avait vingt-quatre de plus pourtant il avait toujours le même comportement, cf ses piétinement incessant devant la porte où il attendait et ses allers-retours vers la fenêtre pour voir ce qui avait changé à l’extérieur en deux minutes. Le temps en l’occurrence. Classique, le grand soleil venait d’être voilé par quelques nuages et la pièce s’était retrouvée assombrie. Jo regarda l’étoile se découvrir et revint à sa place initiale en soufflant.  

Il n’était même pas là de bonne grâce, c’était seulement un check up de la bonne maîtrise de son occlumencie. Comme s’il avait pu oublier comment faire, comme s’il avait envie de voir combien de temps il réussirait à ne pas se faire attraper sans barrière mentale. Ok, il avait peut-être déjà envisagé de tester, pour la science, mais il y avait trop en jeu et il avait renoncé à ajouter ça sur sa liste de comportements dangereux.

Il finit par être reçu et en ressortit tout content (enfin libre, sans compter qu’il n’avait pas perdu ses skills, ce à quoi il s’attendait puisqu’il pratiquait – c’était une des rares disciplines dans lesquelles il restait sérieux sur le long terme). Il prit la direction de la sortie avec pour objectif d’éviter de croiser qui que ce soit (c’était important de se donner des objectifs pour tout et rien, il pratiquait d’ailleurs les défis micro-ondes régulièrement), effectivement il ne croisa personne jusqu’à arriver dans un salon au bout duquel il vit se profiler quelqu’un.

Fuck. Couverture cramée en une heure de présence entre les murs du manoir, c’était plutôt pas mal quoique ne pas cramer la couverture aurait été tout aussi bien. Ça passerait, de toute façon, il n’était pas si inoubliable, la personne ne se souviendrait plus de lui d’ici trente seconde, il prépara donc son meilleur sourire et bonjour poli avant de légèrement plisser les paupières. The fuck ? Il était dans le bon QG ? Le brun et lui n’avaient jamais été amis mais sans vraiment le connaître, Jo ne le voyait pas comme le genre de personne à bosser pour l’Ordre.

Il croisa son regard. Double fuck. Puisqu’il était trop tard pour reculer, il adopta l’attitude la plus nonchalante possible et esquissa un sourire aimable pour répondre au  bonjour du sorcier.

- Je ne suis pas sûr que tu te souviennes de moi mais dans le doute je suis venu te saluer.

- Je me souviens, acquiesça-t-il avec un sourire affable.

Il oubliait rarement les visages, d’autant plus que le sorcier avait beau lui paraître froid et hautain, il était loin d’être désagréable à regarder.

Yeux légèrement plissés, il l’observa un instant avec son prénom sur le bout de la langue – il pensa Leonardo Dicaprio (il pensait beaucoup à Leonardo Dicaprio à vrai dire) et ça fit tilt.

- Leonard ? demanda-t-il dans un claquement de doigt

Il n’en était pas moins vaguement surpris de voir ce mec à Saint James bien qu'il ne faille pas se fier aux apparences, qu’il y avait Siham pour le prouver et que peut-être Leonard n’était plus le même que dix ans plus tôt. Comme Jo qui avait beaucoup évolué depuis l’école : il avait naturellement pris en maturité (pas pour tout, certes, mais pour beaucoup de choses) et s’était trouvé d’autres intérêts qu’embêter les autres pour passer le temps, d'ailleurs, si ses nouvelles activités n’étaient pas les plus conseillées, il ne faisait au moins plus suer personne.

Les mensonges ; les faux semblants ; l’art et la manière de faire passer une histoire dont il est le principal protagoniste pour vraie, alors qu’il n’en est rien. C’est la vie qu’il mène jour après jour. La complexité d’une mission dangereuse qui le pousse à donner le meilleur de lui-même afin qu’un jour son but soit atteint. Et quel but ! Pour lui ; il est hors de question de se mettre en danger inutilement alors qu’il n’est pas loin de pouvoir l’atteindre. Rien est laissé au hasard. Rien ne sert de prendre des risques trop important alors qu’Amalia n’est plus très loin. Alors que la traitresse à son sang va enfin pouvoir payer et faire de lui le dernier des Katiyo. Il la déteste autant qu’elle le fascine et c’est cette curiosité malsaine qui le pousse vers elle, constamment. Elle hante ses pensées. Il imagine son visage et la joie qu’il ressentira le jour où il pourra l’éliminer. Voir dans son regard la vie la quitter. Et c’est cette image qui le motive plus que tout à faire de son mieux pour ne pas ternir cette image qu’il se donne.

Alors quand il pose les yeux sur ce visage qui lui est familier ; il ne perd pas son sang-froid. A dire vrai Joseph n’est pas le premier de ses anciens camarades qu’il croise et si d’habitude il s’arrange pour les éviter, ce n’est pas toujours possible. Alors son visage prend une expression sympathique, de celles qu’il sait faire sans mal. Son paternel lui ayant appris que les émotions qui peuvent passer par celui-ci inspire ou non la confiance et permet de démarrer une discussion dans de bonnes conditions. Fuir paraitrait bizarre et Leo ne veut décidément pas attirer l’attention sur lui. Ses lippes s’étirent donc en un sourire aimable. Ses yeux deviennent pétillants de malice et ses fossettes se décident à apparaître. Leonard est sans aucun doute un charmeur et il a derrière lui des années de pratique. Il se dirige donc d’un pas assuré vers Joseph et engage la conversation. Il est moins suspicieux d’aborder l’ennemi, même s’il ne considère pas Joseph comme tel, plutôt que de le fuir.

Il n’est donc pas le premier à qui il joue ce tour et ne sera pas le dernier. Du moins jusqu’à ce qu’il trouve Amalia. Une fois cela fait, il n’aura plus à jouer ce rôle et pourra reprendre le cours de sa vie auprès des siens. Ses deux complices de toujours lui manquent mais jamais il ne l’avouera. Il n’est pas le genre d’homme à dévoiler la moindre faiblesse, non. Il tend une main à Joseph et lui sert une futilité bien aimable. Après tout, une poignée de main n’a rien de dangereux. Un geste futile mais courtois, pas besoin de déblatérer avec lui pendant une heure moins longtemps il restera aux côtés du jeune homme mieux sa couverture se portera. Je me souviens, acquiesce-t-il souriant. Les yeux de Leo dérivent sur ses lèvres et remontent à nouveau sur son visage. Charmant ! Leonard ? questionne-t-il. Il lâche sa main avec un sourire dont lui seul a le secret et se passe une main sur la nuque. C’est bien ça! Tu as une bonne mémoire. continua-t-il simplement. Cela fait toujours plaisir de croiser un visage connu… Même si de toutes évidences nous avons parcouru du chemin depuis Poudlard. dit-il. Tu es toi aussi de passage ? Après tout, il est toujours bon de savoir dans quel coin ne pas traîner afin d’éviter de le croiser à nouveau non ? Nouveau sourire, nouvelle question.

Jo avait une incapacité chronique à mentir, pour peu qu’il essaye, son corps entier le trahissait et il devait redoubler d’efforts pour ne pas paraître suspect au premier regard. C’est qu’il avait besoin de savoir garder contenance, c’était ça ou s’attirer de grave problèmes, or il avait beau pratiquer depuis des années, les résultats n’étaient pas vraiment concluants et Jo s’était résolu à simplement éviter de mentir. Il avait donc appris à arranger la vérité : moins il s’en éloignait, moins il était difficile d’en faire ce qu’il voulait sans détourner le regard.

Quand il venait à St-James ou rencontrait sa référente, Jo n’avait pas besoin mentir. Les moments où aucun secret ne pesaient, ou pas même le travail qu’il faisait pour l’Ordre ne devait rester caché, un poids s’envolait de sa poitrine pour une courte durée. Il devait encore éviter de croiser des gens certes, la règle restait la même au manoir et ailleurs : moins de monde était au courant des quatre cercles de Jo, mieux tout le monde se porterait. Jo mourrait d’envie de prévenir l’entièreté de la résistance, croiser d’anciens amis le prenant pour un traître était loin d’être la vie dont il avait rêvé, mais il ne pouvait pas et il ne pouvait pas faire faux bond à ceux qui lui faisaient confiance.

Et voilà qu’il tombait sur la dernière personne qu’il aurait cru rencontrer ici, il n’était d’ailleurs pas très en phase avec l’idée que ce type là apprenne pour ce qu’il faisait, après tout, il ne le connaissait pas et ce qu’il savait de lui consistait en de mauvais a priori. Est-ce qu’il lui faisait confiance ? Certainement pas. L’Ordre en revanche semblait lui donner du crédit et à eux, Jo faisait confiance.

- C’est bien ça! Tu as une bonne mémoire.

Jo sourit, ça ne monta pas jusqu’à ses yeux. Il se demandait pourquoi Leonard ne s’était pas contenté d’un hochement de tête en guise de salutations avant de passer son chemin.

- Cela fait toujours plaisir de croiser un visage connu… Même si de toutes évidences nous avons parcouru du chemin depuis Poudlard. Tu es toi aussi de passage ?

Leonard souriait, Jo prenait ça pour un bon signe ; il s’autorisa à se détendre un peu, une part de la tension qui s’était logée dans ses épaules s’envola.

- Oui, j’étais sur le départ en fait – répondit-il en regardant en direction de la sortie. Qu’est-ce que tu deviens sinon ? reprit-il dans un élan de politesse, ses iris revenant se poser sur le sorcier.

Ça aurait été se voiler la face que de dire qu’il ne le trouvait pas à son goût, Jo aimait les gens qui en imposaient et définitivement, Katiyo était de ceux-là ; il ne pouvait pas vraiment le regarder cela dit, il avait d’autres choses à faire que contempler le paysage, au hasard, essayer de ne pas trop attirer l’attention de Leonard.