juin 1995 | @Oscar Ortega
La journée commençait à toucher à sa fin, les derniers cours de tronc commun se terminaient et bientôt les cours du soir allaient reprendre, mais entre temps le campus vrombissait d’une activité estudiantine foncièrement détendue. Avec le retour des chaleurs estivales mêlé à la liesse de fin d’année on en trouvait beaucoup qui décidait de piquer une petite tête dans les eaux salées de l’Atlantique pour se rafraîchir. Des groupes s’étalaient sur les herbes détrempées pour se raconter les derniers ragots avant que la nuit tardive et les spectres ne surgissent et n’envahissent l’endroit. On organisait par-dessus la jambe des courses aquatiques et on s’extasiait devant certaines plantes qui profitaient de la montée des température pour pointer le bout de leur pistil. Même à l’intérieur des bâtiments, l’esprit était à la décontraction ; des cercles d’élèves qui faisaient des sittings dans les hall pour jouer aux cartes, pour partager une bouteille de soda récupérée dans le distributeur ou pour repeindre les murs de fresques fleuries.
Au milieu de toute cette ambiance, Steven ne semblait pas forcément recevoir toutes les vibes de relaxation. Bien au contraire. Si quelqu’un avait eu la bonne idée de prendre son pouls, il aurait certainement été étonné d’en remarquer la rapidité, comme si Smoky s’était tapé un long sprint alors même que cela faisait cinq minutes que l’étudiant se tenait droit comme un piquet au coin d’un couloir du bâtiment administratif principal. Il avait toujours l’impression que sa gêne se remarquait plus que chez les autres, notamment en raison de sa carrure qui lui donnait des airs de borne d’autoroute plantée-là par la grâce divine, et il détestait ça. Mais il avait également bien du mal à s’avancer vers ce couloir pour aller vers le distributeur en forme de crocodile collé dans le hall des toilettes mixtes ; son objectif actuel.
Dans sa paume il faisait rouler une pièce de quelques centimes. C’était Victoria qui l’avait envoyé là, faire ses commissions. Parce que c’était à lui de se débrouiller pour ce genre de choses, selon elle. Et Steven n’avait pas vraiment trouver d’argument contre ça, alors il avait pris son courage à deux mains, avait tenté de trouver une fenêtre d’action où il y aurait le moins de gens possible dans le coin pour pouvoir s’y glisser, acheter son truc et repartir aussi sec.
Là, après cinq minutes à faire le guet et à ne croiser personne il se prit à penser que s’il y avait été directement au lieu d’attendre, l’affaire aurait été réglé. Et que maintenant, après cinq minutes sans personne, c’était forcé statistiquement parlant que quelqu’un arrive. Zéi, dans son sac, laissait juste dépasser le bout de son museau et ses yeux comme pour aider à faire le guet, sans un bruit comme s’il comprenait toute la tension de la situation.
Alors il attendit encore cinq minutes, et personne ne vint. Merde, s’il y avait été là, au lieu de paniquer, ça aurait été bon. Merde. Bon. Au bout d’un moment il fallait prendre les choses en main, et puis Victoria l’attendait. Il aurait l’air de quoi s’il lui disait qu’il n’avait pas réussi à récupérer son truc ? Pour le pire des charlots.
Il s’avança donc, ses pas résonnants dans le couloirs désert, en essayant d’être preste mais sans courir, ouvrit la porte des toilettes pour se retrouver devant le distributeur. L’objectif était de mettre la pièce, d’activer la petite manette, de récupérer le truc et de repartir l’air de rien. Mais il galéra d’abord à trouver l’endroit où insérer l’argent dans l’étrange distributeur avant de comprendre qu’il fallait le mettre dans le nez de l’alligator. Bien, c’est fait. Il fallait ensuite sélectionner. Bon.
Pourquoi y avait-il autant de choix ? L ? XL ? XXL ? Y avait pas M ? Et puis ça correspondait à quoi ces tailles ? Merde, et si c’était pas à la bonne taille ça allait pas fonctionner ? Il décida qu’il fallait peut-être en prendre de deux tailles différentes, pour être sûr. L et XL, c’était assez safe. Mais l’histoire de goût et couleur le dépassait largement. Nature ? Y avait pas ? Ah si… basique. Il repéra le citron après coup. Victoria aimait le citron ? Il allait prendre le M en basique et le L en citron. Habile.
Il appuya sur les boutons et s’attendit à ce qu’une trappe s’ouvre avec son achat mais au lieu de ça ce fut la gueule de l’alligator qui s’ouvrit, l’invitant à y glisser sa main pour récupérer son dû. Bon… vraiment… mais quelle torture. Peut-être y avait-il un autre distributeur moins ludique ailleurs dans l’école, il faudrait vraiment qu’il se renseigne. Il y mit sa main quand les mâchoires se refermèrent lentement sur son bras. What the… « Stay safe! Do not forget to pinch the top when you… » commença à clamer une petite voix enjouée depuis l’intérieur du distributeur.
Mais qu’on le laisse tranquille ! Il avait payé il voulait juste qu’on lui donne son truc et qu’on le laisse prendre la poudre d’escampette, mais quelle horreur !
Mais l’horreur commençait juste, parce que la porte des toilettes s’ouvrit. Merde. Stay cool. C’était dur avec un bras coincé dans une gueule de crocodile mais il tenta d’avoir l’air un peu chill et détendu en tournant la tête vers l’arrivant.
Pour se rendre compte que ce n’était pas juste un étudiant venu pisser. Enfin, surtout pas n’importe quel étudiant venu pisser mais Moony Oscar fucking Ortega. Ortega comme Victoria Ortega, sa copine. Le frère qui lui lançait des regards noirs depuis qu’il embrassait sa petite sœur et qui maintenant le surprenait en train de se battre avec un distributeur de capote. Littéralement pris la main dans le sac.
Comment on pouvait stay cool comme ça ? Zéi avait renoncé à trouver une réponse et s’était simplement renfoncé dans le sac, disparaissant totalement.
Steven aurait bien aimé pouvoir faire la même chose mais le destin l’avait fait demi-vélane et non pas demi-homme-invisible. Et tandis que la machine finissait d’énumérer les règles pour bien enfiler une capote et pour avoir des relations bien protégée (au secours) il tenta de parler un peu plus fort que la voix désincarnée : « Hey Moony, wow, incroyable de se tomber dessus comme ça là. Tu viens euh… pisser ? Super nice. » Mega chill ouais.

juin 1995 | @Oscar Ortega
C’était gênant, mais ugh ce que c’était gênant ! Vraiment de toutes les personnes de cette école il fallait que ça soit Moony qui lui tombe dessus ? Oscar fucking Ortega ? Il aurait encore préféré que ce soit un prof, ça aurait été beaucoup moins embarrassant ; ou dangereux. Parce qu’à voir la dégaine de son sysmate, c’était clair qu’il ne s’était pas attendu à le croiser là et qu’il n’en tirait mais alors pas la moindre once de plaisir.
À quoi pensait-il ?
Qu’il allait coucher avec une autre fille que Victoria ? Il était mort.
Qu’il allait coucher avec Victoria ?? Il était encore plus mort peut-être.
Vivement que les femmes puissent faire ce qu’elles voulaient sans se faire juger par personne, songea-t-il rapidement, ça éviterait à des gentils garçons comme lui de perdre dix kilos de transpiration devant des grands frères ombrageux. « Bien sûr que je viens pisser. On est dans des toilettes, au cas où t’aurais pas remarqué. – Mmh… oui oui. Tu fais bien, tu fais bien. » Oui, oui c’était important de pisser. Les cystites ça pardonnaient pas à ce qu’il paraissait. Il avait entendu des filles dire ça. Mais merde, qu’est-ce qu’il racontait ?
Il essayait dans un même temps d’arracher son bras de la mâchoire serrée de l’alligator, et peu importait les conséquences : s’il fallait qu’il se luxe l’épaule ou s’arrache le coude, à ce stade il préférait encore arriver devant Victoria avec un bras en moins plutôt que la tête en moins… Ou pire. « Je te demanderai pas ce que tu fais là. – Hinhin… » répondit-il seulement, dans un rire entre la gêne profonde et le petit rire narquois de l’adolescent qui tentait de trouver un pair dans le grand gaillard devant lui. Enfin quoi, il avait bien été cherché des capotes lui aussi ? Steven avait envie de se dire que s’il avait eu une sœur, il aurait laissé Oscar se mettre avec elle sans problème. C’était quoi leur problème à ces mecs aussi ? Il allait pas la tuer quand même, il voulait juste… enfin voilà. « J’espère sincèrement que t’as prévu de faire des ballons avec et pas de coucher avec ma sœur. »
Steven déglutit si fort qu’on put sans doute l’entendre jusque dans le couloir. Zei dans son sac se roula en boule un peu plus, comme s’il ressentait parfaitement l’anxiété de son humain-lié.
Dans le doute il se mit à rire un peu : « Haha des ballons, oui très drôle. » Oscar n’avait cependant pas l’air de rigoler. Cela n’allait pas être à lui qu’il allait pouvoir lui demander un conseil sur la taille des capotes. Merde, il allait se foutre de sa gueule s’il le voyait sortir du L et du XL non ? Mais aussi c’était cette machine qui avait des tailles ridicules ! Au même moment que son esprit s’emballait et imaginait les pires moqueries accordées avec les pires menaces, l’alligator termina son speech et rouvrit la gueule pour lui libérer son bras.
Ah ben d’un seul coup il n’avait plus du tout envie de le sortir. Oscar avait l’air d’être capable de les lui faire manger, ses capotes, et avec le sourire en plus. Il en rajoutait peut-être un peu, mais juste un peu.
« Euh… enfin, tu sais avec Victoria. Je dirais pas coucher hehe… » Clairement il faudrait qu’il revoit sa manière de rire, parce qu’il s’entendait bien et doutait que ça persuade Oscar de la moindre des façons. Pire, ça lui donnait peut-être l’air pervers ? Pas de hehe donc. Il lâcha totalement le début de sourire qu’il avait tenté de montrer, et tirait à présent une tête d’enterrement, entre le sérieux complet et la déprime totale. « Enfin je veux dire… euh mais tu vois Oscar enfin… t’es pas vraiment vraiment sérieux hein ? Mais euh tu sais moi ta sœur, je lui veux que tu bien. Et c’est elle qui a voulu, c’est elle qui m’a dit qu’elle voulait, qu’elle était prête et qu’elle… » Non, c’était pas une bonne chose non plus à développer, il ne devait pas avoir envie d’entendre ça. Mais c’était vraiment une situation sans issue ! Si seulement il pouvait se transformer en tas de poussière pour ensuite disparaître sous l’interstice de la porte… sa vie serait bien mieux ainsi. « Enfin non mais voilà bref bref ahem… je veux pas t’empêcher de pisser…