| | | Il est en retard. Le constat fait lever les yeux au ciel de la jeune femme alors qu’elle fait jouer sa nuque, de nouveau. Au centre de ce qui semble être un débarras, dans les derniers étages de la LAAW, Elspeth pointe son pied au sol et y trace un arc de cercle. Décidément une option parmi tant d’autres, il n’y a malheureusement pas assez de salles de répétitions pour que les étudiants aient tous la place de s’entraîner. Le devoir du semestre est pourtant de rendre une chorégraphie en duo, entièrement dessinée et interprétée par les élèves en question. Et si elle s’est toujours débrouillée pour parvenir à leur trouver un espace, en public, pour une fois ses efforts ont été vains. Et si la perspective de se retrouver seule à seul avec Nova Jang auraient fait glousser et rougir un nombre incroyables de demoiselles, la Gallagher n’est pas de celles-là. Deux ans loin de ce phénomène lui ont permis d’oublier, pour un temps, à quel point il avait le don de lui porter sur les nerfs, qui n’en ont vraiment pas besoin. Il s’est largement rattrapé depuis qu’elle a rejoint l’université, se retrouvant, comme un coup du sort, à suivre un cours qu'il enseigne. Dans une classe avec un nombre impair d'étudiants, qui l'a forcée à s'y retrouver appariée. Laissant échapper un soupir qui aurait fait froncer les sourcils de sa mère, Elie se dirige vers le coin de la pièce où elle a posé son sac pour passer un cache-cœur sur le débardeur immaculé qu’elle porte. Son regard croise son reflet, dans un miroir qu’elle a déniché et installé, à défaut de mieux, en face de l’espace libre dégagé pour l’occasion. Que l’on se rassure, quand on n’a qu’à dessiner sa volonté sans baguette, cela va encore plus vite. Et ce n’est pas comme si on aurait pu la surprendre, et surtout pas lui. Il faudrait qu’il soit à l’heure pour cela. Et elle ne pourra malheureusement pas lui faire la moindre réflexion à ce sujet. Ce qui vaut à son image de se faire foudroyer du regard.
« One day he’ll get what he deserves. » Un murmure, une promesse qu’elle fait à la fille lisse qui lui fait face. Chignon blond serré, collants, jupe d’une longueur acceptable, un maquillage discret. Illusion qui détonne grandement de ses yeux qui lancent des éclairs. Une seconde où le masque tombe, dans le silence de la pièce. Il est des moments où jouer la comédie est plus compliqué, notamment en côtoyant certaines personnes. Et celle-ci en particulier lui donne une profonde envie de tout envoyer paître pour le plaisir de lui clouer le bec et voir son air choqué. Il est trop tôt. Et c’est trop risqué. Sa main droite vient se loger dans son cou, l’aidant de nouveau à décrire un mouvement rotatif. Difficile de ne pas être tendue dans des conditions pareilles. Merveilleux. Il n’est pas encore là qu’elle n’en peut déjà plus. Ses prunelles passent du parquet à son sac, dans lequel les derniers exercices de Jae-Hwa l’attendent. Quelle perte de temps, ces sessions quand elle pourrait être en train de faire ça. Mais ils ont insisté, ses deux parents, toujours d’accord sur toute la ligne. Une jolie colombe capable de valser avec une grâce incomparable dans une salle de bal paraît moins menaçante qu’une diplomate émérite capable de converser en cinq langues minimum tout en débattant civilisations antiques du monde entier. Stop. Levant les deux mains pour se calmer, Elspeth s’enjoint à prendre une profonde inspiration. La retenir, quelques secondes, pour faire le vide. Et souffler, de toutes ses forces. Bien. Quand ses paupières se soulèvent, c’est un regard apaisé qu’elle croise dans la glace. Ne pas perdre plus de temps. Ses doigts s’agitent et la musique retentit. Même si elle ne peut faire tout toute seule, marquer au moins la chorégraphie lui permettra de se concentrer sur autre chose que le brasier qui gronde en elle. Se vidant l’esprit, elle entame l’enchaînement, mimant plus les mouvements que ne s’y donnant à fond. Une mise en bouche, simplement. Avant le plat de résistance, qui ne devrait pas tarder s’il faut en croire le craquement des marches en arrière-plan. |
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