Pilar n’était pas la plus prédisposée au travail d’équipe, elle aimait être à la tête des opérations et distribuer les ordres, elle détestait quand ses idées étaient écartées au profit de celles d’autrui. Elle était sans aucun doute plus à son aise lorsqu’elle ne répondait devant personne, mais elle avait trouvé un certain équilibre à l’Angelus. Elle était libre de ses mouvements, recevait à côté les visites d’amateurs qui lui faisaient expertiser leurs œuvres sans passer par la Galeria et possédait un rôle important dans l’organisation, elle aurait pu trouver sa situation particulièrement enviable si une tierce-personne ne s’était pas mise entre elle et la totale liberté d’actions.

La sorcière tombait à cours de matériel pour ses authentifications, sa dernière requête remontant déjà à plusieurs mois. Elle ne lésinait pas sur les moyens lorsqu’il s’agissait de s’assurer qu’un objet était ce qu’elle paraissait, elle avait côtoyé assez de faussaires pour savoir que les meilleurs d’entre eux rendaient les expertises particulièrement délicates, ainsi elle arrivait régulièrement au bout de ses réserves de potions et concoctions. Il y avait d’ailleurs un tout nouveau model de lentille dont elle avait expressément besoin, l’article qu’elle avait lu sur l’invention la rendait absolument nécessaire désormais et Pilar n’était pas du genre à se contenter du minimum. Bien sûr, elle avait les moyens de se procurer l’objet elle-même, mais à quoi bon être salariée si elle ne pouvait pas profiter des avantages de la galerie ?

Pilar leva les yeux de l’œuvre qu’elle observait sous toutes les coutures depuis le début d’après-midi pour consulter la pendule – c’était l’heure de partir, elle ne faisait pas dans les heures sup et la pièce ne disparaîtrait pas dans la nuit. La sorcière s’était mentalement noté de passer voir la très charmante comptable avant de quitter les lieux, elle avait atteint le fond de ses bocaux de poudres, c’était donc l’heure des réclamations qui avait sonné.

Elle quitta son bureau après avoir mise l’œuvre sous bonne garde, se dirigea vers celui qu’occupait Léonilde et se prépara à jouer le bal des hypocrites pendant les prochaines cinq minutes. Pilar n’aimait pas ce jeu là, elle y était pourtant très bonne mais les faux-semblants lui donnaient de l’urticaire. Elle préférait le rentre-dedans, confronter les gens qui l’emmerdaient ou au moins donner dans le passif-agressif, avec la comptable qu’elle n’appréciait pourtant pas beaucoup, il fallait pourtant rester aimable. Elle ne pouvait pas vraiment se mettre à dos une des responsables de la galeria.

La sorcière frappa à la porte et entra, elle resta cependant sur le seuil, bien droite dans sa longue robe vert sombre.

- Quoi encore ? Tu veux que je… Ah, Pilar. Que puis-je pour toi ?

Elle qui s’apprêtait à grogner face à l’accueil se détendit très légèrement, au moins il ne lui était pas réservé et elles continuaient de bercer dans une politesse très affectée.

- Bonsoir, je m’excuse de venir si tard mais c’était urgent.

Ça l’était, elle avait un besoin imminent de son matériel de travail. Bien sûr, elle n’irait pas piocher dans ses propres réserves, celles qu’elle achetait elle-même et qu’elle réservait aux expertises extérieures à celles qu’elle faisait pour la galerie.

- Je vais avoir besoin de nouveaux fonds pour remplacer mon matériel, mes réserves sont au plus bas et impossible de faire mon travail sans elles.

Elle entra dans la pièce après avoir refermé la porte derrière elle et s’approcha du bureau. Elle avait esquissé un sourire affable pour présenter sa requête, un de ces sourires qui n’avaient rien de chaleureux et ne remontaient même pas jusqu’à ses yeux, c’était une simple courtoisie dont elle gratifiait Léonilde parce que l’usage le voulait.