Après toutes ces années, c’était toujours la même chose, le même train-train. La jeune femme avait pensé qu’elle finirait par s’habituer à cette situation, à ce jeu d’agent double, mais elle savait que c’était trop risqué et qu’au bout du compte, ça n’avait rien de comparable à un jeu, si ce n’était l’éventualité de perdre. Perdre pied, perdre la face, perdre cette guerre. S’habituer signifiait baisser la garde, être moins vigilante ; un peu comme quelqu’un qui emprunte le même trajet tous les jours et qui finit par se penser hors de danger. Josephine n’était plus assez naïve pour se croire à l’abri. Elle l’avait cru, pendant un temps. Elle s’était sentie intouchable, invulnérable, puis elle avait vu les siens tomber, les uns après les autres. Tantôt un ami, tantôt un collègue, parfois une simple connaissance. C’était abject, mais lorsqu’elle entendait un nom qu’elle ne connaissait que vaguement, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une sorte de soulagement. Parce que oui, elle était soulagée. Que ses proches soient saufs, qu’on leur permette de profiter de cette existence de merde un peu plus longtemps, en espérant qu’un jour tout redevienne au moins aussi paisible qu’avant. Mais elle était tout aussi honteuse de considérer certaines vies plus importantes que d’autres. Et elle se détestait pour ça. Jo s’enfonça un peu plus dans la ruelle, jetant des coups d’œil dans toutes les directions. Elle redoublait de vigilance, ou de paranoïa parfois. Elle refusait de l’avouer mais la perte de sa première référente l’avait poussée à changer ses habitudes. L’ancienne Gryffondor était devenue plus méfiante, envers tout le monde, y compris ses proches, ceux qu’elle connaissait, ceux qu’elle pensait connaitre, tous. Pourtant, malgré tout ça, Susan était parvenue à se faufiler au travers. Sa nouvelle référente avait réussi à gagner une place dans son estime et même si elle rechignait à l’admettre, Josephine l’appréciait. Et elle se détestait pour ça aussi. S’il y avait une leçon à retenir de toute cette situation, c’était que l’attachement était une faiblesse. Une énième façon de souffrir, indirectement. Non sans un dernier regard en arrière, la sorcière s’engouffra dans un passage si étroit qu’elle fut forcée de pivoter sur le côté. Elle déboucha sur une rue un peu plus large, dans un quartier qu’elle gratifierait de tout un tas d’adjectifs, à l’exception d’accueillant. Quelques personnes passaient dans les environs, les yeux rivés vers le sol. Typiquement le genre d’endroit où on ne veut ni voir, ni être vus. Jo tira instinctivement sa capuche vers l’avant, sachant pertinemment que rester immobile dans un lieu comme celui-ci finirait par attirer l’attention sur elle. Ce n’était pas le genre de Susan d’être en retard, à dire vrai, elle était même plutôt très ponctuelle, et cela commençait à inquiéter la jeune femme. Elle venait enfin de prendre la décision de bouger lorsqu’elle aperçut une silhouette marcher droit dans sa direction, une silhouette qui n’avait rien en commun avec celle qu’elle s’attendait à voir. Josephine pressa le pas, réfléchissant déjà à un plan B et un plan C pour s'échapper d’ici si les choses venaient à mal tourner. Elle commençait à sortir discrètement sa baguette de sous sa cape lorsque la voix de l’individu la fit stopper net. « You should be more careful, people might think you're up to something. » Ses doigts desserrèrent leur étreinte autour de l’objet et elle se retourna, un sourire maussade sur les lèvres. Joseph faisait désormais partie de ces personnes qu’elle pensait connaître mais qu’elle avait perdues de vue depuis trop longtemps pour être sûre de pouvoir leur accorder sa confiance. Ça la faisait se sentir étonnamment nostalgique, presque mélancolique. Elle aurait aimé pouvoir le considérer comme son vieil ami de toujours, le voir autour d’une bière et maugréer à moitié ébréchés sur ce gouvernement pourri jusqu’à la moelle. Mais ce gouvernement, il en faisait pleinement partie, il était flic, au même titre qu’à ses yeux, elle était brigadier au ministère. « You should be more careful, people might think you’re following me. I would have thought you were the runner, not the chaser. » La tête toujours masquée par sa capuche, la blonde se retourna pour faire face à son interlocuteur, balayant rapidement les environs pour vérifier que personne ne s’attardait sur cet échange inaccoutumé.