Elena est à moitié étalée sur lui quand il se réveille, et Lee ferme presqu'aussitôt les yeux de nouveau pour en profiter un peu égoïstement. Ils ont mal fermé les rideaux et un rayon de soleil lui réchauffe un morceau d'épaule et de torse. Il se sent tranquille, léger, heureux aussi. Il a mal à la tête après la soirée qu'ils ont passé hier à la Tour, et il se sent engourdi et sale après que lui et Elena aient simplement décidé de s'écrouler de sommeil après avoir roulé dans les draps, mais qu'importe - pendant un bref instant, Lee oublie ce qui l'attend ce soir.

Et puis lentement ses pensées rendues pesantes par la weed commencent à faire du sens, et Lee se souvient de la mission qui les attend tous à Gracefield.

Il rouvre les yeux pour mieux regarder le plafond, l'explorer d'un regard à moitié endormi. Il observe les murs agrémentés de dessins et de photos, le lit encore fait d'Elena de l'autre côté de la pièce, leur bureau partagé où s'entassent divers objets plus ou moins utiles, le post-it datant d'il y a six mois sur la porte ("DO YOUR LAUNDRY, NASTY x"), l'armoire pleine à craquer des fringues qu'ils partagent sans distinction, les sous-vêtements en train de sécher sur une ligne de linge près du plafond, leurs chaussures réparties aux quatre coins de la pièce qui en font un terrain miné. Ses yeux finissent par presque naturellement tomber sur le visage d'Elena à moitié caché contre son torse. Elle a l'air tellement paisible dans son sommeil, et Lee aimerait pouvoir prendre une photo de ce moment pour ne pas jamais l'oublier; à la place, il se concentre sur chaque détail pour s'en imprégner, ses cheveux bruns un peu en pagaille qui lui chatouillent les côtes, ses cils qui tirent des ombres sur ses pommettes, le grain de beauté presqu'invisible au-dessus de son sourcil, l'odeur de son shampoing, la chaleur de son corps, le calme qui l'envahit quand ils sont ensemble dans cette chambre où ils ne se retrouvent jamais assez à son goût.

Son téléphone vibre sur la table de chevet et Lee l'attrape par réflexe, soupirant en voyant le message de Sofia. Il se défait du bras d'Elena à regret, la regarde s'agiter et se rendormir sans un mot, avant d'enfiler quelques vêtements et de quitter leur chambre.

Il trouve Sofia à l'étage, dans la cuisine, perchée sur un tabouret avec une tasse fumante entre les mains. Malgré l'heure matinale, le manoir est en ébullition: Lee entend des gens se précipiter dans les étages, quelques voix, et à travers la fenêtre il peut voir des gens s'entraîner sans relâche avec leurs baguettes, déjà. "Hangover?" l'accueille Sofia en haussant les sourcils, et il hausse une épaule d'un air innocent. "Something like that." Il aurait bien aimé retarder ce moment, celui où ils ne peuvent plus faire demi-tour, où ils sont confrontés au fait que c'est ce soir, ou jamais. "Couldn't sleep?" demande-t-il en s'asseyant face à Sofia, attrapant un cookie de l'assiette encore chaude sans doute préparée par Alexis ce matin. Sofia a des petits yeux et l'air crispé, et elle hausse une épaule d'un air dépité. "Something like that."

Lee mâchonne son cookie silencieusement alors qu'elle boit son thé. Des gens se succèdent en cuisine, lui disent bonjour, essayent de se rassurer mutuellement - il y a une énergie étrange à St James ce matin, un parfum de détermination et d'angoisse à la fois. "So this is it," finit par dire Sofia en reposant sa tasse vide devant elle. "Your last mission on the field," précise-t-elle, et Lee se sent sourire malgré lui. "Yup. Are you going to miss me very much? - Yes." La sincérité de Sofia est toujours la bienvenue, et répand dans la poitrine de Lee une chaleur agréable. Après ce soir, il cessera de travailler pour elle et assistera Minerva à ses cours à la Fawkes. Il a peur - peur de ne pas être suffisant, de ne pas savoir assez, de décevoir son ancienne professeure - mais il a hâte, aussi. Surtout.

Il aurait aimé que Flora soit avec lui. Elle l'est toujours, d'une certaine manière, fichée dans un coin de son coeur, gardée précieusement dans ses pensées - mais il aurait aimé qu'elle soit avec lui, le rassure, lui dise qu'il s'en sortira. Il est plus facile de se lever et de continuer à vivre tous les jours, mais ce n'est jamais simplement facile - Lee a l'impression de se traîner un poids plus gros que lui partout où il va. Lentement, ce poids se diffuse dans tout son corps et dans chacun de ses membres, devient lentement supportable. Mais il demeure. Comme Kingsley le lui a dit, maintenant, il lui faut apprendre à vivre avec.

"You're getting soft, Alhambra." Sofia renifle en levant les yeux au ciel. "There is no shame or softness in admitting that I'm going to have a hard time replacing you - it's only the truth." Lee sourit, flatté malgré lui, en glissant de son tabouret pour aller préparer deux tasses de café. "Talk to Dennis," lui dit-il après une courte réflexion. "He's all grown now. - If you say so..." Sofia le rejoint, déposant sans la toucher sa tasse dans l'évier. "I'll need to meet with you later," lui dit-elle en le regardant verser le café préparé magiquement dans deux tasses et Lee lui adresse un sourire en coin. "Want to boss me around one more time? - Don't be cocky now. - I'll be there, Sofia. As usual. - As usual." Il se tourne vers elle, tasses en main, et, miracle! un sourire s'étire lentement sur les lèvres de la sorcière. Un sourire qui lui rappelle sa mère, et qui lui rappelle Flora, et qui lui rappelle Minerva, et qui lui rappelle Elena - un sourire plein d'amour et de tendresse, qui rappelle à Lee qu'il y a des choses qui méritent qu'on se batte pour elles. "Meet at twelve in my office. - Yes ma'am." Il hoche la tête d'un air martial dans sa direction avant de retourner dans les couloirs étroits du manoir, dans sa chambre.

Il dépose les tasses sur la table de nuit avant de se glisser de nouveau dans le lit, roulant jusqu'à pouvoir enrober Elena de ses bras, la serrant contre lui avec force jusqu'à ce qu'elle se réveille en grognant et en manquant de lui donner un coup de boule. "Good morning, sunshine, are you ready to save the world?" Il a l'air ravi en la faisant se tourner contre lui jusqu'à ce qu'ils soient nez-à-nez - elle, un peu moins. "Did you bring coffee?" grogne-t-elle sans pour autant se dégager de son étreinte et il dépose un baiser sonore sur son front avant de se détacher, roulant sur le dos pour attraper sa tasse et la lui donner. "Of course." Ils s'asseyent d'un même mouvement contre le dossier du lit, les draps les recouvrant à peine.

Silence religieux pendant qu'ils boivent, perdus dans leurs pensées. Quand ils sortiront de cette pièce, ils seront de nouveau confrontés au monde et à leurs responsabilités, à cette mission-suicide qui les attend. Ils ont encore beaucoup à revoir - le mécanisme de la bombe, le plan du manoir, l'extraction des prisonniers - mais plutôt que de fourmiller de pensées angoissées et désagréables, le crâne de Lee est animé d'un calme tranquille et placide. Une gorgée de café à la fois, une sensation à la fois. Il peut voir qu'Elena se réveille, et voir qu'ils ont vraiment foutu le bordel en rentrant hier soir; il peut sentir le fort arôme du café sous son nez, mélangé au shampoing floral de sa colocataire; il sent leurs jambes qui se touchent sous les draps, et la chaleur du soleil sur son corps; il peut goûter sa boisson amère mais rassurante, avec un arrière-goût de liberté.

C'est une belle journée, aux antipodes de ce qui les attend cette nuit - et Lee compte bien en profiter.