Elle avait le corps perclus de courbatures alors elle était allée courir, il n’y avait pas de fatigue qui soit et elle avait déjà sauté sa séance de la veille pour cause de réveil trop difficile après la pleine lune. Aujourd’hui il n’y avait pas d’excuse, il fallait éliminer les toxines et faire en sorte de garder la forme, elle en avait bien besoin pour le boulot, parce que ce n’était pas sa handler qui allait courir à sa place et risquer de se fouler un orteil.

C’était jour de recensement au ministère, une trivialité puisqu’elle y passait toutes ces journées, au ministère, mais elle devait tout de même se rendre au service de régulation des créatures (le mot lui donnait envie de dépiauter les plaques qu’elle croisait et indiquaient le chemin jusqu’audit service) pour être dans les normes. Elle avait testé deux fois la non-conformité, et pas de son plein gré, se retrouvant enfermée et interrogée pendant des heures – des jours – dans une pièce sombre, harcelée sans relâche pour lui faire avouer un crime dont elle n’était pas coupable simplement parce qu’elle était de ceux qui étaient toujours coupables. Le souvenir était encore frais, de fait, Lucy se gardait bien de se mettre dans une situation qui lui ferait retenter l’expérience.

Son rendez-vous terminé et sa docilité apparemment confirmée, elle se posta dans un coin et attendit en observant ses ongles. Ils avaient encore poussés, une chance qu’elle se promène avec une lime à ongle en permanence pour prévenir les cassures désagréables – et puis elle la vit, Esme qu’elle attendait depuis son spot derrière une plante verte comme un chasseur tapis dans l’ombre. Elle faisait toujours ça Lucy, sans même s’en rendre compte, elle investissait les lieux où l’on risquait le moins de la voir et n’en bougeait plus. Ce n’est pas qu’elle avait peur, juste qu’elle était bien là pour observer et qu’elle n’aimait pas non plus donner l’occasion à tous les passants du couloir de la regarder avec mépris pour le triangle brun qui ornait sa joue. « Hey Esme, » lança-t-elle en sortant de derrière sa plante, un fin sourire étirant ses lèvres. « I knew I’ll find you here, » dit-elle, ses yeux verts sondant la jeune femme. Elle avait un jour eu connaissance des horaires de visite de l’autre sorcière, elle ne les avait jamais oubliés. « How are you ? reprit-elle avant de jeter un coup d’œil vers le couloirs. Can we go outside ? » Elle voyait trop le ministère, était à ça de l’overdose, au moins elle n’avait pour une fois pas sa plaie de handler dans les pattes.

Lucy n’a pas beaucoup d’amis et elle s’en accommode très bien, elle a toujours beaucoup hésité avant d’approcher les gens, profitant souvent de la facilité avec laquelle Melinda va parler aux autres pour leur adresser quelques mots elle aussi ; c’est comme ça qu’elle a connu Esme. Lucy réfléchit toujours beaucoup et elle observe attentivement ceux qui l’entoure, elle sait depuis longtemps qu’Esme et elle n’ont pas beaucoup en commun, pourtant elle apprécie sa compagnie et fait toujours en sorte de la croiser lorsque celle-ci se présente au ministère.

- Yeah, as usual.

Lucy acquiesce, s’enquière sur l’état de son amie bien que par les temps qui courent, personne ne va vraiment bien quoique tout le monde affirme le contraire.

- Well, I'm good. It's just a bit annoying to come here, but you know, I'm used to it.

La blonde opine à nouveau alors qu’elle triture sa manche. Bien sûr qu'elle sait, tous les sorciers mixed et mordus ont du s'y faire de gré ou de force.

- What about you ? How is it at the VB ?

- I’m fine too, répond-t-elle. It’s been quite calm lately, so it’s fine, except for Yaxley who's still a bitch. Not surprising though.

Lucy aime bien plus les journées tranquilles à traiter des dossiers que celles à crapahuter à la poursuite de fugitifs. Si l’idée d’arrêter des gens ne la réjouit pas, son attrait pour la chasse se réveille pourtant toujours lorsqu’elle est exhortée à suivre le fumet d’un sorcier ou d’un autre hybride et elle en a un peu honte. C’est la raison pour laquelle les gens comme elles sont forcés à travailler pour la VB et l'idée a tendance à lui faire froncer les sourcils.

- Sure. I just need to be there in twenty minutes.

La louve acquiesce et jette un œil à sa montre, prête à surveiller l’heure pour son amie.

- So, what's up ?

Elle tourne ses iris verts en direction d’Esme pour la jauger un instant du regard. La vélane est belle et toujours bien apprêtée, Lucy lui envie un peu de pouvoir se pomponner comme elle veut quoiqu’elle détesterait faire son travail. Ses ongles à elle sont régulièrement cassés ou rongés par ses combats ou ses courses poursuites, elle n’a aucun intérêt à se maquiller puisqu’elle termine toutes ses activités en sueur et échevelée, et elle ne peut pas porter de vêtements trop courts ou pas assez pratiques pour les mêmes raisons – si elle avait eu le choix, elle n'aurait évidemment pas travaillé dans la police et encore moins été candidate aux combats menés dans les sous-sol des cabarets. Elle n'a pas eu le choix.

- Nothing important, I just have a fight tonigh and I hope it’s not gonna be too long so I can go back home before the curfew. You ? répond-t-elle alors qu'elles franchissent la sortie du ministère.

Lucy se demande souvent ce que ça fait d’être une vélane ou d’en porter le sang. Elle sait qu’un tel bagage ne ferait que l’encombrer, elle n’a pas une personnalité extravertie ni avenante, elle ne cherche pas à séduire les personnes qu’elle rencontre et préfère se fondre dans la masse ; assurément les origines vélanes ne le permettent pas. Lucy le voit bien avec Esme qui, même si elle ne peut vraisemblablement pas l’enchanter de son charme magique dégage quelque chose d’atirant qui doit donner envie à beaucoup de l’approcher malgré sa mine souvent renfrognée.

Lucy la comprend pour ça, elle non plus ne sourit pas beaucoup et n’adresse pas la parole aux autres plus que nécessaire. Elle est polie et aimable, mais jamais plus qu’il ne faut : ouvrir la discussion avec les inconnus la met mal à l’aise et elle préfère se contenter de fréquenter les personnes qu’elle connait bien et qui la connaissent bien. On lui a souvent dit qu’une jolie fille comme elle ne devrait pas rester autant en retrait, qu’elle pourrait faire de grandes choses avec un sourire comme le sien. C’est ridicule et ça n’a rien à voir, Lucy ne peut de toute façon pas aller contre sa personnalité introvertie pour faire plaisir à ceux qui la trouvent belle.

- God, that Yaxley girl you keep telling me about seems awful. Must be hard to work with her.

Lucy sourit, amusée d'avoir transmis à Esme l’agacement qu'elle ressent envers Yaxley.

- She is! Do you believe that she wears high heels every day? Even on mission, even in the woods, all the time.

C’était une aberration pour Lucy qui a depuis longtemps abandonné l’idée d’avoir un style vestimentaire chic et joli. La blonde ne sait pas comment on peut courir partout en talons ou même en robe sans craindre que la jupe ne se s’envole, elle préfère donc ses jeans et ses hauts couvrants et pratiques. De toute façon, elle n’aime pas être au centre de l’attention et vu comme les déplacements d’Isobel sont remarqués partout où elle passe à cause du battement de ses talons, Lucy préfère garder ses baskets et marcher discrètement. Mine de rien, elle envie tout de même un peu Yaxley qui n’a peur de rien et certainement pas d’en mettre plein la vue à tout le monde. Parfois elle aimerait avoir sa confiance en elle inébranlable.

- That stupid curfew thing is really starting to bother me.

- Yeah, me too, Lucy se mordille l’intérieur de la joue alors que ses iris balayent le couloir. But I don't think it’s gonna be better with time.

Les lois n’ont fait que resserrer la corde autour du cou des mixies, Lucy ne croit pas qu’après toutes ces réformes visant à les rendre serviles et invisibles, le gouvernement décidera de subitement inverser la tendance. Au contraire. L’idée la met mal à l’aise, plus de lois signifie plus de contrôles et plus d’arrestations. Lucy ne prend aucun plaisir à envoyer ces gens dieu sait où.

- Hmhh ... Well, nothing really important too. There's just a client who's been getting on my nerves for the past few days so that's a bit annoying, but that's it.

La blonde darde son regard vert sur Esme.

- Oh, why? demande-t-elle.

Le métier d’Esme ne doit pas être facile, Lucy sait d’office qu’elle détesterait ça et qu’il faudrait qu’on lui mette un couteau sous la gorge pour qu’elle s’y résolve, ça semble pourtant être le choix de son ami, si tant est que l’on considère comme un choix quelque chose vers lequel elle a été poussée parce que c'est tout ce qu’on lui a proposé.

- You like it ? The fights, I mean. Like, do you only do it for the money ?

C’est la même chose pour les combats de Lucy ; elle n’aime pas spécialement ça, a vécu des moments très difficiles à cause de face à face inégalitaires et pourtant elle le fait toujours, cinq ans plus tard. Elle a bien appris à les apprécier parfois, quand elle gagne et surtout quand elle s’en sort sans blessure majeure, dans ces moments-là, sa fierté explose et son humeur s’en trouve améliorée pour quelques heures, sans compter l’argent qu’elle ramène à la meute et qui sert souvent à rapporter un cadeau à Shona.

- Hmm, commence-t-elle. Actually it’s scary and often violent as fuck, and I’m not masochist so I don’t like being beaten up but sometimes it's worth it – elle fronce légèrement les sourcils. I don’t know really, ‘depends on the fight.

Parfois les combats sont surtout l’occasion d’extérioriser et ils sont comme une bouffée d’air frais lorsqu’elle peut laisser libre court à sa colère, notamment lorsque celle-ci est au plus haut aux alentours de la pleine lune. Dans ces moments-là, peut-être qu’elle avouerait que oui, elle aime se battre.

- I should come to see you at the Dancing Phoenix one of these days. It's been a while, and it could be better to meet somewhere else than at the ministry.

- Yeah but let me know when you want to come ‘cause I wouldn’t like you to see me being knocked out on the first round, répond-t-elle avec un sourire amusé.