Elle n’allait pas souvent hors du manoir des Crain. C’était son domaine, c’était son univers à elle. Là-bas, elle avait l’impression d’exister réellement. Faire le ménage, décider de ce qui était le mieux pour tous, c’était comme ça qu’elle se sentait le mieux. Alors sortir, au grand dieu que c’était difficile pour elle, ne serait-ce que de prendre la décision. Elle le faisait pourtant, quand il fallait aller à l’orphelinat, veiller que tout se passait pour le mieux là-bas. Son amour pour les enfants dépassaient bien tout le reste, il fallait bien le reconnaître. Mais ce soir-là, ce n’était pas à l’orphelinat qu’elle était. Elle avait attendu que chaque prières soient passées, elle avait attendu que le programme de la journée soit achevée pour décider de sortir faire un tour, prendre l’air comme elle aimait l’appeler. Elle n’était peut-être plus vivante, d’une certaine manière, alors prendre une grande bouffée d’air frais n’avait pas de grands intérêts, cela lui rappelait simplement qu’un jour, elle avait elle aussi été une humaine, une sorcière de Sang-Pur. Ce soir, elle n’était pas entrée dans le bâtiment sacré, elle avait observé et écouté la messe de l’extérieur. Un avantage d’être devenue une Crain, elle entendait tout. Quand la fin arriva, comme bonne croyante, elle fit le signe de croix avant de se ranger dans l’ombre. Elle attendrait que tout le monde sorte, que plus personne ne soit là pour entrer et être un peu seule avec le Seigneur. Elle n’était pas certaine qu’il soit d’accord avec les choix qu’elle avait fait et pourtant, elle croyait en ce qu’elle était devenue, elle croyait en cette nouvelle famille, aux Douze qu’ils formaient comme les Douze qu’il y avait eu par le passé. Tout n’était qu’un éternel recommencement en fin de compte mais ça, les non-initiés ne pouvaient pas le comprendre, ils n’avaient pas l’esprit assez ouvert pour cela. Les Crain étaient définitivement les seuls à savoir, ils étaient les seuls à comprendre que quelque chose de grand les attendaient, pas comme pour tous ceux qui se pensaient au-dessus des autres par leur nature vampirique. Ceux-ci n’étaient que des inférieurs, il fallait être clair. Mais alors qu’elle s'apprêtait à sortir de l’ombre pour pénétrer dans l’église, une voix lui parvint au milieu des murmures et autres chuchotements. Une voix qu’elle aurait préféré ignorer, pas pour son existence, mais pour les mots qu’elle prononçait. « Je vous demande pardon ? » La parole ne lui avait peut-être pas été adressée directement mais c’était tout comme. Mary-Eunice était toujours dans son coin, dans l’ombre à simplement écouter et attendre et ce qu’elle venait d’entendre n’était pas pour lui plaire. Chacun avait son avis sur les hybrides, sur le monde entier mais ce n’était pas une raison pour l’exposer ainsi sans se soucier de ce que les mots pourraient avoir comme effet. C’était tout bonnement incorrect et elle voulait des réponses, comprendre ce que les hybrides, comme il le crachait si bien, avaient bien pu lui faire.

C’était un hasard, le plus total, si elle avait entendu cette conversation. Elle aurait bien le temps de regretter plus tard sans doute mais c’était dans sa nature, dans son caractère de se mêler de ce qui ne la regardait pas alors quand il était question des hybrides, elle ne pouvait pas laisser passer. Elle aurait aimé être capable de ne pas s’en mêler et de passer à côté, de juste continuer de les écouter en silence, pour voir ce qui allait suivre mais elle avait signalé sa présence par cette simple question. Lourde de sens qu’elle était, lourde parce qu’elle était pleine de défi mais c’était peut-être ce qu’elle recherchait en réalité. L’homme était passé de l’anglais à l’espagnol avec beaucoup trop de facilité mais ça ne lui faisait pas peur, elle le défiait de faire de même avec elle. Mais ce fut bien dans la langue qu’ils avaient en commun qu’il trouva le culot de lui répondre. Il n’avait visiblement aucune honte à répéter ce qu’elle avait déjà très bien entendu la première fois. Elle, elle soutenait son regard, comme si ça allait être suffisant à ce qu’il comprenne qu’elle n’adhérait pas à ses propos, en partit en tout cas. Les loup-garous, c’était une chose, les vampires en général aussi et une part d’elle pouvait presque comprendre pourquoi il pensait cela des hybrides. Mais infime était la partie parce que Mary-Eunice, elle en était une, d’hybride, mais elle n’était pas comme les autres pour autant. Saloperies qu’il disait, elle eut une pensée pour le Seigneur tout puissant qui devait sans doute les écouter de là où il se trouvait. Saloperies d’hybrides, qu’il disait et dans cette simple association de mot, elle pouvait entendre la haine qu’il ressentait. « Un problème ? Mais voyons, quel problème cela pourrait-il me poser ? » Quand elle s’adressait à cet odieux personnage, elle essayait de garder son calme mais ce n’était pas chose aisé pour la jeune femme. Elle qui était toujours dans l’ombre, choisit ce moment pour en sortir, pour se montrer et il pourrait voir qu’il n’avait peut-être pas dit les bons mots au bon moment. « Donc, je répète, quel problème cela devrait-il me poser à votre avis ? » Elle n’était pas menaçante quand elle disait cela, quoi qu'on pouvait tout de même se demander ce qui lui passait par la tête avec le sourire qu’elle avait sur les lèvres. Mais elle n’avait pas honte non, elle disait ce qu’elle pensait et même si désormais sa nature n’était probablement plus un secret, elle voulait connaître le fond de la pensée de cet homme sans avoir à le bousculer quelque peu pour obtenir des réponses.

Prier, oui elle allait devoir prier et pas qu’une seule foi pour le salut de cet homme qui déjà l’insupportait. Elle n’était pas du genre à se mêler des affaires des autres, en tout cas pas directement mais ce soir, c’était différent. Elle était indirectement attaquée et elle ne pouvait pas laisser passer ça. Alors elle sortait de l’ombre à moitié pour questionner, s’intéresser et surtout comprendre. Elle ne se dévoilait que très peu. Elle lâchait un premier rire. Si elle avait vraiment voulu l’agresser, probablement qu’il ne serait plus en train de parler en ce moment même mais ça, il ne pouvait pas le savoir, elle veillait toujours à être discrète Mary-Eunice, c’était comme ça que ça fonctionnait dans un monde rempli de personne comme lui. Mais évidemment, ce n’était pas le genre de réponse qui la satisfaisait, elle avait besoin de plus Mary-Eunice, toujours plus alors elle redemandait, sortant un peu plus de l’ombre cette fois-ci afin qu’il voit qu’elle n’était pas vraiment prête à partager son avis. Il semblait si sûr de lui, trop pour que ce soit une bonne chose et si elle avait été une personne normale - enfin qu’était-ce la normalité dans leur monde - elle aurait sans doute passé son chemin, serait aller ailleurs, aurait fait comme s’il n’existait pas. Mais rien que de l’entendre, ça la dégoûtait profondément. Qu’on puisse penser comme lui mais surtout qu’on puisse y croire sans vergogne. « Instables... » Un rire la secouait, c’était plus fort qu’elle. Que Dieu lui pardonne, mais elle n’avait jamais rien entendu d’aussi stupide que cette déclaration. Si les hybrides étaient trop instables pour vivre convenablement en société pour reprendre les propos de cette personne, elle ne savait pas quoi dire de lui justement, de tous ceux comme ce jeune homme qui se pensait si supérieur qu’ils se donnaient le droit de juger et critiquer sur de simple théorie des choses qu’ils ne connaissaient finalement pas. « Je pense que vous devriez faire attention à vos paroles jeune homme. Vous ne savez pas dans quelles oreilles cela pourrait tomber et c’est justement à cause de propos tels que les vôtres, que les hybrides sont considérés comme instables, ils n’aiment sans doute pas beaucoup être traité de la sorte. » Elle ne se mettait pas beaucoup en danger en tenant de tels propos, elle aussi ne faisait que constater, ce n’était pas de sa faute après tout mais il n’allait pas falloir qu’il en fasse de trop, s’il ne voulait pas la voir s’énerver. Elle qui pourtant était si souvent calme, elle restait une de ces hybrides qu’il détestait et il ne fallait pas trop la chatouiller sur le sujet. « Vous avez vous même eu des problèmes avec eux ou ne sont-ce que des propos qui vous ont été colporté ? » Elle estimait avoir le droit de savoir les raisons de ce semblant de haine. Elle ne savait que trop bien que souvent, c’était infondé, juste pour faire comme tout le monde.

Chez les Crain, dans son univers, elle était une comère, pour ne pas dire qu’elle en était la reine et ça lui plaisait énormément. Elle aimait tout savoir, être au courant d’absolument tout, pour mieux s’en servir plus tard. Ce n’était peut-être pas très honnête mais c’était bien le dernier de ses problèmes. Là, elle encaissait ce qu’elle entendait, elle gravait dans son esprit les traits de cet homme pour être sûre de le reconnaître si jamais elle venait à le croiser de nouveau. Et cette fois-ci, elle ne lui ferait pas de cadeau. Veillant à rester à moitié dans l’ombre, qu’il ne comprenne pas ce qu’elle pouvait être, elle écoutait, elle luttait aussi pour lui faire comprendre qu’avec de tels propos, il ne devait pas tenir tant que ça à la vie, si jamais ça venait à se savoir, à s‘entendre. Elle, tout ce qu’elle voulait, c’était le mettre en garde, que Dieu la garde. Mais à l’entendre, il n’en avait que faire de ses avertissements et si ça la fit soupirer, ça la fit également sourire. Ce serait tant pis pour lui si nu accident venait à se produire. « Une menace ? Je ne vois pas bien pourquoi. » Il y avait pourtant toutes les raisons mais ça, il n’avait pas besoin de le savoir, pas maintenant en tout cas. « Disons que c’était une mise en garde, vous en faites bien ce que vous voulez après tout. » Elle haussait les épaules sans pour autant perdre son sourire. Au fond d’elle, elle espérait qu’elle serait présente si les choses tournaient mal pour lui, histoire de pouvoir lui dire qu’elle l’avait prévenu. Elle qui était si curieuse, quel péché, elle ne pu s’empêcher de demander s’il y avait une raison derrière toute cette haine. Dans le fond, la réponse aurait été négative que ça ne l’aurait pas surprise du tout. Le monde était ainsi désormais, pas besoin de motif pour haïr. L’ignorance faisait très bien son travail. Elle hochait la tête par moment, en l’entendant parler. Quel comédien il faisait, il aurait sans aucun doute pu faire fureur dans une de ces séries. Puis il vint à lui parler de l’ascendance de l’une de leur gouvernante, quart de harpie. Pauvre enfant qui avait dû se passer de son petit goûter. Si elle n’avait pas appris la politesse, elle se serait très certainement retrouvée à cracher à ses pieds pour lui montrer tout le dédain qu’elle ressentait pour les êtres comme lui. « Je n’ose imaginer combien ce dû être difficile de n’avoir personne pour vous essuyer le coin de la bouche après votre repas. » Bien sûr qu’elle se moquait, elle n’en avait rien affaire que son petit confort ait pu être tragiquement malmené parce que sa famille n’était que des bourges sans cœur et sans ouverture d’esprit. « Il y aurait bien des choses à dire effectivement, à commencer par le fait que c’est toute votre éducation qui est à refaire. » Elle poussait un soupir, navrée de devoir constater cela. « Mais je suppose que ce serait une perte de temps, quand les idées sont ancrées dans les esprits... » Elle ne terminait pas sa phrase mais elle espérait qu’il comprendrait ce qu’elle voulait dire. L’endoctrinement, c’était ce qu’elle voyait là. On lui avait appris que les hybrides étaient méchants, mauvais alors il répétait, il y croyait, c’était stupide.