Il est capable de passer des heures et des heures enfermé dans son atelier, à peindre toute sorte de chose que lui seul peut voir, avec pour seule compagnie les effluves entêtantes des peintures, leurs couleurs vives qu’il mêle sur fond de musique plus ou moins entraînante ou redondante. Mais hormis ces moments hors du temps, on peut clairement dire qu’Ambroise n’aime pas être seul, il déteste ça même. C’est peut être parce qu’il y est mal habitué. Avoir un jumeau a cet avantage de ne pas avoir à véritablement connaître la solitude. D’autant plus lorsque ce jumeau est Amaury qui a toujours su prouver - voir faire éprouver - sa présence. Son aîné prend alors les traits d’une drogue, Ambroise a besoin de son shot quotidien par recherche d’euphorie, de distraction, malgré le négatif qui va avec, entre autre la jalousie et le tapage sur les nerfs occasionnel en somme. Drôle de relation, il en est certain, mais Ambroise est d’une contradiction toute particulière, de celle qui renverse les choses si bien qu’elles n’ont plus ni queue ni tête. Il n’est donc pas rare, voir même carrément régulier, que le jeune homme cherche à passer du temps avec son jumeau. Alors oui, les frères Flamel se voient à peu près tous les jours que Dieu fait, pour le business surtout, pour les soirées mondaines aussi, mais c’est toujours dans un contexte un peu particulier, plus par partenariat qu’autre chose, enfin on pourrait le croire en tous cas. Le fait est que les Flamel Twins sont devenus une marque. Le fait est qu’ils sont aussi infiniment plus que cela.

Ambroise erre et hante la maison qu’il partage avec son frère. Elle est assez grande pour qu’ils puissent s’éviter si l’humeur leur dit mais c’est exactement tout le contraire de ce que recherche le benjamin à ce moment précis. Vous voyez, le problème est qu’il est rentré chez eux depuis seulement une grosse demi heure mais qu’il s’ennuie déjà, mortellement même. Il aurait aimé être à un gala, chez on amant du moment, boire un verre entre amis ou juste trouver quelqu’un avec qui faire une tournée au casino, quoique ce soit pour combler ce vide avec un brin de chaleur. A la place, il est seul entre quatre murs et ne se sent pas du tout de se perdre en pleine catharsis dans son atelier. Ce genre de chose, il les garde pour les moments où il est à fleur de peau et ce jour n’en est pas un. Aucune vision troublante n’est venu le mettre à mal, aucun cochon volant, aucun monstre, aucun simili de réalité, ce qui l’a mis d’humeur légère, le genre de mood où il veut tout simplement profiter un peu. Et si lui, qui a pourtant une vie sociale bien remplie en général, n’a rien de distrayant comme événements sous la main, il sait qu’Amaury, qui a une vie sociale encore plus chargée que la sienne en général, saura trouver un remède à son mal. Alors Ambroise s’invite dans la chambre de son frère sans vraiment lui demander son avis et il lance tout en s’affalant sur le lit de son aîné. « Je m’ennuie mortellement. » A partir de ce moment là, Amaury doit sûrement savoir que son petit frère va tout simplement le coller. Il faut dire que ce n’est pas la première fois qu’Ambroise lui fait le coup. Comme je disais, il déteste être seul. « Qu’est ce que tu fais ? » Le peintre regarde son frère avec un sourire en coin, parce qu’il sait très bien qu’il se tape l’incruste total et quelque part, comme tout bon petit frère, ça le fait rire, même si il a quasi la trentaine. Il y a des choses qui ne changeront jamais dirions nous.

La journée s'étire mollement et Amaury souffre de cette langueur intenable. Avachi devant un épisode d'une série quelconque qui passe sur les ondes cristal, il ne voit pas le temps défiler. Il imagine les scènes en se basant sur les dialogues et en se grattant la barbe. Il en profite pour envoyer un hibou à Milan, son amant régulier, pour lui demander s'ils peuvent se voir le soir-même. C'est qu'Amaury a besoin de se changer les idées, de bouger, de faire quelque chose. Il ne supporte pas de ne rien faire. Et s'il est là aujourd'hui, c'est que ses plans ont été annulés. Polly avait sans doute quelque chose de mieux à faire... Même si Amaury en doute. Quoi qu'il en soit, il finit par se pencher sur le projet du casino. Il y a encore tant de choses à faire, tant de soucis à régler. Pourtant le Flamel ne s'en soucie guère, bien trop occupé à imaginer de nouveaux jeux d'argent qu'ils pourraient utiliser pour se faire quelques gallions, tout en amusant la galerie. La clé de la réussite, c'est de faire payer les gens en leur donnant l'impression qu'ils sont contents de donner leur argent pour quelques volutes de fumée. Ah ça le grand spectacle, les jumeaux connaissent !

En parlant de jumeaux, Amaury entend Ambroise pointer le bout de son nez. Il reconnaît immédiatement le musc de son frère et la légèreté de ses pas. Il le sent s'étaler de tout son long à côté de lui, sur son lit. “ Je m’ennuie mortellement. ” Amaury a un rictus. “ Qu’est ce que tu fais ? ” Ambroise a toujours été comme ça. Du genre à lui coller aux basques dès qu'il s'ennuie. Si ça en agacerait plus d'un, Amaury s'en délecte. Il aime plus que tout l'attention que lui porte son pseudo-cadet. “ Attends... Je crois que Zelda vient de rencontrer sa jumelle maléfique... ” Il tend vaguement l'oreille, pour ne pas perdre une miette de son épisode d'Amour, Gloire et Magie, puis finit par abandonner et éteindre sa boule cristal d'un coup de baguette. “ Bon, tant pis. De toute façon je m'ennuie aussi. J'étais en train de réfléchir à un autre tour pour notre casino, il ajoute sans grande conviction. Ça te dit qu'on sorte ? Qu'on aille prendre l'air et boire un verre dans le centre-ville ? ” L'idée de sortir lui donne déjà le baume au cœur. “ Et puis avec un peu de chance, on pourra se faire inviter par des sorciers toujours dans le placard ? ” Un sourire espiègle nait sur ses lippes. C'est qu'il est bien pratique d'user les désirs refoulés de sorciers contraints de vivre cachés pour leur extorquer quelques verres gratuits.


Si ton euphorie grandissante se veut communicatrice, ton visage se fige alors que t'entends des pas dans le couloir. La porte s'ouvre en grinçant, puis plus rien. Tu retiens ton souffle. “ Qui est là ?, tu demandes à ton frère, perplexe. ” Comme à chaque fois, tu n'as pas la présence d'esprit de réaliser que si tu ne sens l'aura de personne, c'est qu'il s'agit d'une hallucination. Mais comme à chaque fois, tu te laisses prendre au jeu. “ Venez. Venez dehors, fait la voix. ” “ Quoi ? ” “ Venez. Venez, elle insiste, sa voix se faisant de plus en plus distante à mesure que tu l'imagines s'éloigner dans le couloir. ” Alors, par instinct, tu décides de la suivre et de prendre ton frère avec toi.