Harry n'est pas encore parti pour Londres: bientôt! Il a hâte, il a déjà préparé une valise de vêtements et d'affaires alors que Draco disait à sa mère qu'il allait nettoyer la seconde chambre où Harry dormira. Il a hâte! Hâte de voir Diagon Alley, hâte de découvrir sa nouvelle chambre, hâte de... pas grand-chose d'autre en fait. Il n'est pas du tout sensé sortir, et il ne voit pas de bonnes raisons de le faire. Il sait que c'est pour sa sécurité qu'il ne se mélange pas avec le reste du monde sorcier. Dans une semaine, il devra donner son discours... Harry a un peu peur. Il n'a jamais aimé parler en public, n'a jamais aimé être regardé. Il a peur, mais tous les soirs il essaye d'écrire, avec un thé et sa machine à écrire, Narcissa l'aide bien entendu, mais il veut faire la plupart tout seul. Il veut que ce soit son discours. Son moment.

Même si ça veut dire faire les cent pas à en user le parquet, même si ça veut dire froisser des dizaines de parchemins, même si ça veut dire être tant frustré que rien ne peut le calmer. Harry finit par sortir, après une longue journée passée dans sa chambre, pour se dégourdir les jambes et s'éclaircir les pensées. Le domaine Malfoy est plutôt conséquent, et beau, même si le vent frais a tendance à lui faire regretter sa décision. Il fait rapidement chemin jusqu'à l'abri de jardin attenant à la maison, faisant sauter le loquet d'un coup de baguette pour attraper son balai de vol. Le Nimbus 2007 est le dernier modèle qui existe, et certains disent qu'il va plus vite qu'un Expelliarmus... Harry n'a pas encore pu tester cette théorie. D'un coup de baguette, il ensorcelle le Souaffle pour qu'il se mette à errer autour du manoir, avant d'attraper ses lunettes de vol et de les enfiler autour de sa tête. Peu après, il enjambe le balai et, d'un puissant coup au sol, s'envole.

Il n'y a rien de tel que le vol pour lui éclaircir les pensées. Harry ferme un peu les yeux, quelques instants, profitant du vent sur son visage et dans ses cheveux, avant de les rouvrir et de chercher le Souaffle du regard. Il n'est pas un Poursuiveur, bien entendu, mais il n'est pas d'humeur à chercher le Vif d'Or et se contente ainsi de jouer avec l'énorme balle en cuir, se faisant des passes et donnant parfois des puissants coups de pied dedans en attendant qu'il revienne comme un boomerang. Au final, après une bonne heure à voler sans penser à rien d'autre, Harry vient se poser près de l'abri de jardin, remarquant au passage que Pettigrew s'y trouve. Il ne l'a pas vu sortir — il ne faisait pas attention à grand-chose — et se sent un peu, bizarrement, embarrassé. Il ne fait mine de rien en rangeant balai, lunettes de protection et Souaffle dans l'abri, le verrouillant après lui. “ J'ai faim, ” dit-il comme introduction à l'homme qui le regarde. C'est l'heure du thé, normalement, mais Harry s'est trouvé un appétit de géant ces derniers mois. Il sait que Pettigrew est le même. “ Joins-toi à moi. ” L'ordre n'en est pas vraiment un, pourtant sa voix est ferme et Harry se détourne sans vérifier que Pettigrew le suit. Il ne l'apprécie pas, malgré ses longs mois passés à vivre au même endroit que lui, et si il le méprise, ce n'est plus ouvertement.

“ Pip, ” appelle Harry une fois à l'intérieur du manoir et l'un des elfes des Malfoy apparaît devant lui — il se souvient douloureusement de Dobby. “ Amène-nous du thé et des gâteaux. — Oui monsieur Harry, oui, Pip va amener du thé et des gâteaux-- ” commence l'elfe mais Harry l'ignore, prenant plutôt place dans un confortable fauteuil en attendant, désignant celui d'en face pour Pettigrew. “ Tu sais, pour Londres, n'est-ce pas? ” Il n'attend pas pour enchaîner, véritablement curieux et pas du tout ironique envers lui pour une fois: “ Qu'en penses-tu? ”

C'est Narcissa qui est venue lui annoncer les nouveaux projets d'Harry. Partir deux ou trois jours par semaine à Londres, plus précisément à Diagon Alley. Une colocation avec Draco. N'ayant pas son mot à dire, il s'est contenté de répondre d'un hochement de tête à la maîtresse des lieux. Il n'apprécie pas vraiment l'idée, y trouve de nombreux défauts mais reconnaît aussi certains avantages - le binoclard ne va plus s'ennuyer. Le discours du survivant est prévu dans peu de temps et sera le début des emmerdes, d'une vie avec plus de rebondissements. Ça l'inquiète. C'est bien pour cette raison qu'il s'est dégoté une chambre constante dans l'une des auberges miteuses de Knockturn Alley, histoire d'avoir le plus souvent possible un œil sur son petit protégé. Il ne sait pas vraiment s'il agit pour ce garçon ou pour obéir sagement au Lord. Grande question de sa vie.

Il s'est éloigné pendant plusieurs heures du manoir Malfoy, menant une folle aventure visant à retrouver une pâtisserie londonienne qu'il mangeait étant plus jeune avec sa mère. Malgré tout son investissement, Peter n'a pas été capable de la retrouver ou même de dégoter son nom. C'était quelque chose de dodu, avec beaucoup de crème et un goût merveilleux - quelque chose qui lui change de la cuisine des elfes. Une fois rentré et après s'être servi lui-même un verre d'eau dans la cuisine, il s'arrêta quelques instants devant le spectacle aérien de dehors. Il regarda sagement Harry faire des figures dans le ciel et s’entraîner à ce sport inné aux Potter - son cœur se ressert quelques secondes, il imagine James faisant des passes à son fils, à ce gamin qui aujourd'hui joue seul. Sauf que Peter n'est pas là pour regretter son passé, seul le présent compte. Après avoir pris une bonne inspiration, Pettigrew s'est avancé dans le jardin pour rejoindre le fils prodigue. Les bras détendus le long de son corps, les yeux légèrement plissés et la mèche virevoltant au gré du vent, il passe inaperçu (comme toujours) et va tranquillement s'installer contre l'abri de jardin. Il n'a pas su s'empêcher de faire aller plus vite le souaffle, à certains moments, sans que ça n'éveille des soupçons, intrigué par les limites du jeune homme. Il s'attendait à ce que le morceau de cuir se fasse rattraper en un rien de temps. C'est prévisible. Lorsqu'il descend enfin de son balais, Peter attrape une moue légèrement embarrassée, avec ce fameux sourire que nous faisons tous lorsque l'interlocuteur est inconnu. « J'ai faim, » Pettigrew redresse légèrement la tête puis s'avance en direction du jeune homme, « Je peux dire à l'un des elfes de te préparer quelque chose- » Il n'a pas le temps de finir sa phrase qu'Harry avance sans se retourner ou s'arrêter, loin d'être épuisé de sa petite séance de vol. « Joins-toi à moi. » Peter ferme un court instant les yeux en pressant le pas, suivant le jeune homme de quelques mètres derrière lui. Il n'arrive clairement pas à s'habituer à sa situation. Il balance constamment entre le sentiment de revoir un vieil ami et celui de voir un jeune ennemi, un individu qui, au final, décide s'il peut vivre ou non. Ça le dérange et le rend parfois mal à l'aise, il ne sait pas comment agir et parler avec Harry, il ne sait pas comment être. S'il doit jouer un rôle ou être lui-même, sauf que le véritable Peter semble s'être perdu en chemin.

Une fois à l'intérieur, ils continuent d'avancer jusqu'au grand salon - Harry fait sa commande sans poser ses yeux sur Pip, comme si quelque chose le dérangeait ou venait titiller de vieux souvenirs. Peter pense avoir une petite idée en tête, mais mieux vaut ne pas en parler. Ça ne sert à rien dans tous les cas. Il s'installe devant le jeune homme, reste sur l'avant du siège, ne va pas s'enfoncer dans ce dernier. Il pourrait s'endormir en quelques secondes. Mieux vaut éviter qu'on le retrouve en train de ronfler dans ce fauteuil qui vaut (sans doute) bien plus cher que lui. « Tu sais, pour Londres, n'est-ce pas? » Peter relève la tête et attrape un petit sourire, acquiesçant légèrement. « Qu'en penses-tu? » On demande son avis. Pour faire genre, c'est certain. Il hausse légèrement les épaules, « Eh bien.. » Un soupire léger s'échappe de ses lèvres tandis qu'il vient poser ses yeux sur les flammes de la cheminée. « Mon avis ne compte pas vraiment, » Pas du tout. « Le principal c'est que ça te convient. » Il repose lentement ses yeux dans ceux du jeune homme. « Ça va te changer d'ici, c'est pas plus mal je pense. » Évite de penser. « Mais ça ne dérange pas Draco ? C'est un garçon plutôt solitaire. » Au même moment, Pip revient accompagné d'un plateau en lévitation, ce n'est pas très rassurant.

Harry, bien entendu, s'en fiche bien de l'avis de Peter. Ce n'est pas lui qui va apporter du doute sur sa décision ou qui va le faire changer d'avis. Mais il est curieux, tout de même. Il est toujours curieux de ce qui se trame dans la tête de Pettigrew. L'homme qui l'a rendu orphelin, l'homme qui lui donne un semblant de famille aujourd'hui. Bien sûr, Harry ne considère pas Narcissa et Peter comme sa mère et son père — ce serait un peu malsain, il pense, après ce qu'il a subi de leurs mains — mais comme ses sauveurs. Ils ont des moments étranges, domestiques, quand ils mangent en silence ou qu'ils naviguent la même pièce dans une harmonie familière. Des fois en revanche, c'est plus compliqué. Harry s'énerve et s'agace et refuse des le voir. Surtout Pettigrew. Il a fait preuve de trop de bonté avec lui. « Eh bien.. » Pettigrew détourne les yeux et Harry se permet de l'observer, vraiment le regarder. Il aime bien faire ça: reconstituer ses souvenirs des souvenirs de Snape et essayer d'assimiler le jeune garçon joufflu et jovial à l'homme qu'il a en face de lui. Ses traits sont marqués, comme l'ont été ceux de Sirius après Azkaban et il a toujours cette ombre dans le regard et sous les sourcils: un air grave, presque sévère. Il est tout en nerfs et tout en longueur. Harry imagine qu'il pourrait faire peur, si il n'était pas Peter Pettigrew.

« Mon avis ne compte pas vraiment. » Harry ne répond pas, et ne lui fera pas l'insulte de lui mentir. « Le principal c'est que ça te convient. » Ses yeux reviennent vers lui et Harry se crispe légèrement, les jointures de ses mains sur les accoudoirs devenant blanches. « Ça va te changer d'ici, c'est pas plus mal je pense. » Harry hoche la tête sèchement, il pense aussi. Il en a besoin. Il a même le droit. « Mais ça ne dérange pas Draco ? C'est un garçon plutôt solitaire. » Harry renifle de mépris alors que l'elfe revient. Le Survivant ne lui accorde même pas un regard, il a appris à vivre avec les elfes, à accepter leur place dans le monde. Chacun a sa place. Inutile de se battre contre les règles de la nature. “ Là, ” indique-t-il un peu sèchement à l'elfe en désignant le coin de la table le plus proche de lui. “ Et alors? ” demande-t-il à Peter, en parlant de Draco. “ Il n'a pas le choix. J'ai demandé à Narcissa, et j'ai demandé au Lord, et ils ont dit oui. ” Il hausse les épaules. “ Je ne prends pas beaucoup de place. Et de toutes façons, il n'a pas son mot à dire. ” Harry n'aime pas trop Draco. Draco. Draco. Rien que le fait qu'il soit incapable de penser à lui en tant que Malfoy l'irrite.

Il fait la moue, attrape un biscuit, l'avale d'une bouchée. Harry grignote quand il est un peu anxieux, il grignote dès qu'il a trop d'émotions, surtout maintenant que la nourriture est accessible à toutes les heures du jour et de la nuit, mais ne semble pas pouvoir revenir à sa silhouette d'avant. Pas trapu, mais presque: en bonne santé. Il reste mince, les yeux un peu creusés, ses membres osseux. “ Je pense que ça va me faire du bien. ” Il est ici depuis des années maintenant. Avec seulement Narcissa, Peter et Draco, parfois (rarement) le Lord, une seule fois Ollivander. Pour être simple, on a vite fait le tour. “ Je n'aurai pas le droit de sortir. Sauf pour... ” Le regard de Harry s'assombrit légèrement et il avale un autre biscuit. “ Le discours. ” Sa voix est tendue, un peu blanche, un peu mal à l'aise, véritablement honteuse. Il n'arrive pas à écrire, à se décider. “ Tu seras là, n'est-ce pas? Ils ne l'ont pas encore annoncé, mais je crois que Narcissa a dit que le Lord redoutait la présence de... ” Il fronce les sourcils. Il n'arrive pas à les nommer. Ron, Hermione, Ginny, Neville. Sirius. Alors il détourne les yeux et avec sa baguette, se concentre pour verser deux tasses de thé depuis la théière dans deux tasses. Il envoie l'une d'elles flotter vers Pettigrew, concentré à la tâche. “ D'eux. ”