Mikhail,

Merci pour l'invitation. J'ai renvoyé le faire-part à l'adresse donnée avec les coordonnées de mon invitée - tu auras sans doute entendu parler d'elle, il paraît qu'elle est célèbre. Thema est une chère amie que je connais depuis des années. Je pense que tu apprécieras sa conversation.

Je l'admets ouvertement: il me tarde de découvrir votre mystérieux fief. Je suis simplement déçu que le marié sera sans doute trop occupé pour me faire une visite guidée. Avec un peu de chance, tout le monde sera trop occupé pour se préoccuper du petit sang-mêlé qui se perdra sur le chemin des toilettes et essayera de déverouiller toutes les portes... je plaisante, bien sûr. Ne me dénonce pas à ton ombre, promis, je serai sage. Je suis toujours sage.

Tu seras aussi ravi d'apprendre que je pratique diligemment mon russe et que j'ai mis la main sur un fantastique livre sur les Whisperings que j'ai déniché dans une librairie de Coventry - je pense que le.a libraire ignorait complètement la teneur du bijou qu'iel possédait jusqu'à ce que je lui offre quelques dizaines de Gallions pour l'ouvrage. Je l'apporterai avec moi la prochaine fois qu'on se verra, il y a un passage que j'aimerais étudier avec toi.

Quand est-ce qu'on se verra?

Félicitations encore pour tes fiançailles, et ton futur mariage.

Warm wishes,
Ephraim

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L'invitation est précieusement gardée sur son bureau, à portée de main et d'oeil pour quand il travaille - plus d'une fois, Ephraim s'est surpris à observer la calligraphie élégante sur le papier cartonné alors qu'il travaillait dans sa chambre devenue atelier, et s'est surpris à penser à Mikhail en sa tenue de marié au bras de Vera Slughorn, future Strugatsky. L'image l'amuse légèrement, d'une manière qu'il est bien en peine d'expliquer.

Ephraim n'a jamais envié les sang-purs et leurs coutumes arriérées, ayant passé bien trop de temps au contact de sorciers américains pour comprendre le véritable intérêt de préserver un héritage fictif et sans véritable importance. Intellectuellement, il peut vaguement comprendre la chose. C'est après tout ce que ses ancêtres ont fait pendant des centaines d'années, préservant leur héritage immémorial et précieux, envers et contre toutes les tragédies dont a souffert leur peuple en Europe et ailleurs. Mais en tant qu'homme de science, Ephraim ne peut pas s'empêcher d'être légèrement incrédule face à la valeur que placent certains sorciers dans le sang magique.

Peu lui en chaut au final - l'invitation, plus que de l'incrédulité et un vague mépris, lui inspire une profonde satisfaction et Ephraim a hâte de se rendre au mariage. Au bras de Thema, en plus de tout. Il pense que Mikhail n'appréciera pas qu'il soit accompagné, et il sait que Django, en l'apprenant, sera au pire agacé, au mieux furieux.

Ephraim n'a jamais trouvé le moindre intérêt à la mesquinerie - il réalise seulement maintenant combien elle peut être satisfaisante.

L'invitation suivante aussi l'a rempli de satisfaction, et il a soigneusement préparé son apparence pour l'occasion. Il va se raser de frais pour le mariage (et retarde l'expérience autant que se peut - il déteste ça), mais il a tout de même taillé sa barbe et passé une main gelée dans ses cheveux avant de se rendre à l'adresse donnée par Mikhail dans le Londres sorcier. "There are some leftovers from last night for dinner, don't wait for me," a-t-il dit à Salomon en sortant. "And don't bother Felix, he needs some rest."

La porte de l'appartement est sobre et n'indique en rien le luxe qu'Ephraim s'attend à découvrir à l'intérieur - mais depuis qu'il le connait, Mikhail l'a surpris plus d'une fois alors il s'invente précautionneux en rangeant ses attentes et sa curiosité dans un coin de son crâne, levant simplement la main pour frapper sur le battant trois fois. Armé comme toujours d'une patience à toute épreuve, Ephraim se redresse en lissant les pans de sa cape sur sa poitrine, son autre main se refermant sur son sac en cuir en bandoulière où se trouvent son livre et quelques affaires.

Quand enfin la porte tourne sur ses gonds, il reporte son regard clair sur le visage qui apparaît dans l'embrasure - et doit réprimer un très léger sourire en croisant le regard acier de son amant, qui l'écrase de sa stature de et sa présence d'une manière qu'il a toujours énormément apprécié. "Hello, Mikhail." Ses yeux quittent seulement les siens pour essayer d'apercevoir l'appartement derrière son épaule, curieux comme toujours. "Your letters have satiated my desire to speak with you, but you are still a sight for sore eyes." Ses yeux bleus reviennent sur lui, pétillants de malice, et il fait un pas pour entrer. Les compliments lui viennent toujours avec un naturel guindé mais sincère, surtout quand ils sont mérités - et si ses mots distants ne parlent pas pas vraiment pour ses sentiments, ses yeux avides le font pour eux. "Thank you for making the time to see me."

Ephraim,

C'est toujours un plaisir de te lire.

Nous avons bien reçu la confirmation de ta venue à mon mariage. Tu auras tout le loisir de visiter le palais et de combler ta curiosité lors du mariage - du moins pour les portes qui daigneront s'ouvrir et si tu en trouves le temps. Loin de moi l'idée de te mettre à rude épreuve en t'offrant un aperçu de ma demeure sans te donner l'occasion de te rassasier quelque peu. Sans excès bien entendu. La curiosité doit savoir se cultiver.

Tu éveilles la mienne en mentionnant ce livre sur le whisperings et je me ferais un plaisir de le feuilleter à tes côtés la prochaine fois. je t'invite à venir dîner chez moi (pas au palais, ne crie pas victoire trop vite) dans trois jours, tu trouveras l'adresse au dos de la lettre.

Mes journées sont tout autant courtes qu'occupées par diverses affaires mais je me fais une joie de te retrouver bientôt.

Warm wishes,
Mikhail

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La prudence voudrait que Mikhail n'invite personne d'autre que sa famille à s'insinuer derrière les portes de cet appartement au style londonien qu'il partage avec Ilya. Et si la plupart du temps, le Suprême respecte cette règle implicite qu'il s'est lui-même inventé, ce soir il a fait une exception, une entorse à son règlement. Ilya est bien entendu au courant de la venue d'Ephraim Guterman, et les tatouages qu'ils partagent tous font état d'une couche de protection supplémentaire. Toutefois, son impatience est décuplée par l'impression mensongère de l'infraction, par l'illicite rencontre à quelques jours de son mariage et par la promesse d'une soirée aussi bien enrichissante qu'intéressante.

Sachant la ponctualité dont ne se défait jamais le britannique, Mikhail a tout organisé à l'avance ; le repas préparé par d'autres mains que les siennes attend sagement dans la cuisine sous le regard d'un sort réchauffant et d'autres mains sont venues lustrer les pièces sans laisser une seule trace d'usure sur le mobilier qui compose l'appartement - un mélange d'ostentatoire et de sobriété. Pour la première fois depuis des jours, il a quitté relativement tôt les bureaux Dorés pour rejoindre cette deuxième maison qui, s'il ne la fréquente que peu, renferme bien plus d'effets personnels que ses appartements au palais.

Ils seront seuls ce soir, et si Ilya devait à rentrer il a reçu la consigne de passer par l'autre porte qui mène directement à son étage. Tout est donc mis en place pour qu'une soirée calme permette à Mikhail d'oublier à nouveau les tracas de sa famille dont il arrive de plus en plus difficilement à se défaire ces derniers temps.

En l'attendant, il ne se demande aucunement pourquoi fait-il cette entorse à ce strict quotidien qu'il se doit de respecter, ni-même pourquoi avoir laissé en évidence quelques objets pouvant éveiller la curiosité de son invité tout en se gardant bien de sortir de sa poche la pièce d'échec fabriquée par les mains d'Ephraim. Parce que rien n'est réellement entrepris par le Strugatsky sans une arrière-pensée. Par exemple, Mikhail se souvient avoir apprécié la fureté dont l'alchimiste pouvait faire preuve lorsqu'ils se rencontraient en Russie et les longues conversations intellectuelles qui s'accompagnaient de tout le reste.

Ce qu'il préfère le plus, c'est de tout préparer, pour qu'ensuite Ephraim Guterman vienne le surprendre.

Lorsqu'il va lui ouvrir, dans un ensemble taillé sur mesure dont quelques reflets émeraudes captivent la lumière et semblent serpenter autour du tissu, un sourire discret fait son apparition sur son visage. Leurs yeux se rencontrent et semblent se saluer en même temps que ne le font leurs lèvres en prononçant ces cinq lettres hello, dans une conversation qui n'appartient qu'à eux. "Your letters have satiated my desire to speak with you, but you are still a sight for sore eyes." Il voit son regard passer de sa personne à l'appartement qu'il cache par son corps et décide de se décaler un sourire entendu sur les lippes. "Thank you for making the time to see me." "The pleasure is all mine," répond-il par politesse en espérant se tromper. "You may enter, Here there's not a door that won't open under your investigation," ajoute-t-il en l'emmenant jusqu'au grand salon. "Let's say it is a way to apologize for the fact that I won't be able to entertain you with a guided tour during my wedding." Mikhail plaisante légèrement, car il ne s'excuse que très rarement et a bien conscience de ne pas avoir à le faire présentement. "Please, make yourself comfortable." Et il aurait presque pu se laisser à dire make yourself at home, si tout ce qui nous passait par l'esprit était bon à dire. Ce qui n'avait jamais été le cas.

Ephraim n'aime pas les gens - il les tolère. Seuls ses frères ont la moindre valeur à ses yeux, et savent réveiller en lui quelque chose qui ressemble à de l'amour. Les autres sont jetables. Des outils ou des jouets à utiliser jusqu'à se lasser, ou jusqu'à ce qu'ils perdent leur utilité et leur valeur. Ephraim a eu des compagnons, pendant des mois et des années, mais y repenser le laisser terriblement indifférent, malgré le bon temps qu'il a pu passer auprès d'Evgeny et Abraham. Ils n'étaient que des parenthèses dans sa vie, tout comme Mikhail en Russie.

Sauf que maintenant, il est là, sous ses yeux, dans sa vie - ramené par le hasard ou le destin, Ephraim ne sait pas trop en quoi croire. Comme souvent, il se contente de profiter de ce que la vie et HaShem lui offrent, même si c'est une distraction qui la forme, l'odeur et la voix d'un prince russe laissé à Moscou il y a quelques années. "The pleasure is all mine." Les coins des lèvres d'Ephraim se retroussent, mais il ne lui donne pas tort - pas à haute voix en tous cas. "You may enter, Here there's not a door that won't open under your investigation." Ephraim ne se le fait pas dire deux fois, et pénètre dans l'appartement en laissant ses yeux pâles courir sur chaque mur, chaque meuble, chaque détail. Comme il s'y attendait, l'endroit est richement décoré, mais avec goût, et cette sobriété sous-jacente qui semble vivre à travers tout le luxe dont se pare Mikhail en toutes circonstances. Il se demande si il vit seul, ou avec l'homme qui le suit à sa trace comme son ombre, ou avec ses soeurs.

En tous cas, les lieux semblent déserts alors qu'ils pénètrent ensemble dans un grand salon, Ephraim levant la main pour commencer à dégrapher sa cape. "You should be careful with such invitations, Mikhail," lui dit-il en coulant un regard en coin vers lui. "Let's say it is a way to apologize for the fact that I won't be able to entertain you with a guided tour during my wedding." Ephraim hoche la tête. Il aura bien mieux à faire, la cérémonie et la réception et le rituel et le reste, et il ne s'en formalise aucunement. Il sera en bonne compagnie de toutes façons, Thema et lui s'entendent bien (pas vraiment). "You never need to apologise to me," répond simplement Ephraim après un dernier regard sur la pièce, ses yeux clairs revenant bien vite au visage de Mikhail.

"Please, make yourself comfortable. - Thank you." Il hoche la tête et sa main finit de défaire l'attache de sa cape, qu'il plie soigneusement et repose sur le dos d'une chaise. Son sac y finit aussi et il s'approche ensuite de la fenêtre, après avoir lissé sa chemise sur son torse dans un geste mécanique, sans y penser. "I could never live in London," commente-t-il après une observation silencieuse de la ville, au-dehors. Si il s'est débarassé de son épais accent gallois très vite, pour une prononciation et diction parfaites dignes de son intellect, il a toujours eu du mal à se défaire de ses racines et du manoir des Guterman. Il se souvient de l'énergie constante de New York quand il a vécu et parfois ça lui manque. Londres est une autre sorte de ville. Intense et inégale, terrifiante parfois.

Il se tourne de nouveau vers Mikhail. "But I see why a busy bee like yourself would enjoy it." D'un peu plus loin que plus tôt, il peut se permettre de mieux détailler Mikhail et son accoutrement, prenant note de sa toilette bien apprêtée comme toujours, ses yeux clairs et vifs pourtant soulignés d'une certaine fatigue, et sa stature imposante. "You do look like you're overdue for a quiet night in." Il penche la tête sur le côté. "You work a lot." La question tombe à plat. Ephraim aime la passion et le dévouement de Mikhail - deux traits qu'ils partagent tous les deux. Même si ils ne s'aventurent que trop rarement sur ce genre de sujets trop personnels, Ephraim a toujours compris qu'il était entièrement dédié à sa famille et ses soeurs, tout comme lui à sa famille et ses frères. C'est quelque chose qu'il sait apprécier. "Will anyone else be joining us for dinner?" Il ne pense pas, mais il préfère s'en assurer - et découvre, avec une pointe d'ébahissement, qu'il serait contrarié à l'idée de ne pas avoir droit à l'attention entière de Mikhail ce soir.

Si Ephraim ne se fait pas prier et prend ses aises dans le grand appartement, Mikhail ne se déplace qu'à peine, ses iris opalescents suivants avec assiduité les mouvements de son invités et les expressions qui s'affichent sur son visage.

"I could never live in London," "I'm not really living here, commente-t-il d'un ton désinvolte, just passing by most of the time. Where do you live?" s'enquit Mikhail en le scrutant. En réalité, les deux hommes sont si secrets qu'ils ne connaissent presque rien l'un de l'autre. Quelques confessions éclaires partagées ça et là durant leur histoire à Moscou, quelques insinuations aussi ; mais les deux sorciers sont si habitués à érigés des murs autour de leur personne qu'Ephraim lui paraît parfois complètement impénétrable. Il a l'impression d'en apprendre plus dans tout ce que l'alchimiste ne partage pas que dans ce qu'il accepte de lui dire. Cette sensation est grisante pour celui qui aime tant effeuiller les mystères et pourtant crée une certaine frustration qui pourrait se transformer en obsession si le Strugatsky n'avait pas une centaine d'autres activités sur lesquelles poser son regard et son attention. Ephraim lui est dangereux de bien des façons et c'est sans doute aussi ce qui l'attire vers le sorcier, Mikhail has never been scared of the darkness. Pourtant, il doit se montrer prudent dans son écart, et ne peut réitérer les événements qui ont transpiré durant leurs retrouvailles insoupçonnées quelques semaines plus tôt. Il pourrait dire que c'est là une considération altruiste d'un homme qui ne souhaite pas voir son amant mis en danger, mais on trouve principalement dans ce geste l'égoïsme d'un homme qui a trop à perdre à voir ses secrets révélés dans une société pas prête à les accepter.

Peut-être souhaitait-il lui montrer son appartement aussi. D'aussi loin qu'il se souvienne, Mikhail n'a jamais invité personne en ce lieu. Cependant, il ne s'appesantira pas plus longtemps sur cette potentialité qui tend à le mettre mal à l'aise.

on regard ne vacille pas lorsqu'Ephraim le dévisage et semble l'analyser sous toutes les coutures. "You do look like you're overdue for a quiet night in." And maybe two or three or more, songe-t-il avec sarcasme ; Entre les préparatifs du mariage, la recherche du meurtrier de leur mère, le control fiscal et la fugue de Zoya (sans compter sa place encore instable au sein du gang), Mikhail se demande parfois comment il arrive encore à tenir debout et combien de temps il lui faudra avant de tomber dans le coma pour rattraper d'un seul coup toutes les heures de sommeil dont il n'a pas la possibilité de profiter actuellement. Est-ce si flagrant sur son visage ? "You work a lot." "I do. And I do hope you're not here to talk about my work, because that's not why I invited you..." Se disant, le brun s'approche d'un petit bar où il leur sert deux verres d'un alcool qu'on ne trouve qu'en Russie et dont il ne saurait se passer. Mikhail s'approche ensuite pour lui tendre la préparation. "Will anyone else be joining us for dinner?" Arquant un sourcil, ses yeux se plissent malicieusement, "I'm afraid it's just me tonight! Ilya may be upstairs in his appartment but he won't disturb us. Unless you try to choke me ... to death," ajoute-t-il pince-sans-rire en faisant claquer leurs deux verres avant de porter le sien à ses lèvres le dévisageant longuement du regard tout du long.

Mikhail enchaîne ensuite en se déplaçant jusqu'au canapé pour y prendre place."I don't know if you're hungry yet, but you said something about a certain book and I'd very much like to read it with you now if you don't mind." Si la curiosité s'est emparée de lui depuis la mention du livre dans la lettre, il se sent aussi fatigué et ne souhaite pas que toute la soirée tourne autour du whisperings, le sujet étant tout de même d'une nature assez secrète pour les siens et son propre sujet d'expertise au travail avant qu'il ne devienne le leader de l'organisation familiale. Il étend ses jambes le long du canapé en coin, un de ses coudes prenant place sur l'accoudoir, alors que sa main tient toujours le verre et de l'intimer doucement à venir le rejoindre, "Come.".

"I'm not really living here," lui répond Mikhail d'un ton détaché, faisant se pencher la tête d'Ephraim qui essaye de comprendre pourquoi on prendrait ses aises dans un appartement si grand si ce n'est pour y vivre. "Just passing by most of the time. Where do you live?" Il range cette information dans un coin de son esprit, et se contente lui aussi d'une réponse qui n'en est pas une en ne se permettant qu'un seul "Wales" aussi évasif qu'incomplet. Malgré leur relation intense et le fait qu'Ephraim chérit véritablement chaque instant passé avec Mikhail, ils n'ont jamais été du genre à se livrer facilement et à communiquer autrement que par énigmes, devinettes et autres esquives - ils aiment tous les deux les secrets et, surtout, leurs secrets, s'en parant comme des habits à la moindre occasion, pour mieux se dévoiler plus tard aux moments critiques.

Ephraim n'a jamais été quelqu'un de très bavard de toutes manières, ayant il y a longtemps acquéri le pouvoir de bavarder sans rien dévoiler et d'imiter les ressentis des autres pour les mettre à l'aise et mieux leur soutirer leurs secrets. Mikhail a toujours été un chapitre frustrant et difficile à lire, dont il ne s'est pas encore lassé de tenter de déchiffrer. Il ne serait pas surpris de l'apprendre Occlumens ou maître-menteur; que se cache-t-il parfois derrière ses grands yeux clairs, où brillent d'après Ephraim les réponses à ses nombreuses questions sur ses occupations, sa famille, sa vie?

Comme d'habitude, l'alchimiste reste impavide et distant, même si l'intensité de son regard sur le russe témoigne pour lui de son intérêt et de son affection pour ce dernier. Il attrape le verre d'alcool tendu par Mikhail, ignorant son estomac qui se tord dans son ventre quand ce dernier lui dit qu'il ne l'a pas convié pour parler de son travail ce soir, l'expectative d'une soirée bien remplie faisant se hérisser ses cheveux sur sa tête. L'autre raison pour laquelle les deux hommes s'entendent bien: avec Mikhail, Ephraim est sûr de bien pouvoir prendre son pied. "I'm afraid it's just me tonight!" Il est donc plutôt soulagé d'apprendre qu'ils seront seuls, et loin du garde du corps et de la famille du Strugatsky qui, il l'a découvert à Moscou, ont une certaine tendance à être envahissants. "Ilya may be upstairs in his appartment but he won't disturb us. Unless you try to choke me ... to death." Ephraim renifle, lève son verre vers le sien pour les faire tinter, avant de l'apporter à ses lèvres sans lâcher son regard. "I wouldn't do anything to you that you wouldn't enjoy," promet-il d'une voix neutre, ses yeux clairs pétillants d'un amusement certain alors qu'il renverse une partie de son verre dans sa gorge.

Ephraim suit Mikhail du regard jusqu'au canapé, l'observant s'y draper avec une intensité rare. "I don't know if you're hungry yet, but you said something about a certain book and I'd very much like to read it with you now if you don't mind." L'alchimiste est surprise mais, obéissant, se dirige vers son sac pour en extirper le livre à la couverture usagée sur laquelle il passe une main étrangement affectueuse. "They say books feed the soul," dit-il d'une voix étrangement mélancolique, avant de reporter son regard sur le russe. "Come." Ephraim cligne paresseusement des yeux en l'entendant, réprimant une remarque graveleuse, et s'approche diligemment de Mikhail pour prendre place à côté de lui sur le canapé. Un peu trop près - si bien que leurs cuisses se touchent, et qu'il peut sentir la chaleur de son corps collé au sien -, et avec un sourire qui pourrait être innocent si on le connaissait mal. "This was an expensive purchase, so I hope I didn't get ripped off." Il reporte son attention sur le lit sur ses genoux, reposant son verre sur la table basse après une dernière gorgée brûlante.

Ses doigts caressent les pages qu'il tourne avec une affection qu'il ne réserve qu'aux corps des autres, loin de l'efficacité brusque et stérile qu'il a normalement pour les objets les plus prosaïques. L'édition du livre est vieille, ancienne presque, et le formulé du russe entre ses pages est parfois difficile à comprendre pour lui qui n'a pas pratiqué depuis des années. Mais il y a quelque chose de réconfortant à cette langue, qu'il associe à Moscou, Evgueni, Vadim et Mikhail, et il ne lui faut pas longtemps pour trouver le chapitre qu'il a mentionné dans sa lettre au Strugatsky.

L'histoire inventée ou réelle - difficile à dire - d'un vagabond sibérien allant de village en village dans le vain espoir de trouver le Whispering pouvant sauver sa fille d'une mort certaine, et finissant sans cesse par se trouver embarqué dans les histoires absurdes et farfelues des Ivan Tsarevitch et Marya Morevna du coin jusqu'à s'inventer héros - une sorte de Don Quixote slave à la philosophie mal placée et au phrasé obscur et démodé. Mais parmi les lignes, Ephraim espère sincèrement y trouver quelques Whisperings, le secret de cette pratique mystérieuse dont il n'a jamais eu que des relents de Mikhail et qui le fascinent presqu'autant que la lueur au fond de ses yeux bleus.

"Do you know it?" demande-t-il au russe après lui avoir donné le livre, étudiant silencieusement son visage en se faisant la réflexion que même Priddy serait bien en peine d'en créer un plus sculptural et élégant. "Would you read some of it to me?" Même si il n'entendra pas tout au russe, il se souvient avec un plaisir secret des rares lectures que lui avait fait Mikhail à Moscou, et n'arrive pas à réprimer le coin de ses lèvres qui s'ourle d'un très léger sourire impatient à cette perspective.

Assis sur le canapé au côté d'Ephraim, les épaules de Mikhail s'affaissent d'un infinitésimal millimètre. La tension se dissout dans ses muscles tirés par les jours passés sans trouver le sommeil et les ridules qui s'agitent sur son front soucieux ainsi qu'entre ses sourcils froncés disparaissent furtivement. Le sorcier trouve un certain confort dans la chaleur de leurs cuisses qui se touchent presque innocemment (si ce n'étaient les leurs), et ses yeux se perdent sur la contemplation des mains du britannique qui glissent sur les pages jaunies du livre. Ses paupières clignent à deux ou trois reprises pour chasser les pensées des précédentes rencontres avec le brun, ses doigts qui savent comment déposer des caresses sur sa peau jusqu'à ce que des soupirs réfrénés s'échappent de ses lippes, et tout le reste de son corps dont Mikhail ne semble pas se rassasier. Il s'imagine que ces mains - tout comme son sourire et toute sa personne - sont l'antithèse du mot innocence et il se prend à vouloir deviner ce qu'elles ont touché, ce qu'elle ont commis comme délice et comme crime. Sa pomme d'Adam sursaute lorsqu'il déglutit et tente de revenir à l'instant présent, s'échappant de ses élucubrations internes. Ephraim wouldn't do anything to him that he wouldn't enjoy. Aucune phrase n'a jamais sonné plus authentique que celle-ci aux oreilles du Strugatsky.

"Do you know it?" A ces mots, Mikhail se redresse, son verre rejoint l'autre sur la table basse, grand perdant du moment face à la curiosité qui dévore les entrailles du maître Whisperer. Il se rapproche un peu plus du corps d'Ephraim pour que ses yeux puissent aisément suivre les lettres de ce vocabulaire qu'il connaît tant et qu'il n'a pas autant la possibilité de lire qu'il le souhaiterait. Ce sont dans ces moments que sa terre natale lui manque le plus et qu'il se sent si peu à sa place dans ce pays qui lui est encore bien étranger en dépit des années passées à le fouler. "Can't say that I do." Les livres qui évoquent cet art sont rares, c'est une règle tacite qui existe pour tout ceux souhaitant en apprendre les secrets ; c'est une maîtrise qui se partage de bouche à oreille, que l'on apprend par le mérite et la patience et que les siens conservent jalousement auprès d'eux. Si le whispering n'est pas interdit, on ne voit pas d'un très bon regard les étrangers qui le pratiquent et encore moins ceux qui le leur apprennent. "Would you read some of it to me?" On le jugerait certainement si on le prenait sur le fait, lui qui attrape le livre, sourire quasiment doux sur les lippes alors qu'il obtempère à la question de son invité. Lui-même se sermonnera-t-il sans doute plus tard lorsqu'il repensera à cet échange, loin de la présence enivrante de l'alchimiste. Loin de sa voix qui si elle paraît si souvent dénuée de chaleur et des inflexions émotionnelles de la plupart des gens ne manque pas de créer des petits frissons au niveau de sa nuque même alors qu'il prononce les plus plates des paroles. Et plus encore, loin de son regard énigmatique qui le transperce de toute part. Alors que ses doigts passent et repassent sur l'encre du papier, une pensée fugace le traverse ; Ephraim lui est dangereux de la plus agréable des façons. Mikhail se doit de se montrer prudent à l'avenir, il sent même qu'il devrait couper tout contact futur. Le fait est qu'il n'en fera rien.

Il y a si peu de choses qu'il s'autorise qu'il ne se sent pas capable de se priver de la présence à sa droite, quand bien même son instinct lui intime de le faire sur le champs.

Alors, contre toutes les attentes et les impératifs dont il est le prisonnier, Mikhail enjoint Ephraim de se mettre plus à l'aise sur le canapé. Puis, après un raclement de gorge discret évocateur dans son message non-verbal, Mikhail lui lit l'histoire dans un russe parfait qui ne prendra - il l'espère - jamais une note rouillée malgré les années à l'écart de son Pays. C'est presque un conte, rien de théorique ou de véritablement significatif en ce qui concerne le whispering aux premiers abords. Un homme endeuillé, perdu dans une quête vaine - cet art-ci n'a jamais su réveiller ceux plongés dans un sommeil infini. Il rencontre une floppée de personnages et les intrigues s'entrelacent jusqu'à rendre le tout indigeste. Pourtant, le temps se ralentit, Mikhail en oublie le dehors et son chaos, la course contre la montre qui tempête contre ses tempes. Il n'y a que sa voix qui rompt le silence pour parvenir aux oreilles d'Ephraim et ses doigts qui sont venus se glisser dans les boucles brunes de son auditeur sans même qu'il en ait conscience.

Mikhail s'apprête à s'arrêter pour se désaltérer et expliquer au sorcier qu'il s'est fait avoir lorsqu'il tombe sur un passage en italique, un poème anodin qui ne l'est en réalité pas. Ses mots trébuchent, sa voix se coupe, avant de reprendre dans un murmure rauque et dans un anglais accentué par les minutes perdues dans une autre langue "You know that this can't bring people back from the dead, right? What we do, it's mostly smoke and mirrors." Il ne sait pas bien ce qui le pousse à poser cette question, à apporter cette précision avant de reprendre. "This story is rubbish, but this part. Son index et son majeur tapotent sur le poème. is true whispering." Ses lippes s'étirent alors en un sourire carnassier, où sévissent défi et intrigue, encore et toujours cette curiosité assassine. "Want to see what it does?" He shouldn't, but he does ask anyway.

Mikhail attrape le livre et Ephraim l'observe posément alors que ses doigts courent à la surface du papier, en avalant les mots qui sortent d'entre ses lèvres bien dessinées sur lesquelles les yeux d'Ephraim s'attardent. Il a déjà lu, en travers, le récit, et retrouve donc rapidement les mots et la narration de cette histoire impossible. Il a une certaine tendresse pour le russe, cette langue complexe et guttural qui prend des allures de mélodie et de berceuse à ses oreilles alors que Mikhail déroule les mots de l'histoire sans hésitation.

Ephraim se surprend à fermer les yeux. Il se sent vulnérable, mais pas en danger, pas avec Mikhail qui n'a aucune raison de lui faire du mal. Il l'écoute avec attention, voit avec l'oeil de son esprit les toundras dangereuses, les villageois éplorés, les quêtes impossibles - et ce deuil entrelacé dans chaque phrase, chaque histoire, ce pathos russe qui alourdit chaque conte d'une leçon humaine et tragique. Il soupire en sentant les doigts de Mikhail glisser dans ses cheveux, défaire et refaire les boucles brunes toujours si bien coiffées au millimètre près malgré leur apparence désobligée. Ce moment de tendresse est rare, spécial, et c'est seulement après un instant d'hésitation qu'Ephraim s'y abandonne, posant sa main sur la cuisse de Mikhail pour la caresser distraitement. Même si il fait de son mieux pour se concentrer sur ce qu'il est en train de lire, le russe finit par devenir trop complexe, les mots par s'enchevêtrer et se ressembler, et le récit par devenir confus. D'ordinaire, cela le frustrerait horriblement, il rouvrirait les yeux pour demander à Mikhail de reprendre, de lui expliquer, de traduire - mais pas ce soir. C'est peut-être les doigts emmêlés à ses cheveux qui apaisent cette soif sans fond de savoir, ou alors c'est la brûlure de l'alcool fort qui grésille tout le temps au fond de sa gorge et de son estomac.

Alors, contre toutes les attentes et les impératifs dont il est le prisonnier, Mikhail enjoint Ephraim de se mettre plus à l'aise sur le canapé. Puis, après un raclement de gorge discret évocateur dans son message non-verbal, Mikhail lui lit l'histoire dans un russe parfait qui ne prendra - il l'espère - jamais une note rouillée malgré les années à l'écart de son Pays. C'est presque un conte, rien de théorique ou de véritablement significatif en ce qui concerne le whispering aux premiers abords. Un homme endeuillé, perdu dans une quête vaine - cet art-ci n'a jamais su réveiller ceux plongés dans un sommeil infini. Il rencontre une floppée de personnages et les intrigues s'entrelacent jusqu'à rendre le tout indigeste. Pourtant, le temps se ralentit, Mikhail en oublie le dehors et son chaos, la course contre la montre qui tempête contre ses tempes. Il n'y a que sa voix qui rompt le silence pour parvenir aux oreilles d'Ephraim et ses doigts qui sont venus se glisser dans les boucles brunes de son auditeur sans même qu'il en ait conscience.

Toujours est-il qu'Ephraim se sent bien. Apaisé. Il ne se souvient pas de la dernière fois qu'il s'est senti ainsi. Sans défense, et sans avoir besoin de les construire non plus.

Un accroc dans l'histoire. Ephraim rouvre les yeux, papillonnant des paupières pour en chasser les images neigeuses et dramatiques, reposant son regard clair sur le profil de Mikhail froncé dans quelque chose ressemblant à de la frustration. "You know that this can't bring people back from the dead, right? What we do, it's mostly smoke and mirrors." L'accent est nouveau, et Ephraim pense qu'il s'en amuserait peut-être dans d'autres circonstances, mais ce qu'il vient de lui dire s'enfonce profondément dans sa poitrine. Il se redresse, retire sa main de la cuisse de Mikhail, cligne des yeux et attrape son verre. "I hear it's impossible, yes," répond-t-il d'une voix plus morne que d'habitude, soigneusement travaillée pour ne rien laisser entendre à la frustration colérique et agaçante qui vient de l'étreindre.

"This story is rubbish, but this part," dit Mikhail en soulignant une ligne sur le livre "is true whispering." Ephraim se penche après un instant d'hésitation pour lire, avant que ses yeux ne remontent au visage du russe. "Is it?"

Il sourit. Ephraim observe ce sourire et sent le noeud dans sa poitrine se défaire lentement, une respiration sifflante qu'il était en train de retenir. Smoke and mirrors. Isn't everythings smoke and mirrors? "Want to see what it does?" Les yeux d'Ephraim reviennent au livre et au poème qu'il a déjà lu sans s'arrêter, un peu embêté par le fait que ce passage n'ait pas attiré son attention avant. La fille du héros va mourir et il vient de l'apprendre, et il se met à réciter des vers sans queue ni tête dans l'espoir de la sauver.

Mais on ne peut pas ramener les gens à la vie. Ephraim pince des lèvres et regarde Mikhail. "Gladly," se fait-il dire d'un ton morne, détaillant avec une fascination toujours aussi avide le visage de Mikhail. "More smoke and mirrors?" Il dessine un sourire sur le coin de ses lèvres, une parade amusée avant qu'elle ne disparaisse derrière son verre d'alcool qu'il finit d'une traite et repose sur le table basse devant lui. "I still remember the one from last time." Il lève un doigt, et le russe branlant et maladroit, mais juste, sort difficilement de ses lèvres: "de mes mains fantômatiques, un rêve onirique..." Il a essayé, encore et encore, en vain, d'invoquer lesdites mains depuis leurs retrouvailles. Alors Ephraim décide qu'il n'attendra pas que ces mains éphèmères apparaissent, et pose à la place de nouveau sa main sur la cuisse de Mikhail, plus haut qu'avant, et se penche en remettant un léger sourire sur ses lèvres: "So? What does it do? Read it out for me."

Ephraim et Mikhail auraient pu passer une vie entière sans jamais se rencontrer. Il aurait suffi d’une seconde, d’une autre décision, d’un autre embranchement pour que leurs chemins jamais ne se croisent. Il était déjà surprenant que cela arrive une fois, des pas les menant à cette soirée dans ce bar russe que Mikhail ne fréquentait pas tant que cela. Mais que la coïncidence se reproduise quelques années plus tard dans un tout autre endroit suffirait presque à convaincre un sceptique de l’existence de la Providence. Presque, car il était peu probable que le destin se mêle des histoires insignifiantes de deux hommes autrement occupés, à moins que de plus grands desseins ne soient à l’œuvre dans un futur plus ou moins proche. Qui pouvait deviner où mèneraient les fils entrelacés de la petit Histoire et si elle viendrait à rejoindre la plus grande.
Mikhail, ne disposant pas du don maudit de sa sœur, aurait bien été en peine de le dire.
Il essayait du reste de ne point trop s’arrêter sur la question au risque de passer des nuits encore plus blanches que celles qui le suivaient bien trop.

Le Strugatsky préfère de loin profiter de ce temps qu’ils s’octroient l’un avec l’autre comme des parenthèses méritées que l’on doit chérir. Le passé lui ayant appris qu’Ephraim pourrait disparaître du jour au lendemain sans plus donner de nouvelles. Et si cette pensée ne lui sied guère, laisse un arrière-goût indéfinissable dans sa gorge, le brun l’éloigne pour revenir à la lecture.

Ephraim se détend contre lui, son corps se fait plus malléable sous les caresses de sa main et de sa voix, Mikhail s’en enorgueillit quelque peu. Il a l’impression que c’est là un fait assez rare pour être noté et apprécié. Le temps se suspend jusqu’à ce qu’il reprenne ses droits au moment où les lippes du lecteur butent sur le whispering insoupçonné. Ils se relèvent tout d’eux et semblent partager la même curiosité. Au rappel des paroles prononcées lors de leur dernière rencontre, un sourire de connivence ourle langoureusement les lèvres de Mikhail, mais c’est la main bien réelle d’Ephraim sur le haut de sa cuisse et ses mots qui glissent jusqu’à ses oreilles qui finissent par le décider.

L’acte est dangereux, il sait au fond qu’il ne devrait pas céder à la tentation et utiliser un whisperings qu’il n’a pas lui-même tester, dont il ne sait rien et qui pourrait avoir de cruelles répercussions sur les deux hommes. Il se sent pourtant bien incapable de résister à la demande de son amant. Les mois de répression et de tension s’écoulent contre son derme, le transformant en marionnette sous les paroles d’Ephraim ; là demeure tout le danger et l’excitation.

Après un énième raclement de gorge, de sa voix rauque et fatiguée après tant de lecture, il énonce calmement le mystérieux sortilège, puis attend.
Rien ne se passe d’abord, la pièce reste fidèle à elle-même. Toutefois, lorsque la déception commence à poindre dans l’esprit de Mikhail, une musique glisse dans l’espace sans qu’aucun instrument ne la guide, sa bouche entrouverte et sa main qui vient trouver celle d’Ephraim posée sur sa jambe, il reste dans l’expectative de la suite. Le son lancinant des violons emplit l’air alors que peu à peu toute la lumière disparaît. Et sous leurs yeux, une jeune femme, presque encore une fille, est allongée dans une robe de mousseline d’un blanc presque parfait. L’inconnue se relève, son visage se tourne vers les deux hommes et ses mains se tendent vers eux alors qu’un sourire énigmatique glisse sur ce visage qui correspond à la description de la fille du protagoniste. Elle semble les appeler à la rejoindre, et si ses lèvres remuent dans le vide, il peut aisément imaginer la supplique, la même mélodie que les violons transmettent. The pull is strong, the magic powerful. Quand un nouveau mouvement prend le pas, elle s’approche en quelques pas d’une valse légère et mélancolique. Mikhail se sent comme happé par la scène, sa main se serre contre celle d’Ephraim ; ses yeux sont incapables de quitter le regard de la jeune fille, dans un coin de son esprit pourtant, une alarme s’enclenche. « Don’t touch her. Don’t join her, » murmure-t-il entre ses dents à l’adresse du deuxième spectateur. « She’s not real. » Comme si énoncer l’évidence permettrait de les ramener à la raison, il ne saurait dire comment ni pourquoi mais Mikhail est persuadé qu’il est vital de respecter cette règle implicite.

C’est alors qu’il les remarque, les marques quasiment invisibles sur les bras de la danseuse improvisée.  

Mikhail est un homme très secret. Les alchimistes de haut niveau sont Occlumens et Legilimens, par fierté et besoin de se cacher aux autres. Ephraim ne s'est jamais intéressé à la magie de l'esprit, trouvant ça un peu obtus, et n'ayant simplement pas le temps de s'y consacrer. Même si ils n'en ont jamais parlé, il pense savoir que Mikhail fait partie de ces Occlumens gardés et mystérieux qui construisent dans leurs esprits des cages et des murs impénétrables - après tout, qui est-il réellement? PDG d'une corporation internationale, héritier d'une dynastie russe ou polonaise ou les deux, fils orphelin, futur époux, frère omniprésent. Ephraim ne connait pas les détails de sa vie. Il connait simplement les détails de son corps anguleux, son visage quand il vient en lui, son sourire quand il se détend dans un moment de vulnérabilité, sa voix quand il lui lit leur littérature alambiquée de choix, son regard intense quand ils jouent aux échecs, sa voix impérieuse quand ils roulent dans les draps. Ça lui suffit. C'est déjà beaucoup.

Mais Ephraim, comme toujours, veut plus. Certains l'appellent gourmand ou glouton. Il n'a jamais su se contenté d'un peu - il veut plus. Il veut les Whisperings, et il veut les faiblesses de Mikhail, et il veut son agaçement, et il veut sa satisfaction.

Le russe s'échappe d'entre les lèvres bien faites de Mikhail avec des accents enchanteurs, les mots lourds de sens et de magie scindant l'atmosphère d'une manière perceptible: Ephraim les voit presque fendre l'air entre eux et s'y loger pour y répandre leur magie illusoire. Un moment de flottement.

Et puis, de la musique.
Ephraim détache ses yeux bleus du profil de Mikhail qu'il était en train d'étudier distraitement, pour regarder le reste du salon avec curiosité. Ni instrument ni mains fantômatiques: juste cette musique, familière et inconnue, lointaine et si proche, qui le berce comme une chanson depuis longtemps oubliée. Il sent les doigts de Mikhail glisser sur lui, et il ouvre sa paume pour accueillir sa main contre la sienne et la serrer intimement, son pouce caressant machinalement sa peau le long du sien avec douceur. La lumière déjà ténue de l'endroit se tamise encore plus, trois violons rejoignant le premier avec d'autres cordes, donnant à la scène un air enchanteur tiré d'un conte.

Une femme apparaît. Une adolescente, tragique et chétive, allongée sur le côté face à eux, endormie. Elle se lève lentement et les regarde, yeux perçant le Voile pour s'enfoncer dans leurs crânes. Elle sourit, et Ephraim sent une chaleur peu commune se répandre dans sa poitrine, remonter de sa nuque jusqu'à son crâne. Elle dit quelque chose. Ephraim n'entend pas quoi, mais il sait que c'est une invitation, et son corps est traversé d'un spasme à l'idée de se lever pour la rejoindre. Elle s'approche, et Ephraim a envie de danser, de la prendre dans ses bras, de la faire tourner. Mikhail resserre ses doigts autour des siens mais Ephraim a envie de le repousser, et de rejoindre leur nouvelle amie. « Don’t touch her, » souffle-t-il, immobilisant Ephraim - peut-être sans le réaliser, le russe utilise cette voix à laquelle il ne sait pas résister, et qui réveille en lui un feu ravageur comme toujours. « Don’t join her. She’s not real. »

Et pourtant, elle est bien là. Ephraim pourrait tendre la main et toucher ses doigts, l'attirer à eux, qu'ils s'amusent avec elle. Il veut danser et chanter et entendre ce qu'elle a à dire. La voix de Mikhail lui semble venir de très loin, d'un rêve oublié qui a perdu de consistance et de détails. A-t-il jamais été réel? Est-il qu'un songe? En cet instant, seule la fille semble vraie, palpable. Enjôleuse, elle continue de s'approcher, sa main tendue vers le visage d'Ephraim pour lui caresser la joue.

Ses doigts ne rencontrent que du vide; il se décale au dernier moment, alerté par l'odeur pourrie qui émane de son derme. Ephraim cligne des yeux et voit les marques, profondes et douloureuses, qui ornent la chair de cette jeune femme à l'air si innocente. Son coeur bat vite dans sa poitrine, comme un oiseau en cage. Elle est déçue, attristée par son comportement, elle veut juste danser, elle veut juste jouer. Ephraim est tenté, mais ne bouge pas, obéissant pour une fois. Alors elle se détourne et virevolte seule au rythmne de la musique, danse avec elle-même, fait des pas de côté avec la grâce d'un cygne avant de retourner au centre de la pièce, de se rallonger en fermant les yeux, fatiguée et solitaire.

Quand elle disparaît, sur un decrescendo de cordes enchanteresses mélodieuses qui étirent les derniers moments de cette apparition en quelque chose d'éthéré qui laisse sur sa faim.

Les lumières se font plus vives. Ephraim cligne des yeux, et réalise qu'il était en train de sourire sans s'en rendre compte, un vrai sourire qui ne lui ressemble pas. La main de Mikhail est toujours dans la sienne, et il se tourne vers ce dernier qui le regarde posément, reprend une expression neutre, mais contenté. "That was very impressive," souffle-t-il. Parler plus fort semble interdit dans ce cadre intimiste où il n'existe qu'eux deux, où le fantôme de l'illusion existe encore. "Beautiful," ajoute-t-il, à propos de la jeune femme, à propos de lui, en étudiant le visage de Mikhail. Sa main relâche la sienne et se lève pour caresser sa joue, ses doigts chauds, de chair et dos, glissant le long de sa barbe jusqu'à ses cheveux. Son pouce retrace sa pommette, sa main recouvre sa peau. Il a l'impression de le voir, de le voir vraiment, pour la première fois. "May I kiss you?" demande-t-il à mi-voix, prévenant comme il l'est rarement, plus troublé qu'il aimerait bien l'admettre par ce petit tour de magie auquel il repensera sans arrêt pendant les jours à venir.

Mikhail ne pourrait point dire combien de temps dure la scène, sont-ce des minutes ou des heures qui s'écoulent ainsi autour de la danseuse ; pourtant, ce n'est pas le paysage qui l'étourdit mais ce moment où après avoir raffermi sa prise sur la main de son compagnon pour l'empêcher de bouger, le sentant déjà bien trop prêt à craquer, Mikhail détourne son visage du spectacle pour observer Ephraim. Qui sourit. Ouvertement et presque candidement. Les lèvres pliées d'une façon nouvelle, il semble rajeunir alors, perdre de cet éclat si froid et contenu pour illuminer la pièce assombrie. A un moment, il croit qu'Ephraim va craquer et sa prise devient acier. Mais le sorcier heureusement ne cède pas à l'illusion. Sa bouche s'entrouvre mais aucun son n'en sort tant il est happé par cette image qui se fiche tout droit à l'intérieur de son torse, le transperçant de part en part.

Et alors, il perd pied dans un monde qui l'engloutit.

Il ne voit plus la jeune danseuse et ses purulentes blessures, n'entend qu'à peine les violons qui s'emballent avant de glisser vers le silence assourdissant de la réalité.

Au milieu de la pièce, seul compte ce sourire. Comme un cadeau qu'Ephraim ne sait pas être en train de lui faire. Le chuchoteur se sentirait presque voyeur à scruter les ridules à la commissure de ses lèvres étirées, à empaqueter ce lâcher-prise comme il en fait peu pour le tracer plus tard dans l'air. There's always something guarded about him. Even when they're losing themselves into one another.

Trop rapidement à son goût, la réalité reprend ses droits et quand leurs regards se rencontrent à nouveau, le sourire disparaît remplacé par une neutralité plus familière. Mikhail referme doucement sa bouche et déglutit, ses yeux ne se détachant plus des lèvres de son amant, hypnotisés par leur surprenante action. Incapable de se rappeler une autre fois où il aurait pu contempler pareil spectacle.  "That was very impressive," cette découverte - plus précieuse presque qu'une confidence - l'empêche de répondre autrement que par un hochement de tête. "Beautiful," Et d'un autre, bien que cette fois les deux hommes ne parlent sans doute pas de la même chose. Car il n'a rarement vu de plus belles choses dans sa vie que ce sourire-ci. Les choses rares ont toujours cet effet sur lui.

La joue de Mikhail s'avance contre la main qui dépose sur sa peau des caresses, et ses yeux clignent dans le vide, embrumés autant par l'illusion passagère, la musique mélancolique et l'absence de ce sourire sur les traits d'Ephraim. Encore plus de mystères à élucider et un nouveau défi à relever, comment faire éclore à nouveau cette impression ? Que cache-t-il d'autres derrière ses allures impavides ? Tant de questions qui sont interrompues par une question quasiment irréelle elle aussi. Comme si le monde avait repris ses droits sur l'illusion mais à rebours ou en décalé. "May I kiss you?" "You may," répond-il d'une voix déjà bien trop rauque, desperate for something he cannot fathom. C'est lui cependant qui s'empare de ses lèvres, attrapant au vol le souvenir d'un sourire qu'il venait d'apercevoir pour la première fois sur les traits d'Ephraim. Le graver à jamais contre ses lippes et en goûter la saveur. Sa main glissant contre la nuque dans une tendresse plus appuyée que toutes les autres fois. L'illusion se prolonge et se propage, dans un gémissement avalé alors que sa langue vient chercher une permission. Dans son corps qui se tend vers le sien, qui le repousse en arrière et le tire contre lui en même temps. Ses joues brûlantes, ses yeux clos,  et ce sourire qui se forme derrière les phosphènes. Partout. Partout. Partout. grasping his hair, kissing his jaw, feeling him almost compliant underneath him. Imagining the smile. Mouth and skin and a simple smile. His voice and his hands (cold and hot all the same) and a silly smile. Too much desire and perhaps something else, something more ... something dangerous.

Les pensées qui se déroulent dans son esprit n'ont plus rien de cohérent et cela suffit à le faire revenir à lui. Mikhail se détache à contrecœur, s'éloigne de quelques centimètres sur le canapé, à genoux maintenant, et passe une main dans ses cheveux. Son regard dérive de l'homme allongé en face de lui à un point indéfini du salon ; ses pupilles altérées de noir, son souffle court et cette même pensée qui revient en boucle, qu'Ephraim est dangereux. Trop peut-être. Le visage de Mikhail se referme, devient plus marbre que malléable, plus distant aussi.  "We should eat," propose-t-il, car le reste lui paraît trop vertigineux là tout de suite. Like falling again and again. Like almost crashing into the ground except there's nothing solid to greet the fall. And it doesn't make sense.