La musique vient doucement chatouiller son oreille. Délicieuse. Délicate. Envoutante. Elle tinte. Caresse la peau des convives. La voix de la chanteuse s’élève dans les aigües et arrache un frisson de contentement à l’assemblée. La pièce principale est ornée de moulures rocambolesques. Le doré est la couleur qui domine, agrémentée de rouge. Un air de grand cabaret. Lumière tamisée et rire aux éclats bercent la belle Vera. Là, assise à une table elle observe la foule. Son buste bien droit. La tête haute. Le regard sûr. La nouvellement madame Strugatsky profite d’une soirée loin du palais. On lui fait d’ailleurs quelques courbettes, on lui demande de lui transmettre des salutations à Mikhail et toujours elle hoche la tête poliment. Elle n’a pas vraiment le choix. Il faut tenir sa langue. Ne pas salir le nom de la famille. Le respecter. Sa longue robe beige la sied parfaitement. Lui donne un certain charme et une classe qu’on ne pourrait nier. Ses longs gants blancs complètes sa tenue alors qu’elle soupire d’un air blasé. Ses cheveux sont montés en chignon comme à leur habitude ; son maquillage se veut léger pour laisser une place à sa beauté atypique. Elle n’est peut-être pas dans les marges de la société mais Vera sait se mettre en valeur malgré tout.

Doucement elle vient attraper son verre à pied pour boire un verre tranquillement. Savoure les arômes qui glissent sur ses papilles et ce goût pétillant qu’elle apprécie en bouche. C’est frais. Explosif. Vivant. Elle ferme les yeux un instant. Profite de la mélodie qui se joue sur la scène. Sourit légèrement. Elle apprécie ces moments qu’elle prend pour elle. Elle pourrait inviter une amie à les partager mais a besoin de calme aujourd’hui. Mikhail est en voyage d’affaire depuis déjà plusieurs jours. Ses sœurs ne trainent plus vraiment dans ses pattes et, elle s’est surprise à ressentir un brin d’affection pour Zoya récemment. Il faut dire que les vœux de mariage prononcés, il n’est plus temps pour Vera de penser à s’échapper. Elle est maintenant une Strugatsky et profite de ces dernières soirées de liberté totale. Oh bien sûr elle a réussi à négocier certain voyage avec son époux. Il consent effectivement à la laisser voyager et étudier l’alchimie comme elle l’avait projeté initialement mais… Vera doit aussi compléter ses contreparties. Son sang et la bonne réputation de sa famille ayant été les principales motivations de ce mariage, elle doit maintenant se préparer à donner un héritier aux Russes et ça ne l’enchante pas plus que ça.

Elle s’y était bien évidemment préparée mentalement mais ne peut se résigner à laisser son mari la touchée alors qu’elle ne le connait que si peu, même si la discussion qu’ils ont eue lors de leur nuit de noces fut agréable. Elle pourrait presque venir à accepter sa présence à ses côtés. Presque. Mais sûrement pas éprouver le moindre sentiment pour lui. Pas encore. Peut-être même jamais. Quoiqu’il en soit elle sait que bientôt elle devra passer le pas avec Mikhail. Pas qu’il ne lui plaise pas mais les conditions dans lesquels se sont passées leurs fiançailles ainsi que leur mariage ne l’aide pas à apprécier Mikhail plus que ça. Non, vraiment pas. Et pourtant elle devra faire avec. S’allier et soutenir celui qui maintenant partage sa vie. Du moins, partager est bien grand mot puisqu’il n’est en tout et pour tout quasiment jamais au palais. Ce qui arrange bien notre petite Vera qui en profite pour participer à ce genre de soirée, tout en étant consciente qu’elle est fort probablement surveillée. Les Strugatsky ne l’implique pas dans les affaires familiales certes, mais ils ne sont pas assez bêtes pour laisser l’anglaise se balader sans surveillance et Vera n’est pas assez idiote pour ne pas se rendre compte qu’elle est suivie.

Elle sourit et se surprend à vouloir danser. Ses yeux se posent sur la piste de danse un peu plus bas où quelques sorciers se prêtent au jeu. Il serait très probablement déplacé de vouloir les rejoindre et lorsque dans ce joyeux enchainement elle reconnait le visage d’un de ses comparses alchimistes cela lui coupe toute envie de quoi que ce soit. Elle fronce les sourcils en reconnaissant Amaury Flamel qui comme à son habitude mets de la poudre aux yeux à ses messieurs dames. Elle pince les lèvres et décide de se lever afin de s’approcher du petit groupe de personne qui l’entoure. Verre à la main elle observe les tours de passe-passe, parce qu’on ne peut vraiment pas appeler ça de l’alchimie qualitative, qu’offre l’homme à ses spectateurs. Un regard plein de jugement plus tard, Vera se mord la langue pour ne pas craquer devant l’assemblée mais elle sait que bientôt le regard de celui qui entache son propre nom se posera sur elle et qu’une joute verbale aura lieu. Le rouge aux joues, sûrement à cause de l’alcool de sa boisson Vera lève les yeux au ciel avant de s’approcher de lui. Un sourire se dessine sur les lèvres de l’homme tandis que la belle, elle, prend un air hautain. Bonjour Amaury. Toujours occupé à mettre de la poudre aux yeux à ce que je vois…dit-elle alors qu’il s’avance vers elle. Quand est-ce que tu te décidera enfin à faire de l’alchimie et non des entourloupes basiques ? fini-t-elle en ancrant son regard au sien. Avec Vera on ne rigole pas à ce sujet et c’est bien pour ça qu’elle n’aime pas Amaury. Non, décidément elle ne l’aime pas.

Les soirées mondaines, Amaury adore ça. C'est son terrain de jeu, un moyen facile et efficace pour se donner bonne presse en charmant ces messieurs-dames. C'est aussi l'occasion rêvée de sortir son plus beau costume, d'aller serrer les pinces les plus prestigieuses d'Angleterre et de faire semblant d'être quelqu'un. De toute façon, le Flamel est convaincu qu'avec un nom pareil, il est déjà quelqu'un. Et puis quand on voit avec quelle facilité dérisoire les sorciers tombent sous son charme et se laissent impressionner par les vulgaires paillettes qu'il leur agite sous les yeux... La vie est beaucoup trop facile pour le jeune français.

Armé de sa flûte et de son sourire carnassier, Amaury déambule avec l'agilité d'une panthère entre ses proies, à l'affut d'autant d'attention et de gallions qu'il pourra tirer de cette soirée. C'est qu'ils cherchent des investisseurs avec son frère pour lancer le casino. Encore une lubie des jumeaux, un projet mal géré qui vacille à la moindre bourrasque. Mais ils sont trop insouciants, inconscients du terrain miné dans lequel ils mettent les pieds. Avec une Angleterre rongée par des gangs et un gouvernement aussi rigide que le fer, les Flamel s'aventurent dans une jungle dangereuse avec leurs affaires. En particulier quand l'intégralité de leur business est basé sur une vaste arnaque. Non mais vous comprenez, c'est que tout le monde ne peut pas avoir de chance aux jeux. Sauf qu'à un moment, il faudra expliquer pourquoi aucun client n'a de chance aux jeux. Et puis quand ils auront fini par plumer la mauvaise personne, peut-être que les jumeaux finiront par comprendre qu'il est trop tard et que leur tête est mise à prix. En attendant, puisqu'on n'en est pas encore là, Amaury continue de faire miroiter des pluies d'or et de gallions à qui veut bien l'entendre. Faut dire que quand on s'appelle Flamel, c'est plus facile d'y croire.

Il parle un peu trop fort, fait des gestes amples qui manquent de renverser un plateau de petits fours qui vole entre les convives. Mais c'est pour attirer l'attention, pour qu'on ne voit que lui et que personne ne reparte de cette soirée sans avoir au moins échanger un mot avec le sorcier. Avec un air espiègle et cette éternelle lueur de malice dans le regard, Amaury fait apparaître un collier en or dans la paume de sa main, qui n'abritait que quelques bouts de cuivre deux secondes plus tôt. Charmeur, il vient passer le collier autour du cou d'une sorcière qui s'extasie devant la beauté du bijou. “ Cela vous va à ravir, Miss Rowle. Enfin, j'imagine. ” La concernée lui lance un regard aguicheur qu'il ne peut pourtant pas voir. “ Je reviendrai vers vous, Flamel. ” Décochant un nouveau sourire ravi, Amaury sort de sa manche une carte de visite auréolée d'une brume violette et dorée, alors aussi fumeuse que lui. La mangemort s'en saisit avant de s'éclipser et l'attention d'Amaury est finalement attirée par l'odeur boisée et piquante qui caractérise l'aura de Vera Slughorn.

Vera est une femme talentueuse, ça ne fait aucun doute. C'est justement pour ça qu'Amaury ne l'apprécie pas énormément. Quelqu'un de trop intelligent peut voir entre les lignes de ce qu'il raconte, peut y déceler le moindre de ses mensonges et percer à jour la superficialité de son savoir en alchimie. C'est pourquoi il redouble toujours d'efforts quand il traîne avec des gens comme ça, dans cet espoir vain de finir un jour par les charmer aussi. Avec un grand sourire et les bras ouverts comme s'il allait l'embrasser, il se dirige vers elle avec une assurance à toute épreuve. “ Vera ! ” “ Bonjour Amaury. Toujours occupé à mettre de la poudre aux yeux à ce que je vois… ” La pique ne tarde pas à fuser. “ Quand est-ce que tu te décidera enfin à faire de l’alchimie et non des entourloupes basiques ? ” Il arrive à sa hauteur, range le clicker qui l'aide à se déplacer et s'esclaffe bruyamment. “ Des entourloupes basiques ? ” Il porte une main à son cœur, fait mine d'être profondément chagriné par cette insinuation. “ Il n'y a rien de basique à mon art, Vera, et tu le sais ! Et puis je crois que les convives sont plus que ravis de ma prestation. Miss Rowle se pavane là-bas avec son nouveau collier. ” Il fait un geste vague en direction de la sorcière. Bien sûr, il ne mentionne pas qu'il en a profité pour subtiliser le collier qu'elle portait à la base avant qu'il ne vienne l'affubler d'un bijou qui partira en fumée passés les douze coups de minuit. “ Je sais que le nom Flamel peut... impressionner dans le monde de l'alchimie mais Vera, rien ne sert de se rabaisser à quelques tacles futiles. Nous pouvons travailler en bonne intelligence. Pas besoin de concurrence. ” Il lui sourit de toutes ses dents et vient poser une main lourde sur son épaule, toujours aussi tactile et envahissant. “ Allons bon. Quoi de neuf depuis notre dernière affaire ? ”

Elle aurait pu passer une bonne soirée, réellement. D’ailleurs elle apprécie de plus en plus sa nouvelle vie. Trop fière pour l’avouer à voix bien entendue, elle ne peut que se contenter d’un sourire intérieur mais Mikhail a tenu ses promesses et sa vie n’en est que plus agréable. Jeune mariée satisfaite, elle aurait voulu profiter d’un temps pour elle. D’un spectacle qualitatif. D’une nuit loin du palais des Strugatsky. D’un moment où elle peut retrouver une bribe de la Vera Slughorn qu’elle fut. Alors se rendre à cette soirée mondaine lui semblait une bonne idée. Histoire d’allier ses deux rôles à la perfection et montrer à la fois pour les Slughorn et les Strugatsky un intérêt pour les organisateurs. Alors, elle essaie dans un premier temps de profiter de ce moment. Savoure une coupe de champagne. Profite du spectacle et observe les sorciers danser sur la musique enchanteresse qui la berce alors. Belle à sa façon, elle sourit d’autant plus qu’elle aimerait faire quelques pas de danse elle aussi. Peut-être que la prochaine fois elle invitera Ephraim à se joindre à elle. S’il en trouve le temps. S’il en éprouve l’envie. Dans sa pochette se trouvent encore les récits de ses voyages et de ses recherches sur l’alchimie. Un sourire effleure ses lippes alors qu’elle mesure la chance qu’elle a eu de rencontrer son chemin. Il est à coup sûr un homme des plus intéressants.

Une soirée parfaite, du moins jusqu’à ce qu’elle aperçoit en contrebas Amaury Flamel. Grand nom connu de tous. Alchimiste admiré de par son travail par Vera. Et doté d’une descendance douteuse. Si elle s’entend avec Ambroise, le cas d’Amaury est tout autre. Joutes verbales et regards incendiaires font partie intégrante de leur relation. Ils se détestent autant que ces moments les amusent dans le fond. Peut-être pas sur le coup, non, mais quand lui reviennent en mémoire ses échanges avec lui, un sourire s’installe sur son visage. Alors elle ne peut s’empêcher de s’approcher de la scène qui se joue sous ses yeux. Yeux qui se lève bien vite au ciel lorsqu’elle se rend compte des entourloupes de l’alchimiste. Et doucement mais sûrement elle enrage intérieurement. Sa langue vient à lui piquer douloureusement. Les mots gonflent dans sa bouche alors qu’elle observe méticuleusement chacun de ses gestes et espère qu’Ambroise n’est pas loin histoire de venir calmer le feu qui bouillonne en elle. Un sourire exaspéré plaqué sur le visage. Une expression qui en dit long sur le fond de sa pensée. Elle sait qu’au moment où il lui adressera la parole le venin viendra à gicler. Par merlin ce qu’il l’énerve, juste de par sa présence. Et la voilà qui soupir. Elle pourrait feindre l'ennui si seulement ses tours n’étaient que désuets. Mais la malhonnêteté d’Amaury lui donne envie de vomir.

Vera ! s’exclame-t-il avec une fausse joie. Et cela lui suffit amplement pour déverser le flot de paroles qu’elle retenait jusque-là. Des entourloupes basiques ? Il n’y a rien de basique à mon art, Vera et tu le sais ! Et puis je crois que les convives sont plus que ravis de ma prestation. Miss Rowle se pavane là-bas avec son nouveau collier. dit-il avec un air qui ne plait pas du tout à la jeune mariée. Elle hoche la tête. Et il ose appeler ça de l’art. Je sais que le nom des Flammel peut… impressionner dans le monde de l’alchimie mais Vera rien ne sert de se rabaisser à quelques tacles futiles. Nous pouvons travailler en bonne intelligence. Pas besoin de concurrence.  Elle s’approche doucement de lui et susurre à son oreille. Joli collier effectivement… Rappel moi juste le principe de base de l’alchimie ? … Oh. Dois-je peut-être te le rappeler ?  L’humanité ne peut rien obtenir sans donner quelque chose en retour. Pour chaque chose reçue il faut en donner une autre de même valeur. En alchimie, c’est la loi fondamentale de l’échange équivalent. Qu’as-tu donné pour ce joli collier ? …dit-elle avec un sourire en coin. Elle est probablement la seule à avoir vu clair dans son jeu. Mais elle connaît bien Amaury et jamais, ô grand jamais, il n’avouera être un charlatan.

La main du français vient alors se poser sur l’épaule de Vera, envahissant son espace personnel. Doucement ses yeux se posent sur la main de l’alchimiste et se reporte sur son visage. Il est évidemment aussi beau qu’énervant. Allons bon. Quoi de neuf depuis notre dernière affaire ? dit-il comme si de rien était. L’ancienne verte et argent pince les lèvres et porte sa flûte de champagne à ses lèvres. Trop de choses peut-être. Je suis mariée depuis peu. Désolée de ne pas t’avoir inviter au mariage, j’avais peur qu’une personne aussi splendide que toi puisse me voler la vedette, tu m’excusera ? dit-elle avec ironie. Et toi mon cher Amaury dans quel coup tordu t’es-tu encore fourré dernièrement ?continue-t-elle le regard pétillant. Je dois dire que je suis à chaque fois surprise de te voir encore en vie et avec un si joli minois… On pourrait croire que tes arnaques pourraient te valoir un ou deux crochets du droit dans le visage… Mais non !fini-t-elle avec un grand sourire.