Il n'y a pas à dire, Londres lui manque. Même lorsqu'elle n'a rien de particulier à y faire, Eryn ressent le besoin naturel de s'y rendre au moins une fois par semaine. C'est comme ça quand vous avez vécu longtemps dans la même ville, il y a un attachement qui se crée, c'est comme une vieille copine, même si on peut pas parler à une ville. Elle s'y sent bien, elle regrette d'être partie de temps en temps, mais il y a trop de gens qu'elle préfère éviter et elle si elle n'est pas la seule blonde aux yeux bleus de l'Angleterre, elle a quand même le chic pour se trouver des ennuis. Elle a toujours voulu avoir un admirateur secret, dommage que ce soit le karma. Cela dit, ce n'est pas à ses bâtiments qu'elle vient rendre visite aujourd'hui, n'en déplaise  au grand brouillard. Elle a une broutille à faire, rien d'important. Ou presque. Puisque ça implique le contenu de son frigo dans les prochaines semaines, on peut considérer ça comme une urgence. Depuis tout à l'heure, elle froisse nerveusement la carte de visite dans sa poche et essaye de paraître bien plus confiante qu'elle ne l'est vraiment, avec son trésor sous le bras.

Une adresse, une galerie et un nom. Elle a rencontré Pilar quand elle est venue acheter un livre à la boutique. Eryn ne sait pas parler un mot d'espagnol - sauf ¡hola! que tal et encore, c'est flou dans sa tête - mais elle avait repéré des ouvrages dans ce langage inaccessible avec de belles images. Il y en a qui peuvent apprendre pleins de trucs sans que ça déborde, elle peut se souvenir. Qu'elle s'en sorte avec ce job tient un peu de la magie, mais justement la magie c'est le quotidien d'une sorcière. Pas de panique.
Tout s'est bien passé, à deux doigts de ramener les petits gâteaux et le thé, vendre c'est sa seconde nature, trouver les bons arguments et parler avec passions d'un ouvrage qu'elle a juste feuilleté. Eryn aime parler, c'est à peu près tout ce qu'on lui demande, tant qu'elle parle on ne lui pose pas de questions. Et ça a tellement bien fonctionné que sa cliente lui a expliqué ce qu'elle faisait, ce qui n'a pas franchement intéressé Eryn qui se contentait d'hocher la tête, jusqu'à ce qu'elle mentionne expertise et œuvre d'art. Bingo, la voilà donc avec son tableau au bras, tout ce qu'elle a récupéré de son héritage, motivée à le convertir en galions. Ses parents vont très bien, elle est juste partie avec une petite avance vu qu'elle n'était pas prête à les revoir de si tôt. Ce qui s'est confirmé de manière radicale avec tout ce qui se passe. Une bonne excuse pour louper les réunions. Elle aurait pu le garder comme valeur sentimentale. C'est un paysage qui aurait été peint par un sorcier connu, avec un peu de chance, ça pourrait taper dans l'oeil d'un collectionneur excentrique. Elle a vu de tels trucs douteux dans les livres qu'elle a de l'espoir. Il est joli ce tableau, et elle ne dit ça parce qu'il a trôné pendant de longues années en face de son lit dans sa chambre. Peut-être juste un peu. En réalité, elle n'a pas envie de s'en séparer, mais elle n'a pas le choix et ça boosterait son ego de savoir qu'un truc chez elle vaut quelque chose. Même un objet.

Les temps sont dur et la mauvaise gestion de son salaire la pousse à essayer d'en tirer un petit pactole. Peut-être que Pilar sera sympa en plus, vu qu'elles ont sympathisés, d'une certaine manière. (Si elle ferme les yeux, elle peut voir Kei lever les yeux au ciel de manière exagérée sans rien dire, mais en pensant très fort). C'est une bonne motivation ça, de vouloir devenir legilimens juste pour savoir si les gens bitchent sur vous ? La nervosité ne passe toujours pas quand elle passe la porte de sa galerie. Paraît qu'elle est une bonne menteuse. Eryn prend une grand inspiration et y croit de toute ses forces, elle sait très bien ce qu'elle fait. « Hi, it's Eryn, and the painting. Nice to meet you again, how are you ? Petit pointe d'humour quand elle désigne l'oeuvre d'art comme une vraie personne et tend sa main. Allez quoi, c'est pas la mer à boire (et au pire c'est que de l'eau salée). Nice place by the way. Hope you'll like what I brought. It's a little bit dusty. » Juste d'une semaine, pour le rendre plus "authentique" et elle l'a recouvert du tissu le plus pourri qu'elle a trouvé, un vieux drap. Eryn prend soin de ses affaires sinon, c'est facile quand on en a pas beaucoup. Pas étonnant que les sangs purs payent des domestiques avec leurs manoirs qui font la taille d'une petite ville.

Pilar aimait beaucoup de choses, mais l’art était définitivement la passion pour laquelle elle vivait. C’était sa réponse à tout : bad mood ? Acheter une œuvre ou commencer une toile. Colère ? Faire un tour dans la galerie ou commencer une toile. Félicité ? Probablement provoquée par la découverte d’une œuvre de maître. Elle s’actualisait d’ailleurs régulièrement sur les découvertes en lien avec son hobby/travail, d’où ses allers-retours fréquents dans les librairies qui avaient le bon goût de proposer des ouvrages d’arts, elle avait d’ailleurs trouvé son nouveau libraire préféré en cette boutique qui vendait ses bouquins en langue étrangères.

Pilar parlait et comprenait parfaitement l’anglais, il n’en restait pas moins que l’espagnol était sa langue maternelle et qu’elle avait une affection très singulière pour elle. Elle la lisait d’ailleurs avec plus de fluidité et s’était donc fidélisée à Kirin Books où elle avait d’ailleurs rencontré une vendeuse fort sympathique. Les personnes intéressées par l’art se faisaient rares, il n’était pas donné à Pilar d’en rencontrer tous les jours alors quand on commençait à lui parler d’un des livres qu’elle achetait, elle s’empressait de continuer la conversation. Elle en était venue à parler de son travail à la libraire et y avait gagné une cliente, il fallait dire que quand il s’agissait de vanter ses mérites, la brune savait y faire. Elle avait après tout un pedigree irréprochable et la galeria ne tarderait pas à devenir aussi réputée que la Tate ; Pilar s’était d’ailleurs constituée une petite clientèle d’amateurs d’art peu regardant sur la dépense lorsqu’il s’agissait d’authentifier leurs œuvres. C'était sa petite fierté.

Pour la libraire c’était différent, elle avait gracieusement offert un prix d’amies, c’était pour la remercier d’être de si bonne compagnie pendant ses achats et Pilar avait spécialement réservé un créneau de sa journée pour elle. Pour passer le temps, la brune était partie à la recherche de Mascimiliano ou son divertissement préféré lorsqu’elle était de bonne humeur et s’ennuyait, elle n’eut pas le temps de le trouver qu’elle croisa près de l’entrée sa visiteuse.

- Hi, it's Eryn, and the painting. Nice to meet you again, how are you ?

Pilar jeta un coup d’œil au tableau dont elle ne discernait que la forme sous le tissue décrépi, à vue de nez, ça flairait l’ancien, mais elle ne voulait pas trop s’avancer.

- Hey, nice to see you too! I’m fine, you? Répondit-elle avec un sourire aimable qui s’étira à la petite blague.

- Nice place by the way. Hope you'll like what I brought. It's a little bit dusty.

- Thanks, rondonna-t-elle. Ce n’était pas sa galerie mais y travaillant presque depuis son ouverture, elle tirait une satisfaction toute personnelle des compliments qu’on faisait sur elle. Follow me, my office’s over there.

Elle se dirigea vers ledit bureau dans une cacophonie de talons hauts, tint la porte à Eryn et la referma derrière elle avant de lui désigner un des fauteuils de la pièce.

- Please take a seat, elle même prit place derrière son bureau et appuya ses coudes sur le meuble pour lorgner sur le tableau. So, it's in your family for a long time? Show me.

Elle bouillonnait de curiosité, découvrir une nouvelle pièce c’était comme jouer au loto, il y avait une chance de tomber sur quelque chose de rare, de perdu et de cher, mais la plupart du temps, on lui présentait surtout des œuvres d’artistes mineurs voire d’amateurs vaguement talentueux. Pas qu’elle n’aimait pas découvrir de nouveaux talents, son loft regorgeait de peintures d’inconnus chez qui elle avait trouvé une étincelle de génie que le monde saurait ou non reconnaître, mais Pilar était comme tout le monde, l’attrait de ce qui était célèbre et précieux l'animait.