« Dame Graymalkin, désirez-vous une tasse de thé afin que je vous conte les dernières nouvelles ? » Douzième siècle ? Non. Elles étaient bien en l’an deux mil sept et pourtant, quand on entendait parler la maîtresse de maison, il était parfois difficile de se le rappeler. Le Manoir des Crain était devenu son domaine depuis qu’ils avaient trouvé ce lieu. Tout de suite elle s’était sentit comme chez elle, à la maison, quelque chose qu’elle n’avait plus ressenti depuis bien des années maintenant. Si au départ les adeptes faisaient le travail, elle a bien rapidement compris que ça ne fonctionnerait pas, qu’ils n’avaient pas suffisamment d’organisation et de méthodologie pour que les choses soient faites en temps et en heure, chaque jour que Dieu faisait. Elle, elle savait manier le plumeau, elle savait donner des ordres afin que le plus petit grain de poussière disparaisse de ce qu’ils appelaient les reliques. Le manoir en était rempli, il y en avait de partout, pour tous les goûts, à toutes les sauces et elle pouvait passer des heures à les contempler. Du Sang d’un Saint à la Sainte dent d’un évêque, pour n’importe quel mortel, ce n’était que de futiles babioles sans intérêt qui trouveraient bien plus leur place dans une poubelle qu’exposer sous des cloches de verre. Mais qu’on se le dise, les Crain n’étaient pas n’importe qui et ne le serait jamais. Béni par Dieu lui-même, Enfants des Douze, des Apôtres que tous connaissaient comme ceux de la Cène, la véritable histoire était raconté par les Crain, eux seuls savaient, comprenaient et Mary-Eunice y croyait plus que tout. Ils n’étaient pas n’importe qui, peu importe ce qu’on dirait d’eux. Êtres supérieurs, créatures qui défendaient leurs valeurs, ils n’étaient pas fait pour s’entendre avec le reste du monde, encore moins avec ceux qui prétendaient être comme eux. Inférieur, mauvaise graine, résidus de déchets, elle pouvait en dire des choses à leur sujet et pourtant, elle prenait le thé avec une de ces personnes qu’elle-même qualifiait d’être médiocre et inférieur. Mais Sienna, bien qu’elle soit une Graymalkin, n’était pas comme les autres. Elle la comprenait, elle s’intéressait. C’était bien l’une des rares personnes à prendre du plaisir à entendre Mary-Eunice parler de tout ce qu’elle pouvait entendre quand elle laissait une oreille distraite traîner près d’une porte censée être close ou encore ce que ses adeptes pouvaient lui rapporter en sachant très bien à quel point la Soeur pouvait aimer les ragots et les colporter. Vérité ou non, elle parlait, un peu trop bien souvent, mais jamais à tort. C’était ce qu’elle faisait le mieux sans doute, à part tenir un Manoir. S’il y avait quelque chose à savoir, c’était auprès de Mary-Eunice qu’il fallait aller car sa mémoire ne lui faisait jamais défaut malgré les années passées sur Terre. Elle se souvenait encore comme si c’était hier de comment elle était arrivée ici. L’église, son foyer, son refuge alors que la tristesse se faisait chaque jour plus grande en elle. Elle avait fait la rencontre de Mère Imelda, elles avaient parlé, Mary-Eunice, qui s’appelait encore Isabella à cette époque s’était confiée et pour la première fois depuis longtemps, elle avait eu l’impression d’être comprise et entendue. C’était comme un renouveau pour la sorcière qui avait eu bien du mal à admettre que c’était de ça dont elle avait besoin, d’une nouvelle vie, simplement. On lui avait offert sur un plateau d’argent de depuis, elle espérait bien n’avoir déçu personne. Elle était loin d’être la joie incarnée, sourire n’était plus son passe-temps favori contrairement à cette époque où son fils faisait sa joie de vivre. Ah, Matthew. Un prénom qu’elle avait tenté d’oublier mainte et mainte fois sans jamais y parvenir. Il était gravé dans son esprit, dans tout son être à vrai dire. Il avait été une partie d’elle et elle l’avait abandonné. Quand elle s’était réfugiée dans la prière afin de lui sauver la vie, elle y avait tellement cru qu’elle aurait pu s’y perdre. Mais tout ce que ça a fait, ce fut de retarder l’inévitable, l’échéance fatidique qu’elle se refusait à voir. Rien ni personne n’aurait pu sauver son fils mais elle avait été incapable de l’admettre à l’époque. Aujourd’hui encore, elle ne peut admettre que le Tout Puissant puisse l’abandonner. Tout ce qu’il fait, c’est avec une raison, c’est aussi simple que ça. Les voix du Seigneur étaient impénétrables, elle ne s’expliquaient pas, ne se justifiaient pas non plus. Elles existaient pour élever les plus petits au sommet et c’était ce que Mary-Eunice enseignait à ses adeptes, ce qu’elle essayait de leur faire comprendre afin qu’ils ne perdent pas espoir. Eux aussi, un jour, ils seraient appelés à faire de grandes choses, eux aussi ils auraient l’illumination de leur vie qui les conduirait à devenir ce que le Seigneur avait décidé pour eux.

« Pardonnez-moi, j’étais dans les souvenirs. » Des souvenirs dont elle ne parlait que très peu. Son fils restait un sujet tabou pour cette femme qui avait été séparé de son enfant par la maladie. En parler rendait les choses bien trop réelles pour qu’elle soit capable de les affronter, le déni lui convenait bien assez. Mais elle n’avait pas pour autant oublié la promesse faite, elle avait des choses à raconter, beaucoup de choses qui se passaient dans ce Manoir et en dehors à en croire ce que voulait bien lui dire ses adeptes.