TW: Fausse couche, sang

C’est la nuit. Au chevet de Caesar qui se remet doucement de sa tentative de suicide, Irene s’est réveillée après avoir ressentie une douleur affreuse au niveau du bassin. En écartant les draps, elle aperçoit le sang de couleur rouge très foncé, presque brun. Et elle sait. Elle sait que c’est terminé. Sa grossesse s’est interrompue. Elle reste là, immobile et ne ressentant rien. Elle n’est pas surprise. On lui avait dit qu’elle était à risque et fragile. On lui avait dit de se reposer et de ne rien faire qui pourrait la stresser. Et son mari avait décidé qu’il en avait assez quelques jours après. Ça a beaucoup secoué la jeune femme. Elle s’est inquiétée, s’est sentie responsable et elle a ressentie beaucoup de stress, même en sachant qu’il était hors de danger. La belle n’est pas dupe, elle sait que l’annonce de sa grossesse n’était pas étrangère au mal-être de Kaz. Elle ne croit pas que c’est la seule raison, son mari ayant des démons bien dissimulés, mais peut-être celle qui a fait déborder le vase. La nouvelle de trop. Celle qui allait ébranler la vie qu’il cachait bien et dont Irene ne faisait pas partie.

Elle déglutit, puis se lève emportant les draps tâchés pour les laver. Elle ne pense pas à réveiller Caesar, il a besoin de dormir et elle ne veut pas mettre un poids supplémentaire sur ses épaules rendues fragiles. Elle prend une douche. Elle ne ressent toujours rien, pas même le vide. Elle n’est pas triste. Elle était heureuse, elle avait accepté ce petit être en elle et son rôle de future mère, mais elle savait qu’elle n’était pas prête. Peut-être est-elle soulagée? De ne pas être un poids sur les épaules de l’artiste, de ne pas être la raison de sa vie gâchée? Elle ne sait pas, elle ne peut pas le dire, mais c’est terminé. Après sa douche, elle enfile des vêtements pris au hasard. Elle n’a pas la force de faire un tri. Elle pose ses yeux sur son mari toujours endormie et transplane jusqu’à l’hôpital.

On la prend vite en charge. On lui pose un tas de questions, auxquelles elle répond avec lassitude et de façon mécanique. On lui passe toutes sortes d’examens pour s’assurer que tout est bien nettoyé. À plusieurs reprises, on lui demande si elle a besoin qu’on rejoigne quelqu’un pour elle et chaque fois, Irene répond non. Elle n’a personne. Elle n’a que elle, personne à impliquer dans cette perte. Ce n’est pas important de toute façon. C’est terminé. On lui somme de dormir un peu, elle essaie, mais le sommeil ne vient pas. Elle passe les heures suivantes à fixer le plafond. Après avoir reçu son congé. Elle se retrouve à l’extérieur avec aucune envie de retourner au manoir des Rosier. Elle pense tout de même à envoyer une missive adressée à son mari pour lui dire qu’elle serait là pour le repas du soir. Elle appelle ensuite Roxy qui lui a donné son numéro, au cas où elle voudrait discuter. Irene n’a aucune envie de discuter, mais elle ne sait pas où aller. Elle veut juste trouver un endroit où s’étendre et qu’on lui fiche la paix. Elle sait que sa nouvelle amie peut lui donner les deux. Elle quitte l’appartement de la thaïlandaise alors qu’il fait déjà noir à l’extérieur.

Elle revient à la maison et passe dans les cuisines où se trouvent deux plateaux encore chauds. Celui de Caesar la suit dans les airs alors qu’elle monte les escaliers et se rend à la chambre principale."Bonsoir." Dit-elle à l’homme toujours allongé, mais bien éveillé. "Désolée, il y a eu un pépin au travail et ça a pris toute la journée." Le mensonge traverse facilement ses lèvres, sans aucune hésitation. Elle sait qu’il ne va pas vérifier. Elle dépose le plateau sur le bureau à côté de son lit et elle se dirige vers lui. Elle replace son oreiller, verse de l’eau dans son verre, touche son front pour vérifier sa température, comme elle a pris l’habitude de le faire depuis son retour au manoir. Sans s’en rendre compte, elle fuit son regard."Comment te sens-tu? Tu as pris tes cachets?" lui demande-t-elle d’une voix éloignée qui ressemble plus à celle d’une sage-femme que celle d’une femme éplorée qui vient de perdre son bébé.

Aussitôt rentrée, aussitôt Irene reprend son rôle de femme au chevet de son mari. Ce n’est plus le temps de s’apitoyer ou de ressasser cette perte continuellement. Elle ravale sa douleur autant morale que physique et se présente devant un Caesar qui a connu des meilleurs jours, mais qui semble tout de même de bonne humeur. Juste de le voir serein, ça lui fait oublier la journée horrible qui vient de passer. Il est le plus important dans le moment. Depuis sa tentative de suicide, il a passé avant tout. Avant son travail, sa grossesse. Avant elle. Parce que s’il ne s’en était pas remis, qu’est-ce qui lui serait arrivée à elle? Qu’est-ce qui serait advenu d’elle? Elle ne connait pratiquement personne ici, aucun lien qui expliquerait qu’elle reste sur les terres anglaises. Elle n’est pas assez attachée aux Rosier pour rester parmi eux alors que son mari n’est pas ou plus en état de vivre convenablement. L’idée de retourner en Corée du sud et de rentrer chez les Park lui donne envie de vomir. Elle s’en est libérée, ce n’est pas pour y retourner et revivre le harcèlement psychologique dont elle a été la victime toutes ces années. Non, il fallait que Caesar se relève. Il fallait lui donner une raison de le faire. Il fallait qu’elle lui montre qu’elle était là pour lui et qu’elle méritait qu’il se batte. Irene a mis toutes ses énergies vers son mari et son rétablissement, au profit de sa propre santé. Avec le résultat qu'on connait. Ces dernières semaines, elle a fait en sorte qu’il se repose et qu’il aille à son rythme. Elle a fait en sorte de toujours être près de lui au besoin, tout en lui laissant son espace. Elle a joué les sages-femmes et les protectrices. Elle a refusé que toutes les personnes qui n’avaient rien de bon à lui apporter puissent le voir. Elle a dit sa façon de penser à Celyn qui mettait de la pression ou qui rendait la situation lourde avec ses commentaires qu’elle trouvait déplacés. Elle s’est assurée qu’il mangeait et buvait bien, que ses draps étaient changés tous les jours et qu’il prenait bien ses médicaments. Elle a dû se montrer ferme à plusieurs reprises, mais ça en a valu la peine. Parce que ce soir-là, il va bien. Il sourit même. Parce que toute cette mésaventure les a rapprochés. Ça a permis à Irene de découvrir une facette d’elle qu’elle ne connaissait pas. Celle d’une femme forte et protectrice. Ils ont encore beaucoup de chemin à faire pour s’apprivoiser et cesser d’être mal à l’aise l’un envers l’autre, mais leur relation a fait un magnifique bond, malgré tout. Un petit pas à la fois. Aucune pression. Ils ont le temps.

Après ses vérifications de routine, le regard de la belle s’attarde sur le carnet de croquis et elle sourit doucement. Une autre preuve qu’il prend du mieux. Il ne fait pas que dormir, il a repris plus régulièrement ses dessins. Elle ne croit pas que ces lignes représentent quoi que ce soit de concret, mais le coup de crayon s’est largement amélioré. Moins nerveux, plus franc. Comme si le fait de perdre leur enfant le fait revivre, lui. Une mort pour une vie. Son visage se ferme à cette pensée et elle continue d’éviter les yeux de son mari qui lui attrape la main et l’invite à s’asseoir à ses côtés pour lui parler de sa journée. Le cœur d’Irene se met à battre rapidement. De toutes les journées à discuter, il a choisi celle-là. Celle où elle a fait une fausse-couche, celle dont elle a menti croyant qu’il ne la questionnerait pas. Doit-elle continuer le mensonge ou lui dire la vérité? Elle relève le visage et le regarde pour la première fois depuis qu’elle est entrée dans la chambre. Elle remarque qu’il s’est rasé. Du revers de la main, elle touche sa joue douce, puis un doigt sur une petite égratignure qui a vite été guérie. "Dubu m’a dit que tu t’étais rasé seul. C’est super." Elle est sincère. Pour n’importe qui, ce compliment serait vu comme une farce, mais tous les deux savent que c’est un énorme pas et qu’il est important de le mentionner. Elle sourit avant de lâcher le visage de son mari et de poser ses mains sur ses cuisses. "Non non, rien de grave. Monsieur Zabini n’était pas satisfait d’un mot dans un discours à être diffusé dans quelques jours. Il a voulu tout refaire. " Elle a de la facilité à mentir, mais sa voix est beaucoup plus cassée qu’à l’habitude. Elle espère qu’il ne remarque pas. Elle n’aime pas lui mentir, mais elle n’est pas certaine que ce soit le moment. Il semble bien pour la première fois depuis des jours. Elle ne veut pas gâcher ce moment.