Les docks, elle n’avait pas grand chose à faire ici, pour ne pas dire rien du tout en réalité. Pourtant, ça faisait quelques temps maintenant qu’elle avait pris goût à venir ici, à faire comme si tout était normal bien que ça ne le soit pas du tout. Elle aurait été plus en sécurité à la Tour, c’était une certitude mais ici, une fois à l’intérieur, plus rien ne pourrait lui arriver, c’était ce dont elle s’était convaincue. Un laboratoire n’était clairement pas le lieu où on s’attendait à la trouver, elle qui ne connaissait pas grand chose dans tout ça, encore moins en potions. Elle avait toujours été plus intéressée par les sortilèges, la faute à Igor qui l’avait poussé sur cette voie sans doutes. Elle se souvenait encore très bien de la première fois qu’elle avait mis les pieds ici, une mission sans grande importance selon elle mais qu’elle avait mené à bien tout de même. Récupérer des trucs, ci et là, c’était un peu tout ce qu’on lui demandait, ça lui convenait bien en réalité mais il faudrait bien qu’un jour elle fasse un peu plus, qu’elle montre qu’elle était capable de faire plus surtout. Une fois rentrée à la Tour, ce fut là que son esprit commença à tourner à plein régime. Elle s’était demandée ce qu’il se passait dans ce laboratoire, ce que cet homme qu’elle avait rencontré pouvait bien y faire de ses journées avec ses éprouvettes et ses microscopes. Ca sonnait un peu trop moldu à son goût et pourtant, elle y était retournée, prétextant qu’on lui avait fait une nouvelle demande. C’était faux bien évidemment, elle s’était simplement échappée de la Tour pour gagner les docks et observer, comprendre. Une fois, deux fois. C’était la troisième fois aujourd’hui qu’elle venait et une nouvelle fois, elle avait préparé un mensonge qui devrait suffire à ce qu’on lui permette de rester sans poser trop de questions, c’était ce qu’elle espérait en tout cas. Entrer n’était pas le plus compliqué dans cette histoire, rester le serait un peu plus. Elle avait une attitude détachée comme elle en avait pris l’habitude désormais. Elle savait y faire, elle espérait en tout cas, elle aurait bien l’air idiote sinon. Quelques coups frappés à la porte, elle entrait sans même attendre la moindre autorisation. « Bonjour… ? » Elle avait beau regarder un peu partout, elle ne voyait personne. Dommage, ce n’était peut-être pas le bon jour pour se présenter finalement. Prête à déjà repartir, elle n’en fit rien pourtant. La lèvre mordue, elle sentait la curiosité monter en elle progressivement alors qu’il y avait tant de choses un peu partout qu’elle aurait aimé regardé d’un peu plus prêt. Le pouvait-elle ? Sans doutes pas, elle n’avait pas le niveau, tant au niveau de l’Ordre que pour tout le reste. Si elle regardait, elle ne comprendrait très probablement pas grand chose et pourtant, elle s’approchait de la table la plus proche sur laquelle elle laissait courir ses doigts jusqu’à une petite pile de papiers. Il y avait des formules, des ingrédients divers et variés d’inscrits et si elle en connaissait la plupart, elle ne serait pourtant pas capable d’identifier les raisons de leur présence sur le papier. Elle était belle et bien novice, elle ne comprenait pas grand chose, preuve en était cette grimace qui déformait ses traits de poupée russe.

Jarod est tout sauf concentré. Il n’arrive pas à faire la plus simple des potions. Soit il met trop d’un ingrédient, soit il se trompe dans ses incantations, soit il mélange trop vite. Rien ne va. Il doit refaire deux fois, parfois trois fois la même potion. Des concoctions qu’il fait habituellement les yeux fermés ne sont pas du tout à la hauteur. Mais, il n’a pas du tout la tête à ça en ce moment. Ses pensées sont à mille lieues des docks et des laboratoires. Il y a quelques jours, il a revu Odalis. Il ne pense qu’à la bombe qu’elle lui a lâchée. Père. Il est père. Une petite fille de sept ans. Cette information a encore du mal à se fondre en lui. C’est comme une mauvaise blague qui se répète. Comme s’il était destiné à devenir père dans sa vie. Ou est-ce plutôt un rappel qu’il devrait peut-être se protéger quand il couche avec une femme? Il soupire. Il n’avait vraiment pas besoin de ça en ce moment. Odalis lui a dit de réfléchir et qu’elle ne lui en voudrait pas s’il décide d’en rester là. Quelle lâche, il serait s’il décidait de l’ignorer. Mais, il n’est pas prêt. Pas encore.

Perdu dans ses pensées, un « bonjour » interrogatif, lancé au rez-de-chaussée, le fait sursauter. La fiole qu’il tient à la main glisse et s’écrase sur la surface plane de la table. Son contenu explose d’un liquide vert et visqueux qui se retrouve complètement sur lui. Il lâche un juron sonore. Pas que le dégât le dérange en soi, ça sera bien vite nettoyé sans trop de dommages, mais qu’il puisse être aussi nerveux et qu’il n’arrive pas à bien effectuer son travail l’emmerde au plus haut point. D’un petit sort, il nettoie le produit sur son sarrau et à son poste, d’un autre il recolle le verre brisé. Il se dirige ensuite à la salle de bains pour se retrouver seul, même si les laboratoires sont plutôt déserts aujourd’hui. Il veut juste s’enfermer dans le calme, loin des effluves qui lui donnent le tournis. Il doit prendre sur lui et mettre ses histoires personnelles de côté. Il a des potions à produire et ses collègues de l’ordre comptent sur lui. Une cargaison incomplète peut être dommageable pour les planques et les missions. Il doit livrer la marchandise. Ce pourquoi on lui fait confiance. C’est son rôle. Il doit se ressaisir.

Il se fixe dans le miroir, les mains à plat de chaque côté de l’évier. Il ouvre le robinet et s’asperge le visage, question de se réveiller. Il prend du papier pour s’essuyer les mains et retourne à sa table qui est occupée par une longue chevelure blonde un peu trop curieuse. Il se racle la gorge. "Je peux t’aider?" Il la reconnait lorsqu’elle se retourne vers lui et qu’il capte ses yeux azur. C’est la jeune fille envoyée pour récupérer les potions de polynectar de ce matin. Il se rappelle lui avoir souri, par politesse ayant déjà la tête ailleurs. Il se rappelle aussi l’avoir croisé un peu avant midi sans connaitre les raisons de sa présence. Et là voilà pour une troisième fois dans la même journée. Il ne sait pas si elle a une nouvelle affectation ou si elle a toujours eu l’habitude de faire des allers et des retours sans qu’il ne s’en aperçoive, quoi qu’avec un minois comme le sien, elle ne serait pas passée inaperçue. Il s’avance doucement vers l’intruse, jetant son papier à la poubelle. "T’es là pour quoi cette fois-ci?" Demande-t-il mi-sérieux, mi-amusé. Il n’a pas vraiment envie de rire, mais il ne veut pas non plus paraître trop dur.

La curiosité prenait petit à petit le pas sur tout le reste. Elle avait salué, elle avait dit bonjour et le manque de réponse était une invitation pour elle à fouiller.Il n’y avait pas de mauvaises pensées à faire ça, elle ne le faisait pas avec de mauvaises intentions non. Le besoin de comprendre, l’envie d’en savoir plus et de se rendre quelque peu utile aussi. Au sein de l’Ordre, elle avait bien trop souvent l’impression d’être un fardeau que réellement utile. Elle avait ce sentiment qu’on ne la prenait pas au sérieux et pourtant, ce n’était pas faute d’essayer. Personne ne savait qui elle était réellement et c’était pour le mieux, car elle n’osait pas imaginer ce que serait sa vie si c’était le cas. Elle n’avait rien à faire ici, elle était venue le matin même avec une idée précise en tête, quelque chose qu’on lui avait demandé parce qu’on jugeait que c’était à sa hauteur. Vraiment, qui ne pouvait pas aller chercher un carton de polynectar, il fallait bien être stupide pour ne pas réussir. Mais à peine avait-elle mis les pieds dans ce laboratoire, qu’elle avait découvert comme un autre monde, elle avait découvert quelque chose qui pourrait lui plaire et qui pourrait la faire se sentir utile. Mais finalement, elle n’était pas seule cette fois-ci encore. Elle sursautait au raclement de gorge qu’elle perçu, se retournant vivement aux mots prononcés à son égard et instinctivement, elle mordait dans sa lèvre. Elle venait d’être prise en flagrant délit. De quoi après tout ? D’espionnage ? Totalement stupide. Le seul crime dont elle pouvait être coupable, c’était qu’elle n’avait rien à faire ici, qu’elle devrait déjà être retournée à la Tour pour sa sécurité et sans doute celle de tout le monde. Elle avait un peu trop tendance à vouloir voir le monde, à en faire qu’à sa tête aussi et c’était assez problématique, une raison qui faisait sans doute qu’on ne pouvait pas lui demander tout et n’importe quoi. « Je... » Elle en perdait ses mots. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui dire après tout ? La vérité ? Ca paraîtrait probablement trop idiot à ses yeux et elle ne savait même pas par où elle pouvait commencer. Voilà qu’elle devenait nerveuse au fil des secondes qui s’écoulaient. Ses mains étaient jointes devant elle, elle jouait nerveusement avec ses doigts, le regard porté dessus. Irina n’osait pas le regarder, elle ne savait pas quoi lui dire mais elle devinait sans mal à ce qu’il lui disait qu’il l’avait reconnu. Après tout, trois fois dans la même journée, ça ne devait pas arriver si souvent, il ne devait pas voir grand monde non plus dans ce laboratoire. Bonne ou mauvaise chose pour elle, il allait bien falloir qu’elle s’explique. « Je suis curieuse je suppose. » Elle ne supposait pas en réalité, elle pouvait bien l’affirmer. C’était la curiosité qui l’avait une nouvelle fois à venir ici, la curiosité de savoir ce qu’il était possible de faire avec tous les ingrédients qu’il y avait dans un tel endroit, la curiosité de savoir si elle-même serait capable d’en faire quelque chose et de les accommoder de tel sorte qu’elle réussirait une potion parfaite. C’était sans doute un grand rêve et pourtant, elle aimait à y croire, elle voudrait que ça soit vrai, qu’elle puisse elle aussi se montrer utile. « Je ne sais pas faire grand chose en réalité alors… je me disais que peut-être... » Demander de l’aide n’avait jamais fait partie de son éducation. Karkaroff n’aimait pas ça, il fallait savoir se débrouiller par soi-même. Alors encore aujourd’hui, les mots restaient quelque peu bloqués dans sa gorge. Elle ne savait pas demander, elle ne savait pas lui dire simplement ce qu’elle avait dans la tête. Apprend-moi.

L’atmosphère est bizarre aujourd’hui dans le hangar. Habituellement, il y a plus de vie que ça. On entend des gens murmurer, des plumes griffonner sur les parchemins, des verres qui se cognent entre eux, des chaudrons qu’on mélange, des explosions, des jurons, des exclamations. Mais là, c’est le calme plat. Ils ne sont pas plus de cinq scientifiques dans tout le bâtiment. La plupart sont partis en mission. Lui, depuis qu’il s’est fait chopper par la VB et qu’il a rencontré son père, il essaie d’éviter. Déjà qu’avec Azaël, ils ont réussi à s’en sortir une fois, il n’aura sans doute pas autant de chance la prochaine fois. Pour le moment, il préfère largement se retrouver dans les laboratoires que sur le terrain. Il préfère être seul et dans sa tête, plutôt que d’avoir la responsabilité des autres. Il a encore le douloureux souvenir de sa capture et il s’en veut toujours. Alors quand il voit une intruse à sa table, il est surpris parce qu’il se doute qu’elle fouine un peu.

Jarod reste sur ses gardes, même s’il sait que c’est ridicule. La blonde fait partie de l’ordre, il n’a pas à douter comme il le fait. Il faut dire que les laboratoires n’est pas l’endroit qui attire le plus les foules. Sauf, les scientifiques, le conseil et quelques membres des autres cercles, les visites se sont rares sur les quais. Ce n’est pas là que l’action se passe et quand on n’y connait pas grand-chose en potions, ce n’est pas très intéressant ou invitant. Les odeurs se mélangent, il y a des vapeurs de toutes sortes, il y a peu de lumière, des bocaux au contenant douteux un peu partout, des tableaux remplis de formules indéfrichables et autres instruments bizarres. C’est loin d’être un endroit fréquentable pour une personne non initiée. Un mince sourire étire ses lèvres alors qu’il sent que sa question prend de court son interlocutrice. Elle a de toute évidence oublié de préparer une excuse à sa présence dans les laboratoires. Peut-être qu’elle s’est dit que venir trois fois dans la même journée allait passer crème. Alors que c’est tout le contraire. Il est donc plutôt surpris de voir que la jeune fille traine au lieu de fuir en courant après avoir terminé sa tâche. Il la fixe, parce qu’il attend néanmoins une explication. Il n’est pas chef des labos, alors il devrait s’en foutre au final, mais il n’aime pas qu’on flâne pour rien, surtout quand on y connait rien. Le moindre faux pas, la moindre maladresse peut réduire des heures de travail à néant. Moins, il y a de personne qui tourne autour, mieux c’est. Un sourcil se soulève à son explication. "Curieuse? Okay…". Il n’est pas complètement convaincu, mais il ne relance pas. Vu son humeur massacrante, il a envie de lui dire de partir, mais il se contente finalement de hausser les épaules. Ce n’est pas comme s’il est débordé et qu’une commande doit partir dans l’heure. Même si c’est laborieux depuis le matin parce qu’il a la tête ailleurs, il n’est pas en retard dans ses tâches.

Jarod passe devant la fille et retourne à sa table lorsqu’elle parle à nouveau. Il tourne doucement la tête vers elle, ses yeux scrutant les siens. Il les fronce légèrement attendant qu’elle termine sa phrase, mais cette dernière reste en suspens. Qu’est-ce qu’elle veut dire? "Je suis sûr que tu es douée pour quelque chose."Il répond sans trop réfléchir parce qu’il la trouve dure avec elle-même. Il ne sait pas ce qu’elle attend de lui. Il revient à ses notes pensant qu’elle va aller ailleurs, mais elle ne bouge pas. Il la sent toujours derrière lui. "Tu t’y connais en potions?" qu’il lance par-dessus son épaule.

Elle réalisait que venir, encore une fois, ici n’était peut-être pas la meilleure de ses idée si elle voulait passer pour une personne tout ce qu’il y avait de plus normale. Elle ne savait même pas si elle savait encore ce que ça voulait dire, être normale. En fin de compte, tout ce qu’elle faisait, ce n’était pas en pensant à mal, elle le faisait pour s’échapper, pour essayer d’avoir une vie malgré tout ce qu’il se passait. Que ça soit à Londres, dans le Gouvernement, au sein même de l’Ordre. Ce qu’elle désirait, c’était se donner un but, c'était d'avoir un objectif dans la vie. Jamais elle n’avait eu l’occasion de réfléchir à ce qu’elle voulait faire de sa vie. Quand elle avait quitté Durmstrang, elle n’avait pas mis longtemps à se faire mettre dehors par sa famille d’accueil, résultat qui l’avait conduite à Londres. Si seulement elle pouvait, elle aurait sans doute les capacités pour écrire un bon roman avec tout ce qu’elle avait vécu depuis qu’elle était gamine. Ça ferait sans doute fureur, et bon nombre de gens pourraient peut-être se retrouver dans son histoire. Mais c’était des choses qu’elle devait garder pour elle, parce qu’on ne devait rien savoir de sa vie, rien savoir de l’Ordre. Elle n’en pouvait plus des secrets, c’était pour ça qu’elle avait décidé de se trouver un objectif afin de se rendre utile. Elle avait eu l’idée le matin même quand elle était venue, qu’elle avait vu toutes ces fioles et les microscopes. Ca donnait envie. Alors elle était venue une seconde fois puis une troisième fois. Et voilà qu’elle s’était fait prendre, qu’elle faisait passer ça pour de la simple curiosité. Mais sa nervosité était sans doute trop grande pour passer inaperçue. Elle ne savait pas quoi dire, quoi faire pour ne pas passer pour une personne à soupçonner. Elle voulait qu’on croit à sa bonne foi, elle voulait être crédible parce que si on venait à connaître sa vraie identité, ça foutrait probablement tout en l’air. Elle aimerait qu’il ait raison, qu’elle soit vraiment douée pour quelque chose mais c’était plus un rêve qu’autre chose. « Oui… peut-être. » Elle n’était clairement pas aussi objective que lui, c’était certains mais elle avait au moins pour elle, cette curiosité qui lui permettait de s’intéresser à un peu tout ce qu’il y avait dans son environnement. « Je m’en sortais pas mal pendant mes études. Je n’étais peut-être pas assez attentive pour exceller cependant. » Elle était réaliste. S’il acceptait de lui montrer quelques trucs, il verrait bien que la concentration n’était pas son fort, encore moins l’adresse mais elle faisait de son mieux dans tout ce qu’elle entreprenait et c’était ce qui devait compter. Du mieux qu’elle pouvait, elle essayait de ne pas le regarder directement, histoire qu’il n’arrive pas à lire en elle. C’était un truc assez facile avec la jeune femme, facile de lire dans son regard, quand elle mentait, quand elle était mal à l’aise surtout et elle ne voulait pas de ça. Alors elle posait son regard sur quelques ingrédients, s’en approchait aussi pour les observer et tenter de les identifier. Elle n’en avait pas le nom exact mais de ce qu’elle savait, elle était presque convaincue que la moitié de ces choses étaient interdites à la vente légale. « Est-ce que ce n’est pas… illégal que d’avoir ce genre de chose dans son laboratoire ? » Enfin, elle s’en moquait un peu si c’était pour faire quelque chose d’utile pour l’Ordre mais s’il acceptait qu’elle continue de venir, il fallait bien qu’elle sache dans quoi elle s’embarquait vraiment. « Tu penses que je pourrais venir… un peu plus souvent et sans trouver de prétexte stupide pour ça ? » Genre venir en passant par la porte d’entrée sans prétendre qu’on l’avait envoyé pour une raison totalement bidon.

Jarod se serait bien passé de cette visite impromptue. Une grande part de lui aimerait se retrouver seul. Vraiment, il n’a pas envie de taper la discussion. Il se sent dépassé par cette nouvelle situation qui lui est tombée dessus tout d’un coup. Il a tellement à réfléchir. À sa position concernant cette gamine, son rôle dans sa vie déjà bien entamée ou les sentiments contradictoires qu’il ressent. Les pensées ne cessent de s’entrechoquées. Il n’arrive pas à faire le focus sur rien. Il dérive d’une réflexion à l’autre. Il doit se rendre à l’évidence qu’il n’arrivera à rien de plus que la commande du matin qu’il a réussi à terminer non sans difficultés. Alors aussi bien accepter la présence de la blonde. Peut-être que c’est ce que ça lui prend au final. Pour se changer les idées, pour penser à autre chose que sa vie qui est plus que chaotique depuis quelques mois. Peut-être que c’est ce qu’elle souhaite aussi. Faire quelque chose de nouveau, élargir ses horizons, se découvrir un nouvel intérêt. Il se doute que la vie dans les planques doit parfois être longue et les missions peuvent se faire rares. Il a été plutôt chanceux avec sa formation de médicomagie, il a pu rentrer rapidement dans l’action et se sentir utile à soigner les résistants. Il a rarement trouvé le temps long, toujours occupé à quelque chose. Encore plus maintenant qu’il a pris un poste dans les laboratoires. Un peu moins au cœur des opérations, mais tout aussi important. Il a toujours préféré la confection de potions à sa pratique de médicomage.

Il est donc le premier surpris lorsqu’il demande si elle s’y connait en potions. Une question qui semble simple et futile, mais qui permet tout de même une suite. Si elle répond par l’affirmative, ça leur permettra d’en discuter et sinon, peut-être qu’il voudra lui montrer une ou deux notions pour le plaisir. Elle est là par curiosité, après tout. La blonde lui dit finalement qu’elle se débrouille bien, mais qu’elle n’a jamais été très attentive. Il hoche la tête. Il a dû mal à comprendre comment on ne peut pas être attentif en cours de potions alors que c’est tellement intéressant et génial, mais bon, c’est vrai que c’est pas donné à tout le monde. Ça peut devenir rapidement complexe. Il la voit s’approcher de sa table pour mieux voir ce qui s’y trouve. Il en profite pour prendre sa plume et noter un truc qu’il vient de réfléchir sur un parchemin. Un coin de sa bouche s’élargie alors qu’elle remarque que certains ingrédients ne sont pas légaux. "T’as au moins retenue quelques trucs." Il aurait sans doute pu être plus nerveux ou énervé qu’elle fouine, mais en fait, il s’en fiche. Certains ingrédients dits illégaux sont très utiles aux différentes potions demandées par l’ordre. Il n’avouera cependant pas que certains sert à ses potions hallucinogènes. Tant qu’elle n’ouvre pas le tiroir du bas qui contient une bonne partie de sa cargaison, ça devrait aller. Si l’ordre vient à savoir qu’il utilise leurs provisions à des fins personnelles, il pourrait avoir des soucis.

Le scientifique hausse les épaules à sa dernière question. Il ne voit pas pourquoi elle ne pourrait pas venir à sa guise. "On dira que t’es mon apprentie." Dit-il à la blague avant de se frotter les mains. "Alors? Tu veux m’aider à faire une potion de soins?" Il espère ne pas la prendre de haut ou d’avoir l’air d’un professeur qui s’adresse à une gamine de onze ans. Il n’a aucune idée de comment s’y prendre ou si c’est vraiment ça qu’elle veut. "Au fait, je suis Jarod ou Moose si tu préfères."

Elle s’était fait prendre et ce, en belle et dû forme. Mais le regret n’avait pas sa place dans l’esprit de la jeune femme. Non, elle ne pouvait pas regretter alors qu’elle avait fait les choses sans mauvaises arrières-pensées. Elle voulait apprendre, elle voulait comprendre et surtout, elle désirait plus que tout servir enfin à quelque chose au sein de l’Ordre du Phénix. Elle en avait marre d’être dans cette Tour, de faire des petites missions que bien souvent, personne ne voulait. Elle aussi voulait montrer qu’elle pouvait servir à quelque chose et à force de venir ici, dans ce laboratoire, elle avait eu cette idée, sans doute un peu idiote, d’apprendre elle aussi à manier les ingrédients et les potions. Devait-elle lui dire tout cela dès le début en revanche ? Elle n’en était pas certaine. Dans le monde dans lequel ils vivaient, il était impossible de savoir à qui il fallait se fier, elle ne savait pas, elle n’avait pas confiance ou alors en de très rares personnes qui se comptaient sur les doigts d’une seule main. Mais jamais elle n’avait imaginé que ça pourrait être facile. Jamais elle ne s’était dit qu’elle n’avait qu’à prononcer quelques mots pour obteni ce qu’elle désirait. Après tout, elle aurait très bien pu travailler pour l’ennemi, c’était le genre de pratique courante dans ce gouvernement de retourner sa veste tant qu’on sauvait sa peau. Irina, elle savait pourtant qui elle était, ce qu’elle voulait et une remarque lui permi sans doute de se faire bien voir. Elle n’était peut-être pas une grande connaisseuse encore mais elle en savait assez pour pouvoir affirmer que la moitié de ce qui se trouvait dans cette pièce n’était pas vraiment légal. Ce qui la surprenait, c’était le ton qu’il employait avec elle. Aucune forme d’agacement, d’énervement ou quoique ce soit alors qu’après tout, elle n’avait rien à faire ici, elle ne devrait pas mettre son nez dans ce qui ne la regardait pas. Mais ça avait été plus fort qu’elle. Elle avait l’envie, le désir de faire quelque chose et un regard vers lui devrait suffir à le faire comprendre. Rapidement, elle eut un sourire qui paru sur ses lèvres quand elle entendit ses mots. Son apprentie. C’était tout ce qu’elle désirait en fin de compte et il saurait bien vite si c’était une bonne idée de faire ça, si elle était vraiment nulle ou s’il y avait un petit espoir de la voir faire quelque chose de bien. « Une… une potion de soin ? » Il la jetait comme ça, dans le grand bain directement et même si elle se doutait que ça n’était pas la potion la plus compliquée à faire, elle avait peur. « Je ne suis pas certaine d’avoir déjà réussi une potion dans ma vie, ce serait un peu risqué pour celui qui la prendrait... » Elle partait de très loin, il devait s’en rendre compte, histoire d’être certain dans quoi il s’embarquait. « Irina. Ou Maya. » S’ils avaient des noms d’emprunt, ce n’était pas pour rien pourtant, il n’avait pas hésité une seconde à lui donner non seulement son prénom mais aussi celui qu’il utilisait au sein de l’Ordre. Il n’était décidémment pas comme les autres. « Bien, on commence par quoi ? » Elle mordait distraitement dans sa lèvre en demandant ça, il y avait décidémment vraiment beaucoup de chemin à faire.

La tête ailleurs et remplie de questions, Jarod ne pense pas à se montrer méfiant. A-t-il seulement une raison de l’être? Il n’y a eu aucune rumeur concernant les laboratoires depuis des lustres et l’endroit est très bien protégé. On n’y entre pas aussi facilement. Le hangar est caché et invisible à ceux qui ne savent pas où et quoi regarder. Il y a des codes à l’entrée, des formules à prononcer et le meilleur dans tout ça, c’est que ça change toutes les semaines. Une petite poignée de personne est au courant y compris les quelques membres du Cercle 3 qui ont la permission d’y pénétrer. Il n’y a vraiment pas de raison de s’inquiéter. Et puis, si la blonde est une espionne travaillant au service du gouvernement, le potionniste mérite de se faire emprisonner non seulement parce qu’elle a réussi à déjouer les systèmes de sécurité mis en place, mais aussi parce qu’elle joue son rôle à la perfection. Une belle jeune femme aux cheveux d’or, aux yeux brillants de curiosité, moue hésitante, mais déterminée à apprendre. N’importe qui tomberait dans le panneau.  

Il est le premier surpris de l’inviter à partager sa table. De nature plutôt solitaire, surtout lorsqu’il travaille, ce n’est pas dans ses habitudes de vouloir l’aide de qui que ce soit. Il est pour l’échange d’idée et la collaboration, mais il préfère nettement être seul lorsqu’il fabrique ses potions, quitte à demander de l’aide au moment opportun. Il n’a jamais pensé non plus à avoir besoin d’une apprentie et pourtant, les voilà tous les deux côte à côte sur le point de concocter une potion de soin. Quelque chose lui dit que la jeune fille est vraiment intéressée et qu’elle veut apprendre, qu’elle n’est pas là seulement pour passer le temps et qu’à la première mission, elle va abandonner. Jarod ne pense pas être le meilleur professeur, il n’a jamais été doué pour enseigner. La preuve, il n’a jamais réussi à donner la piqûre des mixtures à Azael. En espérant qu’il réussisse avec celle qui vient de se présenter en tant qu’Irina ou Maya. Il sourit. "Enchanté. T’inquiète pas, elle est difficile à rater et puis, tu ne l’as fera pas seule. Prête? On va commencer par vérifier si j’ai tout ici. "

Il se frotte les mains en vérifiant le contenu de ses réserves, pris d’une soudaine énergie qui était absente au matin. Il vérifie ses pots de vitre, secoue les récipients, touche la texture des poudres et grimace. Il lui fait signe de le suivre. Ils traversent la mezzanine puis descendent les escaliers jusqu’au sous-sol. L’homme pousse une large porte. Derrière elle se trouvent des dizaines d’étagères remplies d’ingrédients en tout genre. "La réserve." Qu’il dit un peu inutilement. Irina doit s’en douter. Il regarde machinalement la température de la pièce comme il a l’habitude de le faire. Il a encore le souvenir de la perte de tous les ingrédients l’année dernière quand le sort de température a cessé pour aucune raison. "On a besoin d’armoise, d’un foie de dragon et du cassis. Il me restait assez des autres ingrédients." D’un regard amusé, il lui fait bien comprendre que c’est à elle d’aller les chercher. Qu’elle se débrouille pour les trouver. Il faut bien qu’avoir une apprentie lui apporte des avantages. "Viens me retrouver quand tu les auras, je vais commencer la préparation." Il sort de la pièce et retourne à son poste de travail. Il se demande combien de temps elle va mettre pour les reconnaitre, ce n’est pas comme si les pots étaient bien identifiés. Elle en a certainement pour plusieurs minutes. Le temps pour Jarod de se perdre à nouveau dans sa tête. Il vérifie le stock demandé par St-James. Il mesure ensuite le pus de bubobulb nécessaire et étend le dictame sur une planche de bois. Il regarde l’heure et se demande si Irina s’en sort. Il aurait peut-être dû rester avec elle.