MARCH 1998. Kingsley apparaît dans un craquement d'outre-tombe, et ronchonne un peu quand une claque s'abat sur sa nuque en même temps qu'une rafale de vent fait voler les pans de son long manteau. Il redresse le col de ce dernier en s'avançant vers la maison des Scrimgeour, où la rumeur court que Rufus a aussi installé ses nouveaux bureaux d'enquêteur - quelle idée... Kingsley le comprend bien, ceci dit, après sa longue et fière carrière, difficile d'être remercié et de tourner en rond sans rien faire. Lui-même serait devenu fou.

De plus en plus, il sent la pression s'amonceler sur ses épaules et le monde changer. Bientôt, il devra rejoindre l'Ordre à plein temps, et tout abandonner derrière lui - sa carrière, son nom, ses frères, ses soeurs, tout. Il sait que c'est la chose à faire et pourtant, il ne peut pas s'empêcher d'être légèrement réticent. Tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a bâti... réduit en cendres de sa propre volonté.

Mais Kingsley connait bien le mythe du phénix et de ses cendres.

Après avoir passé le mur entourant la propriété, il se hâte sur le chemin jusqu'à l'imposante porte d'entrée, rouspétant alors que des gouttes se mêlent au vent et commencent à s'abattre cruellement sur son crâne aux cheveux coupés ras, le faisant bougonner de plus belle en accélérant la cadence. Il tape ses pieds boueux une fois arrivé devant la maison, et n'a pas le temps de s'approcher de la porte pour y frapper que la silhouette du jeune neveu de Rufus apparaît dans l'encadrement. Il se souvient de lui encore, au Bureau des Aurors, et lui adresse un sourire chaleureux mais crispé - une marque de fabrique pour Kingsley, aussi adroit avec ses émotions qu'avec une plume d'écriture. « Kingsley, que nous vaut ta visite ? Le temps n'est pas particulièrement agréable aujourd'hui. - N'est-ce pas tout le temps le cas, sur cette île maudite?" Kingsley agite la main, ses doigts se tordant naturellement en une incantation magique pour débarasser son manteau et son crâne de la pluie épaisse qui s'est abattue sur lui, soupirant d'aise en rencontrant la chaleur bienvenue de l'intérieur de Loch Mordain.

Son sourire se détend un peu, et il tend la main à Malcolm, la serrant avec fermeté en le tirant vers lui pour abattre son autre main sur son épaule dans un geste brusque et affectueux. "Certaines choses valent mieux d'être entendues que lues," explique-il évasivement en le relâchant après l'avoir étudié. Il a l'impression que ce pauvre bougre prend dix kilos de muscles à chaque fois qu'il le voit. "Te joindras-tu à nous aujourd'hui? Ce que j'ai à dire à ton oncle pourrait t'intéresser." Du moins il l'espère; bientôt, l'Ordre aura besoin de toute l'aide possible et imaginable pour aller en guerre.

Malcolm l'emmène à l'intérieur de la maison, Kingsley se voûtant un peu comme pour prendre le moins de place possible tout en gardant un regard alerte sur les pièces et couloirs se succédant jusqu'à leur destination à l'étage. Il adresse un hochement de tête poli et reconnaissant à Malcolm lorsque celui-ci ouvre la porte et le laisse entrer, se sentant minuscule soudainement. Il a l'impression d'être de retour au travail lorsque Rufus le convoquait dans son bureau... une impression plutôt désagréable et sur laquelle il n'aime pas s'étendre.

Le bureau de Rufus est toujours aussi étriqué et encombré que son propriétaire et Kingsley esquisse malgré lui un léger sourire quand ses yeux rencontrent les siens. L'ancien chef du bureau des Aurors est ébouriffé et sa peau parcheminée est ravagée de rides inquiètes, comme toujours. Il ressent un profond attachement pour cet homme qui lui a appris, en compagnie de Maugrey, beaucoup de ce qu'il sait et de ce qui fait de lui un excellent Auror.

« Je te souhaite la bienvenue dans mon humble demeure Kingsley. » Kingsley hoche la tête, amusé quelque part par le ton solennel et important de Rufus. "Merci de m'accueillir." Leurs mains se serrent avec force, et le sourire de Kingsley s'étire sur ses lèvres. "Tu as l'air en forme." Kingsley n'a jamais été vraiment à l'aise avec les conversations du genre, superficielles et inutiles, mais il pense qu'un compliment ou deux pourrait l'aider dans son objectif. Après s'être détaché, Rufus contourne son bureau pour aller s'installer sur son fauteuil et après y avoir été invité, Kingsley l'imite face à lui.

« Qu'est-ce qui t'amène en Écosse ? » Une chose qu'il apprécie particulièrement chez l'ancien chef des Aurors, c'est son côté pragmatique et direct, ressemblant fortement au sien. "J'ai appris que toi et ton neveu avez ouvert un cabinet de détectives privés," commence-t-il en jetant un coup d'oeil à Malcolm. Cela fait presque deux ans que Rufus a quitté ses fonctions au Ministère, et un an qu'il a été rejoint par sa famille restante. Les nouveautés voyagent vite, néanmoins, surtout quand on est surveillé comme peuvent l'être les Scrimgeour par le Ministère. Kingsley ne sait pas trop quoi penser du dossier Scrimgeour et des accusations lancées à l'encontre de Rufus: il sait juste que ce dernier est un homme qu'il respecte et dont l'aide serait précieuse. "Il se pourrait que, dans un futur prochain, j'ai besoin de votre aide et de vos précieux services. J'ignore combien de temps il me reste au bureau des Aurors avant d'être mis à la porte... ou de la prendre moi-même." Son regard se fait pesant, alors qu'il se penche un peu vers Rufus, toujours assis sur son siège. Ses yeux intenses, noirs comme le fond d'un puits, fouillent les mirettes de Rufus avec détermination alors qu'il ne prononce pas les cinq mots qui lui démangent pourtant les lèvres: l'Ordre est en vie.

Le sourire sur les lèvres de Kingsley n'éclaire qu'une moitié de son visage en un rictus qui a quelque chose de calculateur et de vaguement distant. "Je me demandais simplement jusqu'à quel point je pouvais compter sur notre amitié passée."

Malcolm affichait un air fermé alors que la discussion s'engageait entre les deux. Il balayait du regard la pièce avant de se figer près de son oncle sur un fauteuil plus modeste. Cette place lui était dédiée pour plusieurs raisons. Tout d'abord, son oncle connaissait préférait le voir observer et apprendre de lui. Ensuite, il avait tendance à être quelque peu maladroit. Or, il était hors de question de troubler le décore de la tanière du vieux Scrimgeour. Ordonné à la vieille mode, le bureau imposait une atmosphère particulière. Elle était à la fois sinistre et teintée d'un air archaïque tant les meubles et les rideaux donnaient à la pièce un caractère ancien. Malcolm s'était habitué à cette mise en scène avec le temps. Il savait que sous cette mise en scène se cachait surtout le goût de son oncle pour l'ancien. Cette mise en scène révélait, aux yeux des plus aguerris visiteurs, la décadence de la maison Scrimgeour. Autrefois fiers compagnons de Godric Gryffondor, la disgrâce qui les avaient atteints avec l’avènement du Lord les avait laissés sans presque un sou. Les costumes qu'arboraient les deux n'étaient pas du premier chic ou de la dernière saison. Si Kinglsey posait son regard avec attention, il remarquerait la fatigue de certains meubles et le dépérissement des lieux. Pourtant, c'était bien un ancien patron du bureau des aurors fier qui trônait devant lui. Son siège était couvert de formes et de visages, des animaux du monde magiques qui s'étiraient difformes dans l'ébène. Le vieux Scrimgeour répondit sur un ton calme « Je ne pense pas que tu viennes ici pour une affaire. » Chaque mot était pesé, leur économie lui donnait l'air de deviner les pensées de ses interlocuteurs. Ceux qui le connaissaient bien savaient qu'il maîtrisait les arts de l'esprit comme personne. Malcolm n'avait jamais su s'il était Legilimens, mais son niveau d'Occlumencie lui avait permis d'atteindre le niveau d'expression faciale d'une sombre statue. Le regard de l'oncle se posa sur Malcolm dont la pensée avait sûrement filtré jusqu'à l'esprit de son patriarche. Pourtant, l'Écossais ne s'excusa pas, du moins pas à haute voix. Il baissa un instant le regard pour observer ses chaussures avant de poser son regard sur Kingsley.

Rufus plissa les yeux alors que Kingsley lui parlait. Il étira sa main vers le tiroir de son bureau en sort un cahier. De l'autre, il tire sa baguette la posant près de lui. « Que veux-tu Kingsley ? ». Il joignit les mains tenant toujours sa baguette entre ses serres. Il hocha la tête un instant avant d'aviser son neveu se demandant si c'était bien une discussion pour lui. Il ourla une grimace avant de revenir à Kingsley. « Nous ne sommes pas amis Kingsley. » Direct, sans plus de fioritures, Rufus avait tranché. Il tira néanmoins sa baguette pour fermer les rideaux qui tombèrent. Les immenses tentures rouge écarlate emprisonnèrent la grisaille au-dehors. Malcolm ne relevait pas, il savait qu'il ne fallait jamais contredire son oncle. Rufus posa sa baguette de manière sèche sur son bureau. « Mais, si ce que tu dis est vrai, nous pourrions travailler de nouveau ensemble. » Malcolm commença à tapoter son accoudoir étirant un demi-sourire de son côté. L'ancien directeur du bureau des aurors ajoute « Nous gagnerions tous à travailler de concert afin de survivre. » Chaque mot pesé évitant d'être clair permettait de révéler les intentions du patriarche. Il préférait rester vague. Cette période était troublée et on pouvait être vendu au gouvernement par n'importe quel parvenu de l'étranger souhaitant grimper dans l'échelle sociale. Rufus savait qu'en restant aussi peu clair, il pourrait se dédouaner de toute intention malveillante. Il saurait répondre aux questions sans se mettre en défaut lui ou les siens. Pourtant, il savait qu'il ne pourrait que retrouver son poste à coup d'intrigue et de manœuvre. C'était un jeu dangereux que de s'engager contre le pouvoir et ses sbires. Malcolm saurait faire de même, mais il se permit d'ajouter « Nous pourrions te faire une place sur la liste de nos clients. » Il s'approcha pour tirer le carnet que son oncle avait sorti. Il l'ouvrit pour consulter l'ordre des prochains jours. Les deux Scrimgeour qui se regardaient finirent par poser le regard sur Kingsley comme pour sonder ses intentions. Rufus passa une main sur son front « Et ça permettra au petit d'arrêter de se tourner les pouces » Il éructait presque la fin comme un reproche.  Malcolm baissa la tête hochant lentement. Il ferma le livre avant d'aviser Kingsley . « Et puis, ça nous sortira des petites missions sans intérêts dont à l'habitude. » Malcolm sourit en coin pour son oncle.

« Je ne pense pas que tu viennes ici pour une affaire. » Kingsley reste impassible, étirant même un très léger sourire crispé sur ses lèvres alors qu'il sent sa patience être réduite en bouillie par le regard posé de Scrimgeour et, comme d'habitude, ses ronds de jambe interminables pour sautiller autour du vif du sujet sans jamais l'atteindre. « Que veux-tu Kingsley ? - Je veux simplement renouer." Il hoche une épaule massive d'un air penaud, comme si il n'avait aucune véritable idée derrière la tête - mais quiconque connaît Kingsley ne saurait se faire avoir par une telle supercherie. Il n'est pas allé dans la maison de Salazar pour rien, après tout. « Nous ne sommes pas amis Kingsley. » Kingsley lève une main qu'il abat sur sa poitrine, comme si les mots de Rufus venaient de l'atteindre en plein coeur. "Me voilà avec un coeur brisé, Rufus. Vraiment?" Kingsley secoue la tête d'un air dramatique, mais suspend son geste quand il voit l'ancien chef des Aurors fermer les rideaux dans un bruit sec.

Il s'est déjà tendu en le voyant attraper sa baguette. Voilà maintenant que l'Auror carre les épaules et laisse retomber ses mains le long de son corps. Sa baguette est toujours accrochée à sa ceinture, mais les deux hommes présents avec lui dans la pièce savent tout comme lui qu'il n'en a aucunement besoin pour se battre, se défendre, ou lancer le moindre sortilège. Kingsley garde néanmoins ses doigts lâches, détendus, pour ne pas alerter quique ce soit - il peut sentir le regard pesant de Malcolm sur sa silhouette, et il n'a pas envie de provoquer chez lui une réaction indue. « Mais, si ce que tu dis est vrai, nous pourrions travailler de nouveau ensemble. Nous gagnerions tous à travailler de concert afin de survivre. - Effectivement." La voix de Kingsley est tendue, alors qu'il tourne rapidement les yeux vers le neveu de Rufus. "Et tu sais ce qu'on dit, l'ennemi de mon ami est mon ennemi." Sauf qu'ils ne sont pas amis. En prononçant ces mots, revenant au visage de Rufus, Kingsley montre les dents.

« Nous pourrions te faire une place sur la liste de nos clients. » Une offre généreuse, mais insuffisante au yeux de Kingsley, dont la déception s'inscrit profondément sur ses traits sans qu'il ne cherche à la ravaler. « Et ça permettra au petit d'arrêter de se tourner les pouces. » Kingsley se tourne vers le "petit" qui est à peine plus petit que lui et lui adresse un sourire - sincère, celui-ci, même si dénué de chaleur. « Et puis, ça nous sortira des petites missions sans intérêts dont à l'habitude. - Effectivement, ce que j'ai en tête est loin d'être "sans intérêt."" Kingsley se tourne de nouveau vers Rufus. "Cesse donc de faire l'autruche, Rufus. Je sais que tu n'as aucun amour pour Dumbledore, mais même toi ne peux pas nier que ce qu'il se passe en ce moment est néfaste pour l'entièreté de la communauté sorcère." Et pas seulement toi, a-t-il envie de lui dire, sans formuler sa pensée. "Quand l'Histoire sera écrite par les vainqueurs, veux-tu réellement que le nom Scrimgeour ne soit qu'une note de bas de page, oubliée sitôt qu'elle est lue, et que votre famille tombe encore plus dans la désuétude qu'elle ne l'est déjà?"

Les deux Scrimgeour échangeaient des regards sévères après les derniers mots de Kingsley. Naturellement, leurs regards s’étaient portés l’un vers l’autre comme s’il avait prononcé un maléfice. Le petit silence qui s’était installé n’était perturbé que par la pluie qui tapait contre les carreaux. Naturellement, Malcolm se redressa pour ajuster sa veste avec une certaine nervosité. L’ex auror venait de tirer à boulet rouge dans le navire Scrimgeour et cela avait un peu secoué le Scrimgeour. Il se remémorait la sombre période qui avait mené à leur exil forcé en Écosse. Ils n’avaient plus l’envergure de leur passé prestigieux au ministère. La perte de leur ancien statut l’avait bouleversé. Il avait l’impression d’avoir perdu l’une des rares choses auxquelles il tenait : son travail. Il ne pouvait se prononcer pour son oncle qui se murait dans un silence imperturbable. Une vraie gargouille n’aurait pas fait mieux. Il n’avait jamais osé demander à son oncle ce que sa démission du ministère lui avait fait. Il n’avait jamais abordé le sujet, peut-être parce que pour lui c’était une évidence ? Il ne perdait jamais de temps à se lamenter sur son sort. Il était de ces gens qui après le choc se remette immédiatement en marche vers un nouvel objectif. Telle une araignée, il avait envoyé dans son exil écossais pour y périr. Cependant, Malcolm se doutait bien qu’il n’allait pas abandonner la partie aussi facilement. Le Scrimgeour nourrissait-il l’ambition de récupérer son poste après ces événements ? Se nicher dans la résistance pour mieux ensuite paraître comme le candidat de la réconciliation ? Peut-être. En tout cas, même s’il ne laissait rien paraître à son neveu, il devait avoir un plan à mettre en œuvre.

Rufus étira à son tour un mince sourire aux déclarations de Kingsley comme s’il attendait finalement ce genre de propositions. Il se massa le menton avant de reprendre son expression sévère. « Dumbledore a toujours agi en solitaire et sans le ministère. Cependant, il faut lui reconnaître qu’il ne manquait pas de courage ni de style. » Malcolm hochait la tête pour appuyer les propos de son oncle. Il avait lui aussi un grand respect pour l’ancien directeur et pour le sorcier. Il n’aimait pas le reconnaître devant son oncle qui méprisait ceux qui ne faisaient pas confiance au professionnalisme des aurors. Ils n’étaient pas des sorciers du dimanche ayant décidé d’affronter les mages noirs. Ils étaient formés et entraînés pour cela. L’ancien ministre de la magie reprit « Je pense qu’il serait injuste de nous cantonner à une note de bas de page. Il va de soi que je ne peux pas me permettre d’intervenir ouvertement. Du moins, pas pour l’instant. En revanche, Malcolm pourra t’aider pendant que je règle mes affaires. » Malcolm hochait la tête lentement. De toute façon, il n’avait pas son mot à dire. La maison Scrimgeour faisait bloque devant les autres. Cette loyauté familiale était devenue comme une seconde nature qu’il avait déjà éprouvée lors de la chute du ministère. Il comptait bien poursuivre et faire ses preuves auprès de son oncle et de Kinglsey. Il avisa l’ex-Auror avait un regard curieux « De quoi s’agit-il exactement ? » Il tapota sa jambe dans l’attente d’une réponse alternant entre son oncle et le résistant.